UN CONGRES INTERNATIONAL du Cinéma d'éducation et d'Enseignement

Mars 1934

Il se tiendra à Rome dans la deuxième quinzaine d'avril sous les auspices de l’institut International du Cinéma Educateur et réunira les représentants officiels des administrations et des institutions intéressées des différents pays.

Le N° de décembre de la Revue Internationale du Cinéma Educateur contient un certain nombre de rapports préparatoires aux discussions de ce Congrès.

De ces documents, dont quelques-uns sont d'une précision et d’une valeur remarquables nous allons tirer un aperçu de ce que seront les discussions du Congrès, pour ce qui concerne l’école primaire.

1° Les appareils de projection de format Standard sont de plus en plus abandonnés : prix, difficulté de maniement, impossibilité pratique d’avoir de bons films éducatifs, pellicules inflammables.

2° L'emploi du format réduit est entaché d'une sorte de péché originel. Les appareils employés pour la projection furent, au début, soit des jouets (Pathé-Baby), soit des appareils pour amateurs adultes (Ciné-Kodak). Ce sont les éducateurs qui, ne trouvant pas d’autres appareils pratiques sur le marché les ont adoptés.

Les films édités par les maisons intéressées souffrent étrangement de cette origine. De plus, malgré quelques efforts conciliateurs sur le plan international, il n’y a pas possibilité de s'entendre pour l'adoption généralisée d’un format unique de film réduit.

La pédagogie du film : Tout est à construire encore dans ce domaine et nous trouvons dans les divers rapports de nombreuses contradictions nées de ce que l'éducation elle-même n'est pas en possession d’une technique sûre et efficace.

On a beaucoup tâtonné par le passé :

a) Le cinéma a été pendant longtemps considéré comme un simple amusement. D'où utilisation de films sans aucune valeur éducative, projetés à l’origine dans des salles de théâtre. L’essentiel étant, semble-t-il, de susciter le rire, sans égard pour l’influence démoralisante de certaines scènes.

On commence à comprendre les graves dangers des projections cinématographiques commerciales et cette pratique est pour ainsi dire totalement condamnée.

b) Réaction inverse : Quand les pédagogues ont eu à s’occuper du cinéma, ils ont poussé à l'emploi de films exclusivement didactiques. Cette tendance nous a valu les plus mauvais films scolaires que nous possédions : leçons filmées imitées dans leur ensemble des leçons faites par les maîtres — tendance à remplacer tout simplement le verbiage scolaire, et parfois même des débuts d’activité, par la projection animée. Le film était mis totalement au service de la technique traditionnelle.

c) Le film rompt ces cadres formels. — Les uns parlent de le substituer presque totalement à l’éducateur pour de nombreux enseignements; d’autres voient la nécessité de n’employer le film que comme adjudant scolaire.

Mais dans quelle mesure le film sera-t-il adjuvant scolaire : dans quelle mesure servira-t-il à l'éducation, à l'acquisition : suivra-t-il servilement les programmes officiels ; quand et comment s’en éloignera-t-il ? Qui établira les scénarios, qui réalisera ; jusqu'à quel point les nécessités actuelles de l’éducation influenceront-elles la future pédagogie du disque ?

Autant de questions auxquelles la pédagogie traditionnelle ne saurait répondre que contradictoirement dans les divers pays.

Nous seuls, avec notre technique sérieusement fondée psychologiquement, serions en mesure d’apporter des solutions définitives dans leur esprit.

Nous ne négligeons ni le côté éducatif ni le côté instructif de notre tâche, mais nous avons pour ainsi dire changé les normes de l’action éducative. Notre rôle n’est pas d’éduquer systématiquement ni même d'instruire. Nous puisons à la source même de la vie et de l’enthousiasme enfantins les directives pour notre travail. Nous accordons une place primordiale à la stimulation de cette curiosité, de cet élan vital sans lesquels les interventions extérieures les plus génialement ordonnées resteraient inefficaces.

Première qualité à demander au film d’enseignement : qu’il stimule cette vie. Cette curiosité, toute bande qui vient renforcer ce courant créateur vaut de pénétrer à l’école. Les meilleurs films dans ce sens seraient sans doute les grandes réalisations des artistes qui ont su toucher l’âme et la faire vibrer.

Au point de vue instructif, sur quoi se baser, quelles directives suivre ? C'est actuellement l’anarchie la plus complète et cela nous vaut, à côté de quelques rares films précieux, une masse d’autres que nous écarterions immédiatement s’il nous était possible de les remplacer.

La solution serait bien plus facile à trouver avec notre technique : les intérêts enfantins nous ont été révélés par l’activité libre: nous connaissons les besoins éducatifs et il nous suffira de répondre aux demandes, aux désirs de nos élèves. Pus de leçons : des documents vivants s’ajoutant il la vie éducatrice. Que le cinéma soit l’œil merveilleux qui voit pour nous là où nos organes ne peuvent point atteindre ; mais qu’ils voient autant que possible selon des normes identiques, et harmoniques.

Le problème du film ne se sépare pas du problème du livre. Il le complète et il le déborde, en même temps, parce que n’importe quel instituteur, devenu insensible aux vices des manuels, comprend et sent les faiblesses du cinéma. Nous dirons, nous, que les films doivent répondre à nos besoins comme essaient de le faire nos brochures de la Bibliothèque de Travail, mais avec une puissance décuplée certes : apporter des documents vivants au rythme normal de la vie pour satisfaire les besoins éducatifs tels qu’ils se sont révélée par les pratiques nouvelles du travail libre.

Tant que l’adulte construira selon ses concepts à lui, avec les idées préconçues qu’il a sur la pensée enfantine et la vie scolaire, rien de définitif ne naîtra pour la pédagogie du disque.

Projection fixe ou projection animée : ce que nous venons de dire du film animé vaut également pour la projection fixe.

En raisonnant selon nos théories, la question ne nécessite pas de si longs développements : Toutes les fois que la projection animée satisfait davantage les besoins éducatifs des enfants, c’est elle qu’il faudrait préférer. Toutes les fois au contraire que le mouvement n’est pas indispensable, que la vue analytique doit primer, la projection fixe devrait être choisie.

Une éducation bien comprise devrait disposer conjointement de ces deux procédés d’enseignement qui ne se concurrencent point mais se complètent. Hélas ! la réalisation pratique seule vient compliquer le problème qui devient souvent celui-ci : étant donné que je ne puis acquérir les deux dispositifs ci- dessus, lequel choisir. La réponse, on le comprend, est pédagogiquement impossible.

Les problèmes de l’organisation. — Trois solutions :

Cinémathèques centrales, comme naguère en France, créées pour un nombre important d’usagers. Il est impossible d’avoir les films demandés au moment voulu.

Cinémathèques, décentralisées, ou créées pour un nombre réduit d’usagers (C.E.L.). C’est, on le sait, la solution qui est en train de prévaloir en France tant que la troisième solution, idéale, ne sera pas financièrement possible.

3° Cinémathèques scolaires, s’ajoutant à l’usage des cinéthèqucs décentralisées.

Il y a longtemps, on le sait, que nous prônons cette solution (valable également pour le disque). Impossible à réaliser avec du film standard, elle est par contre réalisable avec le format réduit, Pathé-Baby notamment.

6° Une question enfin que nul rapport n’effleure et pour la solution de laquelle nous avons depuis longtemps montré la voie : l'usage scolaire de la caméra prise de vues, enregistrement de la vie même, du travail des enfants pour constituer les bases d'une cinéthèque scolaire, qui devient précieuse dans les cas d'échanges organisés entre classes. Nous l’avons noté maintes fois : de même que les textes d’enfants sont le plus précieux comme stimulateurs de la vie, les films tournés par les enfants eux-mêmes ont toujours un très grand succès. Si même leur valeur technique est très relative leur portée pédagogique est immense parce qu’ils sont parmi les plus puissants porteurs de vie que nous puissions trouver à l'école.

Les difficultés financières enrayent le développement de semblable expérience dans nos écoles populaires. Mais pour qui examine le problème dans l’absolu, cette possibilité créatrice devrait prendre une place d’honneur.

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Par ces quelques critiques, par l’exposé succinct de ce que nous avons réalisé, nous avons voulu montrer surtout comment le problème de la pédagogie du film gagnerait à être examiné sous l'angle de la pédagogie nouvelle fonctionnelle au lieu d’être subordonné au cadre étriqué de l’école traditionnelle. On ne met pas ainsi une aussi puissante technique de vie au service d'une scolastique moyenâgeuse. Il faut voir et créer hardiment, ou bien on échouera toujours lamentablement.

Qu'il nous soit permis enfin de souligner à quel point le capitalisme est responsable de la faillite de la pédagogie du disque : anarchie de la production d’appareils, commercialisation totale de la production du film d’enseignement, dans nos pays réactionnaires ; il sera impuissant à modérer la concurrence capitaliste nationale et internationale, base du régime ; il n'empêchera pas que se dressent toujours plus farouches entre les pays, les frontières infranchissables dont le but est justement de combattre les efforts d'internationalisation et de paix.