L'Educateur n°11 - année 1961-1962

Mars 1962

Merci aux bons ouvriers et aux amis de l’Ecole Moderne

Mars 1962

Actualités de l’Ecole Moderne

 
Merci aux bons ouvriers et aux amis de l’Ecole Moderne
 
Nous voudrions, à l’occasion de l’émouvant élan de solidarité suscité par l’incendie de la C.E.L., rappeler aux jeunes à qui nous passons aujourd’hui notre héritage ce qu’ils doivent aux vieux militants de notre mouvement et à quel point leur exemple mérite d’être considéré et imité.
 
Ils ont été nombreux à nous écrire comme notre cher camarade Lallemand : « Je regrette tant de n’avoir pas encore pu dégager de mon budget handicapé par la construction l’obole que j’aurais bien voulu envoyer comme tant d’autres à la C.E.L. » ; ou comme X... qui, au moment de prendre sa retraite a besoin de se trouver une maison et fait rentrer ce qu’il lui reste en dépôt à la C.E.L. en disant : « Prélevez 50 NF. C’est tout ce que je peux faire » ; ou Péré qui va « redoubler son travail désintéressé pour la C.E.L. » et tant d’autres dont je m’excuse de ne pouvoir citer les paroles émouvantes de solidarité et d’amitié.
 
Et je sais que s’il y avait danger, si je devais lancer un nouveau S.O.S., c’est vers eux encore, vers ceux qui, pendant vingt ou trente ans ont vécu notre vie de travail et de sacrifices pour l’œuvre commune, que je m’adresserais avec la certitude qu’ils répondraient une fois encore à notre appel.
 
C’est à l’intention des jeunes qui continuent heureusement la tradition, qui nourrissent nos commissions et viennent d’adhérer à la C.E.L., que je voudrais dire ce qu’ont fait ces « vieux » camarades qui s’excusent de ne pouvoir donner plus.
 
Lallemand qui voudrait encore envoyer quelques billets de mille collabore depuis trente ans à notre travail. Il a été le généreux ouvrier N°l et l’animateur de nos fichiers auto-correctifs, de nos dictionnaires et il prépare encore aujourd’hui un dico de sens que nous voudrions bien pouvoir éditer. Il n’a jamais perçu aucune indemnisation pour ce travail, et l’idée ne lui est jamais venue qu’il pourrait en recevoir une.
 
Prenez les B.E.N.P., les premières B.T. Vous trouverez là la liste de tous les vieux adhérents qui ont toujours offert, avec enthousiasme, leur travail à l’œuvre coopérative. Je n’ai pas assez de place pour citer ici tous ces noms. Vous les retrouverez aussi dans Naissance d’une Pédagogie Populaire, disparue dans l’incendie et que nous allons rééditer en la complétant encore. Cette naissance et son développement sont une aventure pédagogique sans doute unique qui se suffit à elle seule pour montrer aux jeunes et aux moins jeunes les voies qui nous ont menés, et qui nous mèneront, non pas au succès financier qui n’a jamais été notre but, mais à la réalisation exaltante d’une pédagogie qui nous élève et nous libère.
 
Vous y trouverez aussi relatées les grandes crises au cours desquelles il nous fallait lancer des S.O.S., dont le nombre, je le sais, ne se compte plus : quand nous avons entrepris témérairement nos premières éditions (Fichier Scolaire Coopératif - La Gerbe) et nos livres pour lesquels nous recueillions jusqu’à quatre à cinq cents souscriptions ; quand nous avons acheté les premières machines et notamment nos fondeuses qui furent notre première richesse coopérative ; quand il a fallu acquérir le parc de la C.E.L. et y construire, par nos propres moyens, une maison qui est aujourd’hui notre sécurité.
 
Pour ces réalisations essentielles, des centaines de camarades ont versé sans compter à la C.E.L.
 
Et plus près de nous, quand nous avons subi la crise Rossignol avec un brusque trou de 40 millions d’anciens francs dans notre trésorerie, c’est encore naturellement à nos adhérents, anciens en tête, que nous nous sommes adressés, et ils nous ont versé - en prêt - 17 millions qui nous ont permis de sauver la situation.
 
Nous en aurions eu autant maintenant s’il l’avait fallu. Ce qu’il nous fallait aujourd’hui plus que l’aide en argent qui n’est jamais négligeable, c’est l’ardeur et la solidarité nouvelles pour reconstruire, des adhésions massives à la C.E.L. qui pourra ainsi, avec plus de sécurité, continuer sa route, des ouvriers pour nos éditions, des travailleurs qui honorent nos techniques en montrant dans leur classe ce que pourrait être, ce que sera demain l’Ecole laïque quand nous lui aurons insufflé cet esprit de libre coopération, de recherche et de travail dans des perspectives sociales et humaines qui donnent un but à nos efforts.
 
Notre appel a été entendu. Notre Congrès de Caen sera le Congrès du renouveau. L’argent n’est qu’accessoire. Nous en avons toujours trouvé quand nos entreprises le nécessitaient. Ce qui est plus délicat à faire naître, à épanouir et à promouvoir, c’est le travail créateur qui nous redonne sécurité et dignité, et joie.
 
Car c’est sur ce dernier aspect que nous insisterons en terminant : tous ces vieux camarades nous disent et vous diront que ces sacrifices qu’ils ont fait tout au cours de leur vie ont été largement récompensés. Ce n’est pas la C.E.L. ou l’Ecole Moderne qui leur est redevable ; ce sont eux qui se sentent redevables à l’Ecole Moderne pour ce qu’elle leur a apporté d’unique, non seulement dans leur métier, mais dans leur vie.
 
C’est tout un livre collectif qu’il nous faudrait écrire pour que la masse des éducateurs pliés à une tâche dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle est sans satisfactions profondes et sans horizon, prennent conscience des conditions regrettables où ils sont confinés. Nous dirions, nous, comment nos techniques, nos conditions nouvelles de travail, le climat de notre classe, au sein du climat général de notre mouvement, transforment notre métier et notre vie, en leur donnant cette lumière intérieure et ce soleil sans lesquels un homme ne saurait remplir les fonctions indissociables d’homme et d’éducateur.
 
C’est cette flamme que, ensemble, nous avons fait briller, et c’est là notre essentielle conquête. Tout comme dans nos classes d’ailleurs : qu’importent méthodes et techniques, l’essentiel est qu’y brille le soleil. Nous vous apportons pour continuer notre oeuvre, nos secrets majeurs que vous saurez exploiter et magnifier.
 
C’est un devoir aussi pour nous d’associer à cet hommage, nos vieux ouvriers et employés C.E.L. : notre cher Paignon qui partira en retraite en octobre prochain et qui a été non seulement le spécialiste de la fondeuse, mais aussi le type exemplaire de l’ouvrier dont l’intelligence a su passer dans les mains, dans le sens qu’il a de la recherche et de la création et qui nous a aidés magistralement par un long tâtonnement, pour la mise au point de nos outils les meilleurs.
 
Et nous n’oublierons pas davantage nos anciens et anciennes employés dont la C.E.L. est la maison pour laquelle ils travaillent avec tant de cœur, et nous les en remercions.
 
Une mention toute spéciale enfin, doit être faite à l’aide permanente que nous avons toujours trouvée dans le mouvement coopératif : Banque Centrale de Crédit Coopératif qui ne s’est pas contentée de voir en nous, comme le font les autres banques, un client, mais un Coopérateur qui a droit à l’aide permanente des organismes coopératifs ; Caisse Centrale de Crédit Coopératif, qui finance nos achats de machines ; SACEM, organisme d’assurance qui nous a conseillé notamment pour le règlement du récent sinistre.
 
Que tous les amis enfin, que nous savons si nombreux qui nous ont manifesté l’intérêt qu’ils portent à nos travaux : instituteurs, inspecteurs, directeurs d’Eccles Normales, élèves-maîtres, professeurs, élèves de nombreuses écoles, libraires, éditeurs, administrateurs, fournisseurs, parents d’élèves, veuillent bien trouver ici nos plus vifs remerciements pour non seulement l’aide matérielle, mais plus encore le réconfort moral qui nous encourage toujours davantage à poursuivre une oeuvre dont on comprend désormais la portée et les bienfaits.
 
C. FREINET.
 
 

 

Pour la préparation de notre Congrès

Mars 1962

Pratique et évolution des techniques Freinet

 
Pour la préparation de notre Congrès
 
Comme toutes les années, j’ai profité des congés de février pour aller à Caen prendre contact avec le Comité d’organisation du Congrès.
Je me suis arrêté à l’aller à Mâcon où se tenait le Congrès de l’Office Central de la Coopération à l’Ecole.
 
Congrès de l’O.C.C.E.
 
Le programme chargé de ces courtes journées ne m’a pas permis de participer à tout le Congrès. J’ai pu tout de même en fin du C.A. de l’Office prendre contact avec les divers responsables, faire le point de notre collaboration passée et préparer pour le proche avenir des contacts de travail encore plus efficients.
 
J’ai pris part aussi à la séance inaugurale du Congrès dans la grande salle de la Maison des jeunes de Mâcon, décorée sur tout son pourtour par les divers travaux d’enfants, parmi lesquels les brillantes productions des élèves de l’Ecole Moderne.
 
Les travaux du Congrès ont été axés sur « La psychologie du Président de la Coopérative », comme suite à un questionnaire lancé par l’Office, et dont les rapporteurs ont donné l’essentiel avant discussion.
 
Au cours de nos conversations comme dans ma courte intervention à la séance d’ouverture, nous avons été unanimes à souhaiter que l’esprit coopératif aille se développant et se généralisant, à mesure que s’amenuisera le nombre des écoles où ne se pratique qu’une coopération formelle, impuissante à préparer les citoyens d’aujourd’hui et de demain.
 
Les divers orateurs ont d’ailleurs insisté sur la nécessité, dans la période trouble que nous vivons de développer chez nos enfants, par la coopération bien comprise le sens moral et civique plus que jamais indispensable. La morale et l’instruction civique ne s’enseignent pas ; elles se vivent. La coopération scolaire est le seul moyen idéal de les promouvoir.
 
Mais, et c’est là le point délicat qui mériterait d’être discuté un jour conjointement dans un de nos Congrès et dans un Congrès de l’Office : « La coopération scolaire est-elle compatible avec la pratique des méthodes traditionnelles ? Si la coopération ne s’enseigne pas mais se vit, n’est-il pas nécessaire à la base d’instaurer dans les classes un climat de coopération, non seulement entre les êtres, mais entre élèves et maîtres aussi ? L’esprit coopératif peut-il se développer normalement dans une classe où, parce qu’il pratique des méthodes d’autorité, l’instituteur n’est pas au niveau des enfants, même s’il s’y place accidentellement au cours des réunions coopératives ? »
 
Et ce n’est pas un hasard si c’est dans les écoles travaillant selon nos techniques que fleurit la coopération. Ce n’est pas être désobligeant vis-à-vis des responsables de l’O.C.C.E. que de le contrôler objectivement.
 
Et ce Congrès m’a donné l’occasion de dire à diverses reprises que l’accord formel intervenu entre O.C.C.E. et Ecole Moderne ne saurait se suffire, quelle que soit notre commune bonne volonté. Notre compréhension mutuelle et, de ce fait, l’amitié qui nous unit sont fonction des travaux que nous abordons ensemble.
 
Notre souci doit donc être - comme d’ailleurs au sein de nos classes aussi bien que dans nos associations - de rechercher les tâches que nous devons entreprendre ensemble, à la base d’abord, aux divers échelons ensuite. Un premier pas va être fait avec l’édition prochaine en commun d’une B.T. sur les fleurs d’ornement (Ecole Fleurie) qui a été réalisée par notre ami Paulen (Bas-Rhin) militant tout à la fois de l’I.C.E.M. et de l’ Office.
 
Nous souhaitons que cet exemple encourage les camarades à se joindre à notre vaste chantier pour la préparation des outils et des éditions dont nous sentons les uns et les autres la nécessité.
 
Alors le mouvement de la Coopération à l’Ecole sera toujours davantage notre propre mouvement jusqu’à parvenir peut-être un jour à une intégration qui, si elle ne nécessite pas une fusion totale des organismes de direction n’en pourrait pas moins promouvoir une collaboration effective et profonde pour le plus grand bénéfice de l’Ecole et des éducateurs.
 
D’ores et déjà il a été convenu de faire connaître régulièrement par nos revues, nos diverses initiatives, nos publications, nos réunions. Nous signalerons régulièrement à nos adhérents les numéros d’Ami-Coop en préparation et à l’édition, les campagnes et les enquêtes, entreprises diverses telles que les rassemblements d’enfants - régionaux ou nationaux - et nous recommandons à nouveau à nos groupes de prendre contact avec les responsables départementaux des Coopératives pour l’organisation du travail commun.
 
En attendant nous serons heureux d’accueillir à notre Congrès l’importante délégation de l’Office qui viendra encore une fois sceller notre souci commun de développer une pédagogie coopérative qui est au centre même de toutes nos préoccupations,
 
Nous donnons ci-dessous la motion qui a été votée en fin de Congrès à Mâcon.
 
Après une série d’études consacrées, lors des congrès précédents, à la vie et aux objectifs des coopératives, le Congrès 1962 avait pour sujet : « Le bureau des coopératives scolaires d’enfants et d’adolescents ».
Il constate que :
Le bureau, démocratiquement élu par les coopérateurs,
- permet d’éveiller et d’exalter des qualités individuelles que l’enseignement, à lui seul, dans son esprit traditionnel, risque de laisser en sommeil ;
- donne aux classes et aux établissements une vie collective neuve et enrichie qui unit étroitement maîtres et élèves dans une oeuvre commune ;
- fournit à la société adulte des citoyens, des organisateurs et des militants appelés à jouer un grand rôle dans un univers où la planification et la concentration risqueraient de faire oublier des valeurs proprement humaines.
 
Le Congrès,
- conscient de l’importance de l’éducation sociale des individus au cours de l’enfance et de l’adolescence, entend poursuivre une étude approfondie des rapports humains au sein de la coopérative et des conditions psychologiques favorables au travail d’équipe. Cette étude, fondée d’abord sur l’expérience des maîtres coopérateurs, saura s’enrichir des témoignages de tous les éducateurs ainsi que des recherches de la sociologie moderne.
 
Le Congrès,
- constatant que les conditions matérielles de l’enseignement n’ont cessé de se dégrader devant la poussée démographique, joint solennellement sa voix à toutes celles qui réclament des pouvoirs publics un effort considérablement accru pour que l’Ecole publique française puisse vraiment répondre à ses devoirs d’instruction et d’éducation ;
- il souhaite que les résultats obtenus par la coopération scolaire soient diffusés et que les responsables de l’organisation pédagogique et administrative tiennent compte de ces résultats et permettent de les amplifier.
 
Le Congrès,
- salue l’effort admirable de tous ceux qui, malgré des conditions défavorables, poursuivent et étendent leur expérience, et notamment de ceux qui, dans des coopératives d’étudiants donnent un prolongement naturel aux coopératives groupées au sein de l’O.C.C.E. ;
- il affirme donc sa foi dans la coopération scolaire et universitaire et invite tous ceux qui se préoccupent de l’enfance et de la jeunesse, et par conséquent de l’avenir du pays, à prendre part au travail commun.
 
O
 
Notre Congres
 
Et c’est à Caen que je me suis rendu les 16 et 17 février pour la préparation de notre Congrès International de Pâques.
 
Le Congrès de St-Etienne l’an dernier avait bénéficié déjà de conditions particulières d’accueil et aussi du sens de l’organisation, de la méthode, de l’amabilité dont avaient fait preuve les organisateurs qui, sous la direction de Béruti, en avaient assuré la totale réussite.
 
Ce Congrès de Caen se tiendra lui aussi au sein des locaux administratifs, mais ces locaux sont, cette année, l’admirable Université de Caen, totalement reconstruite et vous verrez avec quel sens tout à la fois de la beauté, de l’harmonie et de l’adaptation particulière à ses fonctions d’accueil et de travail. Nous remercions dès maintenant les diverses autorités qui, avec une sympathie à laquelle nous sommes si sensibles ont bien voulu nous donner toutes facilités dans un cadre unique qui sera un des éléments de notre succès.
 
Un autre élément c’est l’extraordinaire richesse et le dynamisme du Comité d’organisation. Béruti n’avait avec lui qu’une petite équipe, aidée il est vrai par des jeunes si dévoués, et qui n’avaient tous que plus de mérite d’avoir su prendre avec maîtrise tant de responsabilités.
 
A Caen, je me suis trouvé au milieu d’une cinquantaine de camarades, avec beaucoup de jeunes certes - car la relève est faite partout - mais aussi avec un très important noyau de camarades éprouvés, non seulement du Calvados mais de la Manche, de l’Orne, de la Mayenne.
 
Je ne dis pas que cette conjonction de tant de bonnes volontés diminuera leur mérite - elle est leur oeuvre et la récompense de leur longue et patiente action mais nous sommes assurés d’une organisation peut-être sans précédent dont nous bénéficierons tous.
 
Je n’entre pas ici dans le détail. Je dirai seulement pour ceux qui se font inscrire qu’ils peuvent user largement des chambres et dortoirs modernes de l’Université sans chercher un refuge dans des chambres d’hôtel où ils ne seront pas mieux. Vous n’aurez même pas à apporter de couvertures.
 
Autre détail non négligeable : nous disposerons pour nos expositions de galeries immenses où nous serons au large, quelle que soit l’importance de vos apports. Amenez donc avec vous vos richesses afin que notre Congrès dans son ensemble soit digne de la ville, de l’Université, et des camarades dévoués qui nous accueillerons.
 
Le colloque de Caen
 
Le travail pédagogique a déjà d’ailleurs débuté magistralement avec le beau colloque qui s’est tenu le 16 février à l’Université, sous la présidence du Professeur Mialaret et la participation de M. l’Inspecteur d’Académie, de professeurs des différents ordres, d’inspecteurs et de 150 éducateurs, psychologues et parents d’élèves.
 
Un colloque n’est ni un congrès ni une conférence, mais une libre confrontation sur les thèmes qui apparaissent au public comme étant le plus d’actualité.
 
Il s’agissait d’abord de prendre conscience de la nécessité où nous nous trouvons de changer, de moderniser tout notre système et nos processus éducatifs.
 
Il semble que la chose devrait être aujourd’hui évidente, tellement est catastrophique le décalage entre l’Ecole et le milieu. Et pourtant, nous nous heurtons toujours aux mêmes incompréhensions d’universitaires qui sont persuadés des vertus de leurs cours et de leurs leçons ; de parents aussi qui, formés - et déformés par la scolastique, comprennent mal qu’on puisse opérer un retour et un recours à l’expérience naturelle et au bon sens.
 
Habitués que nous sommes à discuter entre nous, depuis longtemps, des problèmes que nous considérons comme essentiels, nous abordons toujours nos explications à un niveau trop haut. Il nous faudrait reprendre quelques points simples de notre pédagogie :
 
- Est-ce que les enfants écoutent et comprennent les leçons magistrales ? Ne vaudrait-il pas mieux commencer par l’observation et l’expérimentation pour aboutir à la leçon synthèse ?
 
- Est-ce qu’on apprend à bien écrire en apprenant les règles de grammaire ou en écrivant ? Notre affirmation : « C’est en forgeant qu’on devient forgeron » est-elle uniformément juste ?
 
Oui mais, nous dira-t-on, il y a tout de même des choses à apprendre à l’Ecole ! Nous les apprenons, mais par des moyens plus intelligents, donc plus efficients. Les méthodes de l’Ecole traditionnelle ne sont pas forcément les meilleures. Nous en avons mis d’autres au point qui nous semblent plus rentables. Il ne faut tout de même pas faire table rase du passé. J’ai répondu justement à cette question que tel n’est point notre projet. Le rôle de l’éducateur est justement de puiser au maximum dans l’apport passé et présent pour préparer l’avenir.
 
Que deviennent plus tard les enfants formés à l’Ecole Moderne ? Nous avons répondu que nous les faisons plus intelligents et plus dégourdis et que de ce fait ils se débrouilleront mieux dans la vie. L’enfant ne peut pas tout inventer, pas plus en sciences ou mathématiques qu’en français. Nous ne l’avons jamais prétendu. C’est seulement le départ, l’atmosphère qui changent. L’enfant voudra alors connaître toujours davantage ; il suffira de lui offrir la nourriture, etc...
 
Comme on nous accusait de présenter nos techniques comme une panacée, j’ai exposé notre projet d’établissement d’un feu rouge pour les techniques ou méthodes qui ne sont absolument pas valables, un feu orange pour celles qu’on peut éventuellement essayer à nos risques et périls, et le feu vert pour celles qui sont en tous cas recommandables. Ce projet, très apprécié, et dont nous devons nous préoccuper activement, nous a amené à préciser les obstacles à un enseignement plus efficient : les grands ensembles, les salles de classes exiguës et les effectifs pléthoriques, les examens, et surtout les instituteurs.
 
Pour changer de techniques de travail - ce qui est une grosse affaire - les explications sont insuffisantes. Il y faudrait absolument des séjours dans les classes modernisées et de nombreux stages.
 
Vos techniques, nous a-t-on demandé enfin, sont-elles applicables au 2e degré et aux C.E.G. ?
 
Si la pédagogie est bonne dans ses fondements et ses principes, elle est valable dans tous les cours et à tous les degrés. Sinon, c’est qu’il y a erreur au départ et nous devons la rectifier. Naturellement, il y a une adaptation technique qui diffère selon les éducateurs, selon les enfants et selon les degrés de l’enseignement. L’adaptation de nos techniques - dans la mesure où elles seront reconnues bien fondées et efficientes - ne saurait être faite que par les éducateurs eux-mêmes des C.E.G., du second degré, du technique ou du supérieur. On ne transpose pas ainsi, automatiquement, les Techniques Freinet dans les divers degrés. Nous apportons nos expériences ; il vous appartient, à votre niveau, de les faire vôtres.
 
Pour cette adaptation, une collaboration s’impose. Nos colloques nous aident à la réaliser.
 
Nous souhaitons que de tels contacts et de semblables colloques où se confrontent la théorie et la pratique puissent s’organiser dans les diverses régions de France. Nous y aiderons de notre mieux.
 

La poésie et l’Ecole Moderne

 
Le vendredi soir, nous étions au sein d’une assemblée peu commune. Un « grenier poétique » avait invité ses adhérents - adolescents et adultes - à participer à une réunion qui s’est tenue dans une salle de l’Université, sur le thème des enfants-poètes. La salle était bondée, sensible et enthousiaste. Nos dessins répartis sur les murs ajoutaient encore à l’atmosphère.
 
J’ai dit combien les enfants - tous les enfants sont poètes et artistes, mais comme est délicate aussi la fleur naissante que la moindre erreur peut flétrir et détruire. J’ai expliqué aussi que l’aspect poétique de nos techniques nous incite à dépasser la forme récit et chiens écrasés de nos textes libres. Il nous faudra d’ailleurs revenir ici aussi sur cette nécessité d’habituer nos enfants, non seulement à ausculter le monde autour d’eux, mais aussi à ausculter leur propre monde intérieur, à analyser et à transcrire ces impondérables artistiques et affectifs que nous sentons en nous quand nous fermons les yeux pour écouter vibrer notre monde intérieur. C’est alors que le texte libre remplit toute sa fonction psychologique et psychanalytique d’expression profonde d’épanouissement et d’humanité.
 
Le Livre des Petits, projeté toujours avec le même succès a comme ponctué ces explications.
 
*
 
Nous continuerons à donner régulièrement des informations sur le Congrès, non seulement à l’intention de nos camarades français, mais aussi de nos amis étrangers que nous nous préparons à accueillir fraternellement, selon la tradition de notre F.I.M.E.M. Entre-temps nous sortirons nos deux livres B.E.M. : L’Enseignement des Sciences et L’Enseignement du Calcul qui seront comme d’importants rapports préparatoires à nos discussions du Congrès. Mais nous demandons à nos camarades de répondre sans retard à nos questionnaires, et de les soumettre aussi à nos amis des divers degrés qui nous aideront à mettre au point la pédagogie de deux des enseignements les plus délicats dans la période que nous traversons.
 
Nous dirons enfin à l’intention des jeunes et de ceux de nos camarades qui viennent pour la première fois à nos Congrès que nous avons prévu une organisation nouvelle de notre travail afin que chacun, vieux ou nouveau venu, puisse non seulement s’informer, mais participer aussi effectivement à notre oeuvre commune.
 
Seul, en effet, le travail nous unit. C’est lui qui est à la base de la grande et émouvante fraternité de l’Ecole Moderne.
 
C. FREINET.

 

 

La ronde des copains de l’Ecole Moderne

Mars 1962
Les petits du Cours Préparatoire ont depuis longtemps l’habitude de réserver un ou plusieurs de leurs journaux, chaque mois, pour un Aérium, ou une Maison d’enfants.
 
Nous faisons d’habitude cet envoi par l’intermédiaire de la Croix Rouge Jeunesse parce qu’à Marseille, la directrice est dévouée et compréhensive à l’égard de nos techniques - et aussi parce que nous n’avons aucune adresse permettant de faire autrement : ce service me paraît à créer au sein de l’Ecole Moderne. Naturellement, nous n’en attendons aucun retour, mais les enfants de mon CP le font volontiers.
 
De plus, depuis plusieurs années, nous nous faisons donner une ou deux adresses de petits infirmes moteurs cérébraux, tenus éloignés de l’école, donc, de la société normale des autres enfants. C’est donc tout naturellement que nous nous sommes adressés cette année au Centre Régional Pédagogique, service de Prospection des Malades et d’Enseignement par correspondance.
 
Mlle Affre, responsable, nous a très volontiers fourni l’adresse de Jean-Pierre M. afin de créer pour lui un parrainage plus complet.
 
Nous avons envoyé un Journal à Jean-Pierre, accompagné d’un mot pour ses parents (certains parents ne se rendent pas compte de la valeur humaine de tels apports extérieurs pour leurs petits malades) et d’une lettre aussi pour l’instituteur chargé des répétitions à domicile, auprès de lui.
 
Nous avons reçu les réponses : ma classe est enthousiasmée : on écrira à Jean-Pierre, on dessinera pour Jean-Pierre !
 
Alors je propose une idée qui me tient à cœur : « Pourquoi ne pas faire entrer Jean-Pierre dans l’activité de notre Journal ? » On lui écrit : « Envoie-nous un dessin au crayon, format 13,5 x 21 et nous te ferons une surprise... », et le dessin on le tire au limographe. On lui envoie même une dizaine de feuilles pour qu’il les distribue à qui bon lui semble.
 
Nous avons même tiré une page « Notre filleul », pour expliquer ce qui se passe aux correspondants, en mettant l’adresse de Jean-Pierre, et l’équipe de quinze camarades qui nous envoient leur Journal commencent à lui envoyer le leur. Le maître nous écrit : « Nous continuons à recevoir des journaux scolaires... et pour tous ces liens qui se tissent autour de Jean-Pierre, et tentent de le rattacher à une vie normale, nous vous adressons, ainsi que ses parents, nos remerciements ».
 
Je crois que l’élan est donné, et que le Mouvement d’Ecole Moderne pourrait organiser cette prospection à travers la France, afin que les petits isolés soient reliés par des liens d’amitié à nos écoles.
 
Lucienne Alibert a pu inviter un petit paralysé dans sa classe de perfectionnement pour Noël !
 
Dès à présent, je tiens à la disposition des camarades des Bouches-du-Rhône la liste des petits paralysés susceptibles de recevoir un journal (voir Bulletin du Sud-Est). Si chaque correspondant éventuel alerte son équipe, cela fera une vaste toile d’araignée de l’amitié qui se tissera entre les petits de nos classes et ces pauvres gosses : nous avons déjà reçu pour Jean-Pierre une demande personnelle de correspondance : bien sûr, il y a encore des difficultés.
 
Et puis, ces petits isolés n’ont pas tout de suite des dessins « Ecole Moderne » comme les nôtres. Mais il faudrait voir aussi les exercices que leur proposent les Centres d’enseignement par correspondance ! « Conjuguez le verbe : courir à toutes jambes et avoir les joues rouges » ou quelque chose de ce genre ! C’est là qu’il faudrait avoir de l’influence !
 
Pourtant il paraît y avoir, dans cette initiative un intérêt double : la solidarité et l’amitié avec nos petits, d’abord, et encore le désir de ne pas laisser ce parrainage à des organismes plus ou moins purs vis-à-vis des consciences enfantines.
 
Enfin, faire entrer les petits déshérités dans la Ronde des Copains de l’Ecole Moderne, n’est-ce pas, selon le mot de Freinet, « faire en sorte qu’aucun être humain ne reste sur le quai » ?
 
P. QUARANTE.

 

 

Le fichier scolaire documentaire

Mars 1962

 

Bilan d'une expérience d'unité pédagogique restreinte à deux classes par les Techniques Freinet dans une école de ville

Mars 1962

 

Pédagogie internationale

Mars 1962

 

Influences

Mars 1962

La part du maître

Influences

La chapelle en ruine

A la croix cassée.

Les oiseaux bleus, au vent,

A la mer bleue, se posent,

La rose chante.

La chapelle en ruine.

Enfants de pluie, de grésil.

La rose tombe au vent.

Hiver trop méchant,

Hiver plein de neige.

Oiseau.

Adieu l'oiseau,

Adieu la rose,

Adieu la Vierge,

Et la grêle au vent.

Gérard L'HÉRON (706).

Je donne ce poème bizarre parce qu'il permet d’aborder la question des influences.

Je décèle, dans ce texte, un écho d'un poème chanté l'an dernier :

Ils vont sommeiller dans la ruine

D'une vieille chapelle romane ;

un écho d'un poème sur dessin chanté par Christian, le frère de l’auteur :

Mais les peupliers, savent déjà chanter

En balançant leurs feuilles... au vent

C'est déjà bien de savoir faire chanter ses feuilles.

Les points de suspension figurent le silence que Christian avait laissé et les deux mots « au vent », détachés, avaient frappé Gérard.

Les oiseaux bleus viennent d'un troisième poème :

La nuit arrive, la jolie nuit

Qui se balance sur les chênes.

Le vent remue les feuilles des troènes,

Doucement, légèrement.

Les oiseaux bleus, dans le clair de lune

Vont se poser sur la mer.

La rose vient de :

« J'ai voulu, ce matin, te rapporter des roses »,

poème introduit en «récitation » dans la classe, à l'occasion d'un texte libre au thème identique,

Enfant de pluie, de grésil,

Hiver trop méchant, hiver plein de neige.

viennent de Charles d’Orléans,

Mais ce n'est pas tout ; dans ma classe, j’ai introduit « La Chanson du Vent» de Delbasty. Et mes garçons ont eu la chance d'entendre la version originale si touchante, si pleine d'allant, Là, ce que Gérard a retenu, c’est la juxtaposition sans verbe des divers personnages :

Le vent, le soleil et moi,

Le vent, le soleil et moi et Thérèse,

Thérèse et le vent, le soleil et moi,

Le soleil et moi, Thérèse et le vent.

Et maintenant, quand Gérard crée librement ses chansons, il aligne des mots sans suite ;

La mer, la mer, la mer, la mer,

La mer la pluie, le vent le soleil

Les nuages roses.

L'enfant, la maison, le printemps, les églises, etc...

Chose étrange : de cette accumulation d’éléments de décor naît une idée unique, comme un motif se détache soudain de pierres de mosaïque rassemblées : l’ordre naît du chaos.

Ainsi, voici un poème né des poésies des camarades anciens ou présents de la classe, des poèmes de Charles d’Orléans et Marceline Desbordes-Valmore, et d'un style emprunté à un enfant de Buzet-sur-Baïse, le tout adapté à la personnalité d'un enfant avec une vision personnelle du monde, dans un milieu scolaire géographique et humain différent.

Cela aboutit nécessairement à une création originale.

L'enfant a donc subi des influences et il en subira encore, C'est tout à fait normal : l'être humain ne serait pas ce qu’il est s'il n'était sensible au milieu qui l'environne.

Mais il y a une dialectique de la construction de la personnalité culturelle de chacun, il faut s'approprier, assimiler la culture. Mais cette assimilation ne peut se faire que dans une progression, un mouvement.

Comme on pouvait s’y attendre, Gérard a fait école dans notre classe : il s’est constitué une technique originale et cela a suscité des imitations. Il ne faut pas bannir l'imitation : elle permet le démarrage. D'ailleurs, beaucoup de créateurs, parmi tes plus grands (voir les premières symphonies de Beethoven par exemple) sont au début, parfaitement intégrés aux courants de leur époque. Et puis, soudain, quand il y a tempérament ou génie, l'imitateur se forge un langage qui lui est propre et il devient précurseur.

Mais il ne faudrait pas laisser l'enfant et ses camarades s’enfoncer dans leur ornière, même si l'ornière est belle. Il faut, au contraire, essayer de susciter une autre tendance compensatrice ou concurrente. Il faut que la classe soit constamment en porte-à-faux entre plusieurs pôles afin que déséquilibré, désorienté, secoué par ce manque de confort, cette impossibilité de suivre benoîtement une personnalité marquante, chaque enfant se trouve contraint de chercher sa voie et sa voix personnelles.

Chez nous, voici que Pierre-Yves qui avait dormi jusqu'à présent se lève et qu'une tendance Max Jacob s’installe à côté de la tendance Buzet :

Je vois les arbres.

Adieu mes colombes

Adieu étoiles, les sapins

Adieu colombes

Adieu lapins

Adieu adieu mes maisons

Adieu mon chien

Mes rouges-gorges

Tous mes oiseaux du monde

Les chemins tout au loin.

Pierre-Yves CORRE (708).

 

 

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