Améliorer les conditions de travail des Educateurs : 25 élèves par classe !

Décembre 1962

Pour l'aboutissement d'une de nos revendications essentielles :

Améliorer les conditions de travail des Educateurs : 25 élèves par classe !

C. Freinet

Nous menons la bataille depuis près de dix ans et sommes heureux de voir qu’elle commence à porter ses fruits.

Nous la menons à vrai dire depuis 35 ans, depuis le jour où nous avons pensé qu’il était vain de ressasser les théories les plus imposantes — on en discute depuis des siècles — et que notre devoir d'éducateurs du peuple était de faire passer dans la pratique de nos classes les rêves plus ou moins exaltants des pédagogues.

Dans cette lutte, contrairement à ce qu’on aurait pu croire nous nous sommes heurtés moins aux conceptions psychologiques, philosophiques ou sociales qu'aux obstacles matériels et techniques ; les outils traditionnels nous paraissaient dépassés, mais il fallait inventer, créer, fabriquer les outils nouveaux ; ces outils il fallait habituer les maîtres à s'en servir, et c'est ce qui s'avérera le plus difficile ; il fallait, pour que nos expériences influencent la masse, que soient réalisées un certain nombre de conditions matérielles sans lesquelles d'ailleurs aucune pédagogie ne saurait être valable.

La surcharge des classes nous paraissait alors être l'obstacle majeur : exiger un nombre normal d'élèves, c'était exiger des créations de postes, donc le recrutement nécessaire, donc de meilleurs salaires, le tout aboutissant presque automatiquement à une nouvelle pédagogie.

Mais que ne nous a-t-on pas dit, même dans nos rangs quand, au Congrès d'Aix-en-Provence en 1955 nous avons lancé le mot d'ordre 25 enfants par classe et créé l'Association qui devait populariser cette revendication, et avec quelle obstination certaines organisations syndicales se sont ingéniées à ridiculiser puis à saboter notre entreprise ?

Nous apportions certes du nouveau, et l'avant-garde n'a jamais bonne presse dans les systèmes établis. C'est bien en vain que nous disions le vice de forme de revendications qui sent strictement matérielles, qui sont des revendications de fonctionnaires mais non de fonctionnaires-instituteurs et qui nous privent de certains atouts que nous vaudrait notre essentielle qualification.

Notre raisonnement de bon sens reste toujours valable.

Si l'Ecole fonctionne mal, si les résultats en sont contestables, l'instituteur, en l'état actuel des choses, en porte seul, auprès des parents et de l'administration, la responsabilité. C'est à dessein d'ailleurs qu'on a entretenu chez les parents cette idée ancestrale que la qualité de l'Ecole dépend exclusivement de la valeur pédagogique, technique et morale du maître. Nul ne leur a jamais expliqué que le rendement scolaire, comme tous les rendements industriels ou commerciaux est subordonné aux conditions de fonctionnement de l'Ecole, et que les éducateurs usent leurs nerfs et leur santé à travailler dans une atmosphère, et selon une technique dont ne voudrait aucun ouvrier ou fonctionnaire un tant soit peu spécialisé.

Les cheminots dénoncent certains vices techniques de l'exploitation des réseaux et las d'être les lampistes, s'organisent pour assurer leur sécurité. Les mineurs font de même, avec plus d’insistance et de méthode encore : la Sécurité Sociale enquête sur les locaux où travaillent ouvriers et employés. Mais quelle voix s'est élevée, quelle organisation s'est mobilisée pour que le public en général et les parents en particulier soient mis au courant des dangers très graves — physiologiques et psychiques — que courent leurs enfants dans les classes surchargées, dans les cours de récréation surpeuplées et du fait aussi de l'impréparation d'une large partie du personnel enseignant ?

Ne nous étonnons pas si, quand nous réclamons de meilleurs salaires, nul ne s'en émeut et si presse et radio restent obstinément muets. On est beaucoup plus sensible aux arrêts de travail des boueux et des croque- morts qu'à la vacance occasionnelle de quelques classes.

C'est parce que notre fonction apparaît aux yeux des parents — et en partie par notre faute — comme mineure qu'on ne fait rien pour la revaloriser.

Pour que l'Ecole ait, dans la nation, la place qui lui revient

Il en serait peut-être autrement si les éducateurs commençaient leur action coopérative par le bon bout, par l'incidence technique et humaine de leur métier.

Demandons que les syndicats désignent des commissions de surveillance et de contrôle comme il en existe pour les autres professions. Ces commissions pourraient comprendre : des délégués du personnel (présentés par les syndicats), des délégués des parents, un ou plusieurs médecins, des délégués de l’administration. On soumettrait à cette commission les cas extrêmes qui apparaissent comme un scandale : classes surchargées, cubage insuffisant, à cause de cette même surcharge, exiguïté des cours, bruits obsédants, locaux insuffisants, avec manque plus ou moins total d'outils de travail etc... La presse serait informée. Les diverses assemblées auraient à en délibérer. Vous verriez alors les parents s'intéresser à cette lutte dont la santé et l'éducation de leurs enfants seraient l'enjeu. Ils seraient eux- mêmes d'accord pour que les commissions, dans quelques cas graves, puissent ordonner la fermeture de certaines classes pour des raisons de sécurité, comme on ferme une mine suspecte.

Les instituteurs ne seraient plus seuls à réclamer, à leurs risques et périls. Leur voix serait mieux entendue. Un courant nouveau serait créé.

Comme une telle activité amènerait immanquablement à des créations de classes, le nombre des éducateurs devrait augmenter nécessairement. Mais pour que ce nombre puisse augmenter, pour que les classes ne soient pas tenues par des jeunes sans formation, il faudrait reconsidérer le recrutement, donc les salaires.

L'Ecole à tous les degrés prendrait dans la nation et dans le budget la place qui devrait être la sienne, et nos revendications auraient alors plus de chances de réussir.

La santé des maîtres

Cette formule d’action à la base contribuerait aussi à poser et à résoudre une revendication que nous croyons essentielle et que les organisations syndicales sous- estiment totalement : celle de la santé des maitres.

Les organisations syndicales ont agi, il est vrai, efficacement pour ce qui concerne les soins aux éducateurs que la rigueur de leur métier a rendus malades, et ce n’est pas nous qui allons méconnaître l'importance des réalisations exemplaires de la MGEN. Oui, les instituteurs malades sont bien soignés, mais n’y aurait-il pas lieu d’étudier les mesures à prendre pour qu'ils ne deviennent pas malades ? Dans neuf cas sur dix, les accidents graves qu’on soigne dans les établissements de la MGEN sont dûs aux mauvaises conditions de travail. La surcharge des classes dans des locaux surchauffés et au cubage insuffisant, suscite automatiquement la tuberculose. Les élèves nerveux et entassés dans des locaux trop populeux, mal agencés techniquement, avec un excès de bruit, et aussi : ce qui n'est pas négligeable des méthodes qui demandent aux éducateurs une tension hors nature, tout cela prépare aux maladies nerveuses à tous les degrés, et parfois incunables.

Il ne suffit pas de dire que la tuberculose et les affections nerveuses sont des maladies professionnelles des éducateurs. C’est l'aspect passif du problème, lutter contre les causes qui mènent è ces maladies en serait l’aspect actif et dynamique.

A notre Congrès de Mulhouse, un de nos vieux militants venait dire à la tribune, aux applaudissements des 500 participants :

« Bien sûr, nous voulons de meilleurs salaires, mais si on ne change rien à nos conditions de travail, nous serons usés avant l’heure et ne pourrons pas même profiter d’une retraite chèrement payée. Qu'on nous aide à vivre d’abord et à travailler humainement ! »

C'est l'appel que nous lançons nous aussi aux organisations syndicales. Les conditions administratives et sociales changent à vue d'œil dans notre monde en mouvement. Il ne faut pas craindre de reconsidérer de même nos conditions de lutte. Alors, avec les parents, intéressés comme nous à un meilleur fonctionnement de l’Ecole nous mènerons avec plus d’efficacité l’action indispensable pour le progrès de l'Ecole Laïque.

Des ordres du jour votés dans les sections

Pourquoi ai-je cru bon de reprendre aujourd'hui une argumentation souvent avancée déjà ici-même ? C'est que je viens justement de recevoir divers comptes rendus et ordres du jour qui me montrent que l’action souhaitée est heureusement commencée.

En juillet dernier nos camarades de Haute-Savoie (vérifier vos dernières et avant dernières éditions de juillet) avaient fait voter par leur section syndicale, une motion recommandant cette défense de nos conditions de travail. Cet ordre du jour devait être présenté au Congrès du SNI. Nous n’en avons eu aucun écho.

Voici aujourd'hui une motion votée à Lyon par l'AG de la FEN, et une motion du Conseil Syndical de l'Ardèche :

L'Assemblée Générale de la FEN a eu lieu dimanche 18. La motion a été adoptée à l'unanimité moins 18 abstentions :

« La totale réussite de la grève des parents d'élèves du Rhône et de l'Hérault couronnant la Quinzaine d'action laïque a mis en évidence la volonté des parents de voir aboutir la plus vitale et la plus urgente de nos revendications.

Obtenir un nombre d'enseignants et de locaux correspondant réellement au besoin de notre enseignement.

Ce soutien effectif des parents d'élèves ne nous invite-t-il pas à aller de l’avant et à ne plus nous contenter chaque année «d'attirer seulement l'attention des pouvoirs publics ».

L'assemblée générale demande donc au Congrès de mettre à l'étude un plan qui prévoit de ramener en 3 ou 4 ans (1) et par étapes, les effectifs de toutes les classes à 25 élèves maximum.

D'envisager une action énergique pour faire activer ce plan par les pouvoirs publics et pour assurer l'application de chaque étape.

L'assemblée générale pense que l'étude de ce plan pourrait être faite en collaboration avec les représentants des parents d’élèves».

Le Conseil Syndical de la section ardéchoise du SNI, réuni à Privas le 8/11/62.

Après avoir tiré les conclusions de la campagne laïque de la rentrée, salue les actions qui ont été menées dans le cadre de la Quinzaine (grève des parents, etc).

Le C.S. estime cependant qu'il n'est pas suffisant chaque année «d'attirer l'attention » du public et du pouvoir sur le manque de postes, les classes surchargées etc.

Il pense que la bataille pour un nombre de postes correspondant aux besoins, la réduction des effectifs dans les classes, des conditions de travail meilleures, est une bataille urgente et permanente.

En conséquence il demande au SNI :

— de préparer sur ces objectifs un plan prévoyant notamment de ramener par étapes l'effectif de chaque classe à 25 élèves au plus.

— et de prévoir à chaque étape de ce plan des actions énergiques pouvant aller jusqu'à une grève prolongée».

Il faut poursuivre l'action.

Ne manquez pas une occasion d'en montrer l'urgente nécessité ; discutez-en dans les sections syndicales ; portez la question au bulletin syndical. Ecrivez des articles pour l'Ecole Libératrice.

Expliquez en résumé que :

« Pour une plus grande efficacité de leur lutte revendicative, les instituteurs demandent que l'accent soit mis par les syndicats, par les associations de parents, par les organisations laïques sur l'amélioration indispensable de leurs conditions de travail: classes surchargées, cubage d'air insuffisant, bruit, locaux et cours de récréation trop exigus, méthodes pédagogiques à reconsidérer avec les outils modernes indispensables, les revendications administratives et matérielles devant être la conséquence naturelle de notre lutte pour une meilleure école.

Les instituteurs demandent que le mot d'ordre de 25 enfants par classe devienne progressivement une réalité et que soient constituées des commissions de contrôle chargées d’enquêter et d’intervenir dans tous les cas graves qui leur seront signalés ».

Et tenez-nous au courant.

CF.
(1) « Nombre à déterminer exactement par les spécialistes en se basant non sur la bonne volonté gouvernementale mais sur ses possibilités réelles ».