Discipline et journal mural

Janvier 1963

Pour éviter autant que possible la sclérose de notre pédagogie, je donnerai dans chaque numéro sous cette rubrique mon opinion sur la conception technique de nos camarades. Nos lecteurs pourront d'ailleurs donner en réponse leur point de vue.

Le bulletin de liaison de notre Commission de classes de Perfectionnement et maisons d’enfants (déc. 62) donne un intéressant résumé du cahier de roulement consacré à : Coopérative et Discipline du Travail en classe de perfectionnement.

Voyons plus particulièrement ce qui se rapporte au Journal mural, qui, disent les rapporteurs, « a été abandonné par la majorité des collègues de classe de perfectionnement ».

Les raisons données me montrent que le but et l'emploi de ce journal mural n'a pas été compris, et que donc l’échec est inévitable.

Ces camarades disent le remplacer par la Boîte à questions. Or, ce sont deux choses totalement différentes qui peuvent d'ailleurs cohabiter sans faire double emploi. Par la Boîte à questions l’enfant pose des questions de connaissances et de travail. Par le journal mural c'est le comportement scolaire et social qui est en jeu et dont on discute profondément.

« Pas de journal mural classique avec feuillets Félicitations, critiques, suggestions. Si ce qu'ils ont à dire est important, ils s’en souviendront ; s'ils ne s'en souviennent pas c'est que ça ne l'était pas ».

C'est pour cela que nous, adultes, quand nous affrontons une discussion, avons le soin de rédiger au préalable, sur un aide-mémoire, les points à discuter.

Sans le journal mural, les enfants n'auront évidemment rien à discuter, sinon ce qui s'est passé quelques instants avant. Avec le journal mural, il y en aura toujours trop.

« L'utilisation du journal mural, permet la dictature des lettrés et le blocage des illettrés ».

Evidemment, mais ceux qui ne savent pas écrire peuvent se faire remplacer par un autre élève ou par la maîtresse. Et ils ne s'en privent pas !

« J'ai tenté pendant deux ans le journal mural sous la forme préconisée. J'ai remarqué que peu de constructif se dégageait de celui-ci. Il faudrait qu'il soit surtout le porte-parole des désirs des enfants et que l’on y voie écrit ce qu'elles désireraient voir dans la classe et qu'elles n'osent demander tout haut. Mais il faudrait s'abstenir de juger ».

Non, le journal mural n’est pas fait pour qu'on y inscrive ce qu'on désirerait voir dans la classe. Il faut aller plus loin, plus profond, plus sensible. Ce sont tous les aspects de la vie de la petite communauté dont il faut discuter ensemble.

Et j'ai bien précisé dans ma BEM(1) qu’en aucun cas le journal mural et sa lecture en réunion de coopérative ne sont là pour juger et sanctionner. Il s'agit plutôt de chercher ensemble les solutions techniques et affectives qui peuvent corriger les erreurs intervenues dans la vie de la communauté. Ni juge, ni règle, ni loi. Il faut que les enfants prennent conscience des problèmes qui s'imposent à eux. Cela ressortit plus de la psychanalyse que de l'éducation habituelle.

Nous en usons depuis de nombreuses années à l'Ecole Freinet. Nous trouvons que rien n'est plus efficient pour les petits et les enfants difficiles. Je serais heureux que d'autres camarades me disent ce qu'ils en pensent.

Mais nous voyons là le danger que nous signalions dans notre dernier numéro, de camarades qui emploient nos techniques à leur façon et non pour l'usage pour lequel elles ont été conçues, et qui concluent que cela n'a pas fonctionné.

La même synthèse examine le cas de la discipline en classe de perfectionnement. Elle conclue ici aussi que l'éducation du travail n'est pas suffisante.

D'abord, avez-vous beaucoup d'autres recours? Le propre des enfants difficiles ou retardés c'est qu'ils ne veulent pas ou ne peuvent pas obéir. La sanction peut dans certains cas, avec des élèves normaux, produire un effet, ne serait-ce que passager. Avec les enfants difficiles, toute punition manque totalement son but et ne fait qu’aggraver le mal. Ces enfants sont rebelles au dressage. C'est sans doute parce qu'ils s'en rendent compte que les éducateurs de ces classes cherchent d'autres solutions.

Vous dites que l'Education du travail n'est pas suffisante. Mais l’avez-vous vraiment pratiquée? Avez-vous dans votre classe une grande gamme d’outils et de techniques? Ou là aussi ne faites-vous pas un ersatz d’éducation du travail?

En tout cas c’est dans cette voie qu’il faut nous orienter. Il n'y en a pas d’autres.

« Il semble, dit le camarade en conclusion, que ce qui réussit chez l’un échoue chez l'autre ». Attention, ne nous engageons pas dans cette voie car alors il n'y aura plus de recherche possible. C’est ce qu'on nous a toujours dit : il n'y a ni méthode, ni technique. Tout dépend du maître.

Nous ne nions certes pas l’importance prépondérante de la part du maître, mais nous disons aussi qu’il y a des techniques de travail qui sont mieux à la mesure des enfants et dont tout éducateur usera avec profit. Hors de là il ne saurait y avoir de progrès pédagogique.

C.F.

( 1 ) Voir BEM n° 5 Education morale et civique.