L'Educateur n°3 - année 1957-1958 - Edition Culturelle

Novembre 1957

Les Dits de Mathieu - les souliers des soldats

Octobre 1957

Les idées qu’on nous offre à l'école, c’est comme les souliers qu'on nous donnait au régiment.

S’ils étaient neufs, ils avaient l’inconvénient de la fabrication en série et n’étaient point faits pour s’adapter aux pieds des soldats. Selon la théorie de l'armée : ce sont les pieds qui doivent s’adapter aux souliers. Nous avions beau graisser et assouplir le cuir, ils n’en restaient pas moins des souliers étrangers à notre marche et qui imprimaient à notre allure et à notre façon d’appuyer timidement le talon, des marques qui étaient à la mesure de notre dressage et de notre servitude.

Ou bien nous devions nous accommoder de souliers usagés. Ce n’était pas l’usure qui nous gênait mais plutôt les marques que d'autres pieds avaient inscrites dans les replis du cuir et dont nous héritions.

Les idées sont comme les souliers : si elles ne sont pas formées à notre esprit et à notre vie, si elles ne sont pas notre œuvre, elles nous gênent ¡et nous blessent jusqu’à ce que nous nous les soyons appropriées, si nous y parvenons jamais.

Il n'y a pas plus empêtré qu’un homme aux souliers neufs. Il n'y u pas plus maladroit que quiconque manie les idées des autres.

Il n'y a pas pire humiliation que de porter des chaussures de rencontre.

Hélas ! les hommes se glorifient de leurs idées de rencontre et l’Ecole n'est qu’un magasin d’essai des expériences et des idées qui traînent lamentablement, dépareillées, racornies, rongées de gouttières que notre bonne volonté ne parviendra jamais à redresser.

Il y aurait la solution du « sur mesure ». Elle a contre elle la longueur et la minutie des essais, la nécessité pour l’entreprise de varier les moules et de les adapter sans cesse aux exigences d’une vie qui est mouvement et croissance. Elle permet seule pourtant les longues marches, l’esprit libre et la tête riche, vers les destins entrevus, et les lentes ascensions jusqu'au soleil levant des sommets.
 

 

Les idées germent et fleurissent

Octobre 1957

C'est l'heureuse constatation que nous faisons au moment où nous sortons notre premier Educateur Culturel, on d’aucuns se demandent même si cet Educateur Culturel est utile, et s’il ne serait pas plus sage d’apporter exclusivement aux jeunes la documentation technologique qui leur permettra d’affronter l’indispensable reconsidération des techniques de travail.

Il nous faut faire l’un et l’autre : il nous faut le travail nouveau qui va asseoir dans l’esprit des maîtres et des parents de nouvelles conceptions pédagogiques, et il nous faut aussi les idées simples et de bon sens qui sont comme l’humus qui fertilisera les techniques.

Il fallait qu’on sache qu’une nouvelle qualité d’homme est possible et souhaitable ; elle porte en même temps témoignage de la valeur de l'humus. Ce sont comme deux manifestations de la vie qui ne sauraient être séparées l’une de l’autre, ou l’une négligée au profit de l’autre.

Et c’est ainsi, par cette double voie, que nous nous sommes lancés avec grand dynamisme, sur un certain nombre de pistes où nous avons désormais marqué notre trace.

On sait aujourd’hui qu’on ne travaille pas en 1957 comme on travaillait en 1900. La notion de fossile a pris corps en pédagogie. Et nul ne veut être un fossile. Alors, même lentement, on ira de l’avant.

On sait aujourd’hui que le métier d’éducateur comme tous les métiers se fait à base d'outils et de techniques de travail, plus que par vain verbiage.

L’équipement de l’école pour le travail est commencé.

On sait que ce travail n’est pas possible si certaines conditions de base ne sont pas remplies. Notre mot d’ordre de 25 enfants par classe a fait son chemin, même officiellement, et les éducateurs commencent à se sentir à l’étroit dans des classes faites pour d’autres méthodes. La notion de fosse aux ours marque une époque.

On sait qu’il y a désormais un autre départ pour la formation et l’instruction des individus que les leçons et les devoirs des adultes.

Ce point de départ c’est l'expression libre dans tous les domaines. Le prochain Congrès de Paris dira comment ce point de départ suppose et permet une totale reconsidération dont on n’a pas encore mesuré tous les effets.

— On sait que l’Ecole, comme l’usine, devrait donner un certain rendement et que ce rendement est insignifiant, catastrophique. C’est comme si rien ne marquait sur l’esprit de l’enfant de toute l’action de l’Ecole, comme si l’instituteur était voué à une tâche vaine.

— C’est parce que nous donnons à nos classes un but et des motivations nouvelles que nous marquons d’une façon définitive l’âme et la vie de l’enfant. Resterait certes à reconsidérer les examens qui ne sont plus chez nous que de fausses mesures, fonctionnant d’ailleurs en 1957 comme en 1900.

— On ne sait pas encore assez que l’enfant, comme l’animal, comme le bébé, a besoin, pour croître, de la chaleur maternelle, de la chaleur aidante aussi du milieu ambiant.

Pendant des siècles, l’éducation a été systématiquement froide, «désintéressée », désintégrée pourrions-nous dire. C’était comme une fonction distincte de l’individu qui s’exerçait en un lieu volontairement isolé de la vie, et où se formait « la culture ».

Aucun arbre ne pousse s’il n’enfonce ses racines dans un sol riche et profond. Il dépérit s’il n’a pour assurer sa durée qu’une mince couche de terre rapportée que la sécheresse rendra bien vite stérile.

A cette éducation désintégrée, nous substituerons la vie, avec ses éléments majeurs de sang qui circule de la terre nourricière jusqu’aux éléments nobles de l’individu, de chaleur affective qui suscite le climat sans lequel toute pousse s’étiole, de rapports intimes et sensibles entre individus, société et milieu.

Ce circuit de vie, c’est notre texte libre qui en est comme la cellule essentielle, et c’est lui que nous aurons l’occasion d’étudier plus attentivement pendant la période qui commence, de préparation du Congrès.

Nous voudrions dès aujourd’hui commencer une enquête à laquelle nous convions l’ensemble de nos camarades français et étrangers.

Le texte libre et l’affectivité

Il y a, dans la masse des textes que nous apportent nos élèves, comme dans la masse des dessins et des modelages d’ailleurs, de nombreuses productions qui ne sont que des transcriptions trop objectives de pensées, de rêves et de réalités. C’est l’écolier qui les a produites, selon un dangereux reliquat des normes de l’école. Il décrira fort bien, selon les canons traditionnels, une scène de labour ou un accident d’auto. Ce sera peut-être précis et méthodique, avec peut-être un début d’art objectif lui aussi. Mais vous ne sentirez point vivre à travers ces graphismes trop léchés, les pensées et les drames, le destin de l’enfant.

C’est pourtant vers cet aspect révélateur et significatif du texte libre qu’il faut nous orienter et nous allons nous y employer.

Pour l’instant, parlez à la chasse, parmi vos productions présentes ou passées, de tous les textes, de tous les graphismes où se devine, où s’inscrit, peut-être encore mystérieusement, l’expression vivante de l’enfant. Retenez et envoyez-nous, même non mis au net, les textes et les dessins qui ne vous paraissent pas indifférents et que l’auteur a consciemment ou non signés de sa main, parce que lui seul pouvait les produire.

Ce que peuvent signifier ces textes et dessins libres : c’est votre quête qui nous le dira. Nous aurons sûrement des textes qui expriment la sensibilité et le goût artistique de l’enfant, d’autres qui nous permettront de soulever discrètement le voile du subconscient ; nous sentirons affleurer les drames personnels et les drames familiaux. Nous apprendrons mieux ainsi, et nous vous enseignerons donc à lire ce livre secret de l’enfance, à en découvrir les pages d’abord, et les signes, à éliminer les barrages et les interdits qui limitent dangereusement l’expression libre. Nous déclencherons ainsi le grand courant affectif qui existe depuis toujours, mais qui circule plus ou moins difficilement sous les sables, qui bouillonne parfois, et éclate sans que nous sachions d’où naissent des remous que nous nous appliquons à réprimer.

Pour la grande campagne que, à l’occasion du Congrès, nous voulons mener en faveur de l’expression libre, il nous faut une imposante moisson de documents révélateurs, qui n’a jamais été amorcée, dont nous seuls avons rendu possible la collecte. Au travail donc pour des envois copieux

(Des photos des élèves eux-mêmes pourront, en certains cas, faciliter les démonstrations attendues).

Et parmi tant de projets à venir, nous aurons aussi à apporter une réponse à de nombreux maîtres et parents qui nous disent et nous écrivent : « Par l’expression libre, vous lancez vos enfants sur des voies de facilité, où ils n’auront plus jamais l’occasion de « faire effort ».

« Faire effort », c’est s’astreindre sans drame — du moins apparent - au travail forcé exigé par l’école. C’est, la classe finie, accepter les deux heures de devoirs sans lesquels s’écroule le château de cartes scolaire. On a supprimé les devoirs à la maison en France, mais la Suisse, où je viens de passer quatre jours, croirait déchoir si les enfants n’étaient pas contraints à faire effort après la classe.

« Faire effort », c’est ne pas rêver quand le maître fait une leçon rébarbative, et ne pas s’esquiver quand il impose les exercices d’application, c'est apprendre les formules et les dates exigées par les programmes et les manuels.

Comme s’il n'y avait pas d’autres qualités d’efforts autrement sains et productifs.

Nous répondrons à nos amis suisses : est-ce que l’instituteur, sa journée finie, s’astreint à deux heures de travail ennuyeux? Ou ne sent-il pas lui-même combien ce genre d’efforts l’excède et le vide. C’est, comme une machine qui peine à accomplir ses révolutions et au sein de laquelle ne se font plus normalement les circulations d’huile, d’air et de gaz. La machine s’étouffera, se grippera, et ce sera la panne.

Il y a une autre qualité d’effort qui est celui de notre cœur qui peut battre sans crise ni douleur pendant 100 ans, l’effort de l’ouvrier sur son échelle et du paysan dans ses champs. Ils savent que le coup de collier, pour les hôtes comme pour les gens, ne saurait être qu’accidentel et nécessite un temps de repos pour remettre en ordre les éléments désaxés.

Nous dirons que cette notion d’effort est liée ataviquement à celle de souffrance et de douleur. On ne conçoit pas encore, pour les hommes, une destinée qui ne soit pas marquée du sceau de la servitude, de l’humiliation et de la souffrance et, consciemment ou non, ou prétend former les enfants à cette servitude et à cette souffrance.

Nous voulons montrer par notre exemple de vie et de travail scolaire, qu’une autre forme de société est possible, et cela dès l’enfance, la société coopérative d’où sera exclue l’exploitation de l’homme par l’homme, et nous voulons apporter la preuve que l’enfant et l’homme peuvent trouver dans l’ardent et pacifique combat de la vie, des motivations suffisamment puissantes pour susciter l’effort sain et voulu qui formera les individus pour leur véritable destinée de chercheurs et de créateurs.

Il nous reste à persuader maîtres et parents que le travail forcé rend fous ceux qui y sont condamnés. Il nous faut aider à l’éclosion d’une nouvelle pensée sociale et d’une nouvelle morale.

Il nous faut réaliser l’Education du Travail.

 

Chronique de la fosse aux ours - "Du sang, du sang"

Octobre 1957

 

XIVème congrès de l'Ecole Moderne

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JOURNEES D'ETUDES pour les Centres d'Apprentissage

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La conférence mondiale des enseignants à Varsovie

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Voyage en Suisse

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UN FORUM DE L'ECOLE DES PARENTS, A MORGES

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Retour de Chine populaire

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La santé

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Correspondances Internationales

Octobre 1957