L'Educateur n°1 - année 1961-1962

Octobre 1961

La Conférence Pédagogique sera dominée cette année par l’obligation officielle du par cœur

Octobre 1961
La Conférence Pédagogique sera dominée cette année par l’obligation officielle du par cœur
Nous devons protester contre cette mesure de réaction pédagogique

 

Nous avions la Circulaire du 19 octobre 1960 qui osait affirmer comme vérité cette monumentale erreur pédagogique que : « Le par cœur est la forme la plus authentique et la plus durable du savoir ».

Elle était en contradiction avec la Circulaire du 8 septembre 1960, dite « des travaux scientifiques expérimentaux dans les classes d'observation » qui est si bien dans la tradition de la pédagogie culturelle et humaine de la France

« Il s’agira d’autant moins d’un enseignement visant à inculquer des connaissances que la démarche à suivre doit être autant que possible celle de la recherche librement menée par les élèves avec l’aide du maître ».

Cette circulaire ne donne absolument aucune référence au par cœur qui ne saurait trouver place dans une « discipline nouvelle, dont l’introduction dans le programme du cycle d'observation constitue un des éléments fondamentaux de la réforme de l'enseignement ».

La circulaire du par coeur est également contredite par la circulaire du 4 juillet 1961 qui concerne l'ouverture des classes terminales pour les élèves que les méthodes de par coeur intensifié ne sont pas parvenues à dresser pour les classes d'observation.

On y parle certes de « s'assurer par des exercices quotidiens de la connaissance des tables ainsi que celle du mécanisme et du sens des opérations ». Ce sont là aussi nos préoccupations et nous sommes satisfaits, de voir que la circulaire ne parle plus du par cœur mais d'autres procédés d'intelligence et d'intérêt. « L'enseignement de le grammaire serait réduit à l'essentiel du programme du CM… Les problèmes seront simples et motivés le plus souvent par des activités scolaires… renouveler l’Intérêt des élèves pour le travail scolaire .,. formation morale, civique et esthétique, étude du milieu »...

C'est la pédagogie que nous défendons et à laquelle nous tachons de donner efficience et extension.

Mais l'incohérence n'en continue pas moins, et c'est maintenant le Ministre lui-même qui la cultive. Le dernier numéro de Documents pour la Classe publie des Instructions sur : La Grammaire du Cours Elémentaire au Cycle d’Observation.

Ces instructions sont le résultat du travail d'une Commission présidée par M. l'inspecteur Général Le Lay qui a essayé de normaliser l'enseignement grammatical. « Il faut surtout que ce soient toujours les mêmes mots qui nomment les mêmes faits, et qu'il en soit ainsi dans toutes les classes, dans tous les examens, dans tout le pays ».

La grammaire intelligente que nous pratiquons dans nos classes à même les textes libres de nos élèves et leur mise au point collective, les exercices d'application qui en découlent nous permettent sans trop de dommages de satisfaire à ces programmes, du moins dans ce qu'ils ont de raisonnable et d'adapté aux possibilités de compréhension de nos enfants.

Mais ce qui est grave c'est que ces Instructions ne demandent pas la compréhension et la pratique intelligente de ces règles mais le par cœur. « Il est rappelé que ces exemples avec les définitions et les règles qui sont formulées doivent être retenues par coeur».

Nous regrettons que M. Lucien Paye, ministre de l'Education Nationale, ait cru devoir authentifier cette erreur pédagogique réactionnaire en affirmant dans son avant-propos : « Ainsi, par la répétition d'exercices bien conçus sera affermie et développée la possession des connaissances indispensables. Il en est, en effet, qu’on acquiert mécaniquement et qu'il est inutile de graver dans la mémoire dès les premières années puisqu'aussi bien ce sont les impressions de cet âge qui restent en nous les plus vivaces ».

Ainsi nos élèves du C.M.2, qui n'ont pas été en mesure de franchir les portes du 2d degré devront étudier par cœur : « Le participe passé des verbes pronominaux de sens réfléchi ou réciproque, suit le règle d’accord du participe passé des verbes conjugués avec l'auxiliaire avoir ».

Il se peut qu'à force de punitions — une prochaine circulaire devrait aussi en normaliser la gamme — nos élèves soient capables de réciter par cœur ce charabia bien digne des spécialistes, mais qui oserait garantir que ces élèves comprendront ce qu'ils récitent et sauront donc appliquer la règle ?

M. le Ministre rappelle fort justement:«Vos objectifs sont connus. Il s'agit d'assurer à chaque enfant son plein épanouissement et de lui permettre l'accès à la culture la plus haute, selon ses aptitudes et ses goûts».

Or, il nous sera facile de démontrer dans le N° de Techniques de Vie qui va paraître, que le « par cœur » est foncièrement abêtissant, que les acquisitions qu'il permet ne sont que verbales, nullement intégrées à la personnalité et à la vie des enfants qui y sont soumis et qu'elles sont de ce fait essentiellement fugitives, donc inutiles. Nous rappellerons notamment, puisqu'il s'agit aujourd'hui de grammaire, que les élèves peuvent fort bien connaître par cœur toutes les règles de grammaire prévues sans être aucunement en mesure de les appliquer, tandis que les acquisitions que permettent nos techniques sont indélébiles.

Nous protestons en tous cas contre cette incohérence, grandement nuisible à notre enseignement. Le par coeur en effet semble réservé au premier degré. On comprend, aux autres degrés que ses démarches ne sont pas valables. Croit-on vraiment qu'un principe condamné à tous les degrés de la culture pourrait être acceptable pour les seuls enfants du primaire, qui auraient seuls le privilège de l'abêtissement ? Ou est-ce une façon réactionnaire et obscurantiste de résoudre les problèmes qui se posent à ce premier degré avec la surcharge des classes et la crise du personnel ?

Il serait dangereux en tous cas de laisser croire que les méthodes condamnées il y a 50 ou 100 ans peuvent aujourd'hui s'appliquer à des enfants dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils sont plus que jamais rebelles à l'autorité brutale et donc au par cœur.

*

La plus définitive des condamnations du par coeur, nous la trouvons dans un registre des Procès-verbaux des Conférences Pédagogiques du Canton de Darney (Vosges), dont un camarade nous communique des extraits :

CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE OU 7 OCTOBRE 1908.

« … Bon nombre de maîtres pourraient encore conter de quelle manière leur fut donné le premier enseignement de la grammaire et combien la routine dominait dans les méthodes et les procédés.

Certes, nous n'avons pas été gâtés sous ce rapport, disent-ils, et nous avons conservé un bien peu agréable souvenir de Chaptal et Lohomond.

L'on apprenait par cœur des régies que l'on ne comprenait pas ; des chapitres entiers étaient entassés dans notre cerveau tout ahuri, sans que les explications préalables du maître fussent venues jeter une lumière bienfaisante dans ce fouillis inextricable de règles et d'exceptions de toutes sortes

Loin de nous la pensée de méconnaître le dévouement, la bonne volonté et l'intelligence de nos vieux maîtres et de médire de ces braves pionniers de l'enseignement primaire d’autrefois ! Tous, nous leur adressons l'hommage de notre souvenir ému et reconnaissant.

M. l'inspecteur s'associe aux Instituteurs pour rendre hommage aux maîtres d'autrefois, qui, dit-il, faisaient ce qu'ils pouvaient car ils n'avaient pas été préparés convenablement aux méthodes Intuitives et rationnelles qui doivent être employées constamment dans l’enseignement de toutes les matières du programme.

…Bien qu'on se défende aujourd'hui de ces errements, le par cœur, dit le groupe d'Esley, presque tous encore nous nous y laissons entraîner. Ce mode d'enseignement de la grammaire est fâcheux, car l'enseignement de la langue française doit être éducatif. Et au lieu d'enseigner la langue française comme un dogme à retenir sans comprendre, dit avec raison le groupe de Martinvelle, Il faut en faire une étude raisonnée.

M. l’Inspecteur constate que, parfois, l'on emploie encore des moyens bien peu pédagogiques dans l’enseignement de la grammaire.

Le PAR CŒUR doit être condamné.

Débuter par la règle est illogique. Il faut la faire trouver par l'exemple ».

Et je feuillette aujourd'hui un livre que j'avais abondamment annoté lors de sa parution en 1937 : « La Faillite de l’Enseignement » par Jules Payot, Recteur honoraire de l’Université Aix Marseille, l’auteur de «L’Education de la Volonté ». Il ne s'agit point là de l'opinion d'un critique, mais d'un administrateur éminent, d'un penseur, d'un homme, et qui était de la maison et sait donc de quoi il parle.

« Je compris la remarque de Seguin, le plus profond des éducateurs français, disant que l’Université n'a que des pratiques mnémotechniques et qu’elle néglige l'éducation des fonctions, des aptitudes : elle frappe d'incapacité les facultés spontanées et rend impossible le travail spontané et libre ».

Et voici ce que Payot dit de l'enseignement grammatical :

«L’enseignement de la grammaire théorique et abstraite tel que je l’ai vu pratiquer pendant plus d’un quart de siècle dans des centaines de classes m’a toujours paru constituer un supplice pour les enfants et un supplice inutile et abêtissant ».

« J’ai cent fois interrogé des élèves qui savaient par coeur des règles et qui ne pouvaient les retrouver dans un texte qui en était l'application. C'est qu'on apprend la grammaire par la langue et non la langue par la grammaire ».

« Dans une lettre, Combarieu, Inspecteur de l’Académie de Paris me signalait combien l’enseignement abstrait de la grammaire était varié et et ajoutait : Les Grecs ont eu quatre ou cinq siècles de grande production littéraire avant de savoir distinguer un substantif d'un adjectif et de savoir ce qu'est un mode. II n'y avait pas de grammaire du temps de Pascal et de Racine. Nicole élaborait la grammaire de Port Royal lorsque Pascal écrivait ».

« Nous avons tué chez l'enfant la vitalité des tendances Individuelles fondamentales et par conséquent la fierté et la Joie du travail qui on est comme l'épanouissement naturel. Aussi avons-nous dû remplacer cette récompense intime par tout un système de mobiles étrangers, par des notes, des punitions, des éloges, des classements par ordre de mérite, des prix, etc...

Les mobiles n’agissent que sur les premiers de la classe, le reste de la classe reste indifférent. Quant à la queue, elle fournit toujours le même nombre d'élèves passifs, toujours punis, que rien ne peut stimuler... ».

La cause est jugée. Nous apportons d'ailleurs tous arguments complémentaires. D'ores et déjà, nous invitons tous les éducateurs à demander aux Conférences Pédagogiques le vote d'une motion qui pourrait s'inspirer des arguments suivants :
« Les Instituteurs réunis en C.P.,
« émus par l'obligation du par cœur mentionnée dans la Circulaire du 19 octobre I960;
« Surpris de voir cette obligation formellement édictée officiellement dans les récentes Instructions sur l'enseignement de la grammaire,
« dénoncent le caractère réactionnaire de ces mesures condamnées déjà il y a cinquante ans et dont tous les éducateurs conscients regrettent la nocivité :
« Se félicit »nt des circulaires qui, au second degré ou pour les classes terminales, reviennent à un enseignement de culture seul valable,
« Demandent que soit rapportée la Circulaire du 19 octobre 1960 et qu'on s'oriente pour le premier degré vers une formation intelligente et humaine des enfants qui seront dans les années à venir des étudiants, les adolescents et les hommes qui auront à affronter et à dominer, autrement que par le verbiage, le monde de demain ».

C. FREINET.

 

NON à la Circulaire du 19 Octobre 1960 - Le par coeur de 1887 n'est plus valable en 1961

Octobre 1961

 

L'Ecole Moderne au Travail

Octobre 1961

Nos vacances se sont terminées le 20 août.

Nous retrouvions à ce moment-là à Cannes un noyau de militants — nos meilleurs travailleurs — avec qui nous commencions à passer en revue diverses questions dont l'étude et la discussion s'imposaient. Puis d'autres camarades arrivaient à Cannes et à Vence avec leurs tentes ou leurs caravanes, et de nouvelles séances de travail s'organisaient en préface à ce qu'il est convenu d'appeler la semaine de Vence.

Et puis commencèrent les deux journées de Colloque Techniques de Vie avec la présence, outre d'une cinquantaine de camarades du premier degré, de M. Lobrot, professeur, du Dr Lucote, psychanalyste, M. Nazet, délégué de la Jeunesse et Sports, de M. Picot d'Italie, de Mme Colombo et de Mme Bianchi, institutrice d'Italie également.

L'O.C.C.E. s'était fait représenter par M. Méric, M. Gros et M. Santerre du 2d degré.

De nombreuses personnalités s'étaient fait excuser. Il nous est vraiment difficile de trouver une date favorable à ces rencontres.

Les Incidences de notre travail à venir permettront à nos lecteurs de mesurer la portée de nos travaux.

Pendant ce même temps, des équipes continuaient leur travail pédagogique. Les deux C.A. (C.E.L. et I.C.E.M.) se réunissaient pendant toute une journée pour discuter des problèmes posés par l'activité de nos associations. Puis le travail reprenait tout à la fois théorique et pratique sur tous les points de notre large éventail pédagogique.

Nous reparlerons très prochainement des décisions prises. Et sitôt nos journées finies commençaient nos stages dont on parlera d'autre part et qui ont été partout une grande réussite.

Je résumerai, pour ce qui me concerne, l'ensemble de mes impressions en disant :

1° Que la relève est faite. Nos vieux camarades ont cédé la place. Les Journées de Vence elles-mêmes étaient transformées : les figures nouvelles y étant en majorité. Dans les stages, des adhérents nouveaux se lèvent, qui, jusque dans les départements, vont faire repartir è la base notre mouvement.

A la C.E.L, Pons et Bertrand finissent de s'initier à un métier plus délicat et plus subtil qu'on ne croit.

2° Le problème des destins de l'Ecole laïque inquiète tous nos adhérents. La pédagogie des grands ensembles est condamnée mais on n'a pas encore trouvé les solutions de remplacement. Nos techniques apportent cette solution dans les villages et les petites villes, là où un travail humain efficient est encore possible. Mais que faire dans les classes surchargées où manque même la place pour installer le minimum de nos outils modernes ?

C'est contre cet état de choses catastrophique que nous devons mener notre action, en aidant les instituteurs à prendre conscience des réalités pédagogiques contemporaines, en mobilisant les parents d'élèves qui s'inquiètent de l'aggravation permanente des conditions de travail de leurs enfants.

Il a été décidé justement que le thème du prochain Congrès serait la Modernisation de l'Enseignement sous son aspect technique, technologique, pédagogique et social.

Nous l'écrivions dans notre dernier numéro : Se moderniser ou mourir. Les parents plus encore que les maîtres prennent aujourd'hui conscience de ce tragique dilemme.

3° Nombreux sont nos camarades qui sont passés aux C.E.G. Ils demandent que nous les aidions à poursuivre dans leurs nouvelles fonctions le travail pédagogique dont ils savent les vertus.

Notre ami Pons vous dira les amorces de réalisations dans ce domaine.

4° Pour si paradoxal que cela paraisse, c'est au moment où l'effort de modernisation apparaît comme inéluctable que se développe en France — d'aucuns nous disent dans le monde aussi — une réaction pédagogique qui risque de compromettre tous nos efforts. Nous précisons d'autre part quelques aspects de l'action unanimement orchestrée pour le renforcement du par cœur dont on voudrait faire un des principes majeurs de la pédagogie contemporaine. Nous serons peut-être les seuls — au début du moins — à défendre la pédagogie libératrice dont l'Ecole laïque se faisait un flambeau. Ce n'est pas la première fois que nous savons contre vents et marées garder nos positions d'avant-garde qui continuent à baliser la pédagogie de demain.

Un numéro spécial de notre revue Techniques de Vie à paraître fin septembre sera totalement consacré à cette Importante question qui fait l'objet des prochaines Conférences Pédagogiques. Nous en traitons ci-joint quelques aspects anciens et récents. 

5° Le par cœur, et toute la pédagogie traditionnelle en général, trouvent leur motivation dans les examens actuels, qui sont encore ce qu’ils étaient il y a cinquante ans. Moderniser les examens, ce serait par contre coup, déclencher la modernisation nécessaire des manuels et des pratiques scolaires.

C’est ce travail que nous allons amorcer.

6° Dans aucun domaine, nous ne saurions nous contenter d’être des critiques et des destructeurs, même lorsqu'il s'agit de ta situation presque désespérée des écoles de villes.

Malgré les difficultés croissantes d'un travail pédagogique valable dans les écoles-casernes, il est des jeunes — et de moins jeunes — qui ne désespèrent pas. Ils s'engagent dons le texte libre et la correspondance. Ils rédigent un Journal limographié, ils utilisent les cahiers autocorrectifs, réalisés surtout à leur intention.

Nous voulons mobiliser ces camarades, les entrainer à la discussion pour des solutions acceptables, populariser l'idée d'unités pédagogiques qui serait peut-être la solution idéale.

En attendant, nous commençons la préparation et l'édition de fiches-guides (12 fiches paraîtront dans chaque numéro) pour lesquelles nous demandons votre active collaboration à tous.

En raison justement du souci des jeunes de reprendre le travail pratique et technique, notre revue L’Educateur sera plus que jamais une revue de travail et de combat pour laquelle nous donnerons d'ailleurs le plus souvent possible la parole à nos bons ouvriers.

Pour cela, pour nous permettre de continuer et de développer un effort qui est notre raison d'être, souscrivez è l'ensemble de nos publications, adhérez & nos groupes, participez aux réunions départementales, Intégrez-vous à nos Commissions de travail.

L'Ecole Moderne sera ce que vous la ferez.

C. FREINET.

 

 

Les fiches guides

Octobre 1961

 

Pasticité de l'Educateur

Octobre 1961

Tribune de Discussion

O

PLASTICITÉ de L'ÉDUCATEUR

Dans L’Educateur N° 18 du 15 Juin 1961. Dupuis pose la question suivante : « Qui croit avoir trouvé une manière efficiente de mettre le texte libre au point avec la participation active de toute la classe ? »

A mon avis c'est une question importante qui permettra d'on aborder une autre : celle de la plasticité de l'éducateur.

Il serait peut-être utile, pour commencer de définir exactement l'expression : « Participation active de toute la classe ».

Pourquoi parler de participation active ? Est-ce qu'une participation passive n'est pas également efficace ? Si l'on en croit les études récentes, il semble qu'on assimile plus facilement lorsqu'on est détendu, décontracté. C'est ainsi que Jacques Hademard écrit : « Pour trouver, il faut chercher de côté ». Et un auteur allemand relatant son expérience du Zen écrit : « Pour atteindre la cible, c'est quelque chose, en quelque sorte en dehors de nous, qui doit tirer ».

Mais cette façon de penser nous est peu familière. Et nous avons été trop habitués à la méthode des bras croisés et de l'enseignement salivaire. Pour que ça marche, Il faut que tout le monde écoute. Et si la classe entière n'a pas l'air d'écouter, si Bernard suit sa mouche des yeux, l'instituteur est gêné et sa machine exposive ne peut fonctionner. On connaît le problème car on ne se délivre pas facilement du plaisir de l’exposé, on renonce difficilement è la béatitude du pontificat.

Dans ce domaine de l'attention, comme partout ailleurs, paraître ne suffit pas, il faut être. Et lorsque Yvon tire la langue sur son dessin, n'ayant souci en apparence que de couleurs et de formes, il est beaucoup plus présent qu'on ne le croit De cela, tous les parents ont une grande expérience qui voient soudain leur enfant se mêler à la conversation alors qu’ils le croyaient à cent lieues.

Aussi on peut affirmer que lors d’une séance de mise au point d'un texte libre, il peut y avoir 15 ou 18 élèves présents effectivement même si 2 ou 3 garçons seulement prennent la parole. Cela se mesure d'ailleurs à l'intensité de leur silence.

En fait, ils participent en prenant parti d'une façon toute intérieure pour l’un de leurs camarades qui discute ou pour l'un quelconque des personnages de l'histoire en cours.

Et sur le plan des acquisitions proprement dites (enrichissement du vocabulaire, agrandissement du cercle de vision, approfondissement de la pensée), Il y a profit certain. En effet, les matériaux fournis par le maître et les deux ou trois élèves plus doués sur le plan de la pensée ou de l'expression orale sont copieux, et ce sont des matériaux assimilables.

Mais cette vérité est difficile è accepter. Au fond, nous avons peur. Les enfants viennent à l'école pour travailler et s'ils se taisent, est-ce qu'ils travaillent?

Voilé ce qu'on se dit

Mais de toute façon, en changeant de procédé, on revenant à la leçon exposée, les résultats sont nettement inférieurs. Oui, ils paraissent présents, mais on s'évertue, on reprend sans cesse l'explication ou la démonstration. Peine perdue : autant on emporte le vent. Ils sont partis au pays où la craie redevient falaise, où le porte-plume redevient oiseau. Ils ne participent pas parce qu'ils n'ont pas faim. La nourriture qu'on leur offre ça ne les intéresse pas ou si peu.

Aussi peut-on sans danger, sans mauvaise conscience essayer autre chose que la leçon du maître car il est difficile de faire plus mal.

Maintenant, plus que jamais dans ces années 60, les enfants ne peuvent être touchés que par ce qui s'inscrit dans une expérience vécue, approchée, côtoyée, extrapolée ou devinée.

Et les expériences de leurs camarades sont cent fois plus proches d'eux que le meilleur exposé du maître.

Les idées et les matériaux linguistiques fournis par les autres élèves, matériaux étendus, agrandis, approfondis par le maître sont les meilleures pierres de leur savoir et de leur expression.

Il faudrait que Freinet reprenne cette notion de participation active pour tranquilliser les éducateurs qui se sentent des devoirs qui sont en fait des devoirs seconds.

LE BOHEC.

Trégastel (Côtos-du-Nord).

 

Chantons avec Brassens " Il suflït de passer le pont "

Octobre 1961

 

Comment j'ai introduit les techniques Freinet dans ma classe

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Ecoles maternelles

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Questions et réponses

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Vie de l'ICEM

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Des outils nouveaux

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