Les problèmes de l'Inspection

Juin 1964

La part de l’administration

 
L’Inspecteur n’est pas nécessairement et avant tout un fonctionnaire supérieur chargé de vérifier le travail de ses subordonnés : il est, de par la position qu’il occupe, un agent de liaison placé au centre des groupes qui participent à l’éducation : Etat, Famille, Educateur, Enfance. Sa fonction est de coordonner : il est, il doit devenir un véritable directeur de l’éducation.
 
R. DOTTRENS (1931)
 
R. Ueberschlag
I. P.
 
Les problèmes de l’Inspection
 
De tous les services publics, l’Enseignement est sans doute celui où l’inspection du personnel se fait apparemment avec le plus de libéralisme : il est rare qu’un maître soit contrôlé plus de dix fois dans sa carrière alors que dans d’autres services cette fréquence correspond à un an, voire à un mois d’activité. De tous les services publics, l’enseignement est celui dans lequel les critères servant à juger la qualité ou le rendement sont les moins précisés. Les instructions sur cet aspect essentiel du contrôle restent vagues et il faut voir dans ce silence autant une preuve de sagesse qu’un signe d’embarras. Il n’est pas aisé de juger un maître. Il n’existe pas de relation proportionnelle entre les efforts déployés par un instituteur et le niveau des élèves. Des intelligences médiocres exigent des soins sans commune mesure avec les progrès obtenus. L’erreur ou l’habileté pédagogiques ne se décèlent parfois que bien plus tard et il est très hasardeux de vouloir déterminer dans un succès ou un échec la proportion du mérite ou la responsabilité qui incombent au maître, à l’élève et au milieu. Enfin l’inspecteur ne voit ses administrés que rarement et assez superficiellement. Il lui faudrait examiner chaque élève, assister à des séances dans chaque discipline, s’entretenir longuement avec le maître. Si quelques instants lui suffisent pour reconnaître le pédagogue de valeur et l’incapable, il doit se contenter de faire confiance à la majorité des maîtres moyens. Cette façon d’agir n’est pas la plus mauvaise à condition que la formation des instituteurs soit sérieuse et que l’école primaire ne soit pas contrainte de fournir à l’enseignement secondaire un pourcentage important d’élèves doués. Ce fut le cas de cette première moitié du siècle. L’Inspecteur pouvait alors se contenter d’obtenir la promotion des meilleurs maîtres et l’élimination des incapables.
 
Il n’en va plus de même aujourd’hui. Le développement du secteur tertiaire exige une scolarité prolongée, une formation intellectuelle plus solide pour une majorité d’enfants. Paradoxalement, le goût pour les fonctions d’instituteur se perd et la pénurie en maîtres contraint tous les pays à engager un personnel moins sélectionné et préparé trop rapidement. L’obligation de viser plus haut en s’entourant de collaborateurs de moins en moins qualifiés contraint l’Inspecteur à reposer la question du rendement mais cette fois, dans un contexte actuel, avec une exigence de rigueur.
 
Evaluer le rendement scolaire mais aussi le faire progresser cela suppose que nos inspections s’entourent de garanties méthodologiques nouvelles et que nous ne comptions pas seulement sur les traditionnelles conférences pédagogiques pour améliorer les techniques et les méthodes éducatives. Notre deuxième colloque international a contribué à cet examen de conscience indispensable magistralement introduit par M. Dottrens qui fut notre collègue avant de devenir professeur à l’Université de Genève. Il a examiné successivement nos deux moyens d’action fondamentaux - l’influence directe par le truchement de l’inspection, l’influence plus diffuse par l’animation de cercles de travail. Comment concevoir la technique de la première, l’organisation des seconds ?
 
R. UEBERSCHLAG
 
 
Une enquête de notre commission des inspecteurs :
 
L’inspecteur et les groupes de travail des instituteurs
 
Pour de multiples raisons, les rapports Inspecteur-Instituteurs ne peuvent plus se cantonner sur le plan du dialogue. De plus en plus espacé, par suite de l’accumulation des tâches administratives, ce dialogue se révèle de moins en moins efficace et de moins en moins adapté à des situations continuellement changeantes. Il est donc utile que l’Instituteur soit également pris en charge par une communauté. Or l’ancienne communauté sociologique (le canton ou l’école urbaine) a disparu ou s’est réduite à des rapports purement formels parce que la mise en place de ces communautés relève du hasard et non de la cooptation. Il est à craindre (c’est un signe de civilisation industrielle) qu’à l’avenir la fluidité du personnel sera telle qu’il sera inconcevable de voir un instituteur plus de cinq ans dans le poste qu’il occupe.
 
Cette mobilité, cette instabilité augmente en effet avec la progression des moyens de communication et la diversification des emplois. Face à cette instabilité, il sera nécessaire de créer des îlots de regroupement par affinités pour fixer affectivement un personnel (inspecteur et instituteurs réagissant pareillement à ce phénomène) écartelé par une multiplicité d’obligations et de loisirs.
 
Ces regroupements affectifs se font dans toutes les professions autour de buts syndicaux ou de loisirs. Au sein de l’Education Nationale, on peut estimer à 10% du personnel, les enseignants touchés par une activité régulière hebdomadaire de ce type. Les instituteurs et professeurs participant au moins une fois par mois à une réunion pédagogique peuvent être estimés, sans pessimisme exagéré, à 2% (30 à 40 par département de 2 à 3000 maîtres). Il est aisé d’en conclure que l’enseignant est souvent un isolé et presque toujours un solitaire. C’est cette pente qu’il s’agit de remonter. En examinant d’abord ce qui s’est fait et ce qui est en train de se faire au sein de l’Ecole Moderne.
 
Appréciation du travail des maîtres
 
Tant qu’il s’agit d’information, de documentation, de propagande, la tâche est facile. Elle devient difficile dès que, non content d’orienter et de conseiller, l’inspecteur est obligé de juger.
 
Or, le jugement est la raison d’être de sa fonction.
 
Du fait qu’au jour de l’inspection, le maître sait qu’au terme de la séance, l’entrevue se traduira par une appréciation commentée et une note chiffrée, ses rapports avec son supérieur se teintent d’une inévitable émotion.
 
Je demande dans quelle autre corporation le fonctionnaire fait l’objet d’une note après une heure, voire au mieux une demi-journée de travail directement surveillé par son chef. Il n’est pas douteux que si, comme dans maintes autres administrations la note n’était portée qu’en fin d’année par un inspecteur témoin, non seulement de deux ou trois leçons, mais des efforts soutenus dans les dix mois d’activité, les rapports entre ses subordonnés et lui s’en trouveraient apaisés.
 
Pour en revenir au zélateur des « Techniques d’expression libre », il doit à tous les membres de sa circonscription l’impartialité. J’ai, pour ma part la conviction qu’on peut être bon maître ou mauvais maître dans l’application de méthodes nouvelles comme on peut être bon ou mauvais maître dans la pédagogie traditionnelle, Par inclination, par nécessité, j’ai passé plus de temps dans les classes de pédagogie moderne que dans les autres ; je n’ai pas souvenir d’avoir éprouvé des difficultés résultant d’un parti pris qu’on m’aurait supposé à l’endroit des adeptes des méthodes nouvelles.
 
Sans doute voudrait-on définir une méthode d’inspection.
 
A vrai dire, le mode d’inspection d’une classe traditionnelle a-t-il jamais été défini ? Qui de nous a suivi un enseignement aux fins de juger une classe et un maître ? L’empirisme, sinon la routine, domine encore l’essentiel de notre fonction.
 
Si la Commission des Inspecteurs arrive à combler une telle lacune, elle aura bien mérité.
 
LAURENT, I.P. honoraire