L'Educateur n°3 - année 1959-1960

Novembre 1959

Appel aux parents

Novembre 1959

Si vous désirez construire une maison commode et agréable, vous cherchez un entrepreneur non seulement habile et compétent, mais ayant du goût et aimant son métier.

Et l’entrepreneur vous dira que si on veut de bons ouvriers, il faut les payer et leur permettre de travailler dans des conditions qui les satisfassent.

Ce qui vous paraît juste et normal.

Si vous voulez faire une plantation de pêchers ou de vignes, vous ne vous adressez pas au premier venu, même s'il fait état de diplômes attestant qu’il connaît l’orthographe et l’histoire. Il vous faut un ouvrier qui ait appris, théoriquement et pratiquement, à planter des pêchers et des vignes.

Et vous ne lésinerez pas sur le prix : il y va du sort et de l’avenir de votre plantation.

Si votre auto est en panne, vous n'allez pas frapper à la première porte venue, qu'elle soit d’un droguiste ou d'un opticien. Vous ne demandez même pas le tarif d'avance. L’essentiel est que l'auto démarre et que vous puissiez poursuivre votre chemin.

Mais s'il s'agit de votre enfant, qui vous est cependant plus précieux que la maison, les pêchers ou l’auto, le hasard vous suffit, Vous le conduisez à la grille de l'école sans plus vous informer des possibilités qu’il y trouvera de s’instruire et de s’éduquer, ni s’il aura un instituteur titulaire, ou seulement un débutant désigné là parce qu'il a ses bachots, qui n'a jamais fait classe, qui n’a jamais vu faire classe, et qui saura tout juste appliquer à ses élèves les méthodes dont il a lui-même souffert. La bonne volonté de ce suppléant n’étant d'ailleurs pas en cause. Nous disons seulement qu’elle ne peut pas suffire lorsqu’il s’agit d'un métier aussi important et aussi décisif que celui d'instituteur.

Vous abandonnez votre enfant à la porte de l’école. Comment le traitera-t-on ? Par quelle méthode ? Avec quels produits ? Comme il ne s’agit ni de votre maison, ni de vos pêchers, ni de votre auto, vous ne vous posez même pas la question. S’il est intelligent, vous a-t-on promis, il arrivera. Mais peut-être aussi vous retournera-t-on dans quelques années, un être mal construit, mal formé, ou déformé. Et vous ne maudirez ni l’Ecole, ni l'inadaptation de ses locaux, ni la surcharge des classes, mais le maître qui n'a pas opéré le miracle que vous attendiez.

Et qui est cet instituteur ? Comment travaille-t-il ? Dans quelle atmosphère ? Selon quelles techniques ? Voudriez-vous seulement être à sa place ?

Vous êtes excédé de vos petits diables qui vous font tourner la tête durant tout le jeudi ! Ne vous êtes-vous jamais demandé si par hasard, quarante petits diables semblables ne font pas tourner la tête à l'éducateur ?

Il a des secrets, pensez-vous, pour les faire rester tranquilles ; et la discipline, les punitions. Et si par hasard ce jeune maître ne connaissait pas encore ces secrets et s'il en était réduit à se démener comme vous, à faire front, sans expérience ni directive, jusqu'à en être exténué.

Vous êtes exigeants quant aux résultats, et vous avez raison. Votre enfant doit savoir lire à la fin de l'année, ou entrer en 6e, ou se présenter au Certificat d'Etudes, Mais l'instituteur est-il techniquement en mesure d'obtenir ces résultats ? Dispose-t-il de la place indispensable, des outils et des instruments nécessaires, et pas n'importe quels outils, mais ceux qui donnent goût au travail parce qu'assurant une digne réussite ?

En voilà des questions, direz-vous. Et qui ne sont pas de notre ressort. A l'Education Nationale de garantir une formation satisfaisante. Mais si le service est mal assuré, si l'instituteur est débordé, si les outils dont il dispose sont inefficaces, que fera-t-il ? Et que ferez-vous ?

Si on ajoute que ce même instituteur débutant, qui a peut-être la responsabilité éducative de votre fils gagne moins que votre valet de ferme, ou que l'apprenti boulanger, vous aurez une idée des problèmes vitaux que vous avez à connaître pour essayer de leur trouver une solution.

C'est une entreprise considérable, mais vitale, qui appelle la conjonction compréhensive de tous les ouvriers dévoués de l'éducation de nos enfants.

 

Pour l’organisation et l'activité d'une commission DE PARENTS ÉCOLE MODERNE

Novembre 1959

« Me voilà maintenant dans une école caserne, coincé entre des classes traditionnelles qui ne permettent plus de pratiquer nos techniques et j’en suis désespéré »

« J’ai quarante élèves et pas de place pour installer ma presse. Je ne sais même pas si je pourrai utiliser mon limographe pour sortir un maigre journal scolaire... Je sais et je sens la vanité, pour ne pas dire la nocivité, de la besogne à laquelle je me vois condamné ».

« Mes élèves m'arrivent si excités et si énervés que toute discipline est impossible. Je comprends que certaines maîtresses excédées collent du sparadrap sur la bouche des enfants impossibles ».

Et d'Algérie, un de ces camarades qui s'obstinent à maintenir la flamme nous écrit : « Minimum ici : 45 enfants par classe. A l'école X..., à Z..., une classe de fin d’études fonctionne dans une ancienne écurie avec 70 élèves ».

« Mon fils, dit un père de famille, n’a pas pu s'habituer à la grande masse d’enfants de sa classe. La maîtresse n'a pas pu s'occuper de lui. Comment l'aurait-elle fait avec 42 élèves? Résultat cet enfant se dégoûte de l’école et ne veut plus travailler ».

« Le mien, dit une mère de famille, était intelligent et curieux Mais l'école l'a éteint. A douze ans il a une écriture abominable et il ânonne au lieu de lire, Je suis sûre que dans d'autres écoles, avec moins d'élèves et une meilleure méthode, il aurait été un bon élève normal. Dois-je accepter sans protester le dommage qui nous est ainsi causé, à mon enfant et à nous ? »

 

Ces quelques plaintes synthétisent assez bien les lamentations de la masse des instituteurs astreints à une tâche inhumaine et celles aussi des parents qui sentent d'instinct que quelque chose ne va pas dans la mécanique scolaire, sans qu’ils soient toujours en mesure d'en définir les causes et les responsabilités.

Et tout te monde se tait, comme s'il s'agissait d'une maladie honteuse pour laquelle il faut éviter surtout de faire un bruit qui pourrait dégénérer en scandale. Mais nous arrivons à un moment de l’Histoire où l'impuissance de l’Ecole à s'équiper, s'organiser et se moderniser compromet d'une façon criante et tragique tout le processus d’éducation et de formation des enfants. Il en est de la crise scolaire comme de ces affaires politico-financières qui couvent longtemps, dont, les bouillonnements intriguent les cercles fermés d’abord, la presse et le public ensuite, et qui un beau jour éclatent, lorsqu’il est trop tard. Or, une société peut faire faillite, un ministre démissionner. L'Ecole, elle, devra continuer. Et elle continuera si nous savons avant la crise, déceler le mal et préparer les remèdes.

Les éducateurs à tous les degrés, doivent prendre conscience de ces réalités et étudier loyalement et sans réticence les problèmes qui leur sont posés. Nous travaillons pour ce qui nous concerne, à éveiller cette conscience, à mobiliser les bonnes volontés, à agir dans tous les domaines pour que l’Ecole soit en mesure de former, en l'enfant, comme nous le demandons, l'homme de demain.

Mais notre voix n'aura qu'une audience relative si nous ne parvenons à éveiller aussi la conscience des enfants, et surtout celle des parents, directement intéressés au bon fonctionnement de notre école publique.

Lorsqu'une fabrique de casseroles ou une firme d'autos offre ses modèles au public, c'est celui-ci, en définitive, qui fait la loi en imposant ses besoins et ses exigences. Pour l’Ecole, ce sont les usagers aussi qui doivent avoir les premiers la parole, non pas seulement, comme le font les actuelles associations de parents, pour la défendre de l’extérieur, mais dans sa contexture même, dans ses techniques et dans ses méthodes, dans l'essentiel de sa pédagogie et de sa vie.

Nous approuvons certes la constitution des associations de parents d'élèves. Nous comprenons les réserves que font les éducateurs à l’intrusion dans les processus scolaires, de parents peu compréhensifs qui risqueraient de troubler davantage encore le fonctionnement de leur classe.

Nous ne courons pas les mêmes risques avec les parents de nos élèves, qui sont mêlés davantage à l'activité et à la vie de leurs enfants et qui comprendront mieux en conséquence, le bien fondé et l'urgence de nos revendications.

C’est pourquoi nous avons constitué au sein de notre Institut Coopératif de l'Ecole Moderne, une Commission de Parents Ecole Moderne, qui doivent continuer à adhérer aux Associations de Parents d'Elèves, mais, qui vont de plus, avec nous, étudier les conditions et les modalités d'une action qui doublera et complétera la nôtre, pour que s'instaure une Ecole plus efficiente et plus humaine.

Il ne nous appartient pas de tracer le programme de travail de cette Commission, pas plus que nous ferons le programme de la Commission d'Histoire. Ce sont les participants eux-mêmes qui, par leurs enquêtes et leurs expériences définiront le cadre de leurs recherches et les formes mêmes de leur organisation.

Nous nous contenterons d'indiquer ici quelques-uns des éléments les plus frappants qui motiveront les interventions et l’action des parents Ecole Moderne. Il faudra, dans le Bulletin Mensuel de la Commission, développer ces divers points, apporter des preuves et des témoignages, suggérer des solutions, étudier les formes possibles d'intervention auprès des organismes intéressés. Nous demandons à nos camarades de faire lire le présent appel aux parents de leurs élèves, de le leur commenter, de l’étudier avec eux, de nous communiquer les adresses des personnalités plus particulièrement compréhensives et actives, qui peuvent nous aider à constituer nationalement et départementalement le noyau militant dont nous avons besoin ; de faire adhérer ensuite tous ceux qui pourront du moins appuyer l'action critique et constructive de la Commission.

Quels sont les faits graves qui rendent cette action nécessaire ? Nous nous en tiendrons aujourd'hui aux éléments qui sont de notoriété publique, que nul ne saurait contester, mais qu'on néglige systématiquement d'examiner et de discuter, comme s'ils étaient hors de notre compétence et de notre ressort. Nous apporterons par la suite, après enquêtes élargies, les preuves, les témoignages et les justifications qui feront passer dans le domaine public les revendications essentielles de tous les bons ouvriers de notre mouvement.

1° — Il n'y a aucune entreprise en France qui entasse ses ouvriers et employés au point qu'ils n'aient plus la possibilité de travailler d'une façon intelligente et normale. Seule l'Ecole a ce privilège. Et on s’en accommode.

Il serait pourtant facile de démontrer — et l'unanimité est certaine — qu'aucun travail scolaire sérieux ne peut être fait dans des classes de plus de trente élèves.

Une classe de quarante à cinquante enfants n'est que la plus dangereuse des entreprises de sabotage. Et nous n'avons pas le droit — ce serait folie — de saboter notre capital le plus précieux : l’enfance.

Parents et éducateurs doivent conjuguer leurs efforts pour apporter la preuve irréfutable de ce danger. Nous pourrons alors crier SOS à l'ensemble des parents inquiets.

2°. — Il n'y a aucune entreprise en France qui commette l'erreur mortelle de ne pas donner d'outil de travail, ou de ne donner que de mauvais outils, à son personnel.

Pour l’Ecole, on continue d'employer et de recommander les outils d'il y a cinquante ans, même lorsque le rendement en est manifestement déplorable (on accuse naturellement alors et les éducateurs — ces lampistes — et les enfants eux-mêmes, instables ou dégénérés.)

Qu’on ne s'étonne donc pas ni des malfaçons, ni des fausses manœuvres qui détériorent les mécaniques et suscitent des pannes parfois définitives.

Seulement, ces fausses manœuvres affectent la vie et l’avenir des enfants. Ces pannes, ceux qui en sont victimes seraient habilités à en demander des comptes, et à exiger au moins qu'on en prévienne le renouvellement.

Or, des bons outils existent ; l’ingéniosité des éducateurs en assurera la permanente mise au point et la fabrication. Il suffit d'en crier le besoin.

3°. — Il n'y a aucune entreprise en France — pas même l'armée — qui continue à travailler selon des techniques dépassées par le progrès. Partout la modernisation s'applique à suivre l’évolution économique, technique et sociale. Les expositions nationales et internationales qui se succèdent dans les diverses villes, disent avec une suffisante éloquence, l'ingéniosité des chercheurs et l'audace des fabricants que stimule ce besoin de s'adapter pour augmenter l'efficience du travail humain.

Mais à l’Ecole on continue à apprendre à lire, à écrire et à compter comme on le faisait il y a quatre-vingts ans, même si on est parfois effrayé des insuffisances de cet apprentissage. On expose les leçons, on fait réciter les résumés, on impose les devoirs, on maintient la discipline selon les traditions d’un âge révolu. Ça ne rend pas ; cela rend de moins en moins. On n'en accuse point les méthodes, mais seulement la distraction des élèves ou leur inaptitude à l'effort. Nul n'ose dire qu’on ne saurait enseigner les enfants de l’ère des spoutniks comme on préparait il y a cinquante ans les petits gardeurs de chèvres ou les apprentis cochers.

4°. — Il n'y a aucune entreprise en France qui confie des machines un tant soit peu délicates à des ouvriers ou à des ouvrières qui n’y ont point été préparés et entraînés. II faut avoir suivi les cours d'un centre d’apprentissage pour couper ou coudre une chemise dans une manufacture. Mais on confie des enfants les machines les plus capricieuses — à de jeunes bacheliers auxquels nul n’a donné le moindre conseil. On s'étonne que les parents qui ont fait les frais de ces opérations, ne protestent pas davantage contre de si graves anomalies.

5°. — Il n'y a aucune entreprise en France qui paie ses ouvriers spécialisés à un tarif aussi bas que celui qui est offert aux jeunes instituteurs, ouvriers spécialisés aussi.

Les parents n'ont qu'à s'informer du traitement des débutants pour être fixés.

6°. — Il n‘y a enfin aucune entreprise en France qui puisse imposer sans limitation ni scrupule un travai1 inhumain à ses employés

Les organismes de Sécurité Sociale, et c'est bien ainsi, veillent au respect de règlements qui sauvegardent la santé physique et morale des salariés. Les syndicats eux-mêmes savent, le cas échéant, défendre leurs adhérents ; des précautions rigoureuses sont prises dans les métiers difficiles et insalubres et on sert du lait aux ouvriers menacés d’intoxication.

Pour l'Ecole, aucune de ces précautions, aucune de ces règles n'est valable. L'instituteur est corvéable à merci. Les syndicats d'instituteurs garantissent bien la régularité des heures de service et des normes d'avancement, mais l'éducateur n'a pratiquement aucun recours contre la surcharge de sa classe. Il arrive qu'on entasse quarante élèves dans une salle dont le cubage d'air n'en autoriserait que trente, mais le maître doit s'incliner.

Il n'y a pas suffisamment de sièges… Qu'il se débrouille !

Il n’y a pas d'air, le bruit est insupportable et l'instituteur quitte la classe le soir avec un mal à la tête qui annonce la tuberculose. Maladie professionnelle. Qu'à cela ne tienne : quand il sera malade, il se mettra en congé et ses élèves iront s'entasser en surnombre dans les classes voisines.

La cour est si petite que les minutes de récréation sont une fatigue supplémentaire et une obsession pouf les maîtres comme pour les élèves.

L'Instituteur est sans recours.

Il ne se plaint pas, dira-t-on. C'est donc qu’il est consentant et qu’il accepte.

Il a tort d'accepter.

On lui a dit que le service de l’Ecole a une autre gravité que la chaîne d'une usine, qu'on n'a pas le droit de laisser les enfants à la rue et qu'il est de son devoir de les accueillir coûte que coûte, en attendant mieux.

Mais les difficultés des instituteurs se répercutent inévitablement sur les enfants. Les parents d’élèves sont directement intéressés au sort des éducateurs.

Voilà quelques éléments de base. La Commission en définira d'autres. Tous ces problèmes méritent, du moins nécessitent, d'être posés au grand jour, diffusés, commentés.

Il est impossible que les parents d’élèves puissent rester indifférents à l’exposé des éléments vitaux de l'éducation de leurs enfants. S’ils savent, ils agiront et ils exigeront avec nous des solutions que nous entre voyons, que nous avons étudiées, préparées, expérimentées, mais qui ne deviendront réalité que par l'action unie de tous ceux qui veulent pour les générations à venir, une préparation technique et une éducation dignes du destin et de l'avenir de notre civilisation

C F

Pour adhérer à la Commission des Parents d’élèves Ecole Moderne, prière de s’adresser au responsable M. ERKENS, H.L.M. Champfleury Bâtiment A AVIGNON (Vaucluse)

 

Pour une pédagogie de subtilité

Novembre 1959

 

La plume et l'ange

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Vie de l'ICEM

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A propos de la réforme du C.E.P.E.

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Pour l'organisation du travail scolaire

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Ligue pour la réforme de l'ortografe

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Réalisez vos fichiers scolaires coopératifs

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Le travail des commissions

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Albums d'enfants

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LES LIVRETS DE LECTURE outils d'appoint de la méthode naturelle de lecture

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Les plans de travail

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L'enseignement naturel du calcul

Novembre 1959

Nous avons expliqué à diverses reprises pourquoi et comment nous partons du calcul vivant, lié à la vie, Et les exemples ont été donnés nombreux Ici, de la façon dont procèdent nos camarades pour parvenir à cette initiation élémentaire, qui donne tout à la fois sens mathématique et désir, et besoin d'acquisitions mécaniques.

La chose est relativement simple à la base, surtout lorsqu’on a retrouvé les processus normaux el naturels qui nous mènent sûrement aux acquisitions indispensables, tant en calcul qu'en lecture et écriture.

Si nous pouvions continuer ce calcul vivant au- delà de ce premier apprentissage, ce serait partait. Comme la méthode est idéale quand nous parvenons à rendre vivant l'enseignement du français avec nos grands élèves.

Mais nous ne nous nourrissons pas de théorie et nous nous rendons compte que, dans la pratique, nous parvenons très difficilement à continuer le calcul vivant au-delà du C.E. Il y a certainement de notre faute, vu notre inaptitude à saisir la vie, dominés que nous restons par le formalisme auquel nous avons été formés. Mais nous ajouterons aussi que les conditions actuelles de fonctionnement de l'Ecole, les rigueurs des programmes et des horaires, les traditions qui incitent inspecteurs et parents — qui croient bien faire — à nous faire accélérer les rythmes d’apprentissage, les exigences des examens, font que nous sommes bien vite paralysés et que notre enseignement du calcul tourne court, qu'il abandonne bien vite le chemin de la vie pour s’engager dangereusement dans les voies décevantes de la scolastique

Ce que je dis là ne contredit nullement les belles réalisations de nos camarades. Il est excellent que nous ayons des chercheurs de la classe de Beaugrand qui nous rappellent sans cesse la majesté de la voie royale, qui sont la lumière à laquelle nous tâcherons de revenir à condition que nous ne soyons pas enfoncés trop profondément dans les fourrés de ta scolastique.

A la base donc, il nous faut nécessairement faire acquérir — ou conserver — le sens mathématique, par les problèmes libres et vivants qui sont le pendant en calcul, du texte libre, que nous choisirons pour le mettre au net et l'exploiter au maximum.

Mais à partir d'un certain âge, nous nous trouvons devant le calcul vivant, comme se trouve l’enfant devant sa page blanche, quand il ne connaît pas encore suffisamment de mots et de signes pour s'exprimer. Or, le calcul a son langage, ses mots et ses signes, ses données et ses processus avec lesquels nous devons nous familiariser pour aborder avec efficacité le calcul naturel.

Malheureusement ces données nous manquent, pratiquement. Pour la composition du texte libre, nous avons notre police de caractères et notre dictionnaire. Il nous faudrait l’équivalent pour le calcul, afin de n'être pas obligés de sauter tout de suite du domaine de la précision, qui est le propre du calcul, à celui de la fantaisie, pas même approchée et non mesurable.

C'est cette pauvreté de données qui nous arrête le plus dans le processus d’acquisition naturel du calcul.

Nous encourageons bien nos enfants à se poser les problèmes, mais nous sommes dans l’impossibilité de leur en offrir les éléments. La solution idéale serait certes, celle que nous montre Beaugrand : de mener des enquêtes, de peser et de mesurer nous-mêmes pour assurer l'exactitude de nos données. Mais outre que, seules quelques écoles peuvent actuellement se payer ce luxe expérimental, il faut bien reconnaître que nombre de nos problèmes, pourtant logiques et naturels, sont sans solution possible dans nos classes, faute de précision des données.

L'enfant se pose un problème —qui est pourtant vivant pour lui, mais il ne connaît ni le prix des éléments, ni les tarifs horaires des ouvriers, ni les pourcentages de frais généraux et de pertes.

Et ce qui est plus grave, nous ne les connaissons pas mieux que lui. Alors nous nous embarquons dans le fantaisiste, ce qui est doublement dangereux pour l'enseignement du calcul.

Ces données existent dans l’enseignement traditionnel : ce sont les problèmes de divers types que nous offrent les manuels, Mais elles sont présentées dans un contexte fixé d’avance, sans liaison aucune — si ce n'est trop fictive — avec la vie, un contexte dont nous ne connaissons pas le mécanisme, et dont il nous est pratiquement impossible d'extraire les éléments pour les problèmes que nous posons dont nous aurions intérêt à chercher la solution.

Il nous faut rechercher et préparer pour nos classes modernes les données valables pour le nouvel enseignement du calcul.

Nous avions déjà discuté de la chose lorsqu’il avait été proposé de préparer coopérativement, et d'éditer, un tarif général dans lequel nous puiserions quand nous aurions à bâtir un problème : prix des légumes, du pain, de l’huile, des outils, etc...

Certains camarades avaient objecté alors que c'était là besogne vaine et qui, pis est, irait à l'encontre de notre souci d'information. N'est-il pas préférable, disaient-ils, que les enfants s'informent autour d'eux, enquêtent ou cherchent tout simplement dans le catalogue de Manufrance, qui est le plus complet des tarifs ?

Je crois que ces camarades ont tort. Dans la pratique, nous, adultes, ne procédons pas ainsi. C’est encore un reliquat de scolastique qui nous fait dire à nos élèves : bien sûr, je pourrais vous donner le prix du lait, du sucre, d'une auto ou d'une pompe. Mais ce serait trop simple pour vous. Cherchez donc, prenez de la peine, fouillez... Et quand ils auront fini de fouiller, il sera souvent trop tard pour nous poser et résoudre le problème.

Nous procédons autrement : un problème se pose à nous. Nous voulons acheter un livre ou un appareil scientifique. Notre premier mouvement est de chercher catalogue et outil. Nous avons là les éléments de base qui nous permettront déjà d'envisager les solutions possibles. Mais ces modèles, ces prix, ne sont pas forcément ceux qui nous conviennent. Alors nous nous informons : nous demandons catalogues et tarifs, nous nous informons chez l'épicier ou au marché si les prix donnés sont les nôtres. Mais nous avons eu une première base qui a fixé déjà nos projets.

C'est pourquoi nous envisageons coopérativement la réalisation d'un tarif très complet des éléments courants de notre vie.

En face des prix donnés, qui sont ceux pratiqués en un certain lieu et à l’époque de l'établissement du tarif, nous laisserons un espace libre où nous indiquerons les variantes locales. Le tarif, loin de supprimer recherches et enquêtes, les motivera au contraire exactement comme dans la vie et nous donnera l'occasion, très instructive, de confronter les variantes.

Enfin, nous voudrions aussi que notre tarif ne se limite pas au prix du café, d'une auto ou d'une pompe. Il y a d'autres données pour lesquelles nous avons constamment besoin d'informations et de précisions et qui nous permettront d'élargir considérablement l'éventail de nos problèmes vivants : prix de l'heure des divers ouvriers, prix de base du SMIG, pourcentage des retenues et des majorations d'heures supplémentaires, prix de l'heure d'une machine, d'un bulldozer, rendement moyen des machines, pourcentages de transports, rendement moyen du blé, du vin, prix d’un tablier ou d'une culotte suivant la qualité de l'étoffe, types de vitesses et de distances (voitures, autos, avions, fusées, etc…).

Il nous faut, on le voit, déborder la formule réduite de tarifs pour aborder celles de données, dans lesquelles nous puiserons pour tous nos problèmes et recherches, et qui constitueront à elles seules, si nous les avons contrôlées et mises à jour, une culture mathématique se rapportant à la vie courante et aussi aux sciences, à la géographie, à l'histoire. J'appellerais volontiers cela Self-Calcul. Chaque classe et même chaque élève pourrait avoir son Self-Calcul, qui constituerait pour lui comme une richesse documentaire chiffrée, et qu'il enrichirait et s'approprierait en la vérifiant à même ta vie, et avec les parents.

Il nous sera alors excessivement simple de bâtir des problèmes, comme dans la vie. Je peux calculer rapidement le prix d'un repas, comme le calculerait un restaurant coopératif, en considérant les quantités achetées pour vingt ou trente repas, les prix unitaires et totaux, les pourcentages pour préparation, les salaires des employés, etc.. Je peux établir avec une approximation suffisante, comme le font des entrepreneurs le prix d'une maison de type donné. Toutes choses qui sont les éléments vrais de notre vie, ces problèmes que nous nous posons tous les jours, à chaque tournant de route, et qu'il nous faut résoudre comme nous tâchons de les résoudre dans la vie.

Ce Self-Calcul comporterait évidemment toutes les formules auxquelles nous avons pratiquement recours et pour lesquelles un aide-mémoire nous sera précieux : circonférences, cercles, surfaces et volumes, etc.

Si vous êtes d'accord, mettons-nous au travail immédiatement pour la réalisation de notre Self-Calcul. Envoyez-nous des listes de prix, non seulement pour les articles courants mais aussi pour toutes les notions complexes indispensables, telles que je les suggère ci-dessus.

Nous pommons donner une première liste, qui vous orienterait dans vos travaux, dans notre prochain Educateur.

 

Sur la base de nos BT

Novembre 1959

Pour faciliter le travail pédagogique

SUR LA BASE DE NOS B.T.

 

Notre collection B.T constitue une grande encyclopédie, la plus grande encyclopédie scolaire existant à ce jour. Chacun peut l'utiliser à sa façon, comme on utilise une encyclopédie :

— comme lectures intéressantes sur les sujets qu'on préfère ;

— comme documentation sur les sujets qu'on désire connaître;

— les instituteurs peuvent l’employer pour illustrer et enrichir leurs leçons ;

— comme centres d'intérêts dans les classes

Mais i1 est une autre utilisation que nous recommandons tout particulièrement, dans toute classe, qu'elle soit ou non modernisée : La Conférence.

L’enfant prépare sa conférence comme la prépare un adulte ; il recherche la documentation se rapportant au sujet étudié, lit des textes, tire des photos, fait des enquêtes, interroge les gens autour de lui puis rédige un véritable mémoire, dont l’importance et la présentation varient, certes, avec l'âge et le degré scolaire. II écrit la conférence, on la tape à la machine (un exemplaire est destiné à la classe, un autre aux correspondants, un autre à l’auteur et à ses parents). Il l'illustre par des documents qu'il peut se procurer, cherche et prépare des films fixes à projeter, des disques à diffuser.

Ce travail est par lui-même le plus profitable des devoirs. Il entraîne l'enfant à lire, silencieusement d'abord, à haute voix ensuite ; il l'incite à écrire avec soin et avec goût, il le pousse à comprendre et à approfondir un sujet. C’est le type-même du travail non scolastique qui débouche sur toutes les disciplines et qui peut s’accommoder de toutes les méthodes.

Il est souhaitable certes que ce travail soit poussé jusqu'à son terme, qui en est en même temps la motivation : la conférence faite par l’enfant

Au jour dit, avant la fin de la classe, nous laissons une demi-heure ou une heure pour les conférences. L'enfant vient au bureau. II a préparé d’avance si nécessaire cartes et dessins au tableau, exposition d’illustrations, projections et disques. Il se fait souvent aider par un camarade qui lui sert d'opérateur, et il fait sa conférence ; il lit son texte, lit selon ce qu'il a prévu quelques pages de la B.T. ou d'un autre livre. Puis une discussion s'engage, des questions sont posées, auxquelles l’enfant répond.

Ces conférences peuvent être prévues au cours des leçons correspondantes. Ne craignez pas que ce soit du temps perdu. Une conférence médiocre d’élève vaut souvent une bonne leçon du maître, car, vous le savez, les enfants ont leurs secrets à eux pour expliquer les choses et les auditeurs comprennent mieux ce qui leur est expliqué par leurs camarades que ce qui leur vient du livre ou du maître. C'est déjà pour eux du prédigéré

Pour ce qui concerne l’auteur, le profit est à 100 %. Il y a peu d’activités qui mobilisent ainsi toutes ses possibilités

Mais, évidemment, on ne peut pas faire une conférence sur n'importe quel sujet. L'enfant ne peut pas inventer. II procède en cela exactement comme les adultes : il ne peut parler que de ce qu'il a vu ou de ce qu'il a lu. Et encore faut-il que ce qu’il a vu ou lu soit suffisamment simple pour qu'il l'ait compris, afin de l’expliquer à son tour.

A ce jour, seules nos B. T. permettent ce travail.

Mais, pour cet usage, il manque à ces B. T. un complément que nous nous proposons justement d'inclure désormais dans nos B.T. : le plan de la conférence à faire.

Certes, vous pouvez donner à l’enfant pour une conférence : l’Histoire du Pain, la Construction d'un Pont ou Tchen-lo-Ming

Nos B.T sont de véritables conférences. Mais s'il se contente de lire la B.T., ou de copier ou de lire quelques pages de celle-ci pour montrer de loin des photos que les enfants connaissent déjà, le profit sera réduit et l'intérêt suscité relatif.

Il faut que l’enfant s'approprie le sujet, qu’il le fasse sien, qu’il l’enrichisse, le complète par des recherches et des observations personnelles. Alors, la B.T. sera seulement ce qu’elle doit être : non un digest sur le sujet, mais la base simple de l’étude et de la conférence.

Pour cet élargissement, il est souhaitable que le maître aide et dirige l’enfant, en lui disant les recherche à faire, les livres à compulser, les documents à chercher, les enquêtes à faire, les films à projeter, les disques à entendre.

Mais l’instituteur lui-même sera bien souvent gêné pour donner de but en blanc de telles directives. Il serait évidemment préférable que nous fassions ce travail coopérativement et qu’à chaque B T soit joint un projet de conférence.

C’est ce que nous allons essayer de faire dans les numéros à venir. Si l’entreprise, comme nous l’espérons, s’avère utile et précieuse, nous rédigerons des plans semblables pour les 442 numéros de notre collection et nous aurons du même coup le plus important recueil existant à ce jour, de centres d'intérêts vivants, pratiques ayant tous une base immédiatement utilisable nos B. T.

La seule étude de nos B.T sous cette forme, par approfondissement et enrichissement des thèmes, pourrait suffire à des cours suivis en histoire, géographie, sciences, calcul. Nos B.T. pourraient devenir le centre d’une pédagogie qui même dans les classes difficiles, même celles qui n’ont pas encore pu moderniser leurs outils et leurs techniques de travail, s’appuie tout à la fois sur l’initiative et le travail personnels, dans 1e milieu et sur l'expérience adulte traduite dans les livres, brochures et photographies.

Il nous restera à faire le pont entre ces deux sources en leur donnant le maximum d'efficacité et de vie.

 

Voici à titre d'exemple, et pas forcément de modèle, le plan guide que j'ai établi pour l'élève qui, avec notre B. T. sur la Chine, préparait une conférence,

1. — Prépare au tableau une carte de la Chine, avec les frontières, les grands fleuves et les grandes villes.

2. — Dis l'importance de la Chine pour qu'on comprenne mieux ce que tu as expliqué,

Comparer à la France, à l'Europe, aux USA.

Sa population : comparer

3. — Les changements intervenus en Chine depuis 10 ans

— Cherche des documents montrant comment les Chinois travaillaient et vivaient avant la Révolution d'il y a dix ans.

— Explique quelques-unes des réalisations nouvelles que tu présenteras avec des documents du fichier ou des revues

— Comment on construit les routes.

— Comment on construit les barrages

Pourquoi ces barrages ? Pour l'électricité, pour la culture contre les inondations

4. — Maintenant, explique plus spécialement comment vit l'enfant chinois d'après la B. T.

— La grand-mère (pages 2 et 3)

— La maison chinoise (page 5)

— Comment l'enfant couche

— Comment mangent les Chinois

— Comment on voyageait dans les pousse-pousse

— Les métiers

— L’écriture chinoise

5. — Pour terminer tu pourrais, avec des documents, parle des monuments chinois, des temples de l’acuponcture, et des yoggi.

 

Textes libres, copie et dictée

Novembre 1959

L'Ecole Freinet, qui fonctionne cette année dans des conditions plus normales, reprend et continue son rôle d'école expérimentale — même si le Ministère rechigne à reconnaître ce rôle et à y aider éventuellement. —

Nous sommes bien placés d'ailleurs pour faire ces expériences, puisque notre effectif est presque exclusivement composé aujourd'hui d'enfants de tous âges, avec notamment un lot important d'enfants de onze à quatorze ans qui sont au moins très normalement intelligents mais qui, pour diverses raisons (et l'Ecole traditionnelle y a sa large responsabilité) sont dégoûtés du travail scolaire, ne veulent plus ni lire ni écrire, et sont parfois même rebelles à toute forme de travail.

 

Nous pouvons dire là, en toute certitude, que les méthodes habituelles de l'Ecole ont échoué. Et il y a même plus grave que le simple échec. Il serait inutile et vain d'essayer de remonter la pente avec les mêmes pratiques. Il nous faut — bon gré mal gré — chercher d'autres solutions.

On peut dans certaines classes « normales » avoir l'illusion que les méthodes traditionnelles n'échouent qu'avec certains enfants difficiles. Chez nous, l'illusion n'est plus possible.

El ce sont justement nos techniques qui redonnent à ces enfants, non seulement goût au travail, mais aussi goût à la vie. Ils se détendent ; leurs yeux deviennent vifs ; leur intelligence s’ouvre.

Alors là, dans un tel milieu, nous voyons d'une façon plus flagrante ce qui convient ou ce qui complique la rééducation. Notre Ecole est comme un banc d'essai probant,

Nous ne dirons pas Ici l'importance et la portée de l'expression libre en général et du texte libre en particulier pour fous ces enfants.

Nous nous attaquerons plus spécialement aujourd'hui au mythe de la copie comme moyen d'éducation.

La copie, c'est, on le sait, la technique souveraine de nos classes à tel point qu'on dit couramment : quand l’enfant est capable de copier, on est sauvé. Sous- entendu : le maître est sauvé car il peut, en toutes circonstances, occuper ses élèves,

Nous-mêmes recommandions la copie, par les élèves, du texte mis au net au tableau, comme s'il était admis chez nous que cette copie est un exercice naturel et profitable.

Or, nous constatons que si nos anciens élèves sont capables de copier le texte sans faute et en un temps record comme le ferait un adulte, il n'en est pas de même avec tous nos handicapés. En face de la copie, ils se retrouvent devant le travail scolaire abhorré — le travail de soldat — ils copient péniblement une ligne pendant que nos anciens écrivent deux pages, Et ils font une proportion de fautes incroyable.

Alors que si nous supprimons cette copie, ces mêmes enfants écrivent dans le même temps un texte libre d’une page, et avec un minimum de fautes (c'est ce que j'ai appelé le travail de fiancé). Il n'y a aucune comparaison possible entre les deux formes de travail

Alors, nous supprimons tout simplement la copie ou nous n'en faisons plus qu’accidentellement comme travail particulier d’écriture. Nous remplaçons par textes libres, exploitation pédagogique et conférences.

Nous supprimons en définitive le travail inutile, le travail que nous ne ferions nous-mêmes qu’à contrecœur, en ne lui prêtant donc qu’un minimum d’attention.

Nous avons supprimé de même la lecture du texte libre mis au net au tableau, qui reste trop souvent un exercice scolastique, donc peu profitable, et que nous remplaçons par : lecture, tous les matins, à toute la classe, d’un texte préparé d'avance — pendant ce temps les élèves dessinent — et surtout conférence et conversation au magnétophone. Les résultats nous paraissent étonnamment supérieurs. Nos élèves lisent tous exactement comme lisent les adultes cultivés, intelligemment et sans hésitation.

Certes la copie est commode. Pendant qu’un groupe ou une division copie, on peut s’occuper d’un autre groupe Mais si vraiment le rendement de la copie est inférieur à celui des textes libres ou d’autres travaux motivés, il nous faudra abandonner la copie et mettre au point la technique de travail qui permettra de remplir le vide laissé par l'abandon de cette pratique.

Nous aimerions que les camarades expérimentent de leur côté et nous disent ce qu'ils pensent d'une expérience qui affecte un des rayons essentiels du montage scolastique ta copie.

Nous proposons tout de suite un travail de remplacement dont nous avons déjà éprouvé les avantages : la dictée.

Eh oui ! la dictée si décriée par certains camarades et que nous replaçons au poste d'honneur.

Nous avions constaté depuis toujours que les enfants aiment faire une dictée, qui leur permet de se comparer à eux-mêmes et aux autres. Ils redoutent seulement la dictée si, comme à l'examen du C.E P., les fautes agissent comme des couperets automatiques, entraînant des sanctions graves, Si on supprime ces sanctions, en partant du principe que dans nos classes nos enfants donnent leur maximum de travail, alors reste seulement l’intérêt certain pour une épreuve qui est bien dans la nature de l’enfant.

Mais i1 faut encore apporter au principe de la dictée un autre accommodement, décisif.

La dictée traditionnelle comporte en effet une autre tare. Elle est faite non pour déceler la quantité de mots que l’enfant comprend et sait écrire, mais ceux qu'il ne sait pas écrire.

Selon le processus de tâtonnement expérimental, l'enfant, dans son expression tant parlée qu’écrite, se sert des mots qu'il connaît pour s'exprimer, et non de ceux qu'il ne connaît pas. La richesse de son expression vient de l'éventail des mots dont il a la maîtrise. Il évite les mots inconnus, ou les contourne, ne les introduisant qu'avec prudence dans son langage, par tâtonnement

Avec la dictée habituelle, on opère comme l’auto-école qui ferait faire à ses débutants un démarrage en côte ou un garage le long d'un trottoir, entre deux autos Il échouerait et on lui mettrait une mauvaise note qui le découragerait Au lieu qu’on commence à l’habituer à la conduite, aux changements de vitesse simples. Et ce n'est que lorsque l'élève sera maître de sa conduite qu’on affrontera les manœuvres décisives.

C'est sur des bases nouvelles que nous concevons nos dictées. Nous prenons un texte courant et compréhensible, sans aucun de ces montages dont les examens ont la spécialité. Nous habituons nos enfants à la conduite normale de la machine. Ils apprendront à écrire sans faute les phrases d'un langage courant — lorsqu'il y a un mot ou un verbe qui leur est inconnu nous l’écrivons au tableau — ou l’enfant demande, comme nous le faisons parfois nous-mêmes inconnu il faut deux n ?

C'est comme le processus exact de l'apprentissage du langage et c’est sans doute la raison qui rend ce travail intéressant pour tous les enfants, à tous les degrés. Au C P. ou C.E nous dictons un texte d'enfant, ou un texte libre qui n'a pas été lu le matin, sur lequel nous brodons quelque peu. Ou nous racontons une aventure de la classe. Exactement, comme si nous parlions. Nous faisons ainsi des dictées d'une demi-page ou d'une page

Avec des élèves plus grands, nous prenons tout simplement les pages d'un livre.

Nous faisons ces temps-ci une dictée semblable presque tous les jours dans chacune de nos classes. Elle remplace avantageusement la copie ; elle est facile à organiser, et les profits nous en semblent exceptionnels

Je ne suis pas loin de penser que nous pourrons être en mesure un jour prochain de reconsidérer totalement le travail de nos classes avec lecture et dessin, lecture des textes libres, choix et mise au point, chasse aux mots et grammaire, dictée et calcul.

Essayez vous-mêmes dans vos classes et dites-nous ce que vous pensez de ces initiatives.

 

Questionnaire d'enquête

Novembre 1959

Fichier scolaire coopératif

Novembre 1959