L'Educateur n°4 - année 1961-1962

Novembre 1961

Enseigner le travail

Novembre 1961

Nous nous plaignons que nos élèves, sauf exception, ne sachent plus se plier à un travail comme nous le faisions autrefois, qu'ils ne soient plus en mesure de concentrer leur attention sur des thèmes parfois rébarbatifs, toutes réalités qui posent à la pédagogie contemporaine un certain nombre de problèmes graves, apparemment insolubles

Nous avons dénoncé les causes de cet état de fait : la détérioration du milieu dans lequel vivent les enfants, la mécanisation croissante et le bruit, les solutions de facilité pour une fausse culture à base d'illustrés, de cinéma et de télévision, l'inadaptation aussi de l'Ecole à ce monde nouveau que l'enfant aura à affronter malgré nous et parfois contre nous.

Mais il y a peut-être un élément de cette évolution maléfique dont nous n'avons pas suffisamment fait état, et qui met en cause non seulement les maîtres et les parents, mais toute la conception des nouveaux rapports enfants-adultes et enfants-éducateurs : la substitution du Jeu devenu souverain à l'éducation du travail

Pour bien mesurer la portée de cette carence, comparons l'éducation des enfants de 1961 à ce que fut notre éducation au début du siècle. Non pas que le passé nous apparaisse, à distance, supérieur au présent et que soient à suspecter les mesures sociales qui font à l'enfant une vie plus humaine. Mais il serait bon d'examiner si des erreurs déterminantes n’ont pas été commises au cours de cette évolution et si certains comportements ne devraient pas être aujourd'hui reconsidérés.

De notre temps, nous étions intégrés, dès le plus jeune âge, au travail du milieu. Nous allions, avant l'entrée en classe, donner aux bêtes en hiver, ou, en été, garder les brebis ou les bœufs. A midi, il fallait porter le dîner aux parents qui étaient aux champs. A la sortie des classes le soir, nous avions notre besogne tracée d'avance. Seuls, les enfants de l'instituteur n'avaient rien à faire. Pour se distraire, ils nous accompagnaient aux champs. Nous les enviions parfois : ils n'étaient pas plus heureux que nous, et ils n'ont pas mieux réussi dans la vie.

A la ville même les enfants ne couraient pas forcément les rues. Ils allaient aider les paysans de banlieue pour ramener le soir une utile provision de légumes et de fruits. Ou bien on les voyait traîner sur les routes une carriole de leur fabrication chargée de bois pour la cuisine et la veillée.

Il ne s’agissait pas là d'ailleurs d'un quelconque travail forcé mais d'une activité profondément intégrée à la vie. Nous aurions parfois, certes, préféré jouer aux billes plutôt que d'aller garder les chèvres, mais la vie avait pour nous déjà ses nécessités que nous sentions naturelles.

Il en résultait que le travail se trouvait, en fait, au centre de notre vie, le jeu n'en était que l'accessoire, et que cette réalité avait inévitablement sa résonance sur le travail scolaire lui-même.

La transformation a été totale au cours de ces vingt ou trente années.

On ne risque plus de demander aux enfants quelque service avant le départ en classe. On leur a préparé les tartines : on les fait même manger hâtivement. On les habille ; on leur passe le manteau et les parents les conduisent parfois à l'école en auto. Quand ils sortiront, ils n'auront pas d'autre souci que de jouer, en attendant que le repas soit servi. Même dans des familles peu aisées on ne demande pas toujours aux enfants d'aider à la vaisselle et nous rencontrons souvent des jeunes filles qui n’ont jamais préparé une soupe, repassé du linge ou cousu un bouton.

Il est exact que les enfants d'aujourd'hui sont plus surmenés qu'autrefois, qu'il faut les bousculer le matin parce que l'heure est là qui harcèle les parents, et que la famille peut rarement mêler l'enfant à ses activités professionnelles. Mais il y a eu aussi d'autres transformations dans l'état d'esprit des parents qui touchent les allocations familiales et croiraient déchoir s'ils demandaient aux enfants de participer un tant soit peu à leur entretien et à leur vie. On paye pour eux ; il faut donc les servir.

En mémo temps s'est généralisée la fausse conception d’une pédagogie qui devrait être préparation è la vie et qui ne sera que distraction et jeux pour meubler les loisirs et masquer les sévérités sociales.

Et ces enfants qui ont été formés à jouer, qui ont désappris le travail au bénéfice d'une dangereuse et passive facilité, on exigera d'eux, dès que la porte de l'Ecole sera refermée, qu'ils travaillent à longueur de journée, sans savoir pourquoi se transforment ainsi, brusquement les principes de le vie dont ils avaient bénéficié. Comme ces bourgeois d'autrefois pour qui le travail semblait déshonorant et qui ne savaient vivre qu'en parasite.

Ecoutez les plaintes des professeurs du 2d degré : « Les enfants ne sont pas entraînés à travailler ; Ils sont incapables d'initiative et de décision ». Ils sont ce que les a faits une société et une Ecole qui ont désappris le travail.

Et qu'on ne croie pas que le mal n'est que relatif, que les enfants sont faits pour jouer et qu'ils apprendront assez tôt à travailler quand la vie leur en fera une obligation. L'habitude du travail — comme toutes les habitudes d'ailleurs — se prend jeune ou ne s'inscrira plus profondément dans le comportement. C’est avant 8, 9, 10 ans qu'il faut donner cette habitude dans les familles et à l'Ecole. Après il sera trop tard. Il nous faut parfois, à l'Ecole Freinet, un ou deux ans pour redonner le goût, le besoin du travail à des enfants de 10 ou 11 ans qui n'ont appris qu'à jouer ou à subir le travail forcé. Quand ils ont reconquis ce besoin, tous les progrès sont possibles et rapides. Et nos vieux élèves sont des travailleurs conscients, capables de prendre leurs responsabilités et de choisir leurs activités. Ils seront des hommes.

***

Il s'agit là d'un courant si général, et si bien assis sur de fausses théories psychologiques et sociales, que nous aurons du mal à le redresser.

Il y faudrait une campagne hardie auprès des parents pour les entraîner à mêler leurs enfants à leurs occupations et à leur travail : balayer, mettre le couvert, laver la vaisselle, bêcher le jardin, arroser, pourvoir à certains bricolages utiles, aider les voisins... les occasions ne manquent pas. Encore faut-il que les parents évitent de tomber dans le travers opposé et de prendre simplement leurs enfants pour leurs serviteurs, en ne leur laissant que les besognes sans intérêt : « Fais-moi passer les briques, arrache l'herbe... » alors que l'enfant veut monter le mur, pousser la brouette ou planter les salades.

Il faudrait faire mieux.

Organiser à l'Ecole la classe-atelier, avec une nouvelle pédagogie du travail, qui donnera à l'activité des enfants un sens et un but, une motivation intellectuelle, affective et humaine.

Prévoir dans la famille, sous un escalier, dans un grenier ou un garage, de véritables ateliers pour les enfants, avec les outils nécessaires pour du travail sérieux auquel les parents s'intéresseraient autrement que pour tourner en ridicule et pour gronder.

Et nous souhaiterions que les patronages divers, les clubs et les colonies de vacances accordent au travail la place éminente qui lui revient, et qui est la première, bien loin en avant du jeu qui n'en est que l'ersatz.

Quand les parents, les éducateurs, les moniteurs auront compris le sens de la révolution nécessaire et qu'ils se seront engagés eux-mêmes dans le travail formatif, il sera facile alors de demander à l'Etat que s'organisent dans tous les villages, dans tous les quartiers de ville, les clubs de travail dont nous avons dit déjà l'urgente nécessité.

Il n'y a aucune commune mesure entre la satisfaction essentielle que nous vaut la joie du travail créateur et le plaisir vulgaire et gratuit que procure la pédagogie de facilité et de jeu — cette pédagogie qui masque son échec derrière les réactions violentes et brutales d'une autorité désabusée.

L'éducation du travail apportera la solution souhaitable aux grands problèmes pédagogiques de l'heure. Nous sommes techniquement et spirituellement en mesure de la réaliser.

 

Pratique et évolution des techniques Freinet - De quelques-uns de nos problèmes urgents

Novembre 1961

Notre Educateur n'est pas une revue ordinaire. Il est notre outil de travail. Nous serions certes intéressés par des séries d'articles qui étudieraient plus à fond certains thèmes et enlèveraient à notre revue cette apparence de dispersion qui rebute peut-être quelquefois les nouveaux venus.

Mais nous avons besoin de nos pages bimensuelles pour notre coopération pédagogique. Dans tous les domaines, nos chercheurs ont besoin de prendre contact avec ceux qui cherchent dans le même sens qu'eux. Ils ont besoin de faire connaître le résultat de leurs expériences qu’il leur faut confronter avec les expériences voisines. C'est ainsi que progresse notre pédagogie, d'une façon certes peu spectaculaire, mais avec une méthode, une continuité et une efficience dont nous pouvons avoir quelque fierté.

Comme la place nous est toujours mesurée, nous sommes obligés de temps en temps de donner comme un compte rendu résumé des travaux en cours, travaux qui se poursuivent d'autre part au sein de l'I.C.E.M. par circulaires et par notre Bulletin de travail : Chronique de l'I.C.E.M. qui est servi gratuitement à tous les travailleurs (les camarades qui veulent faire acte de travailleurs peuvent nous en demander le service).

I. - Les insuffisances de l’Ecole Laïque :

Dissipons un malentendu.

Notre camarade Poisson (Indre-et-Loire) nous écrit :

«Bien sûr, nous sommes tous d'accord avec ce que tu dis tout au long de l'article. Mais... il y a un mais très grave.

Pourquoi s’attaquer ainsi à l’Ecole laïque ? Serait- elle donc la seule à pratiquer en France ces techniques traditionnelles que nous réprouvons ? Que fait-on d'autre dans les écoles privées et les écoles confessionnelles ?

Pour avoir pu en juger quand j'étais dans l'Ouest, et pour en juger encore d'après les élèves qu'elles nous rejettent de temps à autre, je puis dire que leur pédagogie est encore fort loin derrière la plus traditionnelle des classes laïques.

Ne sommes-nous pas tous, les adhérents de la C.E.L., les défenseurs les plus acharnés de notre Ecole laïque ? N'avons-nous pas tous signé et fait signer la pétition laïque ? Ne sommes-nous pas tous prêts encore à la défendre par tous les moyens ?

Les écoles confessionnelles auront bientôt la partie belle car beaucoup déjà se lancent dans nos techniques. Toutefois je me demande comment elles en interprètent l'esprit et comment elles conçoivent la formation en l'enfant de l'homme de demain.

Déjà, dans nos rangs, les camarades appartenant aux paroisses universitaires sont nombreux.

Sur le plan syndical, cela ne marche pas toujours très bien avec la direction nationale. Et pourtant on trouve dans la motion pédagogique du Congrès de 61 des termes qu’on n'aurait pas trouvés les années précédentes. Mais dans les départements, nous nous arrangeons assez bien avec les sections.

Alors, cet emploi inopportun du terme « laïque » va faire à nouveau se durcir les positions et nous n'en tirerons aucun profit. Ce n'est pas par l'éclat et le scandale que nous obtiendrons des résultats, mais bien par le travail lent et en profondeur, par la persuasion de camarade à camarade, par la multiplication des stages.

En bref, ce n'est pas à l'Ecole laïque qu'il faut s’en prendre, mais plutôt à l'enseignement français en général, à l'Ecole tout court ».

J'ai cité longuement cette lettre parce qu’elle est l’expression de ce que nous pensons tous. Qu'on relise d'ailleurs mon article : le malentendu n’était guère possible que pour ceux qui le souhaitent et l’entretiennent.

Mes arguments demeurent cependant : Défendre l’Ecole laïque ! Bien sûr ! Mais la défendons-nous mieux en nous taisant complaisamment sur ses tares et ses imperfections ou en les dénonçant, étant entendu que cette dénonciation ne vise nullement les instituteurs qui en sont victimes, mais l'organisation elle-même de notre enseignement.

Est-ce desservir l’Ecole laïque, et les six suppléantes qui en sont victimes que de dire que, dans une banlieue de ville, six suppléantes sont seules dans une annexe d’une école distante de plusieurs kilomètres, donc sans directrice à demeure, sans personne qui puisse les conseiller et les aider.

Est-ce desservir l'Ecole laïque que d'enregistrer les plaintes des enfants qui disent :

« Le premier Jour, le maîtresse a donné à chacun de nous dix livres et une ribambelle de cahiers. Il y a le cahier de calcul, de français, de géométrie, de récitations, de rédactions, de compositions et bien d'autres encore.

Nous avons des leçons à apprendre pour tous les Jours. La maîtresse note tous les divers faits à l'école. Si on s'aide, on a zéro et une punition ».

Devons-nous nous abstenir de féliciter ce professeur d'histoire et de géographie qui lance ses élèves dans les enquêtes vivantes, pour ne pas désavouer ce professeur d'arithmétique qui, dans la même école a une discipline qui retarde de cinquante ans. nous dit notre ancienne élève.

Et devons-nous nous abstenir de signaler ce que nous dit un autre élève : « II y a un portique, mais il est défendu de s'en servir. La gymnastique est militaire ; elle ne nous apprend rien ! ».

Et ne dirons-nous pas notre mot sur les devoirs, les punitions, les examens, les études ?...

Laisserons-nous croire aux parents que notre Ecole laïque fonctionne à notre satisfaction ? Continuerons-nous à endormir leur vigilance en rejetant et en étouffant toutes critiques ? Nous étonnerons-nous ensuite si nos revendications pédagogiques majeures rencontrent si peu d'échos ? Nous n'avons pas à nous comparer, que diable, aux écoles confessionnelles ; Il nous appartient à nous de les distancer sans cesse et de les laisser en état d'infériorité, grâce à l'efficience de notre travail.

" Quant à nos collègues, écrit un camarade, les types sérieux que nous sommes devenus ne risquent-ils pas d’être empoisonnants s'ils se mêlent de vouloir remuer cette masse de petites habitudes dans laquelle ils s'enlisent doublement ? ».

Cet état de fait n'est pas d’aujourd'hui. Tant que nous n'étions pas nombreux, tant que nos techniques ne faisaient pas autorité on pouvait les dédaigner. Les collègues se contentaient de hausser les épaules. Aujourd'hui le problème Ecole traditionnelle Ecole moderne est ouvertement posé. Tous ceux qui cherchent loyalement seront avec nous et nous serons avec eux, même s'ils n'approuvent pas toutes nos techniques. Ce sont et ce seront nos compagnons. Quant à ceux — et ce n'est pas toujours leur faute — qui ont pris depuis longtemps en grippe leur métier de pédagogues, ils nous considéreront évidemment comme des énergumènes qui gênent et compliquent leur travail. Ils seront contre nous quoi que nous fassions et je ne crois pas que nous devrons tellement accepter les compromissions pour essayer de les amadouer.

Non, il ne faut pas avoir l'illusion de croire que nous serons un jour prochain persona grata de l'administration comme auprès des directions syndicales. L'avant-garde a toujours, et dans tous les domaines, ôté honnie par ceux qui ne veulent pas redresser leur marche. C'est dans la mesure où notre avant-garde deviendra nombreuse, active et puissante que nous serons considérés.

Alors, comme le conseille Poisson, nous continuerons notre travail.

 

***

II. - L'Action Syndicale et l'Ecole libératrice

Il est exact que les relations sont presque toujours bonnes, parfois excellentes, entre Ecole moderne et syndicats, à la base, dans les départements.

En me disant les bons résultats obtenus dons son département par la collaboration permanente avec la section syndicale, un camarade m’écrit : « Je ne voudrais pas que ton article puisse avoir une répercussion sur l'entente que je réussis à faire régner sur le plan local avec des collègues qui, pourtant, très sincèrement, ne nous sont pas tellement favorables mais qui acceptent loyalement la confrontation des idées et des résultats ».

Nous n’essayons jamais de convaincre par la discussion, mais seulement par l’action. Nous apportons le résultat d'une vaste et longue expérience menée dans les classes. Nous n'avons jamais dit que nos techniques soient une panacée puisque nous travaillons sans cesse à les améliorer et è les enrichir. Nous sommes d'avance d'accord avec tous ceux qui acceptent loyalement la confrontation des idées et des résultats.

Nous nous félicitons également sans réserve de l'amélioration du climat pédagogique dans les Congrès du S.N.I. et dans L'Ecole Libératrice où on nous annonce une tribune de discussion sur les méthodes pédagogiques. Nos camarades y apporteront le résultat de leur travail.

Quelques camarades me communiquent justement les réponses des responsables du S.N.I. aux lettres qu’ils leur avaient adressées. Nous nous félicitons de ces contacts, tout en relevant dans ces lettres quelques affirmations qui sont, selon nous, des erreurs.

J. Marongé écrit par exemple :

« La partie pédagogique de L'Ecole Libératrice constitue un tout. Elle ne saurait être dans sa conception, du strict point de vue de l'efficacité et compte tenu du nombre de Jeunes qui exercent actuellement sans formation professionnelle, une juxtaposition de méthodes ou de procédés pédagogiques, aussi intéressants qu'ils soient ».

Ainsi, parce qu'il y a des jeunes qui exercent sans formation professionnelle, la partie pédagogique de l'E.L sera totalement et exclusivement traditionnelle, et cela tant que durera cet état de fait déplorable... pendant des années et des lustres.

Il n'est pas possible que l’E.L s'accommode d'une ligne d'action aussi totalement réactionnaire :

— La partie pédagogique ne s'adresse tout de même pas qu’aux quelques milliers de débutants. Et les autres ?

— Est-on sûr que les méthodes traditionnelles sont plus faciles et plus efficientes pour les débutants que les techniques modernes ?

— Ne serait-il pas préférable, en tout état de cause, de présenter au contraire des solutions diverses parmi lesquelles chacun choisirait selon ses goûts et ses possibilités ?

Jeanne Lordon écrit dans le même esprit, dans une autre lettre :

« Le programme de l'Ecole Libératrice est établi pour l'année entière. L'ensemble des fiches a une unité de conception, et il est exact que, songeant aux jeunes très nombreux qui débutent à chaque rentrée, ces fiches s'inspirent de méthodes traditionnelles. Celles-ci ont fait leurs preuves et permettent de donner un enseignement vivant au même titre que les méthodes nouvelles. Les unes et les autres ont leur intérêt et leur valeur ».

C’est bien cela : l'Ecole laïque se glorifie de ses méthodes traditionnelles qui ont fait leurs preuves. Si cela est, Il n'y a rien à changer et nous sommes mal venus à mobiliser les bonnes volontés pour une modernisation de notre enseignement.

***

III. - Le thème de notre prochain Congrès

Notre prochain Congrès se tiendra à Caen, du 15 au 30 avril.

Toutes dispositions sont prises par notre comité d'organisation pour que l’accueil qui vous sera fait soit digne de l'ampleur et de la qualité de nos Congrès internationaux.

Le thème du Congrès a été définitivement décidé au cours de nos Journées de travail de Vence, en présence des délégués de l'O.C.C.E.. Si nous avons un peu tardé à le faire connaître, c’est que nous attendions de connaître dans quelle mesure l'office des Coopératives désire participer aux enquêtes et discussions qui précéderont le Congrès. Rien n'a encore été décidé au moment où nous écrivons ces lignes.

Nos Congrès sont des Congrès de travail, ce qui veut dire qu'on y passe obligatoirement en revue les multiples aspects de notre rénovation pédagogique. C'est dire qu'il ne saurait y avoir chez nous, comme dans certaines rencontres, un thème exclusif sur lequel seraient centrées toutes les discussions.

Nous avons pensé cependant, et depuis toujours, que nos séances plénières doivent être consacrées à un thème spécial, plus particulièrement d'actualité. Les éléments majeurs de notre pédagogie jalonnent ainsi la liste de nos Congrès : le but de l'éducation est de former en l'enfant l'homme de demain — 25 enfants par classe — La notion de rendement — La discipline — A la croisée des chemigs.

Nous reprendrons cette année notre thème d'Avignon : La Modernisation de l'Enseignement, question plus urgente que jamais au moment où la mise en place de la réforme s'accompagne, du moins pour le premier degré, d'une réaction pédagogique dont on mesure mal encore les conséquences.

A vrai dire, nous attendions aussi pour mettre en train l'étude du thème du Congrès, une décision promise pour la relance de notre Association pour la Modernisation de l'Enseignement. Après le Congrès de St- Etienne, l'I.P.N. avait accepté le principe de l'édition d'une revue internationale qui aurait servi de liaison entre les groupes de la F.I.M.E.M. (Fédération Internationale des Mouvements d'Ecole Moderne) et qui nous aurait permis la discussion internationale de la question de la Modernisation de l'Enseignement. C'est le Centre régional de Marseille qui devait prendre la responsabilité de cette édition. Par manque de crédit, l'affaire traîne et nous ne savons encore si nous pourrons parvenir à la réalisation escomptée.

Alors, comme nous sommes habitués à compter d'abord sur nous-mêmes, nous allons sans retard organiser l’Association pour la Modernisation de l'Enseignement, qui aura ses sections départementales et régionales, ses colloques, son Bulletin.

La Modernisation de l'Enseignement ne peut plus, en effet, en 1961, se concevoir sur le seul plan scolaire, encore moins sur le seul plan enseignement primaire. Nos efforts resteront vains si nous ne parvenons pas à coordonner nos recherches par une collaboration indispensable d'éducateurs à tous les degrés et par la participation aussi de personnalités et d'organisations non enseignantes mais qui, pour des raisons diverses, sont directement intéressées aux problèmes qui nous préoccupent : architectes, constructeurs, éditeurs, médecins, administrateurs, parents d'élèves, municipalités.

Nous présenterons cette A.M.E., sa structure et son action dans notre prochain N°, en même temps que les questionnaires que nous lancerons pour la présentation de notre prochain Congrès.

***

IV. - L'Ecole Moderne est plus que jamais militante

Nous sommes une avant-garde, ce qui veut dire que nous marchons bien souvent à contre-courant et que nous avons besoin, si nous ne voulons pas sombrer, d'agir tout à la fois avec hardiesse et prudence contre ceux qui défendent les positions acquises.

L'administration s'accommode plus ou moins de notre esprit militant. Cela dépend de la personnalité des administrateurs eux-mêmes, et nous devons dire avec réconfort que nous rencontrons souvent auprès d'eux un appui intelligent et précieux, même si cet appui reste strictement personnel, sans résonance administrative.

Toute action militante, qu'elle soit pédagogique, syndicale, coopérative ou pédagogique se nourrit obligatoirement d'idéal et de sacrifices. Elle ne rapporte que rarement aux militants eux-mêmes auxquels on vole volontiers les réussites. Et on leur reproche, du même coup ce qu’on appelle souvent le manque de sens pratique, cette aptitude si courante des individus à monnayer leurs activités et à faire breveter leurs inventions.

Alors, il est bien exact que nous avons vécu d'idéal et de sacrifices et que nous ne voyons pas, dans l'organisation sociale et politique actuelle, la possibilité pour l’avenir de trouver un autre mode d'innervation et de financement de notre activité. Nous faisons certes le maximum d’efforts pour une rentabilité maximum de notre I.C.E.M. et de notre C.E.L. C'est parce que nous avons pu créer et faire vivre ces puissants organismes quo nous avons réalisé une œuvre qui marque déjà et marquera notre pédagogie mieux que les plus éloquents discours. Les millions engloutis par nos 35 ans de recherches, c’est cela notre capital social. C’est malheureusement un capital peu rentable commercialement parlant et encore moins négociable.

C’est ce que nous répondons à ceux qui, du dehors, s’étonnent qu'une administration coopérative fasse ainsi appel sans cesse à la bonne volonté et aux sacrifices de ses adhérents. Si demain il y a bénéfices coopératifs, c'est que se sera éteinte la fièvre de recherche dont nous vivons.

Si nous pouvons nous survivre, c'est que nous trouvons dans le milieu enseignant une proportion insoupçonnée de camarades idéalistes qui sont toujours prêts à sacrifier leur bien-être ou leur argent, à l'intérêt de leur travail au sein de notre mouvement. C'est ce qui nous vaut :

— d'avoir un nombre respectable d'abonnés à nos publications qui ne sont pas des revues ordinaires, mais des organes de travail :

— de trouver à volonté, parmi tant de dévouement, des responsables et des travailleurs pour nos commissions et notre entreprise B.T. :

— de compter un millier de participants à nos Congrès annuels ;

— d'avoir des souscriptions pour toutes nos nouveautés ;

— et de pouvoir compter sur des centaines de camarades qui font à notre mouvement une entière confiance au point de nous confier leurs reliquats de traitements et les économies de parents et d'amis.

Notre mouvement est puissant de cette conjonction exceptionnelle de bonnes volontés. Et c'est sur elles encore que nous comptons exclusivement pour l'avenir.

Tout ceci pour vous dire que nous allons encore une fois faire appel à vous pour une action qui, nous le savons, ne vous emballe pas, mais pour laquelle vous ferez le maximum, vu l'urgence : Il s'agit de la diffusion et du renforcement de nos B.T..

Nous avons à ce jour 10000 abonnés. Nous vendons chaque mois près d'un million de francs de B.T. en stock, ce qui nous permet de parer aux rééditions indispensables. Nous vivons. On apprécie notre oeuvre qui est cependant insuffisamment connue et devrait connaître aujourd'hui un succès qui nous permettrait des réalisations nouvelles.

Si nous disposions de 15 A 20 millions, nous pourrions faire comme la grande maison d'édition qui lance ces jours-ci une publication qui rappelle nos B.T. sans en avoir les essentielles qualités pédagogiques. Seulement les premiers numéros sont servis à tout le personnel enseignant, sans doute à quelque 500 000 exemplaires, publicité qui sera certainement doublée par une action parallèle auprès des inspecteurs et des mairies. Le résultat en sera automatiquement plusieurs dizaines de milliers d'abonnés.

Nous n'avons pas cette possibilité, mais par votre action à tous, nous pouvons faire connaître à la masse des éducateurs et aux parents une publication qui est en même temps un outil de travail exceptionnel.

Nous vous donnerons à ce sujet toutes indications techniques et nous comptons sur vous.

Certains camarades ont cru que, par nécessité de propagande, j'exagérais lourdement dans les pourcentages d'éducateurs intéressés à nos travaux.

Il y a certes chez nous le noyau d'adhérents qui participe directement à nos travaux et à notre gestion. Ils nous sont, bien entendu, les plus précieux. Mais nombreux sont les camarades qui, isolés, non adhérents aux groupes, nous suivent et nous aident. Et ils sont plus nombreux encore les éducateurs qui, timidement, essaient nos techniques. Nous ne disons pas que les essayer c'est les adopter, c'est du moins douter des techniques qu'on a employées jusqu'à ce jour, prendre conscience de la possibilité, de la nécessité de faire mieux. Quiconque s'est aventuré sur cette pente aboutira immanquablement à l'Ecole Moderne.

Et c’est pourquoi, malgré les attaques et les critiques, les calomnies parfois, malgré le comportement à notre égard d'une administration qui reconnaît assez souvent la valeur et la portée de notre oeuvre mais ne nous apporte jamais aucune aide technique, malgré les difficultés que rencontre, pour se survivre, une Ecole Freinet dont l'administration ne veut pas reconnaître le caractère expérimental, avec l'appui moral inégalé de la masse de nos adhérents nous restons plus que jamais confiants et enthousiastes.

L'Ecole Moderne est désormais le ferment théorique et technique des progrès pédagogiques de notre époque tragique et déconcertante.

Au travail !

C FREINET

 

A propos de l'A.M.E. (Associsation pour la Modernisation de l'Ecole

Novembre 1961

 

Une voix du secondaire

Novembre 1961

 

La semaine des brevets

Novembre 1961

 

A chacun sa culture

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Le problème des ateliers de travail

Novembre 1961

J'ai longtemps cru qu'il y avait deux sortes d'instituteurs : les uns étaient faits pour travailler avec les moins de 7-8 ans, et les autres avec les grands.

Je le pensais en voyant des camarades appliquer des techniques qui auraient fait merveille avec les grands et qui ne rapportaient rien du tout aux petits.

Mais je pense un peu différemment, maintenant. Je crois que la démarche à suivre, pour un instituteur, doit être la suivante : il doit aller au bout de sa propre tendance mais, une fois qu'il a à peu près fait le plein — et pour essayer d'être le plus complet possible, par conscience professionnelle ou Ecole Moderne — il doit essayer de s'assimiler l'autre dominante.

C'est mon cas. J'ai longtemps cru que j'étais uniquement fait pour éduquer les petits qui déjà savent réfléchir, s'exprimer, que c'était là ma part, dépendante de caractère, de ma constitution. Et que, si je voulais bien faire, je devais m'accepter et aller, dans mon petit secteur jusqu'au bout de mes possibilités. C'est d'ailleurs à quoi je m'emploie depuis longtemps. Je sais combien je suis tenté par une pédagogie du bonheur que Séménov définit très bien par l'activité créatrice. Et je pense que les jeunes enfants du C.P.-C.E.1 ont besoin d'être heureux ; ils ont besoin de se laver de leur première enfance et d’être propres pour pénétrer dans la zone du travail. C'est d'ailleurs à quoi je tends surtout, et si je délaisse un peu l'imprimerie, c'est pour poursuivre des recherches sur le plan d'une sorte d'éducation intégrale, de création généralisée.

Pour moi, voici les données du problème :

Ils ont une bouche et ne parlent point.

Ils ont des mains et ne travaillent plus.

Ils ont des crayons et ne dessinent point.

Ils ont des jambes et ne dansent pas.

Ils ont des musiques et ne chantent plus,

Ils ont des idées et n'expriment rien.

Ils ont des maths et ne mathématiquent pas.

etc, etc...

Mais vous savez bien que l'on n'est jamais totalement ceci ou cela, mais un mélange des deux qui penchent les plateaux de la balance vers ce qu'il est convenu d’appeler les affectifs et les rationalistes.

« La bonté et l'amour, écrit Freinet, ne se commandent pas : ils se réalisent ; ils imprègnent la vie. L'exaltation née de l'organisation nouvelle donnera aux éducateurs de nouvelles raisons de travailler et de lutter ».

La nécessité de l'organisation, je l'ai jusqu'ici plus pressentie que comprise. J'ai réfléchi que j'avais consacré une énorme part de mon activité pédagogique à la création de « l’atelier des mots ». Et c'est un atelier important parce que les mots ont un énorme pouvoir de libération et d'invention. Quand je fais des albums, du théâtre parlé, du chant libre, etc... j'ai toujours en arrière-pensée : techniques de libération sur le plan psychologique, psychanalytique, artistique. Pouvoir dire, c'est déjà guérir.

Oui, j'ai été loin dans cette organisation de l'atelier des mots sur lequel j’ai beaucoup écrit et sur lequel je reviendrai.

J'ai le sentiment d'être allé jusqu'au bout de mes possibilités en création avec des mots, toujours aiguillonné par la vivacité de compréhension et d'invention des enfants. J'avais moi aussi organisé, peut-être supérieurement qui sait?... Mon atelier et le planning étaient des outils, comme le magnétophone ou l'imprimerie, mais plus subtils, plus souples, plus aérés et joyeux. C'était du beau travail inventif semé de quantité de petites bonnes actions offertes par les enfants qui oeuvraient sans arrière-pensée. Pour des petits bretons, je le crois, c'était une réussite, et pour moi, une expérience jamais égalée.

SI des camarades ont des expériences semblables, j'aimerais prendre contact avec eux en vue d'un travail utile et certainement original dans sa technique et son esprit

 

 

De la théorie scolastique à la réalité pratique

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Fête des écoles maternelles de Brest

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Questions et réponses

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La vie de l'ICEM

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