l’enseignement du calcul et des sciences

Décembre 1961

Pratique et évolution des techniques Freinet


Pour le prochain Congrès de Caen

Dans le cadre de l’Association pour la Modernisation de l’Enseignement (A.M.E.):

L’enseignement du calcul et des sciences

A la suite des suggestions des camarades, il avait été décidé à Vence de porter à l'ordre du jour du prochain Congrès (Pâques 1962) la question toujours d'actualité de la Modernisation de l'Enseignement. Nous avons même préparé des schémas de questionnaires pour intéresser à la question non seulement les éducateurs, mais aussi les parents et les employeurs.

Mais l'étude valable d'un tel sujet aurait nécessité une importante mobilisation de compétences et de bonnes volontés, une vaste documentation et la possibilité aussi de toucher le grand public par la presse et, éventuellement la radio.

Or, au dernier moment, une partie des concours sur lesquels nous comptions nous font brusquement défaut :

— On sait que l'Association pour la Modernisation de l'Enseignement a rencontré dès sa naissance l'opposition radicale du S.N.I.. Aucune aide donc à attendre de ce côté-là. Nous sommes d'ailleurs habitués au silence total de L'Ecole Libératrice sur la discussion de nos thèmes, la préparation et la tenue de nos Congrès.

— Nous croyions pouvoir compter comme l'an dernier sur une participation active de l'Office Central de la Coopération à l'Ecole à la préparation du travail et à la diffusion de nos questionnaires.

L'O.C.C.E. ne s'engagera pas dans cette action qu'elle soutiendra seulement dans sa propagande.

— L'Institut Pédagogique National, par l'intermédiaire du Centre régional de Documentation pédagogique de Marseille avait accepté le principe de l'édition par ses soins d'une revue internationale F.I.M.E.M. et A.M.E… Un numéro réduit devait sortir au cours du premier trimestre pour amorcer et préparer le travail en attendant la parution régulière à partir du 1er Janvier 1962, dès que seraient affectés les crédits nécessaires.

Or, à ce jour, rien d'effectif n'a été mis sur pied. Les crédits manquent paraît-il, et nous ne savons pas la suite qui pourra être donnée à ces projets.

Toutes ces hésitations nous ont d'ailleurs retardés dans les premières publications concernant le thème du Congrès. Je crois donc qu'il est plus sage de resserrer le champ de nos travaux en vue d'une meilleure efficience, pour le cas notamment où nous serions amenés à ne compter que sur nos propres forces.

Je ne crois pas que dans l'état actuel de nos relations avec les divers organismes culturels nous puissions aborder avec succès une entreprise aussi vaste que l’Association pour la Modernisation de l’Enseignement

L'idée n'en a pas moins été lancée et elle continue à faire son chemin. Nous aurions voulu partir par le sommet, en intéressant à cette question, sur le plan national et international, des instituteurs, des professeurs, des psychologues, des médecins et psychiatres, des architectes, des entrepreneurs, des cinéastes, des éditeurs, etc.

Nous poursuivons toujours ce rêve illusoire d'amorcer un jour, au sommet, cette rencontre indispensable de tous les ouvriers de la même œuvre, et nous nous rendons vite compte, à l'épreuve, que notre seul destin est dans le travail à la base, dont l'efficience obligera progressivement éducateurs, pouvoirs publics et usagers à reconsidérer certains problèmes selon les principes mêmes dont nous avons rendu familières les formules. Ainsi ont triomphé, ou sont en train de triompher l'expression libre, la correspondance interscolaire, l'individualisation du travail, 25 enfants par classe. Demain on reconnaîtra comme élémentaires les liaisons entre responsables des divers degrés d'enseignement et des entreprises connexes. On s'abstiendra bien sûr de dire que nous avons été pour quelque chose dans cette évolution.

Si nous manquons de compréhension et d'appui au sommet, il n'en est pas de même dans les départements et les régions où peuvent s'organiser dès maintenant les sections de lA.M.E. actives et constructives.

L'expérience est là d'ailleurs pour nous y engager.

Chaque fois que. dans un département. nous avons organisé un colloque A.M.E., nous avons rencontré le plus franc succès : à Bordeaux, à Avignon, à St-Etienne l'an dernier, à Grenoble. Partout nous avons réuni autour d'une table ronde, pour l'étude de tous les problèmes qui nous sont communs : les instituteurs, les professeurs, les chefs d'établissements, les Inspecteurs, les Directeurs d'E.N., les psychologues, des ingénieurs, des architectes, des parents d'élèves.

Nous pouvons généraliser cette initiative par la constitution dans chaque département d'une section de l'A.M.E. qui étudiera la diversité des problèmes qui lui seront soumis, organisera des colloques et plus tard des réunions générales.

L'Ecole ne peut plus vivre repliée sur elle-même. Elle doit devenir un élément actif de la grande entreprise d'Education nationale par l'action conjuguée de toutes les personnalités, de toutes les associations qui sont intéressées au destin nouveau de l'Ecole.

Dès maintenant, des colloques A.M.E. peuvent être organisés. Ils désigneront un bureau actif. Nous tâcherons par L'Educateur et la Chronique de l'I.C.EM. de coordonner les initiatives, de faire connaître les réussites, en attendant que des associations départementales sorte un jour l'association nationale.

le Congrès fera le point de ces activités dans une séance spéciale.

***

Dans le cadre de cette A.M.E. nous allons discuter plus spécialement en vue du Congrès de deux questions d'ailleurs parallèles et qui sont d'une particulière actualité :

L'ENSEIGNEMENT DU CALCUL

ET L'ENSEIGNEMENT DES SCIENCES.

Elles étaient jusqu'à ce jour deux disciplines mineures dont on considérait fort peu l'aspect culturel. L'enseignement du calcul se limitait bien souvent è la pratique plus ou moins mécanique des quatre opérations et à la résolution stéréotypée de quelques problèmes jugés essentiels. La culture du sens mathématique passait au second plan.

Quant à l'enseignement des sciences, il était à peu près inexistant au premier degré, bien trop scolastique aussi au second degré.

L'économie et la technique du début du siècle pouvaient s'accommoder de ces rudiments. Mais depuis quelques lustres l'essor accéléré de l'industrie et du commerce, la mécanisation croissante du travail, l'automation et enfin l'électronique avec tous ses corollaires et ses conséquences ont ouvert une ère nouvelle dans laquelle l'individu peut fort bien vivre et travailler avec des rudiments de français — la radio et la télévision remplaceront bientôt l'écriture et la lecture — mais ne saurait se passer des connaissances élémentaires en calcul et en sciences. Désormais, l'illettré sera moins celui qui ne saura pas lire que l'ouvrier ou l'artisan qui n'aura point acquis les éléments majeurs dans ces disciplines.

Une philosophie nouvelle est en tram de naître sur la base des sciences exactes qui ouvrent d’ailleurs des horizons insoupçonnés vers les domaines de l'abstraction, de la vitesse, de la relativité et de l'infini. Titov et Gagarine sont les premiers héros de cette future humanité.

Seulement nous sommes tous surpris par la soudaineté de l’aventure. Nous en étions naguère à la préhistoire du calcul et des sciences et nous faisions consciencieusement réciter par cœur la table de multiplication, les règles et les théorèmes, et voilà que brusquement les IBM nous lancent vers une conception vertigineuse du calcul, que la relativité bouscule nos définitions, que la radio nous conduit à la Lune ou à Mars.

Il ne suffira pas de dire comme semblent vouloir le faire les officiels : « Voyez l'importance nouvelle des nombres et des calculs. Pour vous y reconnaître, il vous faut assurer les bases, bien compter sur les doigts et apprendre la table de multiplication. Alors vous deviendrez mathématicien ».

Et si le processus n'était plus valable puisque les machines A calculer pourraient bion, dès l'école, remplacer les opérations ordinaires ; si d'autres qualités sur lesquelles on s'attarde n'avaient plus cours en mathématiques électroniques et si étaient nécessaires au contraire dos acquisitions nouvelles dont l'Ecole n'a pas encore seulement expérimenté la possibilité !

C'est la question essentielle qu'il faudra nous poser en vue du Congrès « Quelle est la méthode de culture mathématique de l'ère électronique », en vue, non pas d'un balbutiement, mais de la maîtrise calculatrice.

Ces questions, nous ne sommes pas seuls à nous les poser. Nous avons l'avantage de compter à notre actif un certain nombre d'expériences et de réalisations qui vont nous aider à reconsidérer en profondeur l'enseignement du calcul.

La discussion commence. Nous tâcherons d'y intéresser les chercheurs scientifiques et les spécialistes qui nous aideront à nous hausser jusqu'aux solutions souhaitables.

Même déficience pour l’enseignement des sciences. Nous en étions, — nous en sommes encore — au b-a ba avec l'étude par cœur et les relations d'expériences. Il nous faudra savoir si, comme nous en sommes persuadés, on ne forme en aucun cas par ces procédés des scientifiques, mais seulement des sous-ordres et des bavards.

Nous aurons alors à dénoncer les méthodes périmées et à chercher, en accord avec les vraies scientifiques, les voies sûres pour un enseignement moderne des sciences.

Dans ce domaine aussi nous avons fait des expériences valables qu'il nous suffira souvent de confronter et de développer.

Notre entreprise, les travaux préparatoires au Congrès, les synthèses auxquelles nous devons aboutir pourraient bien influer d'une façon décisive sur la pédagogie du calcul et des sciences dans les années à venir.

Pour faire le point de nos travaux dans ce domaine, nous allons publier sans retard deux brochures Bibliothèque de l’Ecole Moderne, l’une consacrée au calcul, l'autre aux sciences. Dans le prochain numéro de L'Educateur, nous préciserons quelques-unes des questions que nous pourrions poser aux spécialistes et aux savants d'une part, aux usagers d'autre part. Il appartiendra ensuite à nos responsables et à tous les camarades de s'atteler à l'étude de ces questions, à préparer les colloques qui nous aideront à déblayer le terrain... C'est cela aussi la modernisation de notre enseignement.

Entre temps nous allons sortir à Noël un N° Spécial B. T. de l'Ecole de Buzet-sur-Baise (L.etG.) : Barbacane, le petit grillon des champs, qui est le prototype de ce que peut donner une nouvelle conception, à base expérimentale, de tout notre enseignement scientifique.

Dès maintenant, pensez à assister à notre grand Congrès International annuel de l'Ecole Moderne, qui se tiendra à Caen du 15 au 19 Avril 1962 et qui, comme chaque année, sera la grande rencontre familière de tous les éducateurs qui, à la lumière des Techniques d'Ecole Moderne, s'appliquent à réaliser une pédagogie qui permettra la formation en l'enfant de l'homme de demain.

Un accueil particulier sera réservé à nos camarades des divers pays qui vont d'ailleurs être associés à l'étude de deux thèmes d'une portée internationale.