Pour l’organisation et l'activité d'une commission DE PARENTS ÉCOLE MODERNE

Novembre 1959

« Me voilà maintenant dans une école caserne, coincé entre des classes traditionnelles qui ne permettent plus de pratiquer nos techniques et j’en suis désespéré »

« J’ai quarante élèves et pas de place pour installer ma presse. Je ne sais même pas si je pourrai utiliser mon limographe pour sortir un maigre journal scolaire... Je sais et je sens la vanité, pour ne pas dire la nocivité, de la besogne à laquelle je me vois condamné ».

« Mes élèves m'arrivent si excités et si énervés que toute discipline est impossible. Je comprends que certaines maîtresses excédées collent du sparadrap sur la bouche des enfants impossibles ».

Et d'Algérie, un de ces camarades qui s'obstinent à maintenir la flamme nous écrit : « Minimum ici : 45 enfants par classe. A l'école X..., à Z..., une classe de fin d’études fonctionne dans une ancienne écurie avec 70 élèves ».

« Mon fils, dit un père de famille, n’a pas pu s'habituer à la grande masse d’enfants de sa classe. La maîtresse n'a pas pu s'occuper de lui. Comment l'aurait-elle fait avec 42 élèves? Résultat cet enfant se dégoûte de l’école et ne veut plus travailler ».

« Le mien, dit une mère de famille, était intelligent et curieux Mais l'école l'a éteint. A douze ans il a une écriture abominable et il ânonne au lieu de lire, Je suis sûre que dans d'autres écoles, avec moins d'élèves et une meilleure méthode, il aurait été un bon élève normal. Dois-je accepter sans protester le dommage qui nous est ainsi causé, à mon enfant et à nous ? »

 

Ces quelques plaintes synthétisent assez bien les lamentations de la masse des instituteurs astreints à une tâche inhumaine et celles aussi des parents qui sentent d'instinct que quelque chose ne va pas dans la mécanique scolaire, sans qu’ils soient toujours en mesure d'en définir les causes et les responsabilités.

Et tout te monde se tait, comme s'il s'agissait d'une maladie honteuse pour laquelle il faut éviter surtout de faire un bruit qui pourrait dégénérer en scandale. Mais nous arrivons à un moment de l’Histoire où l'impuissance de l’Ecole à s'équiper, s'organiser et se moderniser compromet d'une façon criante et tragique tout le processus d’éducation et de formation des enfants. Il en est de la crise scolaire comme de ces affaires politico-financières qui couvent longtemps, dont, les bouillonnements intriguent les cercles fermés d’abord, la presse et le public ensuite, et qui un beau jour éclatent, lorsqu’il est trop tard. Or, une société peut faire faillite, un ministre démissionner. L'Ecole, elle, devra continuer. Et elle continuera si nous savons avant la crise, déceler le mal et préparer les remèdes.

Les éducateurs à tous les degrés, doivent prendre conscience de ces réalités et étudier loyalement et sans réticence les problèmes qui leur sont posés. Nous travaillons pour ce qui nous concerne, à éveiller cette conscience, à mobiliser les bonnes volontés, à agir dans tous les domaines pour que l’Ecole soit en mesure de former, en l'enfant, comme nous le demandons, l'homme de demain.

Mais notre voix n'aura qu'une audience relative si nous ne parvenons à éveiller aussi la conscience des enfants, et surtout celle des parents, directement intéressés au bon fonctionnement de notre école publique.

Lorsqu'une fabrique de casseroles ou une firme d'autos offre ses modèles au public, c'est celui-ci, en définitive, qui fait la loi en imposant ses besoins et ses exigences. Pour l’Ecole, ce sont les usagers aussi qui doivent avoir les premiers la parole, non pas seulement, comme le font les actuelles associations de parents, pour la défendre de l’extérieur, mais dans sa contexture même, dans ses techniques et dans ses méthodes, dans l'essentiel de sa pédagogie et de sa vie.

Nous approuvons certes la constitution des associations de parents d'élèves. Nous comprenons les réserves que font les éducateurs à l’intrusion dans les processus scolaires, de parents peu compréhensifs qui risqueraient de troubler davantage encore le fonctionnement de leur classe.

Nous ne courons pas les mêmes risques avec les parents de nos élèves, qui sont mêlés davantage à l'activité et à la vie de leurs enfants et qui comprendront mieux en conséquence, le bien fondé et l'urgence de nos revendications.

C’est pourquoi nous avons constitué au sein de notre Institut Coopératif de l'Ecole Moderne, une Commission de Parents Ecole Moderne, qui doivent continuer à adhérer aux Associations de Parents d'Elèves, mais, qui vont de plus, avec nous, étudier les conditions et les modalités d'une action qui doublera et complétera la nôtre, pour que s'instaure une Ecole plus efficiente et plus humaine.

Il ne nous appartient pas de tracer le programme de travail de cette Commission, pas plus que nous ferons le programme de la Commission d'Histoire. Ce sont les participants eux-mêmes qui, par leurs enquêtes et leurs expériences définiront le cadre de leurs recherches et les formes mêmes de leur organisation.

Nous nous contenterons d'indiquer ici quelques-uns des éléments les plus frappants qui motiveront les interventions et l’action des parents Ecole Moderne. Il faudra, dans le Bulletin Mensuel de la Commission, développer ces divers points, apporter des preuves et des témoignages, suggérer des solutions, étudier les formes possibles d'intervention auprès des organismes intéressés. Nous demandons à nos camarades de faire lire le présent appel aux parents de leurs élèves, de le leur commenter, de l’étudier avec eux, de nous communiquer les adresses des personnalités plus particulièrement compréhensives et actives, qui peuvent nous aider à constituer nationalement et départementalement le noyau militant dont nous avons besoin ; de faire adhérer ensuite tous ceux qui pourront du moins appuyer l'action critique et constructive de la Commission.

Quels sont les faits graves qui rendent cette action nécessaire ? Nous nous en tiendrons aujourd'hui aux éléments qui sont de notoriété publique, que nul ne saurait contester, mais qu'on néglige systématiquement d'examiner et de discuter, comme s'ils étaient hors de notre compétence et de notre ressort. Nous apporterons par la suite, après enquêtes élargies, les preuves, les témoignages et les justifications qui feront passer dans le domaine public les revendications essentielles de tous les bons ouvriers de notre mouvement.

1° — Il n'y a aucune entreprise en France qui entasse ses ouvriers et employés au point qu'ils n'aient plus la possibilité de travailler d'une façon intelligente et normale. Seule l'Ecole a ce privilège. Et on s’en accommode.

Il serait pourtant facile de démontrer — et l'unanimité est certaine — qu'aucun travail scolaire sérieux ne peut être fait dans des classes de plus de trente élèves.

Une classe de quarante à cinquante enfants n'est que la plus dangereuse des entreprises de sabotage. Et nous n'avons pas le droit — ce serait folie — de saboter notre capital le plus précieux : l’enfance.

Parents et éducateurs doivent conjuguer leurs efforts pour apporter la preuve irréfutable de ce danger. Nous pourrons alors crier SOS à l'ensemble des parents inquiets.

2°. — Il n'y a aucune entreprise en France qui commette l'erreur mortelle de ne pas donner d'outil de travail, ou de ne donner que de mauvais outils, à son personnel.

Pour l’Ecole, on continue d'employer et de recommander les outils d'il y a cinquante ans, même lorsque le rendement en est manifestement déplorable (on accuse naturellement alors et les éducateurs — ces lampistes — et les enfants eux-mêmes, instables ou dégénérés.)

Qu’on ne s'étonne donc pas ni des malfaçons, ni des fausses manœuvres qui détériorent les mécaniques et suscitent des pannes parfois définitives.

Seulement, ces fausses manœuvres affectent la vie et l’avenir des enfants. Ces pannes, ceux qui en sont victimes seraient habilités à en demander des comptes, et à exiger au moins qu'on en prévienne le renouvellement.

Or, des bons outils existent ; l’ingéniosité des éducateurs en assurera la permanente mise au point et la fabrication. Il suffit d'en crier le besoin.

3°. — Il n'y a aucune entreprise en France — pas même l'armée — qui continue à travailler selon des techniques dépassées par le progrès. Partout la modernisation s'applique à suivre l’évolution économique, technique et sociale. Les expositions nationales et internationales qui se succèdent dans les diverses villes, disent avec une suffisante éloquence, l'ingéniosité des chercheurs et l'audace des fabricants que stimule ce besoin de s'adapter pour augmenter l'efficience du travail humain.

Mais à l’Ecole on continue à apprendre à lire, à écrire et à compter comme on le faisait il y a quatre-vingts ans, même si on est parfois effrayé des insuffisances de cet apprentissage. On expose les leçons, on fait réciter les résumés, on impose les devoirs, on maintient la discipline selon les traditions d’un âge révolu. Ça ne rend pas ; cela rend de moins en moins. On n'en accuse point les méthodes, mais seulement la distraction des élèves ou leur inaptitude à l'effort. Nul n'ose dire qu’on ne saurait enseigner les enfants de l’ère des spoutniks comme on préparait il y a cinquante ans les petits gardeurs de chèvres ou les apprentis cochers.

4°. — Il n'y a aucune entreprise en France qui confie des machines un tant soit peu délicates à des ouvriers ou à des ouvrières qui n’y ont point été préparés et entraînés. II faut avoir suivi les cours d'un centre d’apprentissage pour couper ou coudre une chemise dans une manufacture. Mais on confie des enfants les machines les plus capricieuses — à de jeunes bacheliers auxquels nul n’a donné le moindre conseil. On s'étonne que les parents qui ont fait les frais de ces opérations, ne protestent pas davantage contre de si graves anomalies.

5°. — Il n'y a aucune entreprise en France qui paie ses ouvriers spécialisés à un tarif aussi bas que celui qui est offert aux jeunes instituteurs, ouvriers spécialisés aussi.

Les parents n'ont qu'à s'informer du traitement des débutants pour être fixés.

6°. — Il n‘y a enfin aucune entreprise en France qui puisse imposer sans limitation ni scrupule un travai1 inhumain à ses employés

Les organismes de Sécurité Sociale, et c'est bien ainsi, veillent au respect de règlements qui sauvegardent la santé physique et morale des salariés. Les syndicats eux-mêmes savent, le cas échéant, défendre leurs adhérents ; des précautions rigoureuses sont prises dans les métiers difficiles et insalubres et on sert du lait aux ouvriers menacés d’intoxication.

Pour l'Ecole, aucune de ces précautions, aucune de ces règles n'est valable. L'instituteur est corvéable à merci. Les syndicats d'instituteurs garantissent bien la régularité des heures de service et des normes d'avancement, mais l'éducateur n'a pratiquement aucun recours contre la surcharge de sa classe. Il arrive qu'on entasse quarante élèves dans une salle dont le cubage d'air n'en autoriserait que trente, mais le maître doit s'incliner.

Il n'y a pas suffisamment de sièges… Qu'il se débrouille !

Il n’y a pas d'air, le bruit est insupportable et l'instituteur quitte la classe le soir avec un mal à la tête qui annonce la tuberculose. Maladie professionnelle. Qu'à cela ne tienne : quand il sera malade, il se mettra en congé et ses élèves iront s'entasser en surnombre dans les classes voisines.

La cour est si petite que les minutes de récréation sont une fatigue supplémentaire et une obsession pouf les maîtres comme pour les élèves.

L'Instituteur est sans recours.

Il ne se plaint pas, dira-t-on. C'est donc qu’il est consentant et qu’il accepte.

Il a tort d'accepter.

On lui a dit que le service de l’Ecole a une autre gravité que la chaîne d'une usine, qu'on n'a pas le droit de laisser les enfants à la rue et qu'il est de son devoir de les accueillir coûte que coûte, en attendant mieux.

Mais les difficultés des instituteurs se répercutent inévitablement sur les enfants. Les parents d’élèves sont directement intéressés au sort des éducateurs.

Voilà quelques éléments de base. La Commission en définira d'autres. Tous ces problèmes méritent, du moins nécessitent, d'être posés au grand jour, diffusés, commentés.

Il est impossible que les parents d’élèves puissent rester indifférents à l’exposé des éléments vitaux de l'éducation de leurs enfants. S’ils savent, ils agiront et ils exigeront avec nous des solutions que nous entre voyons, que nous avons étudiées, préparées, expérimentées, mais qui ne deviendront réalité que par l'action unie de tous ceux qui veulent pour les générations à venir, une préparation technique et une éducation dignes du destin et de l'avenir de notre civilisation

C F

Pour adhérer à la Commission des Parents d’élèves Ecole Moderne, prière de s’adresser au responsable M. ERKENS, H.L.M. Champfleury Bâtiment A AVIGNON (Vaucluse)