Boites enseignantes et enseignement programmé

Mars 1964

Quelques opinions

L’idée est dans l’air. On en discute un peu partout. Nous seuls pour l’instant sommes passés à la réalisation.

Faute de mieux, on s’appuie sur ce qui a été réalisé en Amérique. Il n’y a rien de plus facile que de discuter sur l’expérience des autres. Ceux qui critiquent notre invention sont toujours des camarades qui n’ont pas essayé le matériel et qui imaginent volontiers des vues et des tares sans réalité.

Il faut dire aussi que nous-mêmes, avant de nous justifier théoriquement et de répondre à ces critiques, préférons expérimenter à grande échelle. Et, sur la base de la conception que nous avons de cette nouvelle technique, dans le cadre de notre pédagogie, nous opérons les mises au point indispensables. Nous sommes en plein tâtonnement expérimental.

La troisième séance plénière du Congrès sera consacrée à cette question de grande actualité pour laquelle je prépare un rapport qui pourrait bien faire date dans la diffusion de la programmation en France.

Parce que justement, nous plaçons l’expérimentation et les réalisations techniques avant le verbiage théorique, on nous évite volontiers dans les réunions ou colloques où l’on discute de machines à enseigner et de programmation.

Le samedi 8 février 1964, à l’E.N. Supérieure de St-Cloud, se sont réunis pour un colloque des pédagogues, des professeurs de l’enseignement supérieur et des chercheurs. « Il s'agissait, dit la revue L’Education Nationale, de tenter un premier bilan des connaissances, d'analyser les résultats d'expériences que les uns ou les autres ont pu entreprendre, de signaler les recherches en cours, enfin d'esquisser les grandes lignes d'un programme de travail ».

Nous ne sommes ni pédagogues ni professeurs ; on pense sans doute que le terme de chercheurs ne peut pas nous être appliqué. Alors on nous a évités.

Peu nous chaut. Nous n’avons pas besoin de ces Messieurs pour poursuivre notre œuvre.

Car si ceux qui ne nous connaissent pas peuvent nous critiquer, tous les usagers parlent avec enthousiasme de la nouvelle technique. 

Notre camarade Colin (Vosges), nous adresse son rapport — qu’il envoie également à son I.P. — sur l'expérience qu'il a menée officiellement dans sa classe. Il note :

« Avis des élèves : Enthousiasme général. La boîte apparaît comme une petite machine. Manipulation agréable. Plus facile que les fiches. Les bandes sont mieux expliquées. Dans la bande on reste dans le même sujet. »

Autre appoint considérable : l’opinion de notre camarade Deléam, dont on connaît les qualités tout à la fois théoriques et pratiques, et la rigueur logique. C'est lui aussi qui a poussé presque à la perfection les fiches-guides pour son cours d'histoire.

Je n'osais pas lui demander son opinion car je m'attendais à une plus longue opposition. Or, voilà ce qu'il nous écrit dans son rapport pour le Congrès :

« Vous n'ignorez pas que la mode est aux machines à enseigner. Grâce à Freinet, nous sommes encore dans le vent ». Sa boite enseignante est la plus simple, la plus pratique et la moins chère de toutes les machines du même genre qui existent. Les bandes programmées sortent maintenant à un rythme accéléré. Il est un fait que notre Commission d'Histoire est celle qui résiste le plus longtemps à la « nouvelle vague ». Moi-même j'ai cru longtemps que ce serait du « style yé-yé ». Eh bien, je me suis trompé. J'ai plutôt l'air ridicule avec mes fiches-guides d'histoire de L'Educateur. J'ai donc fait de nombreux essais depuis la rentrée ; j'en ai discuté avec les camarades ; j'ai expérimenté à outrance dans ma classe, car je n'aime pas faire une révolution si je ne suis pas sûr de mon succès. Mais maintenant, je peux vous dire : Il faut y aller! »

Suivez le conseil de Deléam.

C.F.

Et voici une opinion cueillie au hasard dans notre courrier. Elle émane de Yvan (L-A)

Voici les premières observations que je peux faire :

En calcul : Je juge par rapport aux fichiers et aux cahiers-autocorrectifs. Au point de vue efficacité, je ne peux encore rien avancer.

Au point de vue pratique : par rapport au fichier : pas de perte de temps. Pas de déplacement. Pas d’énervement. Fiche égarée qu’on ne trouve pas. Fiche mal classée.

Par rapport au cahier : nos enfants avaient du mal à retrouver la réponse. Ici chacun travaille paisiblement, il tourne et hop ! on a la réponse.

Au point de vue psychologique : L'enfant était perdu dans son fichier et il n'avait jamais l'impression d'arriver au bout de ses peines. Ici, l'enfant arrive, sans trop de mal, au bout du rouleau.

Quelle joie de dire : « J'ai fini ma bande ! »

Avantage sur le cahier : C'est moins monotone. L'enfant tourne : « Ah ! cette fois ci un problème ». Et en plus il y a le plaisir de manipuler.

Et tous ces avantages ont encore plus de valeur pour nos classes de perfectionnement. Pour les enfants que nous recevons et qu'il faut « désintoxiquer ». Il y a certes là l'attrait d'un outil nouveau. Le soir, j'ai toujours un enfant qui me demande : « Je peux emmener ma boite » ?

Je travaille aussi à réaliser des bandes en liaison avec les ateliers de calcul (pesées, mesures, etc...)

L'enfant a sa boite. La bande lui indique les travaux à faire. Il emporte avec lui sa boite, la bande lui indique les mesures à faire à la maison, les renseignements à demander.

C. F.