Quelques aspects originaux de notre Congrès de Caen

Avril 1962

Actualités de l’Ecole Moderne

Quelques aspects originaux de notre Congrès de Caen

Si nous disons que notre Congrès a été cette année une réussite totale, on pensera, en compulsant les comptes rendus des années précédentes que, soit par optimisme, soit par propagande, nous disons toujours ainsi. Ce qui veut dire sans doute que, même lorsqu'ils comportent quelques anicroches, nos Congrès nous valent toujours de grandes satisfactions, pour nous essentielles.

C'est sur l'atmosphère générale de notre Congrès que je voudrais vous donner ici mon impression, avant même le compte rendu général à paraître dans notre prochain numéro.

Un fait auquel nous avons tous été particulièrement sensibles, après le Congrès quelque peu troublé de l'an dernier, c'est la grande amitié retrouvée. Les cinq jours se sont déroulés sans que nous soit signalé le moindre malentendu, ni dans l'organisation, ni dans les commissions, ni au cours des discussions, et cela sans qu'intervienne aucune décision autoritaire, sans que nous ayons eu recours a aucun interdit. C'était vraiment l'ordre dans la diversité et l'activité, par l'intérêt, le travail et l'amitié.

Il y a cependant un fait qui a servi peut-être plus qu'on ne croit cet ordre. Tous les matins, de 8 h à 9 h 30, les responsables se sont réunis dans une salle d’ailleurs ouverte à tout le monde, pour examiner le travail de la veille et préparer dans le détail celui des journées à venir. C'est le principe même de notre pédagogie qui dit les bienfaits de l’organisation et des plans de travail.

C'est parce que ce Congrès travaillait intensément qu'il a été ordonné et amical.

A-t-il donné totale satisfaction à tout le monde? Peut-être pas toujours car certains nouveaux venus n'y ont pas trouvé tout ce qu’ils en attendaient. Ils auraient voulu des séances plénières plus nombreuses et plus longues, au cours desquelles on étudierait à fond les thèmes choisis, des séances de synthèse qui fassent vraiment la synthèse des travaux et non seulement le compte rendu.

Cette observation qui a valu à nos camarades une petite déception, largement compensée, nous disent- ils par tout ce que le Congrès leur vaut «d'unique et de formidable », nous donne l’occasion d'une utile mise au point sur la place exacte de nos Congrès dans le processus de recherches, d'expériences et de travail de l’Ecole Moderne,

Oui, je sais qu'il est des Congrès apparemment « structurés » où l'on se contente de discuter, pendant plusieurs jours, du seul thème choisi. Mais on n'y fait pas d'autre besogne et l'association organisatrice ne fait pas d'autre travail en cours d'année. Alors le Congrès est évidemment l’évènement marquant.

Nous pourrions, nous, nous passer éventuellement du Congrès, mais notre mouvement et nos Congrès seraient sans portée s'ils ne répercutaient l'incessant travail coopératif poursuivi en cours d'année par nos milliers de camarades.

Nous avons peut-être tort de dire, en raccourci pour les distinguer des autres congrès, que nos rencontres sont des Congrès de Travail. Nous ne risquons pas, en quatre jours, grignotés d'ailleurs par de nécessaires incidences, de préparer ou de contrôler des B.T., de rédiger des fiches, de mettre au point une pratique de travail qui ne peut évidemment pas se séparer de la classe, d’enregistrer disques et films. Toute cette activité de base, nos camarades, présents ou non au Congrès, la poursuivent tout au long de l’année, dans leurs classes, dans le silence de leur salle de travail le soir, en équipe avec les camarades du Groupe toutes les fois que cela est possible.

Il en résulte que nos Congrès ne sont pas à vrai dire des Congrès de Travail ; ils sont des Congrès de confrontation des travaux réalisés en cours d’année, des prises de contact pour les recherches des camarades isolés, souvent loin des villes et qui ne peuvent se retrouver qu’accidentellement.

Cette confrontation se fait effectivement dans les commissions, dans nos séances de synthèse et au cours de nos séances plénières ; elle prépare en même temps les plans de travail pour l’année à venir.

Nous comprenons fort bien que les jeunes, et en général les nouveaux venus soient parfois quelque peu déçus puisqu'ils n'ont encore rien à confronter et qu'ils ont hâte d'apprendre nos secrets et nos techniques. Nous les plongeons peut-être un peu brutalement dans le creuset bouillonnant qu’ils auraient voulu contempler à loisir, du dehors, objectivement avant de devenir eux-mêmes éléments de la grande entreprise coopérative.

Mais l'atmosphère incomparable de nos Congrès compensera bien vite la rudesse des premiers contacts.

« J'ai été impressionné, nous écrit notre camarade Lebrun, de l'Aisne, par toutes les réalisations exposées, par ta richesse des travaux, qu'ils soient artistiques ou scientifiques. Le dynamisme de l'Ecole Moderne, par lequel maîtres et élèves apportent librement et joyeusement le meilleur d'eux-mêmes est unique et formidable. Les liens qui se nouent entre camarades, à la faveur du Congrès, sont d'importants générateurs de progrès. La confrontation des méthodes qui en découle est enrichissante à tous points de vue.

Rien ne saurait maintenant briser la chaîne qui s'est ainsi forgée, dans le libre travail, en camaraderie et fraternité ». Ainsi conclut Lebrun, qui assistait pour la première fois à notre Congrès.

Plus encore que le succès croissant de nos techniques, c’est ce resserrement de nos relations affectives, humaines et créatrices qui nous est tout particulièrement précieux. Il vient du fait que nos camarades ont conscience d'œuvrer au sein d'une véritable coopérative, dont ils sont tout à la fois les artisans et les responsables, qu'ils savent enrichir et soutenir de leurs efforts désintéressés et défendre contre ceux qui voudraient attenter à notre bien collectif,

Notre œuvre commune, ils savent qu'elle ne peut continuer et s'épanouir que dans une atmosphère de totale liberté et indépendance, et c'est pourquoi ils sont farouchement hostiles à toute compromission avec l'administration d'une part, les entreprises commerciales d'autre part. Ce faisant nous rejoignons d'ailleurs les opinions émises par M. CROS, Directeur de l'Administration générale au Ministère, dans son livre récent : L'Explosion Scolaire : « Il faut que l'Enseignement soit indépendant, de même que la justice doit être indépendante, par l'effet non d'une illusoire liberté de concurrence, mais d'une indépendance institutionnelle établie, délimitée et protégée par les structures de l'Etat ».

En attendant, nos camarades préfèrent continuer les sacrifices financiers consentis à notre mouvement et conserver leur totale indépendance, sans aucun recours aux soutiens ou aux subventions qui risqueraient de nous enchaîner.

Nous continuerons à tenir le plus grand compte dans nos rapports avec l'administration et les diverses associations de ces généreuses préoccupations qui honorent notre mouvement pédagogique.

Nos camarades sont enfin foncièrement laïques, non seulement dans leurs paroles, mais dans les actes essentiels de leur vie de militants,

Très respectueux des opinions et des croyances qui sont l'attribut majeur des personnalités libres, ils se déclarent farouchement opposés à tous dogmatismes en général, et à tous cléricalismes en particulier. Cela nous vaut je le sais bien des incompréhensions, véritables ou simulées, mais suscite aussi des liens plus étroits entre tous ceux, et ils sont nombreux, — éducateurs et parents d'élèves — qui, en ces temps troublés où la force brutale voudrait faire la loi, estiment avec nous que sauvegarder notre conscience d'hommes, notre pensée libre et notre droit de critique, rester des hommes à part entière pour former des hommes, c'est peut-être bien une des tâches les plus urgentes des défenseurs de l'humanité, de la démocratie et de la paix.

L'affluence et la cohésion de notre Congrès de Caen est pour nous plus que jamais une raison de confiance et d’espoir.