L'Educateur n° 9 - année 1960-1961

Février 1961

Faut-il brûler Freinet ?

Février 1961

Actualités de l’école moderne

 
Faut-il brûler Freinet ?
 
« Un mal qui répand la terreur »... a fini par envahir les lycées et collèges, Cours Complémentaires etc... et peut-être par s’étendre dans les facultés.
 
Leurs élèves - c’est pourtant l’élite - sont de plus en plus ignares : ils ne savent ni bien lire, ni bien écrire, ni bien compter... leur savoir grammatical et mathématique élémentaire est tel que les autorités s’en inquiètent à bon droit...
 
Aussi il est grand temps de revenir à un minimum de remplissage des têtes qu’on avait voulu un moment plutôt « bien faites que bien pleines ».
 
Ni les lions ministériels, ni les renards des programmes aux directives diplomatiquement rédigées, ni les grands loups d’éditeurs... ou les mâtins faiseurs de manuels bourratifs ne peuvent être responsables...
 
« L’âne vint à son tour », qui s’est permis de tondre quelques bouchées d’herbe tendre aux plates-bandes de la pédagogie. Freinet, « puisqu’il faut l’appeler par son nom », suivi d’un quarteron de maîtres (aliborons) d’école - mais de quel droit ces lampistes s’occuperaient-ils de la pédagogie ? - en réussissant à envahir l’enseignement officiel a amené cet état de fait fâcheux : on n’apprend plus rien sérieusement. Voilà d’où vient « tout le mal ! ».
 
Chacun sait que son mouvement a réussi à noyauter l’enseignement primaire au point que la C.E.L., maison d’édition milliardaire a le monopole des pages pédagogiques de L’Ecole Libératrice !!!qu’elle règne en maîtresse chez S.U.D.E.L. !!! que L’Ecole Emancipée- son flirt avec Freinet est bien connu ! - emporte la presque unanimité des suffrages dans le Syndicat des Instituteurs !!! et qu’il ne reste pas même 2% de directeurs d’école pour faire apprendre des leçons par cœur !!! que toutes les classes decroliennes, montessoriennes, frénétistes... sont des pépinières de bacheliers !!! qu’elles inondent de leurs cohortes innombrables les « sixièmes » et « cinquièmes » !!!
 
Faut-il continuer sur ce ton ? Il paraît que nous ne sommes pas sérieux... que nos méthodes « farfelues » - « du bluff » - empêchent nos élèves d’accéder au second degré. Comment se fait-il que le pourcentage de faibles en calcul et orthographe soit si grand ?
 
Pour ma part - ma modeste part de lampiste à longues oreilles, pratiquant dans la mesure de mes faibles moyens une partie des méthodes dites modernes - ce machin ! (1) - qui peut se vanter d’être moderne à 100% ou même 60... je ne me sens pas tellement responsable de la baisse de niveau signalée par nos honorables collègues du second degré.
 
En effet, si j’ai réussi à faire échouer 30 % des élèves présentés au C.E.P.E. et autant aux examens de sixième (en une dizaine d’années) je n’ai pas le souvenir d’avoir fourni de si incomplets sujets à la sixième sur un total de six ou sept (on les compte dans les écoles rurales !).
 
L’un d’eux - que je connais bien - maintenant licencié de Lettres Classiques fait d’ailleurs dix fois plus de fautes dans ses dissertations qu’au temps de ses culottes courtes.
 
Sur ce coup de pied de l’âne, j’en arrive à ma conclusion : « On le lui fit bien voir ».
 
Vous voyez bien qu’il faut brûler Freinet...
 
 
(1) c.f. René Lefèvre « Canard Enchaîné ».

 

 

Elargissement du mouvement d’école moderne

Février 1961

Le point de la quinzaine

 
Elargissement du mouvement
d’école moderne
 
Il suffit que saute un de nos numéros pendant la partie active de l’année pour que s’accumulent les articles et les projets, les idées à discuter, les questions qui attendent réponse.
 
Il se produit aujourd’hui, à travers la France, et par le monde, sur la base de notre expérience pédagogique et de nos réalisations d’Ecole Moderne, un immense brassage qui influence désormais en profondeur les divers degrés d’enseignement et la pédagogie française toute entière. Et ce brassage est l’œuvre non d’un homme ou d’une revue, mais d’une véritable armée d’éducateurs conscients qui, partout et en toutes occasions savent défendre, parfois avec véhémence, et nos techniques, et l’esprit qui les anime.
 
Leur action a d’autant plus de résonance que la masse des éducateurs, sceptique et découragée, se tait. On peut certes encore pratiquer les méthodes traditionnelles, même avec dévouement ; on ne peut plus les défendre ni les justifier parce qu’elles sont toujours en position d’arrière-garde et que le monde évolue à une vitesse qui nous impose un rythme nouveau.
 
Quiconque cherche les voies d’une meilleure éducation débouche sur nos techniques, sans doute parce qu’elles ont une valeur générale exceptionnelle, et aussi parce qu’elles seules comblent, à travers le monde, une sorte de vide pédagogique, aucune autre méthode cohérente ne mobilisant actuellement les recherches multiples et complexes des éducateurs de tous pays.
 
Cette conjonction dans l’action des meilleures volontés actuellement existantes indispose quelque peu, nous le comprenons, certains administrateurs jaloux de leur autorité, des militants syndicaux soucieux de la cohésion de leurs troupes et la masse des collègues que nos initiatives dérangent dans leur quiétude. Nous regrettons cet état de fait sans trop nous en émouvoir, car il est le lot de tous les novateurs et ne fait que resserrer davantage les liens de camaraderie et d’amitié de tous les chercheurs Ecole Moderne.
 
Les obstacles ne nous rebutent pas. Ils aiguisent notre initiative et nourrissent une combativité qui nous est essentielle et pour laquelle nous trouvons encore plus qu’on ne le croirait d’audace, de dévouement et de sacrifices pour le triomphe d’un idéal de libération dans le cadre de notre grande Ecole laïque.
 
1°. Le thème de notre prochain Congrès : l’Education à la croisée des chemins. - Vous avez lu, dans le dernier numéro de L’Educateur l’opuscule consacré à la présentation du thème. Il faut que vous soyez nombreux non seulement à répondre au questionnaire général, mais aussi à nous donner votre point de vue sur les divers points à discuter.
 
Ne pensez pas que seuls les « intellectuels » doivent nous donner leur point de vue. Votre opinion de techniciens nous sera, à la base, éminemment précieuse. Vous tacherez alors d’avoir les observations plus théoriques des personnalités diverses que vous pouvez approcher : inspecteurs, psychologues, psychiatres, professeurs, parents d’élèves, étudiants. Essayez d’intéresser à cette étude les Bulletins ou revues amis. Organisez si possible des colloques au cours desquels vous confronterez les opinions et dont les comptes-rendus nous seront très utiles.
 
Et préparez-vous à assister au Congrès de Saint-Etienne pour lequel vous trouverez ci-joint un premier bulletin à remplir.
 
Notre prochain Congrès sera, comme tous les précédents, un grand Congrès Ecole Moderne, avec une affluence toujours accrue de jeunes pour lesquels nous nous appliquerons à ménager des intérêts nouveaux. Mais ce sera aussi, plus que les autres années, un grand Congrès International, pour lequel d’importantes délégations se sont déjà annoncées.
 
Par l’ampleur de notre thème, par l’intérêt nouveau de nos réunions Techniques de Vie, avec un grand rassemblement international d’enfants organisé en accord avec l’O.C.C.E., notre Congrès de St-Etienne sera plus que les autres années encore, la plus grande manifestation pédagogique de notre pays. Préparez-vous à y assister, non seulement en auditeurs, mais en acteurs aussi, et en ouvriers.
 
2°. Réorganisation de notre mouvement pédagogique. - Encore, diront peut-être les habitués, car nous avons chaque année, depuis toujours à chercher les positions qui répondent le mieux à nos besoins communs. Et ces besoins changent considérablement d’une année à l’autre. Ne pas tenir compte de ces changements, ce serait mentir à notre titre même de pédagogie moderne.
 
a)La Coopérative de l’Enseignement Laïc fait de moins en moins office de coopérative, ce qui doit entraîner quelques changements dans la structure de notre mouvement.
 
b)L’idée coopérative est pourtant vivace à la base. Elle nous vaut la riche collaboration de L’Educateur, des Commissions de Travail, et surtout de la Bibliothèque de Travail, cette entreprise unique dans la littérature pédagogique contemporaine. Nous pensons pouvoir trouver une solution intermédiaire bien conformes aux goûts du jour en suscitant la création locale, départementale et régionale des Clubs Ecole Moderneopérant dans le cadre de nos groupes et de nos associations. La question est à l’étude. Nous en préciserons bientôt les données.
 
c) L’évolution de nos techniques suppose des contacts personnels. Nous allons les développer par nos clubs, nos groupes, nos réunions de travail et aussi les nombreux stages que nous espérons voir fleurir dans toutes les régions de France.
 
d) Les réalisations à venir - et les projets ne nous manquent pas - supposent de l’argent : le nerf de la guerre. Nous pouvons aujourd’hui en disposer si nous augmentons sérieusement le nombre de nos abonnés à Bibliothèque de Travail et la vente massive des riches collections dont nous disposons. Nous allons essayer à cet effet de lancer une grande campagne nationale et internationale Ecole Moderne. Nous vous en parlerons prochainement,
 
3°. Elargissement de nos techniques vers les écoles de villes. - Notre mouvement donne son meilleur rendement dans les écoles de villages ou de petites villes, même si elles sont chargées, parce que l’instituteur peut y suivre ses élèves et les entraîner à travailler selon nos techniques.
 
Mais le nombre des écoles de villages va s’amenuisant. Les regroupements cantonaux avec ramassage des élèves risquent de les faire presque totalement disparaître à bref délai. Force nous est donc de trouver des solutions pour l’implantation au moins partielle de nos techniques dans les écoles de villes.
 
Le problème est difficile à résoudre : il l’est peut-être moins qu’il y a quelques années parce que le nombre va croissant des instituteurs qui s’intéressent à nos techniques, et que la stérilité de certaines pratiques commence à émouvoir parents et pouvoirs publics. Il est temps de présenter des solutions éprouvées dans des classes-témoins et de susciter les réformes de structure qui s’imposent.
 
L’expérience de notre ami Giligny à Alençon, nous montre qu’il y a beaucoup à faire dans une école de ville, pourvu que puisse se constituer une équipe d’éducateurs Ecole Moderne.
 
Il nous faudra mener campagne dans ce sens en préconisant surtout la création au sein des écoles de villes, d’unités pédagogiques Ecole Moderne, avec des instituteurs consentant d’utiliser ces techniques. La chose n’est plus impossible. A nous de donner le branle.
 
Il nous faudrait pour cela aussi nous appliquer à déboulonner le mythe d’une école de ville qui, malgré ses défauts, ne manquerait pas d’efficience, et que l’Ecole Moderne ne saurait pour l’instant remplacer utilement.
 
Nous hésitons, à tort ou à raison, à entreprendre cette campagne, à dire l’impuissance et la naïveté de la pratique mécanique des leçons et des devoirs, les dangers d’une discipline de passivité qui neutralise toutes les personnalités. Il faudrait étudier si ne va pas croissant le nombre des élèves excédés par un enseignement traditionnel plus mécanique et plus dévitalisé que jamais, et si l’Ecole n’est pas directement responsable de blocages intellectuels, affectifs ou sociaux dont les victimes ne guériront peut-être plus d’un mal mystérieux qui est une raison majeure de dégénérescence.
 
Je crois que nous pourrions et devrions aujourd’hui entreprendre cette campagne dont les instituteurs ne sont nullement responsables, ou du moins pas totalement responsables, mais victimes.
 
Si le mal était connu dans sa vraie réalité, il serait possible alors de lui trouver des remèdes. Et nous nous y emploierions tous ensemble. Nous ne prétendons d’ailleurs pas que nos techniques solutionneraient automatiquement toutes difficultés, Elles seraient certainement en progrès sur les méthodes traditionnelles, ce qui suffirait à en recommander la généralisation.
 
Qu’en pensent nos lecteurs ?
 
4°. Elargissement de nos techniques vers les écoles de pays qu’on dit sous-développés. - Le problème se pose quelque peu différemment. Dans la plupart de ces écoles afflue une population neuve, non encore scolarisée, ou alors les méthodes sont si retardataires qu’on peut les considérer comme inexistantes.
 
Deux solutions s’offrent : les manuels scolaires, les devoirs et les leçons dont nous avons subi l’épreuve dans notre pays ou l’Ecole Moderne, dont tous ceux qui l’ont essayée disent tant de bien.
 
Mais ces écoles sont en général trop pauvres, trop surpeuplées pour qu’on puisse espérer y introduire l’imprimerie ou le travail libre, et ce problème, on le voit, a une inquiétante parenté avec celui de nos écoles de villes. Et pourtant on pourrait prendre déjà dans nos techniques ce qui en est le plus évolué et le plus précieux: le texte libre notamment, les méthodes naturelles et la coopération.
 
Mais le texte libre ne sera efficient que s’il bénéficie d’une motivation minimum. C’est cette motivation qu’il nous faut prévoir, tout comme dans la masse de nos écoles françaises.
 
Voici ce que m’écrit à ce sujet M. Thurière, I.P. à Béjà (Tunisie), ancien adhérent de notre mouvement :
 
« Après un assez long temps, je reviens à la charge pour l’échange d’albums, car c’est, j’en suis persuadé, la seule forme possible ici en raison des particularités de l’enseignement bilingue. Les petits Tunisiens auraient trop de peine à instaurer une correspondance régulière et se trouveraient nécessairement complexés de recevoir des lettres bien rédigées.
 
« L’échange des cours préparatoires ne peut présenter un intérêt suffisant car les élèves tunisiens du C.M. sont en général âgés de 12 à 15 ans ; il y aurait trop de différences.
« On ne peut guère envisager l’imprimerie ni même la rédaction d’un journal tiré au limographe, car la pauvreté est extrême. Il est déjà assez difficile d’obtenir pour tous les enfants cahiers et plumes en quantité suffisante. De plus les classes sont surpeuplées ; l’effectif d’une classe n’est qu’exceptionnellement inférieur à 45. Cependant, beaucoup de maîtres désireraient promouvoir l’expression libre en la motivant au maximum. Je pense que l’album peut répondre à ce but.
« Il s’agit de grouper autour d’un même sujet des textes libres d’enfants. J’ai conseillé d’y ajouter des renseignements géographiques permettant de situer l’école et les enfants.
« Je te joins la première réalisation qui m’est parvenue, c’est encore pauvre mais l’échange doit donner un enrichissement certain. Tu voudras bien faire parvenir cet album à une école qui accepterait de correspondre dans ces conditions. Le rythme pourrait être d’un album tous les deux mois ou tous les trois mois pour commencer ; il pourra devenir mensuel si l’échange suscite l’intérêt. Les enfants de l’école de Sidi Zehili préparent aussi un colis qui sera prêt sous peu.
« Tous attendent beaucoup de l’I.C.E.M.. Je voudrais bien que leur espoir ne soit pas déçu.
« Si la formule te parait intéressante, je pourrais certainement trouver d’autres classes car beaucoup de maîtres s’intéressent aux techniques d’expression libre.
« J’ai aussi deux maîtres qui disposent d’un magnétophone et qui aimeraient échanger des bandes, mais il faudrait qu’ils reçoivent une première bande car ils ne savent guère ce qu’il est possible de faire. J’ai bien reçu une bande de Suisse, mais elle était de faible intérêt, la bande était trop longue, bien trop « récitée » et avec un accent vaudois assez difficile à bien comprendre. Par surcroît, elle était enregistrée à 4,75 cm par seconde alors que la plupart des, magnétophones défilent à 9,5 cm ou 9,5 cm et 1,9 cm ».
 
J. THURIERE.
 
J’ai entre les mains le cahier annoncé. Avec des textes libres, des dessins, des photos, une carte de Tunisie situant l’école ; il me parait pouvoir constituer en effet une base valable pour les échanges.
 
Quels sont les camarades qui, dès maintenant s’inscrivent pour cet échange ? Je transmettrai les demandes à notre camarade.
 
*
 
Mais je me demande si, au point où nous en sommes, il ne serait pas possible de généraliser en France aussi cette pratique de l’album sur la base de textes libres. Je vais déjà lancer l’idée, par B.T.A. parmi les abonnés B.T. qui débordent largement maintenant le cadre de nos adhérents réguliers. Si l’expérience intéresse, nous pourrions en juillet, proposer un questionnaire spécial avec un service nouveau qui opérerait les appariements.
 
Il y a là, me semble-t-il, une première initiative féconde pour pénétrer dans les écoles de villes et les classes des pays étrangers.
 
Dès maintenant, camarades jeunes, faites-vous inscrire.
 
Cet appel aux échanges pourra être intégré dans la grande campagne Ecole Moderne que nous voudrions amorcer.
 
5°. Elargissement vers les C.C., les classes d’orientation, les centres d’apprentissage et le second degré.
 
Il y a dans ce domaine aussi des faits nouveaux que nous ne pouvons pas négliger si nous voulons rester Ecole Moderne :
- La réforme scolaire, amorce d’une démocratisation qui pose des problèmes nouveaux d’acquisition et de culture ;
- Réorganisation des Cours Complémentaires où pénètre d’ailleurs un important noyau de nos actifs camarades.
 
Les conditions sont certes difficiles. Il faut pourtant nous attaquer à la modernisation de ces classes avec textes libres, albums, journaux et échanges, utilisation intensive des B.T., fichiers auto-correctifs etc...
 
Nous avons le vent en poupe dans ce domaine puisque la circulaire dont nous avons parlé dans notre précédent numéro préconise une partie de nos techniques et recommande l’utilisation de nos B.T. ;
 
- Modernisation qui s’impose de la structure et des techniques de travail au second degré.
 
Pour les réalisations d’une meilleure éducation à ces degrés, une collaboration fraternelle entre éducateurs de tous degrés s’impose. Nous l’amorçons dans Techniques de Vie et pensons grouper à St-Etienne un noyau actif d’inspecteurs et de professeurs qui nous aideront dans la réalisation de cette cohésion indispensable.
 
Y A-T-IL UNE CONICEPTION ECOLE MODERNE
DE LAGYMNASTIOUE ?
 
Le camarade Bourdarias, actuellement à Beaumont me communique l’introduction du livre de Yannick Léger, professeur d’E.P.S. : « Les cinq minutes journalières de maintien dans la salle de classe ». (Progression du CREPS de Dinard).
 
« Au moment ou les programmes, dit-il, rendent obligatoires les exercices journaliers de « maintien » - cette forme nouvelle du militarisme - il serait bon d’inviter nos camarades à réfléchir sur la nécessite du maintien dans une, classe Freinet, où l’enfant n’est pas immobile.
« Le fondateur de la méthode Léger, de Dinard, nous fournit lui-même dans l’introduction de son livre, les armes dont nous pouvons faire usage ».
 
INTRODUCTION
 
Les médecins inspecteurs des écoles ont constaté que, selon les régions, 50 à 80 % des enfants d’âge scolaire présentent de mauvaises attitudes ou des déformations vraies. Or en raison des liens étroits qui unissent la morphologie et la physiologie, ce sont les mauvaises attitudes des écoliers, qui préparent les déchéances de l’homme et de la femme de trente ans.
 
Et voici une expérience édifiante à laquelle nous vous convions ::
 
Placez en colonne, et nus, tous les enfants d’un cours Préparatoire. Examinez-les à distance et de profil ; vous êtes choqué par leur ventre généralement trop gros. Faites-leur exécuter un quart de tour et examinez-les de face. Ils sont encore symétriques.
 
Faites la même expérience avec des élèves du Cours Moyen 1re année, de la même école. Vus de profil, les enfants paraissent affaissés, écrasés par un poids imaginaire : les ventres sont moins gros, mais en revanche, le thorax est étriqué, le dos est rond avec des omoplates saillantes, la tête pend. Vus de face, les élèves sont dissymétriques, déséquilibrés, une épaule est plus basse que l’autre, déjà !
 
Pourquoi ? Pourquoi ces enfants de neuf à dix ans, après trois années de pleine croissance, sont-ils plus déséquilibrés, plus laids qu’auparavant, car ils paraissent plus laids d’abord, plus faibles ensuite.
 
C’est parce que depuis trois années seulement ils vont à l’école, ils sont assis six heures par jour – nous pourrions dire huit à dix en comptant les heures des repas, les devoirs, les leçons - assis, courbés ou tordus dans une position vicieuse, dans une immobilité qui est un non-sens quant au développement de leurs muscles, de leurs articulations, de leurs os, Tout organe qui ne fonctionne pas s’atrophie.
 
Avez-vous songé à ce que signifient ces dos ronds, ces thorax fermés, ces ventres relâchés des enfants de dix ans ? Avez-vous pensé à ce que renferment le thorax et le ventre ?
 
Alors supprimons l’école ?
 
Nous ne pouvons le faire. Mais nous pouvons la rendre moins nocive, nous pouvons faire en sorte qu’elle n’entrave pas la croissance des enfants, qu’elle ne favorise pas leur déchéance physiologique. L’enjeu est important. Il faut qu’un instituteur s’y attache.
 
Yannick LEGER.
 
*
 
Nous ne supprimons pas l’école, mais nous supprimons une forme d’école non naturelle, qui institue et cultive la passivité intellectuelle, élément majeur de la passivité physiologique, une école assise qui interdit aux enfants le minimum de mouvements indispensables, une école qui fabrique automatiquement les colonnes vertébrales effondrées et les épaules déséquilibrées.
 
La première réaction de défense aux dangers que présente Y. Léger, c’est donc l’institution d’une école de travail vivant, d’activité libre, de gestes et d’attitudes équilibres : le travail à l’imprimerie, la recherche de documents, l’expérimentation, la gravure, le découpage, la peinture font jouer tour à tour tous les muscles, redresser les bustes et la tête, améliorent la respiration en supprimant la contrainte, cause d’une oppression qui est tout à la fois physique et psychique.
 
Mais en attendant que cette école devienne une réalité, n’y a-t-il donc rien à faire pour corriger les maux nés de la scolastique ?
 
Nous ne voulons certes décourager aucune bonne volonté, et les cinq minutes de, « maintien » ne seraient-ils qu’une pause de relâchement dans une matinée obsédante qu’il faudrait la pratiquer. Mais sans illusion. La gymnastique de maintien sera aussi décevante que la gymnastique corrective non naturelle. L’enfant ne fait pas jouer ses muscles à fond ; il fait semblant comme dans tout travail scolaire, et les résultats n’en seront qu’illusoires.
 
Le danger serait de croire que ces cinq minutes de maintien dans une classe déformante - au propre et au figuré - peuvent avoir une quelconque vertu. C’est l’Ecole que vous vous appliquerez à changer.
 
*
 
On nous a demandé aussi ce que nous pensions de la gymnastique rythmique. Elle est sûrement bienfaisante et aimée des enfants d’ailleurs, dans la mesure justement où elle s’apparente à la mimique et à la danse.
 
Mais il existe une rythmique scolastique comme il y a une danse scolastique. L’enfant n’est plus entraîné par un rythme intérieur qui mobilise tout à la fois ses muscles et son sens artistique. On obtient alors - et j’en ai vu - des poupées animées en face desquelles on dit : « On leur a enseigne la rythmique ! »
 
Nous semblons parfois répondre à côté de la question. Nous y sommes pourtant en plein en ne dissociant jamais le jeu des muscles de la vie qui les anime, les mobilise, leur donne motivation et élan.
 
C. FREINET.
 

 

 

Retour aux Techniques Freinet

Février 1961

Retour aux Techniques Freinet

G. TAMAGNINI
 
 
Voilà déjà dix ans que nous travaillons dans la voie tracée par Freinet. Nous nous y sommes engagés, il faut bien le dire, avec grande circonspection et avec précaution ; nous avons voulu essayer par nous-mêmes, expérimenter, vérifier. Peut-être cette attitude a-t-elle été favorisée par le fait que nous avons toujours été entourés de beaucoup de méfiance. Mais il est vrai aussi que nous-mêmes avons toujours senti le besoin de fournir des documents tirés de notre propre travail, de ne jurer de la parole de personne, de ne rien accepter qui ne soit passé au crible d’une sévère vérification expérimentale.
 
De plus, travaillant sur ce terrain concrètement, expérimentalement, nous étions de plain-pied dans l’esprit des techniques Freinet.
 
Les trois principes fondamentaux qui caractérisent tout le vaste mouvement international qui s’est créé autour de l’œuvre de ce grand pionnier de l’Education moderne, les voici :
 
1°. Le principe de la coopération appliquée à l’Education. - Inutile de nous entretenir sur ce point pour l’éclaircir, étant donné que nous en avons même fait notre enseigne,
 
2°. Ouverture sélective. - Ou mieux, non indifférenciée et tendant à un éclectisme sans relief, mais orientée à tout accueillir et ne retenir que ce qui pourrait apporter une contribution constructive à la solution de nos problèmes et se concilier avec les fins qui inspiraient notre œuvre, de quelque provenance que ce soit.
 
3°. Recherche permanente.- Freinet exprime cela par sa formule « tâtonnement expérimental » qui, en vérité ne me semble pas très heureuse. Par ce « tâtonnement » il semblerait que la recherche soit abandonnée au hasard, alors qu’il n’en est pas du tout ainsi, la recherche est suscitée et guidée dans des buts expérimentaux précis et présuppose toujours une hypothèse. C’est donc, une démarche intelligente et consciente. Ce petit détail mis à part, l’idée en est claire et sans équivoque : on refuse par principe toute forme de méthodologie statique et toute conception dogmatique de l’éducation.
 
Ces principes constituent l’âme des Techniques Freinet et nous les avons trouvés dès le début en parfait accord avec notre façon de voir et de penser ; ils étaient déjà en nous, avant même que nous connaissions Freinet, à l’état de vagues aspirations. Et peut-être cette concordance profonde nous pousse vers lui, mais nous empêche aussi d’en accueillir aveuglément les enseignements. Ce qui fut certainement très bien. Nous avons ainsi reparcouru pas à pas toutes les conquêtes de Freinet ; nous avons fait et refait nous-mêmes les expériences, et toujours avec une attitude critique, essayant toutes les combinaisons possibles, présentant toutes les objections. Freinet nous indiquait avec décision la voie de la pratique, et nous y poussait, mais nous ne nous sommes pas contentés de la technique, nous nous sommes préoccupés très justement de donner une motivation théorique à nos actes. Nous voulions être sûrs que cette pratique réalisât avec cohérence les principes théoriques fondamentaux de la pédagogie moderne. Nous voulions de plus être sûrs de ne pas nous laisser influencer par une forme quelconque de suggestion. Si nous avions accepté ces procédés et non pas d’autres, c’est seulement parce que nous pouvions démontrer que pour eux, nous pouvions atteindre les buts que l’éducation doit se donner comme idéal, de façon plus sûre et plus rationnelle que par n’importe quel autre procédé de notre connaissance.
 
Il était juste et bien d’agir ainsi. Juste et bien pour nous et aussi pour Freinet lui-même, qui ne nous avait certes pas attendus pour donner à ses techniques un fondement théorique et scientifique.
 
Mais nous sommes placés dans une situation historique et dans un contexte différents de ceux où s’est déclenchée et développée l’expérience de Freinet. Il était indispensable d’en reparcourir les étapes et d’en rechercher par nous‑-mêmes les fondements.
 
Le résultat de tout ce travail est celui que depuis quelques années déjà nous avons pu constater (que l’on me pardonne si je répète des choses déjà écrites et dites plusieurs fois) : les Techniques Freinet dans leur ensemble se sont révélées valables ; leur application juste et leur adhérence aux principes de la pédagogie moderne parfaite. Notre travail, que nous pourrions qualifier d’étude comparée, de révision critique n’a apporté aucune modification sensible à la formule substantielle que Freinet avait donnée de ces techniques, quarante ans auparavant.
 
Ce n’est pas pour autant qu’il a été inutile, au contraire, il a été pour nous très utile, voire essentiel : il a d’une part formé une sérieuse validation, que je dirais scientifique, à ce procédé, d’autre part, et ceci ne me semble pas l’aspect le moins important, il nous a formés, il nous a permis de conquérir une vision claire du problème éducatif ; il a déterminé la constitution, autour du « Mouvement » d’un groupe d’éducateurs qui ne sont pas des adeptes empiriques d’une méthode apprise passivement, ni de théoriciens capables seulement d’écrire de doctes articles ou de discourir du haut d’une chaire, mais des personnes en qui la théorie et la pratique - en synthèse dialectique - se concrétisent dans une oeuvre constante, consciente, dynamique, créatrice.
 
Un groupe d’éducateurs, disons-le même au risque de pécher par immodestie, en mesure d’apporter une contribution constructive à la lutte qui doit donner à notre école la vraie, la haute fonction qui lui revient de droit dans la société moderne.
 
Ceci dit, nous devons toutefois faire un examen réaliste de la situation, et si nécessaire, faire une honnête autocritique. Nous devons tout d’abord admettre que nous sommes tous portés par une formation ou déformation mentale à tomber dans les subtilités de la théorie. Il est certainement nécessaire, je le répète, de donner un fondement théorique à notre action si l’on ne veut pas se perdre dans un empirisme mécanique (que de fois ne nous a-t-on pas accusés et ne nous accuse-t-on pas encore de technicisme !) : il ne suffit pas de savoir comment l’on doit faire, il faut aussi être en mesure de démontrer pourquoi l’on doit le faire, ou s’il est préférable d’agir ainsi plutôt que d’une autre façon.
 
Il faut bien connaître les principes qui nous font agir et les buts que nous nous proposons d’atteindre. Mais quand la recherche théorique ne s’accompagne pas systématiquement de la pratique, elle risque facilement de devenir une fin en soi et de se transformer en un goût stérile du raffinement verbal. Quand on prétend donner un fondement à tous les problèmes à l’étude, trouver pour chacun une solution appropriée et concordante avant de passer à l’action, on risque de voir repousser à l’infini l’action elle-même qui en outre, bien qu’elle fût possible, serait vidée de cette valeur créatrice de recherche qui seule la rend expérience : elle se transformerait en simple exécution mécanique, antiéducative par définition.
 
Le rôle de la théorie (du moins en éducation) est d’établir les principes, de donner un fondement scientifique à l’action, de formuler des hypothèses de travail ; non pas de fournir des solutions préfabriquées.
 
Les solutions ne peuvent que jaillir, comme le résultat, de l’action ; seulement alors elles pourront et devront être examinées et jugées par rapport aux principes et aux buts que nous nous étions proposés Et quand de constantes contradictions se révèlent entre pratique et théorie, si la pratique a été menée avec sérieux et compétence, ce n’est pas à elle que nous devons demander des comptes. Cela aussi c’est Freinet qui nous l’apprend (en plus de toute sa science). Je sais que je suis en train de me battre pour une cause gagnée d’avance, mais il n’est pas mauvais de réfléchir à nouveau sur ces vérités.
 
En second lieu il me semble (et là, je rapporte mon impression personnelle) que nous avons trop laissé dans l’ombre notre origine due à Freinet. Et ce pour au moins trois ordres de raisons :
 
1°. - Nous nous sommes un peu trop laissés suggestionner par la méfiance que subit Freinet dans de nombreux milieux de nos mouvements scolaires. Et croyant ainsi faciliter la pénétration de notre influence dans l’Ecole italienne, presque inconsciemment nous avons toujours évité de parier ouvertement des Techniques Freinet, comme si notre travail n’en découlait pas explicitement ou implicitement dans l’esprit et la pratique.
 
2°. - Nous avons toujours craint - et à juste titre - l’accusation de fanatiques d’une méthode, pour laquelle nous avons toujours évité toute forme d’ostentation.
 
3°. - Enfin, le fait de nous rapporter trop souvent à Freinet aurait pu faire croire que notre mouvement lui fût en quelque sorte attaché, et manquât d’autonomie.
 
Mais à présent, certifiant que notre mouvement n’a aucune attache organisatrice avec quiconque, qu’il est absolument autonome et parfaitement libre d’accueillir toutes les techniques et adresses qu’il considèrera en harmonie avec ses propres écrits, certifiant que notre attitude vis-à-vis des Techniques Freinet, comme vis-à-vis de toute autre mouvement didactique, est une attitude scientifique par une critique objective, bien loin de toute ombre de fanatisme ; certifiant enfin par toute notre expérience, a amplement démontré que la voie ouverte par Freinet est bonne, qu’elle est la meilleure de toutes celles que nous connaissons ; il me semble que l’on puisse en tirer une seule conclusion : « Nous ne devons plus craindre de nous déclarer ouvertement adeptes des Techniques Freinet et nous devons travailler pour une application toujours plus parfaite de ces techniques, et pour leur plus vaste diffusion, dans la pleine conscience de mener une juste bataille ».
 
Je termine par un vœu et une invitation. Le vœu que la reprise dynamique dans la vie de notre Mouvement, l’intensification des contacts des échanges, de la correspondance, puisse non seulement favoriser l’élargissement de notre zone d’influence, mais puisse aussi nous permettre de faire bénéficier tous les nouveaux camarades qui viennent à nous de cette atmosphère d’entente fraternelle qui a toujours régné parmi nous. Le nombre toujours croissant rend cette atmosphère moins facile, mais si l’esprit qui nous unit demeure intact, si chaque camarade devient le centre d’un réseau de contacts cordiaux, nous réussirons à sauvegarder une des choses les plus précieuses de toute l’histoire de notre Mouvement. Et ce vœu est très optimiste.
 
L’invitation que je me permets d’adresser aux amis (à moi-même) est le suivant : rapprochons-nous, en toute modestie, de la source dont nous sommes partis : les Techniques Freinet.
 
G. Tamagnini.
 

 

 

Les Brevets à l'école de Buzet (L. et G.)

Février 1961

 

Pour une pédagogie de subtilité (suite)

Février 1961

 

Art enfantin

Février 1961

 

Commission des Maternelles

Février 1961

 

Notre exposition de Saint-Etienne

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Les occasions de calcul

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Voyage échange

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Vie de l'ICEM

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Les anciens modèles de limographe

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Lumière et couleurs

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La céramique à l'école

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L'enseignement des sciences à l'Ecole Moderne

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Du nouveau pour le cycle d'observation

Février 1961