L'officialisation de nos techniques et de notre pédagogie

Septembre 1963

Les Instructions

Ministérielles

 

L'officialisation de nos techniques et de notre pédagogie

C. Freinet

Voir le récent
B. O. n° 30 du
25 Juillet t963

Nous nous en réjouissons car elle a été de tous temps, et reste, notre but : mettre au point matériel et techniques, développer et faire connaître l’esprit de notre pédagogie, entraîner dans le sillage de l’Ecole Moderne les meilleurs, les plus conscients, les plus dynamiques et les plus lucides parmi les enseignants pour que notre pédagogie remplace peu à peu, dans les classes, les pratiques dont nous avons dit si souvent l’insuffisance.

L'officialisation croissante de nos techniques nous est une preuve encourageante que notre œuvre porte ses fruits et que nous devons donc être de plus en plus nombreux, et de plus en plus décidés « la faire connaître et à la développer.

 

Quand nous disons que notre but c’est l'officialisation de notre pédagogie, cela ne veut point dire que nous recherchons à tout prix l’estampille officielle et que nous ferons pour l'obtenir tous sacrifices ou démarches nécessaires. Nous redouterions au contraire une forme d'officialisation qui risquerait de nous cristalliser dans des solutions qui doivent sans cesse être reconsidérées et améliorées. Et nous redouterions tout autant que les instituteurs soient un jour poussés artificiellement vers des techniques qu'ils ne sont pas encore à même de pratiquer, faute d’initiation et de réadaptation. Leurs échecs, ou leurs demi-échecs, inévitables, risqueraient de redonner des armes à la masse des immobilistes qui sont contre nous, sans nous connaître, parce que nous bousculons l'ordre des choses établi, que nous dérangeons des routines et gênons aussi certains intérêts.

C'est pourquoi nous approuvons sans réserve les Instructions Ministérielles récentes qui, sans être impératives, n'en montrent pas moins la voie, fruit de notre expérience pédagogique. Nous devons en informer nos camarades, ne serait-ce que pour les persuader que notre pédagogie et nos techniques sont aujourd’hui officielles, qu’elles sont formellement recommandées par les I.M., même si notre nom n’est pas cité, ce qui n'a pour nous aucune importance, et que les Inspecteurs ou les Municipalités, ou même certains parents n’ont plus le droit d'interdire à l'un des nôtres de pratiquer l'imprimerie, d’éditer un journal scolaire, d’utiliser des fichiers auto-correctifs, pas plus qu’ils n'ont le droit d'interdire telle ou telle pratique, tels ou tels livres conformes aux exigences actuelles de la législation en cours.

Les Instructions du 15 juillet 1963 sur Les classes de transition mériteraient d’être ici citées intégralement. Nous ne pourrons en donner que de larges extraits en conseillant à nos lecteurs de se procurer le B.O. n° 30, du 25 juillet 1963 qui contient ces Instructions,

Qu'est-ce que les classes de transition ?

Créées à titre expérimental par les circulaires du 4 juillet 1961 et 6 juillet 1962, elles sont destinées à des élèves âgés de 11 à 12 ans, qui n’ont pas été admis dans le cycle d'observation et qui, pour des raisons diverses, souffrent d’un retard scolaire sans, pour autant, relever de l’enseignement des classes de perfectionnement.

Il s'agit de sous-instruits, néanmoins doués, qui ont souvent souffert des formes actuelles d'enseignement, dans des classes à gros effectif avec personnel enseignant mobile.

Il s’agit en somme de la catégorie d’enfants qu'on confie actuellement à l'Ecole Freinet, scolairement bloqués, dégoûtés du travail scolastique et parfois même de tout travail, et qui n'en sont pas moins doués, parfois supérieurement, mais pas forcément dans les branches trop intellectualistes de l'Ecole actuelle.

a) - CHOIX DES MAITRES: Il est certain que la tâche du maître dans la classe de transition sera très délicate par suite de l’hétérogénéité des élèves qui s’y trouveront rassemblés, de la diversité des buts à poursuivre, et enfin de la nécessité d’obtenir une efficacité pédagogique suffisante avec des enfants en difficulté devant des études abstraites.

Voilà fort bien posé le problème à résoudre.

Et voilà qui nous intéresse tout particulièrement.

Les maîtres seront choisis avec beaucoup d’attention parmi ceux qui, désireux d’éveiller chez leurs futurs élèves la curiosité intellectuelle et le désir de savoir, s'intéressent à l’emploi des méthodes nouvelles dans le cadre d’une pédagogie particulièrement adaptée...

Dans l’immédiat, il apparaît que ces classes devront être confiées à des maîtres qui ont déjà acquis une certaine pratique des méthodes actives et qui pourront ainsi plus facilement confronter leurs méthodes et leurs expériences (des réunions toutes les quinzaines sont prévues).

b) - RECHERCHE D’UNE PÉDAGOGIE : Ce chapitre nous intéresse au plus haut point puisqu’il est une recommandation directe ou indirecte de notre pédagogie.

Nous en notons seulement quelques éléments :

— Le premier trimestre aura pour objectifs principaux l’établissement d’un climat de confiance et de travail, la connaissance individuelle des élèves et l’établissement d’un bilan de leurs connaissances.

— On recherchera l’épanouissement général de l’élève.

— L’enfant qui, au cours du cycle élémentaire, n’a pu dominer les situations scolaires qui lui étaient imposées, a été traumatisé.

— On expliquera aux parents que les classements mensuels établissant la comparaison des enfants entre eux seront remplacés par la comparaison des progrès personnels de chaque élève.

— Eviter les longues leçons magistrales.

— Fiches auto-correctives.

— Il faudra reconsidérer les modalités d'acquisition des disciplines d'apprentissage, notamment en orthographe et en calcul.

— Par contre l'histoire, la géographie, les sciences d’observation, l’étude du milieu, etc... seront, dans les classes de transition, considérées en tant que « disciplines d’éveil ».

Un chapitre spécial est consacré aux techniques de travail, et tout serait à citer,

L’individualisation des tâches devra être opérée le plus fréquemment possible. Nous en apportons les possibilités avec les fiches, les bandes, les BT et les conférences.

— On constituera des groupes de travail

— Si le maître est informé des Techniques Modernes d’enseignement, s’il a pu se procurer des fiches de travail, s’il sait les utiliser, il aura réuni des éléments pédagogiques susceptibles de lui apporter d’excellents résultats.

— Les séances de travaux dirigés permettront aux élèves d’apprendre à travailler et d’apprendre à apprendre.

Parmi les travaux d'équipe, la circulaire mentionne :

les relations entre écoles, l’établissement et l’échange de journaux (muraux ou autres), la correspondance interscolaire sous ses diverses formes en mettant en bonne place les journaux scolaires imprimés ou multigraphiés.

outre leur intérêt intrinsèque et les puissantes motivations qui en résultent, ces activités offrent la possibilité d’une association bénéfique entre le travail manuel et le travail intellectuel (association qui sera à la base de la pédagogie des classes terminales pratiques).

— La classe devra disposer d'une Bibliothèque importante avec surtout des ouvrages documentaires sur les sciences et les techniques, l’histoire et la géographie, etc.

Notre collection BT sera l’élément essentiel à la portée des enfants, et d'une richesse incomparable, de cette Bibliothèque.

— On laissera une place importante à la libre initiative des maîtres, les classes de transition devant revêtir avant tout un caractère d’expérimentation.

— On constituera des équipes de recherche des maîtres.

— Les I.A. seront autorisés à proposer dès 1964 pour le C.E.P.E. des épreuves spéciales d'histoire, géographie et sciences réservées aux élèves des classes de transition et adaptées à leurs préoccupations et à leurs méthodes de travail.

Nous n'avons rien à ajouter.

Nos adhérents sont tout désignés pour occuper ces postes de classes de transition et pour y pratiquer intégralement et officiellement nos techniques.

Nous souhaitons seulement qu'une liaison spéciale se réalise au sein de notre mouvement entre les maîtres de classes de transition et de classes terminales. Nous constituons dès maintenant, au sein de l'ICEM une Commission des classes de transition et des classes terminales et nous demandons aux camarades intéressés de s’y faire inscrire et d’y travailler.

C. FREINET