L'Educateur n°2 - année 1956-1957 - Edition Culturelle

Octobre 1956

DITS DE MATHIEU - Une école d'humanité

Octobre 1956

Si vous voyez dans un cirque un chien faire le beau et sauter dans un cerceau, vous vous écriez : « Quelle intelligence ! » Si la chèvre dit bonjour et merci en levant la patte, vous vous émerveillez. Et vous auriez tendance à croire que toute l’intelligence des bêtes est incluse dans ces gestes qui, en définitive, sont surtout le résultat d’un patient dressage pour des buts limités et spectaculaires.

Mais que diriez-vous de mon Labri qui me suit, pensif et réfléchi, qui comprend mes paroles et mes gestes et sait subtilement mesurer ses aboiements à l’harmonie du troupeau ? Et des brebis qui, lancées sans berger dans la montagne, retrouvent à l’expérience les grandes lois de la sécurité et de la vie ? Chaque bête n’est-elle pas intelligente à sa manière pourvu qu’on ne lui bouche pas les chemins qui mènent à cette intelligence ?

Et chaque enfant n’est-il pas, lui aussi, intelligent à sa manière à condition qu’on le laisse expérimenter et créer dans les directions qui lui sont favorables ?

Sur ses pistes spécialisées, l’Ecole cultive une forme d’intelligence, explicative et discursive, qui a certainement ses vertus, peut-être supérieures, mais qui n’est pas la seule manifestation de l’intelligence humaine. Mes confrères les bergers ne sont pas allés loin dans la scolastique mais ils considèrent avec tous leurs sens ouverts, et avec une philosophie souvent supérieure, la vie et le comportement de leurs bêtes dans une nature dont ils apprécient la rigueur et la beauté. Le menuisier ne sait pas chiffrer ses devis mais voyez avec quel art son œil et ses mains peuvent plier la matière aux exigences de son métier. Et l’ouvrier, à sa machine, participe magistralement aux constructions exaltantes qui sont comme les manifestations tangibles du génie de l’Homme.

Le bon sens populaire ne s’y trompe pas lorsqu’il voit les vedettes du commerce, du sport, du chant, du cinéma ou de l’Art monter en flèche vers la renommée : « Ce ne sont pas, dit-on, ceux qui sont les plus savants en classe qui réussissent le mieux dans la vie. »

Votre rôle n’est point de tirer des rangs les personnalités privilégiées qu’auraient sélectionnées, pour une fausse culture, des épreuves scolastiques, mais de développer en chaque individu la forme d’intelligence qui lui est spécifique et qui permettra aux cultivateurs, aux mécaniciens, aux comptables, aux médecins et aux hommes de sciences, aux sportifs, aux musiciens et aux artistes d’œuvrer avec un maximum d’efficience et de succès.

A la pédagogie du lire, écrire, compter vous substituerez « Par la vie, pour la vie », selon la formule décisive de Decroly, cette Ecole d’Humanité dont rêvait déjà notre maître Pestalozzi et dont les éducateurs modernes feront la réalité de demain.

 

 

 

 

L'Educateur, edition pédagogique et culturelle

Octobre 1956

 

Vers une méthode naturelle de calcul

Octobre 1956

La rénovation scolaire que nous poursuivons depuis 30 ans s’est cantonnée d’abord au domaine presque exclusif du Français. A tel point que, pendant longtemps, on a cru que les Techniques Freinet n’étaient applicables que pour cet enseignement.

Il faut dire que nos efforts n’ont pas été vains, que texte libre, méthode naturelle de lecture, exploitation pédagogique sont devenus officiels et qu’une portion importante du personnel s’y essaie avec succès.

Nous nous sommes préoccupés ensuite de l’enseignement de la géographie, des sciences et, depuis quelques années, de l’histoire. Nous ne prétendons pas, pour ces disciplines, avoir fait triompher tous nos points de vue. Nos expériences ont cependant été suffisamment probantes pour qu’une méthode apparaisse qui ira s’affirmant et s’imposant.

Jusqu’à ces dernières années, nous n’avons absolument rien tenté en calcul, comme si nous étions satisfaits de l’enseignement traditionnel qui reste roi, ou si nous jugions que, dans ce domaine de la technique et du nombre, la liberté, la spontanéité, la motivation ou l’affectivité ne sauraient jamais dominer des méthodes qui ont fait leurs preuves.

Nous avons donné le branle, il y a trois ans, avec la publication de la brochure de Lucienne Mawet, « Le Calcul Vivant », dont nous ne saurions trop recommander la lecture, et qui a été le point de départ de très nombreuses expériences dont nous avons donné des échos dans « L’Educateur ».

Ces échos, ces expériences ont débordé le cadre de notre mouvement. Et les officiels sentent bien que des solutions nouvelles sont indispensables. On en discute dans les conférences pédagogiques. On en parlera cette année encore.

Nous voudrions ici apporter à ces discussions tout à la fois une méthode et un aliment afin d’amorcer pour la pédagogie mathématique les solutions rationnelles et justes de demain.

Les processus d’acquisition et de culture

A la base de nos techniques, il y a une sorte de pétition de principe qui est comme le pivot de notre reconsidération pédagogique : le processus d’acquisition et de culture.

Pour l’Ecole traditionnelle, cette acquisition se fait sur la base des leçons et des devoirs, par un apprentissage- « méthodique » apparemment scientifique. On a appliqué, pour cet apprentissage, les principes mécaniques en honneur dans les conceptions pédagogiques du début du siècle : si nous connaissons parfaitement la matière, la forme, la place et la fonction des diverses pièces d’une bicyclette et si on nous en enseigne l’agencement, nous connaîtrons la bicyclette. Sous-entendu : nous saurons nous en servir. Raisonnement faux pour la bicyclette, car de savoir démonter et remonter un mécanisme, n’enseigne nullement ni la direction ni l’équilibre. Il y faut un autre apprentissage expérimental, qui est sans rapport avec la mécanique et qui procède globalement par la vie et l’action.

On peut connaître de même les pièces qui constituent la phrase, en définir la nature et la fonction, savoir remonter ces pièces grammaticalement et rester incapable d’exprimer d’une façon correcte et vivante ce qu’on a à dire. Cette acquisition, nous l’avons montré, se fait exclusivement par l’expérience active, indépendamment des connaissances mécaniques avec lesquelles elle n’a que des rapports formels et scolastiques.

On peut connaître au même titre la nature et la fonction des nombres et leur agencement mécanique, savoir remonter les pièces pour que la machine tourne sans accroc, et ne rien comprendre aux mathématiques qui sont assises sur des bases culturelles autrement éminentes.

Je sais bien que lorsque nous formulons de telles vérités, nous soulevons l’opposition et l’ironie de tous les scientistes — et ils sont la presque unanimité — qui crient au sacrilège. Nous n’en serons pas émus outre mesure si nous nous rappelons — et rappelons — qu’il y avait de même, il y a trente ans, l’incompréhension générale, et unanime, de tous ceux qui ne pouvaient admettre que l’enfant puisse écrire des textes valables avant d’avoir étudié laborieusement les règles et les lois de l’expression écrite.

Nous ne prétendons même pas confondre l’opposition par des arguments de bon sens et de logique. Nous y parviendrons seulement, là aussi, quand nous pourrons faire la démonstration pratique, dans nos classes, que nos enfants parviennent, par nos méthodes, à mieux dominer les mathématiques que par les voies scolastiques ; quand nous aurons montré pratiquement la valeur et la supériorité de nos nouvelles techniques de travail.

Nous commençons seulement, cette démonstration ; nous faisons nos premiers pas, à la recherche d’une Technique de Travail dont nous connaissons le sens et l’orientation. La présente étude devrait d’abord nous aider nous-mêmes à assurer notre démarche. Nous voudrions qu’elle amorce des recherches et une discussion à un niveau plus élevé que celui de la plupart des études pédagogiques rétrécies à l’examen des techniques. Par-delà l’étude de la mécanique, il nous faut savoir selon quelles méthodes l’enfant apprendra le plus vite à aller à bicyclette.

Les connaissances sont nécessaires

Cette opposition si radicale entre mécanique scientiste et pratique de la vie risque cependant de prêter à malentendu et de laisser croire que nous retournons paradoxalement à un empirisme qui a peut-être ses vertus, mais dont les dangers et les erreurs sont aussi manifestes.

Nous ne disons pas que la connaissance mécanique est inutile et qu’il faut la supprimer. II ne nous viendrait jamais à l’idée d’affirmer que le cycliste n’a pas besoin de connaître le fonctionnement de sa machine et que l’automobiliste n’a que faire de notions précises sur la vie de son moteur et l’agencement des pièces maîtresses de l’auto.

L’expression écrite utilise des mots qu’il est nécessaire de bien connaître si on veut s’en servir comme piliers sûrs pour les constructions à venir. Et le calcul lui-même serait vite rétréci dans ses élans s’il n’avait à son service les symboles nés d’une longue expérience et que nous devons apprendre à manier en prévision des pannes et des accrocs. Sans l’appoint de ces symboles nous serions semblables à l’ingénieur qui a eu l’idée d’une voûte majestueuse enjambant le fleuve mais qui n’a pas eu la possibilité technique d’en asseoir les culées et qui n’a pas su fixer les piliers qui auraient assuré la solidité et la pérennité de la construction.

Nous insistons quelque peu sur cette nécessité, sur l’imbrication inévitable de l’esprit, du sens, de la conquête synthétique d’une part, et des éléments techniques qui marquent les étapes de cette conquête. C’est d’ailleurs tout le problème de la connaissance dans le complexe éducatif : nous ne saurions nier, sans contrevenir au plus vulgaire bon sens, la nécessité de cette connaissance, mais dans le cadre d’une création et d’une culture, au service de cette culture.

C’est seulement sur le processus éducatif qu’il y a désaccord.

Les traditionnalistes nous disent : Ce sont les éléments et les règles qui sont à la base de la connaissance synthétique. Il faut donc connaître ces éléments et les règles de leur agencement avant de viser à une quelconque compréhension vivante des acquisitions culturelles. Il faut étudier les pièces de la bicyclette avant de monter à bicyclette. Il faut connaître chiffres et nombres et opérations avant de prétendre à des calculs complexes pour lesquels manqueront les bases indispensables.

Il se peut que certaines acquisitions mécaniques gagnent aussi à être faites selon des processus progressifs, comme on monte un escalier marche à marche. Il se peut que, dans un Centre d’Apprentissage, on ait avantage à décomposer « scientifiquement » les mouvements et les gestes à enseigner. Je dis : il se peut, car la chose n’est pas absolument nécessaire et nous avons des exemples nombreux d’individus et d’artisans qui, par des voies différentes, et sans cet apprentissage progressif n’en sont pas moins parvenus à des maîtrises inégalées. Les systèmes d’économie mesurés sur des appareils mécaniques ne sont pas obligatoirement valables avec des êtres humains. Dans l’élément attention et fatigue, si capital dans tout apprentissage, jouent d’une façon décisive les notions d’intérêt, de motivation et d’affectivité qu’on ne saurait négliger sans risques d’erreurs et de fausses manœuvres catastrophiques.

Pour les acquisitions moins strictement mécaniques, celles où l’intelligence, la mémoire et les incidences de la vie en général jouent un rôle capital, le processus faussement scientifique de progression méthodique est tout entier à reconsidérer. D’abord, nous le répétons, parce qu’il heurte le bon sens et l’expérience, et aussi parce que les preuves sont évidentes aujourd’hui de son manque d’efficience et de l’insuffisance de son rendement.

Dans ce domaine à un niveau pour ainsi dire supérieur et plus subtil du comportement humain, les processus d’acquisition de la scolastique sont notoirement en défaut. Les données doivent en être reconsidérées. Nous nous y appliquons théoriquement et expérimentalement.

L’élément ou la synthèse

Dans les conceptions habituelles de l’enseignement mathématique, il y a donc erreur, au début, à la base. Au lieu de partir de l’acquisition méthodique et « scientifiquement » graduée, nous partons toujours de l’expérience vivante.

L’enfant monte sur le vélo et conquiert l’équilibre en roulant, puisqu’aussi bien nul n’a jamais su y parvenir autrement. C’est en marchant que l’enfant apprend à marcher et non en écoutant les explications qu’on peut lui donner sur les principes de la marche. C’est en calculant qu’on apprendra à calculer.

Chemin faisant, dans son ascension difficile, l’enfant fera la découverte de points d’appui dont il prendra possession, par l’exemple, l’étude et l’exercice. Nous avons seulement inversé les données pour retrouver les processus normaux parce que naturels.

Mais les psychologues et les pédagogues doutent de la vertu de nos affirmations. Ils s’étonnent que nous nous attaquions ainsi au complexe et à la synthèse avant d’étudier les éléments qui, à leur dire, sont seuls à la mesure de l’enfant.

Or, c'est là la grande erreur qui fausse toutes les données scolastiques : l’élément isolé de la vie est toujours la notion que l’enfant peine le plus à acquérir.

L’enfant vit dans un monde au sein duquel il distingue intuitivement, et depuis longtemps, des ordres de grandeur qui nous étonnent — et qui seraient à préciser. Mais il ne parvient pas encore à réaliser la différence entre 4 et 5.

Il se produit là exactement le même phénomène que nous avons longuement analysé pour l’apprentissage naturel de la lecture : l’enfant est capable de lire sans erreur, et surtout de comprendre à la perfection ce qu’il lit bien avant de connaître les syllabes et les mots ou les règles de leur fonction ; il est en mesure de posséder des notions supérieures d’arithmétique longtemps avant d’être initié aux traditionnels éléments de base.

La méthode naturelle suscite en définitive un retournement psychologique et pédagogique de cette base. Des expériences sérieuses scientifiquement menées devraient contrôler cette réalité.

Le phénomène humain agit par électronique

Il y a aussi, en faveur de cette reconsidération pédagogique, un autre élément que la science devra accepter de prendre en considération.

L’esprit humain n’est point une machine, si parfaite soit-elle, et les réalisations électroniques les plus étonnantes ne sont rien encore devant le mystère du fonctionnement intellectuel de l’homme.

La machine ne peut accrocher un cran de l’engrenage que si elle a dominé, un à un, les crans précédents. On a cru, en conséquence, que les progrès humains se faisaient selon ce même rythme et cette gradation et on a abusivement retenu dans leur élan les individus qui, d’un bond, en sautant par dessus les intermédiaires, accomplissaient mystérieusement leur révolution.

La voie scolastique n’est qu’une voie mineure, et souvent sans issue. La vie reste autrement riche et nous devons en utiliser toutes les possibilités.

Regardons autour de nous : les individus apprennent à parler sans jamais étudier aucune règle. Des chanteurs en vogue sont montés d’emblée plus haut que leurs professeurs. Il est des musiciens qui étonnent, en chaque siècle, par leur précocité. Les études scolastiques sont une tare héréditaire pour tous les artistes peintres. Et il existe, pour le calcul, des phénomènes qui se rient des paliers de la scolastique et résolvent mystérieusement les calculs les plus compliqués.

On dira que ce ne sont que des exceptions. Ce sont des exceptions qui confirment la règle. Ce qu’un individu a pu réaliser dans quelques disciplines, la masse des enfants et des adolescents pourraient l’atteindre si on ne faisait pas fausse route dès le début de l’apprentissage ; si on ne bloquait pas les voies royales ; si, par des techniques à réétudier dans un milieu favorable et aidant, on encourageait les individus à aborder connaissances et mécanismes selon des biais de bon sens, de construction, de création et de vie.

Or, le calcul, pour en revenir au sujet plus spécial de cette étude, ne fonctionne point, par nature, selon les processus gradués prévus par l’Ecole, mais selon des procédés électroniques d’une vitesse incommensurable. On appuie sur un bouton, un éclairage particulier intervient et la solution jaillit comme dans un éclatement.

Vous peinez sur un problème, vous ajustez les solutions possibles, et puis, brusquement, un éclair: «J'ai trouvé!... » Et les individus chez qui cet éclair ne jaillit point restent les tâcherons qui ne sauront jamais aller plus loin que la résolution d’opérations sans but ni portée : ils ont raté le départ et se trouvent, de ce fait, dans une définitive impasse.

Oui mais, dira-t-on, la pensée, même fulgurante, des individus, ne peut pas se passer totalement des symboles et des opérations techniques. Et ces opérations, il faudra bien que les enfants les apprennent...

On ignore encore jusqu’où peut aller le mécanisme électronique dont nous disposons. Un Inaudi lui faisait résoudre des opérations d’une incroyable complexité avec des nombres de dix chiffres et des extractions instantanées de racine cubique. Et j’ai vu moi-même un professeur nous donner mentalement, en quelques secondes, les résultats de multiplications complexes de deux et trois chiffres. Il est en tout cas certain que ce jaillissement et cet éclatement projettent un jour nouveau, éminemment favorable à la sûreté des techniques elles-mêmes.

Cet éclatement est d’ailleurs l’équivalent du tour de force, que nul ne sait encore expliquer, de l’enfant qui, après quelques exercices aventureux, conquiert l’équilibre sur sa bicyclette. A partir de ce moment, tout est facile, y compris l’étude des mécanismes qui prennent un sens et s’intègrent dans une fonction.

S’il en est ainsi — et notre démonstration et notre expérience sont indéniables — nous commencerons donc notre étude mathématique par le biais électronique, à base de courant, d’action et de vie. Nous cultiverons tout spécialement cette possibilité, certainement innée chez tous les individus, de voir loin, d’aller vite, de saisir l’insaisissable, d’établir des connexions ignorées et insoupçonnées. L’étude des mécanismes ne sera que la deuxième phase du processus, phase secondaire d’ailleurs, qui peut être abordée à n’importe quel moment et développée ensuite par l’entraînement et l’exercice.

Les dangers de la fausse manœuvre

S’il y a bien, dans l’apprentissage des mathématiques, comme dans tous les apprentissages d’ailleurs, une voie royale et une voie mineure aboutissant à des impasses, il nous faut choisir, naturellement, la voie royale.

Une fausse orientation dès les débuts de cet apprentissage risque, de produire des effets inattendus dont on s’inquiétera plus tard de l'origine.

Si, au lieu de vous laisser monter à vélo on vous a anormalement retenus à l’étude des théories et des mécaniques, non seulement vous ne saurez pas monter à vélo, mais, lorsque vous vous y essaierez, vous vous inquiéterez des mécanismes dont on a enflé la portée, vous essaierez d’opérer selon les normes qu’on vous a enseignées. Vous ne ferez plus fonctionner votre électronique et votre apprentissage en sera retardé, s’il n’est pas même compromis à jamais.

Si, lorsque vous commencez à rouler à vélo, vous voulez regarder à droite et à gauche ; si vous pensez, comme on vous l’a peut-être recommandé, au bruit insolite qui annonce une panne ; si vous répondez seulement à un voisin qui vous salue, la machine électronique clignotera et vous perdrez direction et équilibre. Si ces éléments destructeurs jouaient en permanence, vous n’apprendriez jamais à rouler à vélo. La voie électronique serait à jamais bloquée. Vous pourriez devenir peut-être un bon mécanicien pour le montage ou la réparation des vélos ; vous ne seriez jamais le coureur dont le système électronique fonctionne à la perfection et qui est capable de regarder autour de lui, de discuter et de gesticuler, de raccrocher une pédale et de se retourner longuement sans perdre un instant la sûreté de sa direction. Et cette maîtrise, il la doit d’abord à sa longue expérience, ensuite, et dans une bien plus faible part, à l’étude qu’il a pu faire des mécaniques et des techniques.

Regardez l’enfant dessiner selon la méthode naturelle — et l’exemple d’Alain Gérard serait précieux pour cette démonstration. En faisant fonctionner exclusivement sa machine électronique, il est parvenu à une perfection incroyable de la ligne et de la technique du dessin. Si par malheur on lui appliquait, ne serait-ce que quelques jours, dans une école traditionnelle, la formation à rebours par l’étude des lignes et des perspectives, la copie des modèles et le respect des règles, Alain Gérard perdrait immédiatement le charme. La machine électronique serait peut-être irrémédiablement bloquée.

Ce drame, latent chez Alain Gérard, est celui de tous les enfants et dans toutes les disciplines. Seulement, nul ne s’en inquiète. Faute de connaître le principe même de cette électronique intellectuelle, les éducateurs coupent intempestivement le courant avant même qu’il commence à produire ses effets. Et l’on s’étonne ensuite que, pour le calcul aussi bien que pour les autres sciences, nos élèves piétinent dans les impasses.

Cette fausse manœuvre nous vaut alors une dissociation radicale entre la mécanique et la vie : l’enfant connaît les pièces de la bicyclette et leur fonctionnement théorique, mais il ne sait pas monter à bicyclette. Il sait déchiffrer les mots mais ne comprend pas ce qu’il lit. Il apprend la numération et la technique des opérations, mais ne les rapporte nullement aux faits courants de la vie qu’il continue à voir et à interpréter avec son optique déformée d’écolier. Il y a chez lui deux mondes séparés : celui de

la scolastique avec ses règles et sa mécanique, la vie avec son éclairage électronique.

Les théoriciens pou vent sous-estimer cette dualité parce qu’ils n’ont pas l’occasion d’en mesurer sans cesse, comme nous, les déplorables effets.

Nous citerons quelques faits qu'il nous serait possible, hélas ! de multiplier à l’infini.

On ne parvient pas, dans les classes traditionnelles, à « faire raisonner » un problème. L’enfant ne le comprend pas et ne cherche pas à le comprendre. Il essaie d’ajuster des mécaniques. Il fait des additions, des soustractions, des règles de trois, en se référant non au problème à résoudre mais aux exemples de solutions-types qu’on lui a enseignées. Il ne parvient pas à franchir la frontière qui le ramènerait sur la bonne voie. Le passage est bouché. Ce n’est même pas une question de difficulté du problème, mais une inaptitude fonctionnelle, un hiatus insurmontable.

On dit en se désespérant : « Il ne mord pas au calcul ! »

Le professeur El Fani, de Tunis, nous racontait naguère, à Vence, pour corroborer notre démonstration, qu’il avait récemment donné à ses élèves (classe d’apprentissage) un problème où il s'agissait de trouver la consommation en essence d’un moteur aux données très précises. Les réponses, nous disait-il, s’échelonnaient entre un demi-litre et 100.000 litres.

Or, en rendant les copies, le professeur El Fani, intrigué, opéra un sondage en posant cette fois des questions simples et dans la vie :

— Combien consomme une 4 CV ?

— Et une traction 11 CV ?

Là, il n’y avait aucune hésitation ni erreur dans l'estimation. Et les enfants s’étonnaient à leur tour qu’on leur pose des questions aussi simples.

Pourquoi, leur demanda le professeur, avoir écrit, alors ces énormités ?

— Ah ! disaient-ils, ce n’est pas la même chose...

Ce qui veut dire que l’enfant distingue fort bien — peut-être mieux que ses maîtres — le devoir sans assise dans le milieu ambiant du problème vital qui se résout par des démarches normales et qui vont de soi.

Eric (11 ans), à qui sa mère s’obstinait à faire du calcul pendant les vacances, avait à diviser 25 par 38. « On ne peut pas, dit-il. Je divise 38 par 25. »

Ce fait que des enfants, travaillant selon les méthodes traditionnelles, fassent ainsi tourner la mécanique du calcul sans égard pour la véracité du résultat se répercute tout au long de la vie et marque d’une tare fondamentale les fournies et les femmes qui auront pour mission de calculer.

Il y a des employés qui ont été formés à manœuvrer chiffres et nombres, à établir ristournes et pourcentages. Ce qui importe pour eux, ce n’est point la valeur commerciale ou humaine du résultat, mais l’exactitude des
chiffres. Ils ont besoin d’avoir à côté d’eux le patron ou le chef de service qui pensent pour eux et considèrent le résultat dans le cadre de ses incidences normales.

Ces comptables continuent tout simplement les errements des candidats au CEP. Ils admettront fort bien qu’une 4 CV consomme 500 litres à l'heure si les chiffres exacts en font la démonstration. Ou plutôt, pour eux aussi, il y a deux zones : la zone mécanique qui ne concerne que le fonctionnement de la machine et la zone d’intelligence et de bon sens dont ils semblent définitivement exclus.

L’automation remplace d’ailleurs peu à peu ces comptables par des machines qui font le même travail, sans considération de la valeur des résultats, mais auxquels on demande seulement l’exactitude technique résultant des données sur lesquelles ont été basés les calculs.

Quelle zone doit avoir la préséance pédagogique ?

Et nous abordons la valeur relative de l’un et l’autre de ces enseignements : celui de la zone mécanique et celui de la zone intelligente.

Lorsque, en ce début d’année, je feuillette les journaux pédagogiques et les manuels, je suis effrayé par la place pour ainsi dire exclusive qu’y tient la zone mécanique. On discute à savoir comment enseigner le 5 ou le 10 et par quel biais aborder l’addition ou la multiplication. Si on fait parfois quelque appel à l’intelligence mathématique, c’est en fonction de cette nécessité mécanique.

Parce qu’on croit, parce qu’on est persuadé - et nos lecteurs douteront encore de la valeur de mes démonstrations — que cet apprentissage est primordial, qu’il est forcément à la base de notre enseignement mathématique et que celui-ci ne saurait prendre assise que si on possède au préalable la maîtrise des éléments.

Il fut un temps, au début du siècle, où on pouvait le croire. Les individus, hors de l’Ecole, exerçaient forcément leur bon sens dans l’infinité des mesures auxquelles ils étaient astreints : surface d’un champ, quantité de semence nécessaire, poids des sacs, nombre de journées, rendement en blé et en pain, etc. Ce dont ils avaient besoin alors, c’était d’une mécanique qui leur permette d’opérer et de soutenir ces calculs avec un minimum de risques d’erreurs. Le boulanger avait sa règle sur laquelle il faisait une entaille pour chaque livraison de pain. Les joueurs de boules avaient aussi leur baguette. Ailleurs, on usait de bûchettes et de pierres. L’Ecole apportait des solutions plus rapides et plus sûres. L’individu qui en possédait la technique, avait entre les mains un outil qui était éminemment apprécié et qui a justifié, à l’époque, la grande part que l’Ecole accordait à cette discipline.

La vie a tourné autour de l’Ecole qui a continué à labourer avec le même araire sans se rendre compte de la valeur relative des résultats. La technique du calcul se faisant de plus en plus exigeante, l’Ecole a dû enfler cet apprentissage au détriment de !a culture mathématique intelligente. Et, au moment où l’on remplace les comptables par les mécaniques, notre Ecole se trouve dans l’impasse, avec son souci exclusif d’enseigner une technique dont l’homme du XXe siècle aura de moins en moins l’usage.

Il y a seulement vingt ans, une entreprise qui embauchait un comptable s’informait évidemment de son aptitude à compter très vite et avec une totale sûreté — ce qui justifie l’enseignement de l’Ecole. Ce qu’on demande aujourd’hui à ces mêmes comptables, c’est la compréhension intelligente des opérations et des calculs, c’est ce sens mathématique, ce sens commercial qui ont plus de rapports avec le maquignon qui, en parcourant la foire mains aux poches, estimait à un franc près le rendement en viande des bêtes qu’il convoitait, qu’avec le comptable alignant ses chiffres pour les registres. Ces opérations sont toutes faites aujourd’hui par des machines, et le comptable d’autrefois prend le nom de mécanographe. Force sera bien alors au vrai comptable de reprendre sa fonction au-dessus des machines, sa fonction de direction de ces machines, son rôle humain.

Cette évolution n’est d’ailleurs pas particulière aux grandes entreprises : on ne mesure plus ni le vin ni l’essence ; le boulanger a sa balance automatique et l’ingénieur sa machine à calculer de poche.

Le problème de l’abstraction

Resterait à examiner le problème de l’abstraction qui est, on a raison de le rappeler, l’élément essentiel du progrès mathématique.

L’abstraction suppose évidemment d’abord une idée de l’ensemble dont on extrait ensuite les éléments. Quand l’enfant a, en histoire, une notion effective du recul du temps et de la place des événements dans le déroulement des siècles, alors il pourra extraire de ce défilé des points d’appui qui seront comme ces bornes qu’on pose pour marquer le tracé des chemins nouveaux. Alors on pourra parler de XIIIe siècle ou de XVIIIe siècle. Jusque-là, l’énoncé de ces abstractions n’est qu’une mécanique sans valeur. L’enfant possède bien les jetons, mais il ne sait ce qu’ils représentent. Et lorsqu’il jongle avec ces jetons, la pensée et l’idée historiques sont totalement exclues de ses opérations.

Si l’enfant possède expérimentalement la notion du nombre 5, le chiffre 5 peut alors servir utilement de borne ou de jeton pour les opérations ultérieures. S’il voit pourquoi, en telle circonstance, une multiplication s’impose, alors il peut, par abstraction, opérer sur les chiffres et les nombres et non sur les éléments réels trop difficilement maniables. Mais si l’enfant n’a pas ce sens préalable, il mettra en branle des signes qui sont pour lui sans valeur. Ce sera une sorte de jeu gratuit, qui peut avoir son intérêt comme la manœuvre des pions au jeu de dames, qui peut même cultiver peut-être certaines aptitudes, mais qui sera absolument sans valeur et sans portée au point de vue mathématique. Il n’y a pas ici abstraction mais opérations séparées : d’une part, la vie et ses problèmes ; d’autre part, la mécanique, qui est du domaine des machines à calculer.

A notre ère de rythme électronique, le calcul mécanique, tel qu’il est encore couramment employé dans les écoles, est pratiquement sans valeur. On s’en apercevrait d’ailleurs le jour, peut-être prochain, où l’enfant, dans sa classe et même à l’examen, disposerait d’une machine à calculer pour faire, en quelques minutes et sans erreurs possibles, ces opérations complexes qui occupent une large part de la scolarité. Alors on serait bien obligé de tenir compte de l’élément culturel, de l’élément humain, qui reprendraient tous leurs droits.

Et si on dit qu’il faut tout de même bien exercer les enfants qui n’auront pas toujours une machine à leur disposition, et que d’ailleurs cet exercice leur est salutaire, nous répondrons :

—- Que cette acquisition mécanique reste possible à n’importe quel moment de la vie et qu’elle reste extraordinairement rapide lorsqu’elle est motivée par la nécessité.

Tandis que l’acquisition intelligente du sens du calcul fait partie de la formation de l’être. Si vous ratez le départ, si vous bloquez cette voie pour vous engager dans des impasses, vous ne retrouverez peut-être plus jamais la vraie voie.

C’est cette réalité, qui montre la responsabilité considérable de l’Ecole dans ce domaine, qui fait que tant d’enfants sont totalement fermés à toute notion de calcul. Ils « savent » leurs opérations ; dans la vie, ils ne manquent ni de bon sens ni d’habileté, mais ils ne comprennent plus rien au calcul tel qu’on a voulu le leur enseigner, sur de mauvaises bases, dès l’Ecole.

— Et que, mais par un autre biais, nous reviendrons à ces acquisitions mécaniques.

L’enfant qui sait monter à vélo est naturellement intéressé au fonctionnement de sa machine, et, entre deux courses, vous le voyez bricoler autour de la pédale ou des changements de vitesse.

Lorsque l’enfant aura la compréhension du calcul vivant, il voudra, lui aussi, démonter la machine, et, lorsqu’il en aura besoin, il aura tôt fait d’acquérir la maîtrise de mécanismes qui, par un autre biais, lui auraient tant coûté.

— Et qu’enfin nous considérons comme une manœuvre dangereuse la concrétisation amorcée par l’Ecole qui n’est souvent qu’une aggravation de cette fausse abstraction que nous avons dénoncée.

Que l’enfant compte avec des bûchettes ou avec des doigts, il n’aborde pas, pour cela, le sens du calcul. Il utilise seulement un moyen technique supplémentaire qui n’ajoute rien à sa compréhension du calcul. Les problèmes tels que nous allons nous les poser, sont déjà des débuts d’abstraction. Nous les résoudrons par des jeux de l’esprit qui s’apparentent, nous l’avons dit, au fonctionnement des machines électroniques. Et nous ferons appel, ensuite, à la mécanique, dont nous devons acquérir la maîtrise, pour trouver plus rapidement, et avec une plus grande sûreté, les solutions souhaitables.

Notre méthode naturelle de calcul

Nous avons, dès lors, défini ce que sera notre méthode d’enseignement du calcul :

— Nous ne partirons jamais du nombre ni de la mécanique, mais de l’expérience et de la vie.

— Celle-ci devra toujours conserver sa prédominance si nous voulons éviter que soit bloquée la seule voie que nous estimons salutaire et que soit cultivé le sens mathématique sans lequel aucun progrès n’est, possible.

— L’expérience et la vie ne doivent pas être aménagés en fonction du calcul mécanique, mais celui-ci en fonction de la vie.

Ce changement radical de front, qui est à la mesure du changement radical de front dans les conditions nouvelles de la vie, ne pourra, certes, pas être opéré radicalement dans la pratique de nos classes. Pendant longtemps, les parents considéreront les progrès en mécanique de calcul comme des acquisitions de marque, dans la mesure il est vrai où les programmes et les examens sanctionneront cet enseignement.

A nous de montrer expérimentalement que cette rénovation est possible et qu’elle forme, mieux que les méthodes traditionnelles, les hommes qui, demain, sauront, par-delà le rendement hallucinant des machines, poser et résoudre avec efficience et sagesse les éternels problèmes de la vie.

Que ferons-nous pratiquement ?

Première étape. — Profiter de toutes les occasions pour calculer sur des problèmes de la vie.

Lucienne Mawet nous a donné un excellent point de départ dans la brochure « Le calcul vivant ».

Tout au long de l’année, des camarades viendront dire comment ils « exploitent » mathématiquement toutes les occasions qui leur viennent du texte libre et de la correspondance.

On se rendra compte déjà que la vie de l’Ecole, dans la mesure surtout où, par nos techniques, elle déborde et dépasse la scolastique, nous apporte des possibilités presque infinies d’aborder sous un jour nouveau un enseignement qui en sera régénéré.

A l’origine, les instituteurs seront gênés et parfois arrêtés par la richesse et la complexité des problèmes ainsi abordés. Et nous devrons éviter qu’on en déforme le sens et qu’on en restreigne la portée sous le prétexte de les aligner sur les connaissances techniques des enfants. Oublions les vieilles habitudes de l’Ecole et opérons comme dans la vie. Si les enfants ne savent pas résoudre le problème, nous les y aiderons ; si une division est nécessaire et si nos élèves n’en ont pas encore la maîtrise, nous ferons l’opération. Peut-être parfois les questions posées seront si complexes qu’il nous faudra avouer notre incompétence et faire appel à des spécialistes. Mais tout cela donnera aux enfants le désir et le besoin de se rendre maîtres de cette technique dont ils ont mesuré la défaillance.

Il y a là, certes, toute une technique nouvelle que nous nous appliquerons à mettre au point au cours de l’année.

Deuxième étape. Mais nous voudrions aller plus loin.

Si nous en restions à cette exploitation d’occasions offertes, nous opérerions un peu comme l’ancienne école qui ne faisait faire des textes aux enfants que sur les sujets que l’Ecole leur rendait familiers, comme si — et on en était persuadé — l’enfant n’avait pas d’idées.

Le problème du calcul n’est pas du tout un phénomène scolaire, mais une réalité de la vie.

La question ne se posait pas tout à fait avec les mêmes impératifs au début du siècle. Quand, il y a cinquante ans, j’allais à l’Ecole de mon village, la vie ne nous offrait pas une gamme inépuisable de mesures. Ou plutôt on n’avait pas encore pris l’habitude de la mesure exacte, sauf pour ce qui concernait l’argent — rare à cette époque.

A ce moment-là, l’Ecole nous apportait des éléments nouveaux qui, même sous leur aspect formel, pouvaient nous valoir des compléments utiles à notre formation.

Mais la vie a évolué, à l’insu de l’Ecole, d’ailleurs.

Nous vivons aujourd’hui dans un monde de mesure et de calcul, et les enfants en sont sollicités jusqu’à l’obsession.

Ecoutez-les parler quelques instants lorsqu’ils sont mêlés au monde ambiant (car lorsqu’ils sont seuls ils reprennent les habitudes ancestrales heureusement dégagées des impératifs mécaniques) : toute idée a désormais une forme de calcul : prix des habits, litre de lait, kilo de pain, sucette, auto, essence, distances kilométriques... Du matin au soir, l’enfant vit dans un monde de plus en plus mécanisé, donc de plus en plus soumis à la mesure.

Il en résulte que si nous aurions hésité, il y a cinquante ans, à formuler des problèmes de la vie, nos enfants n’ont aujourd’hui qu’à saisir au passage le flot kaléidoscopique des nombres et des chiffres.

Nous voudrions arrêter ce flot, habituer nos élèves à ne pas le regarder défiler passivement, mais à l’étudier, jusqu’à en faire peut-être un élément de culture.

Le calcul libre

Nous abordons alors notre Technique nouvelle du calcul libre.

Nous disons calcul libre pour établir immédiatement un parallèle avec le texte libre dont il n’est que la forme arithmétique.

Selon notre technique du texte libre, les enfants racontent les éléments majeurs de leur vie, non seulement de leur vie familiale et sociale mais aussi de leur vie intime. Par le calcul libre, cette expression sera tout simplement élargie à tout ce qui, dans la vie de l’enfant, et dans notre monde mécanisé, a une incidence arithmétique.

Les sujets abondent, cela ne fait aucun doute, mais nous n’avons pas l’habitude de les extérioriser ni d’essayer de les résoudre. Il y a trente ans, les thèmes de textes libres abondaient autour de nous tout autant qu’aujourd’hui, ce qui n’empêchait pas les enfants de n’avoir pas d’idées, et les maîtres de parer à cette insuffisance par des devoirs et des leçons.

Motivons le calcul libre comme nous avons motivé le texte libre ; mettons au point une technique de travail qui permette cette éclosion ; répétons l’expérience le plus souvent possible et nous développerons ainsi le sens mathématique dont nous avons dit les inégalables vertus. C’est une habitude à prendre. Dans quelques années, si nous savons poursuivre nos expériences, les problèmes classiques auront vécu. Le calcul libre doublera le texte libre.

L’entraînement mécanique

Au cours de la résolution des problèmes posés par la vie, les vides techniques se feront tout spécialement sentir, comme se font sentir les vides techniques en français, et l’enfant tâchera d’y parer.

Mais alors, il aura soif de calcul et, de ce fait, tous les processus scolaires en seront influencés d’une façon décisive.

Quand il s’agit d’imposer à l’enfant un apprentissage qui le rebute, on recherche toutes les méthodes qui seraient susceptibles de pallier l’indifférence ou l’hostilité des enfants. Mais quand ceux-ci veulent lire et écrire, ils le font par des voies encore mystérieuses qui varient d’ailleurs selon la complexion de l’individu ou les incidences du milieu. Si l’enfant veut calculer, il y parviendra par des procédés qui lui sont particuliers et parfois même intransmissibles. L’illumination se codifie difficilement. Si vous voyez un enfant compter laborieusement sur les doigts, c’est que vous vous êtes trompés de chemin au départ. Si vous le voyez réfléchir « mentalement » et vous donner le résultat, vous êtes sur la bonne voie.

Dans les classes qui emploieront d’une façon intensive le calcul libre, il sera inutile de se reposer les questions aujourd’hui si importantes de gradation et de mécanique. L’enfant les dominera par un autre biais.

Mais il voudra naturellement apprendre à calculer, à faire rapidement les quatre opérations, faire ensuite règles de trois et partages, connaître les nombres complexes.

Là, deux possibilités auxquelles on peut d’ailleurs faire appel simultanément.

L’enfant veut faire des additions. Laissez-le se poser lui-même librement ces additions et les compter ensuite en un temps record et avec une obstination qui vous surprendra. Il fera alors vingt opérations là où, par d’autres procédés gardant quelque relent scolastique, il en aurait fait deux.

Bien sûr, l’enfant ne se posera pas ces opérations avec méthode. Comme il veut dominer la technique, vous avez du moins l’assurance que, tout comme l’enfant qui escalade un mur, il partira à l’assaut des difficultés. Et s’il en rencontre d’insurmontables, vous lui donnerez la main.

Vous avez aussi le secours des fichiers auto-correctifs. Si l’enfant veut dominer une difficulté donnée, il prendra les fiches correspondantes pour s’exercer avec un rendement maximum.

Au cours de ces divers travaux, des obstacles majeurs apparaîtront pour lesquels les élèves attendent et sollicitent votre aide. Vous la donnerez exactement comme vous faites aujourd’hui une leçon, mais avec cet avantage capital que les enfants qui demandent votre intervention profiteront à cent pour cent des explications que vous leur apporterez.

Nous bouclons ainsi notre méthode :

* Calcul libre.

* Réponse individuelle ou collective avec intervention des correspondants.

* Imprimerie ou limographe pour tirage de quelques-uns de ces textes.

*Besoin consécutif d’une technique,

* Travaux spontanés pour la dominer,

* Recours aux fichiers auto-correctifs,

* Leçons et explications du maître.

Ce processus — les premières expériences faites le prouvent — sera tout particulièrement efficient. Il rétablit les circuits nouveaux d’apprentissage. Il garantit une culture et une formation mathématique.

C. F.

 

Quelques exemples de calcul libre

Octobre 1956

 

La grande ronde autour du monde

Octobre 1956

 

Les avantages psychologiques du journal scolaire

Octobre 1956

D'un livre de C. FREINET à paraître prochainement : Le Journal Scolaire et la Correspondance Interscolaire, nous extrayons, en ce début d'année, le chapitre suivant :

1° Normalisation du milieu où vit l’enfant

Il devient aujourd’hui banal de reconnaître que le milieu scolaire est, traditionnellement et foncièrement, différent du milieu familial et social de l’enfant.

La pédagogie l’a d’ailleurs voulu ainsi, puisqu’elle se prétendait en mesure de créer par son action spécifique, une culture spéciale, d’origine intellectuelle, supérieure à la culture expérimentale et empirique du milieu.

Toujours est-il que, aujourd’hui encore, selon les conceptions de l’Ecole et de l’Education, se crée une dualité regrettable dans les fonctions majeures de l'individu : la famille, le village ou la rue ont leurs normes, leur forme d’instruction, leur morale, leurs types de culture. L’Ecole travaille selon des normes délibérément différentes, le plus souvent opposées, qui jettent le trouble dans le comportement des enfants et contribuent à les désadapter. A moins que l’Ecole échoue totalement dans son action et que certains enfants conservent équilibre et puissance dans le cadre de la culture traditionnelle du peuple.

Nous avons tous senti cette dualité. Nous en avons tous souffert. Elle nous a, pour la plupart, terriblement marqués. Elle est certainement à la base d’une impuissance psychologique et sociale qui s’inscrit au passif de notre Ecole Populaire laïque.

Par notre méthode, nous surmontons cette dualité. L’enfant arrive dans notre classe avec les sentiments, les préoccupations, les besoins et les soucis qui modèlent peu à peu sa personnalité. Nous ne lui disons pas : « Laisse là cet habit, même s’il t’est comme substantiel... nous allons t’apprendre autre chose, par d’autres moyens, avec d’autres outils !... »

Nous prenons l’enfant tel qu’il est et nous nous appliquons, par des techniques de travail qui s’apparentent à celles du milieu familial et social, mais avec une plus grande richesse expérimentale, à lui permettre d’aller plus loin et plus haut dans les chemins de la vérité et de l’Humanité.

Ce n’est pas par hasard que le mot de « Normalisation » a pris, dans la Société contemporaine une si grande extension. L’individu qui travaille et vit dans un milieu normalisé est détendu, mieux équilibré, donc plus efficient. Le défaut de normalisation pose au contraire un nombre plus ou moins grand de problèmes artificiels à résoudre, de techniques à. dominer, de barrières à franchir ou à renverser — ce qui vaut aux individus qui en sont victimes des réactions imprévisibles, des conflits et des névroses dont la psychanalyse dévoile peu à peu les incidences.

Le seul fait d’harmoniser, par nos techniques, vie scolaire et vie familiale et sociale est sans nul doute d’une grande portée dans la formation psychique et psychologique de nos enfants.

2° La discipline nouvelle, discipline du travail

Cette normalisation est liée au problème de la discipline qui est la technique des rapports entre individus et groupes.

La substitution d’un mode de vie artificiel aux habitudes courantes du milieu ne peut se faire que par autorité — directe ou indirecte — et l’autorité, sous quelque forme qu’elle se présente, est toujours source de conflits qui ne font qu’aggraver les difficultés nées du dualisme éducatif que nous avons dénoncé.

Nous pensons même que la presque totalité des complexes psychiques et psychologiques viennent d’une mauvaise solution aux problèmes de la discipline, c’est-à-dire aux problèmes de la coexistence harmonieuse des individus et des groupes.

La « Normalisation », que ce soit à l’Ecole ou à l’usine, vise à atténuer ces conflits disciplinaires. Nous les atténuons encore en engageant les enfants sur des voies qui les mèneront plus sûrement au but, et qui sont toutes basées sur le travail.

Nous redonnerons à cette notion de travail — par le texte libre et le journal, notamment — toute sa noblesse et sa portée ; nous axons l'enfant, nous lui donnons des raisons nouvelles de vivre et d'agir, ce qui contribue certainement à l’amélioration psychologique souhaitée.

3° L'expression libre des enfants

Une portion importante des troubles du caractère provient également du fait que l’enfant, à l’école, n’a pas la possibilité d’extérioriser ses besoins, ses sentiments et ses tendances.

L’Ecole, trop longtemps dédaigneuse de ces complexes psychiques qu'elle s’obstinait à ignorer, substituait à ces sentiments les pensées et les émotions des classiques et des « maîtres ». Elle oubliait que nous avons tous, humainement, besoin de dire, de créer ou de chanter, nos joies, nos espoirs et nos peines. Si les hommes, égoïstement préoccupés de leurs propres soucis, ne veulent pas nous écouter, nous nous adressons à la lune, aux étoiles, au soleil, ou aux dieux. Le besoin d’élévation, d’harmonie et de beauté qui nous agite, nous voulons le marquer de notre main et de notre génie sur la terre, la glaise ou les pierres ; notre puissance latente en face de la vie, nous en imprégnons intrépidement le milieu qui nous entoure par un travail et une science qui visent à nous asservir la nature.

Enlevez à l’enfant toutes ces possibilités d’action et de réaction, il devient comme un oiseau dont on a coupé les ailes, un poisson égaré dans une mare dont l’eau va se corrompant et s’évaporant.

Par le texte libre et le journal scolaire, nous nourrissons et exploitons ce besoin d’extériorisation de l’enfant. C’est de ce besoin que nous partons techniquement, pour tout le travail d’instruction et d’éducation que nous allons entreprendre.

A propos de cette expression libre, on a souvent parlé, pour la critiquer d’ailleurs justement, de la notion d’expression spontanée. Nous n'aimons pas ce qualificatif qui garde une signification d’anarchie, de comportement fantaisiste et sans but. Ce sont les scoliastes qui ont accrédité cette idée que l’expression fonctionnelle de l’enfant pouvait avoir, dans sa spontanéité, ce caractère de gratuité et d’inutilité qui se manifeste effectivement chez les enfants qui n’ont été habitués qu’à obéir, qui ont désappris les gestes naturels toujours liés au devenir de l’être, et qui, livrés à eux-mêmes, hors de la sujétion adulte, ne savent plus faire que des mouvements inconsidérés, spontanés certes, mais sans signification dans le comportement des individus.

L’expression libre de nos enfants, sous quelque forme qu’elle se manifeste, n’a jamais cet aspect de spontanéité péjorative. Nous lui trouvons au contraire, sauf dans les cas d’anormalité grave, des fondements et des racines, et un but, conscient ou non.

L’Ecole traditionnelle peut tout au plus, pour se donner des airs progressistes, parler de spontanéité. Nous atteignons, nous, aux gestes fonctionnels des assises fécondes de la vie.

4° La libération psychique

Les récentes recherches psychanalytiques ont contribué à mettre l’accent sur les dangers que présente pour l’individu l’impuissance où il se trouve d’extérioriser ses propres problèmes.

Nous gardons pour nous des secrets qui nous obsèdent et nous minent parce qu’ils suscitent des complications pour lesquelles nous ne parvenons pas à trouver seuls la solution. Nos doutes et nos craintes, nous voudrions les faire partager par les personnes qui sont susceptibles de nous apporter l’aide de leur propre expérience et de nous tirer de l’impasse.

Nous sommes, que nous le voulions ou non, dans un milieu social. Aucun des problèmes, même très personnels, que nous avons à résoudre, ne saurait être indépendant de ce milieu. Chercher une solution strictement personnelle à ces problèmes, c'est commettre une erreur technique et tactique, et les erreurs ont toujours leurs conséquences.

Le seul fait, pour l’individu, d’extérioriser ces problèmes, de les verser dans le circuit collectif et social, d’espérer donc des solutions favorables, constitue une décharge morale, disons plutôt une décharge psychique qui nous permet de réagir plus sagement, selon des données plus humaines et plus efficientes.

La pratique de la confession dans la religion catholique répond à ce souci de décharge et de libération.

Notre expression libre joue, sous une forme beaucoup plus naturelle, le même rôle bénéfique.

Il faut d’ailleurs un certain temps à nos enfants pour qu’ils s’habituent à cette expression profonde qui est libération.

Avec des enfants non entraînés, les textes libres sont, pourrions-nous dire, superficiels. On ne leur sent aucune racine. Ils racontent des faits, ou amorcent des descriptions, mais impersonnellement, « objectivement » pour employer la trouvaille pseudo-scientifique de la scolastique.

Et peu à peu, l’enfant s’entraînera à s’exprimer. Les textes porteront désormais sa marque, ils seront le reflet de sa personnalité. Pas totalement encore. Comme dans la confession psychanalytique, il y a des recoins de l’individu qui tardent à livrer leur secret. La porte s’en entrebâillera un jour et nous devinerons alors le trouble réprimé qui faussait le fonctionnement de la mécanique.

Comment voir par cet entrebâillement, comment détecter et identifier les troubles, comment en définitive tirer de nos textes libres une véritable analyse psychanalytique. C’est ce que dira un jour prochain l’analyse méthodique et scientifique des milliers de textes dont nous disposons et que nous nous entraînerons à scruter, en vue d’une meilleure connaissance des processus de libération psychique par les textes libres.

C’est plus spécialement au point de vue affectif que textes libres et journal scolaire permettent des confessions d’une portée pédagogique considérable.

L'Ecole habituelle s’en désintéresse totalement, par principe, par technique, pourrions-nous dire. Elle agit comme si l’enfant qu’elle reçoit était une matière neuve sur les destins de laquelle les spéculations de l’école pourraient se poursuivre indépendamment de toutes les réalités préalables qui la conditionnent.

L’enfant a mauvais caractère, n’est pas sociable, semble étranger à la vie de la communauté. L’Ecole enregistre et sanctionne. Mais un texte libre nous révélera un jour quel drame secret accapare en permanence les soucis de l’auteur. Une fillette arrive toujours en retard en classe, sale et mal peignée. Elle n’est jamais à court de justifications fantaisistes qui nous portent n lui attribuer une imagination anormale et perverse.

Mais des textes libres nous diront, ouvertement ou non, la situation familiale dramatique de cette enfant. Nous saurons désormais les charges dont elle est accablée le matin, le peu d’affection qu’elle trouve dans sa famille et qu’elle compense par un attachement touchant à ses poules et à ses agneaux.

Cette révélation va bouleverser — heureusement d’ailleurs — la situation scolaire de cette enfant ; de nouveaux ponts seront établis, des voies nouvelles ouvertes à l’intercompréhension, qui peuvent être à l’origine de véritables résurrections.

 

Discipline

Octobre 1956

Le thème de notre dernier Congrès à Bordeaux était le rendement scolaire, sujet éminemment vaste et dont nous nous sommes appliqués à faire le tour, nous réservant d’étudier par la suite, séparément, les divers facteurs essentiels de ce rendement.

Parmi ces facteurs, le problème de la discipline est incontestablement au centre des préoccupations de la presque unanimité des éducateurs. Il constituera le thème du prochain Congrès de Nantes de l’Ecole Moderne, que notre ami Gouzil prépare avec une méthode et une obstination peut-être sans précédents.

Des camarades s’étaient plaints, l’an dernier à Bordeaux, que nos séances plénières étaient trop théoriques et qu’en définitive nous faisions, avec une éloquence toute relative, des discours qui ne seraient pas déplacés dans les assemblées académiques. Il nous faut revenir d’urgence à notre tradition de discussions d’une portée psychologique, pédagogique et sociale originale et utile, mais toujours orientée vers une amélioration technologique de nos conditions de travail. Pour nous, la pédagogie — et le Congrès — ne sont pas de purs jeux de l’esprit mais la recherche coopérative d’une meilleure éducation.

Pour parvenir à ce résultat, nous ne devons pas laisser à des rapporteurs — si informés et si éloquent soient-ils, de parler pour nous. Les rapporteurs doivent seulement recueillir, confronter et utiliser les documents qui leur viendront de la masse de nos lecteurs.

C’est pour préparer dès maintenant cet indispensable travail à la base, c’est pour que les groupes puissent se mettre immédiatement à la besogne que nous publions ci-dessous un plan, qui ne vise d’ailleurs pas à être complet, des questions à étudier.

Les groupes ou les camarades qui auront manifesté le plus d’activité dans ce travail coopératif seront invités à rapporter au Congrès :

La Discipline à l’Ecole

1° Qu'est-ce que la Discipline ? Quelles sont- les diverses formules utilisées dans le passé et dans le présent ?

Ce sont l’Armée et l’Ecole qui ont donné à ce mot de Discipline un sens plutôt péjoratif.

Si un individu vivait seul, comme Robinson, dans une île déserte, il serait libre d'agir comme bon lui semblerait, sauf qu’il aurait cependant à tenir compte des réactions du milieu : plantes et animaux notamment.

Mais dès qu’il vit avec d’autres individus, il faut nécessairement que s’établisse un modus vivendi plus ou moins favorable. C’est ce modus vivendi que nous appellerons Discipline.

Il serait souhaitable, au début de cette discussion, de faire le point des diverses expériences de modus vivendi, de disciplines intervenues au cours des siècles. Nous verrons ensuite le problème tel qu’il se pose actuellement dans nos écoles françaises et les solutions que nous préconisons. D’ailleurs, la plupart de ces formes de disciplines sont encore pratiquées de nos jours en France et hors de France. 

— Discipline autoritaire, du plus fort ou du vainqueur. Y a-t-il encore des esclaves ?

— La discipline divine avec ses diverses incidences.

— La discipline morale.

— La discipline patriarcale.

— La discipline coopérative.

— L’autogouvernement et l’autodiscipline.

— La discipline du ¡eu.

— La discipline du travail.

Communiquez-nous citations d’auteurs et informations diverses sur ces points.

Trois formes de discipline. — Il n'y a pas une discipline valable pour les enfants et une discipline valable pour les adultes. La Discipline est une, comme lEducation.

Nous comparerons très souvent la Discipline chez les enfants à la Discipline chez les adultes. Nous aurons beaucoup plus de chances de raisonner juste.

Si un état est soumis à l’autorité d’un chef, d’un maître :

— Ou bien le maître se fait redouter par sa puissance et par les punitions exemplaires dont il frappe ceux de ses sujets qui y portent atteinte. Et l’ordre règne.

— Ou bien le maître, tout en gardant sa totale autorité, sait être juste, généreux, compatissant, compréhensif. Il se fait aimer. Il peut parvenir alors à une forme de discipline qui reste très humaine. A condition que ce qu'il est contraint d’exiger de ses sujets ne soit pas trop radicalement contraire à leurs besoins et à leurs soucis auxquels cas il y aurait nécessairement opposition, choc et répression.

— Ou bien le maître reconnaît les droits et les devoirs de ceux qui vivent avec lui et les aide à créer une société au sein de laquelle s’instaure une discipline juste et humaine. Nous aurons à examiner à l’Ecole ces trois formes de discipline.

La Discipline autoritaire du maître qui commande à des enfants qui n'ont qu’à obéir.

Cette autorité est fondée non sur la compréhension de l’enfant mais sur la force et la répression.

Cette forme de discipline était courante au début du siècle. Elle est loin d’avoir disparu. Elle tend au contraire à renaître avec la surcharge des classes.

Nous en étudierons les fondements, le fonctionnement et l’évolution. Cette question pourrait faire l’objet d’un point spécial du rapport.

Réunissez dès maintenant et communiquez-nous les éléments de ce rapport :

— La discipline autrefois, telle que nous l’avons plus ou moins subie.

— Les punitions. Leur forme. Leur portée.

— Les récompenses.

— Les modalités disciplinaires à l’Ecole et hors de l’Ecole.

— Comment les enfants essayaient de tourner les règlements et l’autorité.

— Connaissez-vous aujourd’hui encore des écoles publiques ou privées, ou maisons d’enfants qui pratiquent cette discipline autoritaire ?

L’autorité mitigée. — Les formes sociales et politiques ayant évolué vers une plus ou moins grande démocratisation, l’Ecole a théoriquement, avec un début de pratique, évolué elle aussi vers une discipline qui laisse au maître sa totale autorité et sa responsabilité, mais mitigée cependant par des appels à la compréhension et à l’action des enfants.

La presque totalité des classes entre aujourd’hui dans cette catégorie qui pourrait se comparer, politiquement, à une sorte de monarchie constitutionnelle (d’où un net retard).

— Attitude du maître : estrade, devoirs, leçons, bras croisés, silence.

— Influence naissante ou croissante des enseignements d’une psychologie qui révèle les raisons d'opposition de l'enfant à un tel régime.

— Les punitions et la répression en général à l’Ecole mitigée actuelle. En établir la gamme. Il nous faut pour cela de très nombreux exemples montrant que cette forme d’Ecole touche bien d’un côté à la formule retardataire pour essayer de s’orienter d’autre part vers une discipline progressiste.

— Les instruments de l’autorité :

Les manuels scolaires ; Le directeur ;

Les leçons ; Les parents ;

Les devoirs ; Les notes ;

Le maître ; Les bons-points, etc.

La Discipline moderne, correspondant à la société démocratique qui s’instaure peu à peu dans les divers pays du monde.

C’est à cette étude, tout particulièrement constructive, que nous allons nous appliquer et pour laquelle il nous faudra de très nombreux exemples. Préparez-les dès maintenant :

— La vie et le travail par groupes ;
— La discipline sportive ;
— La discipline coopérative ;
— La discipline du travail.

Nous aurons à étudier comment l'instauration de ces diverses disciplines est rendue difficile et parfois impossible à cause :

— des règlements, des horaires et des programmes ;

— de l’incidence des locaux scolaires, de l’ameublement et de l’équipement ;

— du milieu social non favorable ;

— de la présence d’individus qui perturbent la vie de la communauté ;

— des méthodes de travail ;

— des effectifs scolaires.

La présente étude doit aboutir, au Congrès, à la mise au point et à la publication d'une véritable charte de l’Ecole Moderne, que nous tâcherons ensuite de rendre effective.

Documentation sur la Discipline à l’étranger. — Etude des diverses méthodes d’organisation de l’Ecole ; formes d'autorité, etc.

Nous demandons à nos correspondants français et étrangers de collaborer activement à cette rubrique.

*

* *

Dans les prochains numéros, nous traiterons successivement de ces trois points essentiels :

1° La discipline autoritaire, qu’on pratique encore mais sans oser s’y référer. Elle est la discipline du passé.

2° La discipline mitigée. Elle est, dans la grande majorité des cas, celle de notre période de transition.

3° La discipline progressiste de l’Education du travail que nous devons faire connaître et promouvoir.

Nous demandons aux groupes de mettre ces questions à l’étude de leurs prochaines réunions.

Des questionnaires publiés dans l’édition technologique de notre revue nous permettront de rassembler rapidement la masse de documents dont nous avons besoin.

Notre Congrès aura, cette année, une grande résonance nationale et internationale. La question à l’ordre du jour répond parfaitement aux préoccupations majeures des éducateurs et des parents.

Mais il nous faut de très nombreuses collaborations. C. F.

 

Le Magnétophone et la Radio au service de la correspondance interscolaire

Octobre 1956

 

Tous les samedis, chaÎne parisienne, émission «Aux Quatre Vents» - 13 h. 50 - 14 h. 10 - Première émission Samedi 29 Septembre

Octobre 1956

 

Les tâches de l'école au début de l'ère atomique

Octobre 1956

 

Nos points de vue

Octobre 1956

Dans cette revue axée sur les besoins des instituteurs, nous voudrions éviter le plus possible toute inutile littérature, ne pas nous contenter de la froide documentation dite objective mais apporter en permanence, les uns et les autres, le résultat de nos lectures, de nos recherches, de nos discussions et de nos travaux. L’expérience nous a montré que ce sont ces échanges d’homme à homme qui sont toujours profitables.

Nous allons donc inaugurer cette rubrique en donnant nos propres observations et réflexions à l’occasion de lectures, d’articles de journal, de controverses et de rencontres avec l’espoir que de nombreux camarades nous imiterons. C’est la confrontation d’idées qui est toujours la plus salutaire.

J’ai lu deux livres assez différents l’un de l’autre, mais rendant compte d'expériences pédagogiques qui, à vingt ans de distance, marquent deux époques.

O

A la Libération, Lacapère et Simone Lacapère, avaient fondé à La Bastide de Beau-Souci, en Seine-et-Oise, une maison d’enfants qui, comme toutes les maisons d’enfants, se surpassait en ingéniosité pour faire vivre une population toujours trop nombreuse. Simone Lacapère nous donne le compte-rendu de cette expérience originale dans un beau livre qui se lit exactement comme un roman, et quel roman : Beau- Souci, Communauté d’enfants (Préface de Ad. Ferrière, Edition de l’Amitié par le Livre, 750 francs), Camille Belliard, Blanville-sur-Mer, Manche.

Nous connaissions fort bien Beau-Souci pour en avoir suivi par le journal de La Bastide toutes les péripéties jusqu’au drame inhumain de la fermeture. Nous savions qu’il s’agit d’une expérience unique et originale, qui ne s’inscrit dans le cadre d’aucune méthode, qui déborde les méthodes pour bouillonner de vie.

Nous ne savons pas si le lecteur y puisera un quelconque enseignement pour la conduite technique de la classe, mais il verra comment des éducateurs et des enfants peuvent se hausser, avec une pureté exemplaire jusqu’à des sommets pédagogiques qui resteront toujours pour nous des exemples et des leçons.

Et vous rêverez d’entreprendre vous aussi un jour cette héroïque aventure. Lisez ce livre, il vous redonnera confiance en votre métier d’éducateur.

O

Quinze ans après, voici L’Institut Médico-Pédagogique de La Mayotte dont Fernand Cortez nous conte l’histoire dans une brochure éditée par la Fédération Internationale des Communautés d’Enfants.

J’allais presque dire que c’est le contraire de Beau-Souci.

A Beau-Souci, comme à l’Ecole Freinet, il y a des volets qui ferment mal, des portes branlantes, des salles mal agencées pour les destinations qui leur échoient, des jardins et des bois où les enfants sont chez eux, un nombre très réduit d’éducateurs car ce n'est pas le nombre mais la valeur qui fait la qualité de l’œuvre. Mais l’esprit y semble délivré tant est mobilisé le pouvoir créateur et organisateur des maîtres et des élèves.

Pour l’institut Médico-Pédagogique, il y a des fonds d’une ampleur qui aurait fait rêver Beau-Souci ; des locaux flambant neufs, avec aussi pour les enfants les tares des locaux neufs, avec une armée d’éducateurs, de moniteurs, de femmes de service, au total 28 pour 62 enfants. Plus, non permanents : une psychiatre psychanalyste, un kinésithérapeute, une psychologue, une orthophoniste, un pédiatre, un médecin de médecine générale, un dentiste, et divers spécialistes parisiens.

Nous ne voudrions surtout pas laisser croire que nous critiquons l’importance des fonds à une œuvre aussi vitale, pas plus que nous ne mettons en doute le souci pédagogique et le dévouement des éducateurs et de leur directeur. Mais diverses questions se posent, sur lesquelles nous voudrions bien avoir l’opinion de nos lecteurs, et nous en rediscuterons d’ailleurs.

1° Jusqu’à quel point la recherche du confort est-elle favorable à l’éducation ?

J’avais eu l’occasion de discuter de la chose cet été avec un moniteur qui trouvait l’installation de l’Ecole Freinet trop pauvre, en quoi il n’avait sans doute pas totalement tort. Il aurait voulu de belles tables et surtout des chaises confortables, et pas de ces bancs que nous utilisons l’été sur notre terrasse ; je lui ai fait valoir que, lorsque je retourne dans nos maisons familiales de la montagne, je suis si heureux de m’asseoir sur de vieilles chaises de bois ou des bancs rustiques, que le confort est une question tout à fait relative, que le commerce contemporain a hypertrophiée jusqu’à en faire parfois une incroyable limitation.

Il y a certes le confort qui facilite le travail de la ménagère, à condition encore que son souci ménager ne devienne pas tyrannique.

Pour les enfants, le confort optimum est très vite atteint. Ce qui compte pour eux, c’est la vie, les possibilités d’action et de création, les résonances du métier.

Dans la recherche de l’ameublement pour l’enfant il devrait être tenu compte plus largement de cet élément de vie. Toute la question d’équipement scolaire devrait en être reconsidérée.

Je parlais de la chose au stage de Boulouris. Des institutrices d’Ecole Maternelle nous citaient des exemples d’Ecoles nouvellement construites et qui, aux yeux des visiteurs apparaissent comme des palais. Mais ce ne sont pas des palais d’enfants. Les murs en sont si soignés — même si les décorations n’ont rien d’enfantin, — qu'on ne peut même pas accrocher une gravure. La classe doit rester anonyme et impersonnelle telle que l’a conçue l’architecte.

Nous avons réclamé pendant longtemps pour que les architectes ne continuent pas à construire en 1956 des écoles sur le modèle 1900. Un premier pas a été fait, l’architecture s’est modernisée, mais pas dans le sens scolaire. Et nombreux sont les collègues qui nous disent à quel point architectes et éducateurs continuent à ignorer leurs besoins et leurs responsabilités réciproques.

Nous conterons une autre fois l’histoire d’une école de village que nous avons vu construire cet été en haute montagne selon des principes valables peut-être pour une école provençale, et qui sera, de ce fait radicalement inhabitable.

Nous voudrions bien que les camarades participent à cette enquête collective.

2° Question : Les fonds attribués aux écoles seront toujours insuffisants. Mais nous avons non seulement le droit mais le devoir d’en discuter l’utilisation comme nous avons discuté de l’utilisation des fonds Barangé.

Nous ne pensons pas que la solution de la Mayotte soit une solution idéale. Par l’augmentation, j'allais dire catastrophique, du personnel des maisons d’enfants, on s’engage dans une impasse.

Il faudrait étudier objectivement quelles sont les conditions optimum de la vie en communauté. Je suis personnellement persuadé que les résultats seraient meilleurs si on réduisait, dans certains cas, les frais de personnel pour augmenter les dépenses d’installation, d’outillage et de travail ; on vit encore trop dans l’ensemble des écoles sur la vieille conception de la discipline née d’une stricte surveillance. Il y aurait peut-être lieu de s’orienter ici aussi, vers une discipline du travail.

3° Question : La Mayotte semble redouter que la maison d’enfants puisse se présenter comme un substitut de la vie familiale. « La Mayotte n’accepte pas d’enfants avant huit ans parce qu’il est dangereux de séparer un enfant de moins de huit ans de sa famille... Il est absolument exclu qu'une éducatrice se fasse appeler maman ou tante par les enfants du groupe. » ,

Certes rien ne peut remplacer la famille lorsqu’elle est acceptable. Mais il y a aujourd’hui l’immense masse d’enfants qui, par suite des conditions nouvelles de travail, par suite aussi des difficultés croissantes de famille, n’ont plus de famille et pour lesquelles il faut bien chercher d’autres conditions d’éducation.

Nous sommes certes contre une forme d’affectivité qui n’est que de l’ersatz de l’esprit de famille, mais sur d’autres bases, que nous tâchons de définir il nous est possible d’assurer aux enfants sans famille « aidante » les assises qui en feront des hommes.

Tout ceci, nous le répétons, ne saurait diminuer en rien la portée de l’œuvre d’institutions qui honorent la France, et de maîtres qui y retrouvent un peu des grandes vertus éducatrices dont nous ne dirons jamais trop la splendeur.

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J’avais depuis longtemps sur mes rayons un livre de John U. Nef : La Naissance de la Civilisation. Industrielle et le Monde Contemporain (Armand Colin) que je ne me hâtais pas de lire quand je ne lui croyais aucune incidence majeure sur nos conceptions et notre orientation pédagogique.

Et voilà que, dès les premières pages, je lis:

« Ce qui distingue la civilisation industrielle de toutes les civilisations antérieures, c’est le fait que la recherche du quantitatif est devenu l’élément primordial, et qu’on risque de perdre — le risque est imminent — les valeurs évoquées par la recherche du qualificatif, valeurs essentielles (nous tâcherons de le démontrer) pour l’évolution même de la civilisation industrielle. »

Et c’est ainsi tout notre; problème pédagogique qui se trouve posé : acquisition quantitative de connaissances, et qualité de ces acquisitions en fonction de notre nature même et de notre rôle social. « Dans le monde moderne, nous sommes parfois les esclaves de la quantité et de la vitesse, parce que nous attachons une importance disproportionnée à la vitesse et à la quantité. »

« L’œuvre du poète ou de l’historien ne se prête pas à une telle accélération. Entendre la sonnerie d’une horloge, le tic-tac d’une montre ou apercevoir le mouvement d’une petite aiguille constituent une menace pour l’artiste et pour l’amant. »

« L’exactitude contemporaine s’adresse au qualificatif ; c’est pourquoi, dans les temps contemporains, l’artiste authentique doit organiser sa vie autrement qu’un industriel financier ou un ouvrier d'usine... A l’époque de Rabelais, l’essentiel de la population industrielle et de toute la population, vivait sur le même rythme que l'artiste... La vie de chacun ne dépendait pas des horloges, et la notion de durée avait une signification artistique beaucoup plus riche et plus répandue qu’aujourd’hui. »

L’auteur note alors qu’une première Révolution industrielle s’est produite en Angleterre et dans les pays nordiques aux environs de 1560.

Vers cette époque une Révolution scientifique annonce déjà le règne du quantitatif. « Les changements fondamentaux dans les méthodes scientifiques de recherche et de pensée furent l’œuvre de quelques hommes, dont les plus éminents étaient : Gilbert, Harvey, Galilée, Kepler, Desargues, Fermât et l’auteur du Discours de la Méthode, Descartes. Tous ces hommes sont nés entre 1540 et 1601. Tous ont fait leurs recherches principales entre 1570 et 1650. Ce qui caractérisa ces découvertes dans le domaine des sciences positives, ce fut l’emploi systématique de toutes les expériences et de toutes les observations qui pouvaient avoir une relation avec le problème posé... La rupture avec le passé dans le domaine de la pensée fut aussi évidente que la rupture avec le passé dans le domaine de l’industrie. »

«Une génération après Rabelais, mort en 1553, le goût de mesures plus exactes s’est révélé dans plusieurs domaines. Il faut se rappeler que Je calendrier grégorien date de 1580. Ce fut une œuvre de la Papauté... Cette œuvre nous montre que le goût nouveau pour l'exactitude quantitative dans la pratique de la vie, comme dans la pensée, était loin de se localiser dans le Nord, berceau de la première révolution industrielle. »

Nous reviendrons dans une autre chronique sur les conséquences de cette substitution du quantitatif au qualificatif. Pédagogiquement, nous sommes en plein dans ce drame. La Faculté semble avoir pris naissance et importance au moment où s’opérait cette substitution et elle reste encore, même pour les choses de l’esprit, dominée par ce quantitatif.

Pendant la période ascendante de la civilisation capitaliste, cette culture quantitative a fait illusion. Les guerres et les conflits majeurs dont notre génération a eu le triste privilège nous montrent que la question vaut d’être reconsidérée : au point de vue industriel, au point de vue culturel, et aussi au point de vue pédagogique.

Nous avons fait le plein. Nous sommes tous excédés de vitesse, de rythme, de chronomètres et de compteurs, n nous faut trouver une solution qui tienne compte des acquisitions indubitables de cette civilisation industrielle mais qui nous permette aussi de retrouver le qualificatif qui est l’essence des civilisations dignes de durée.

Ce livre est à lire. Je suis loin d’en avoir donné ici l’essentiel. Je voulais seulement marquer que notre souci de cultiver par des voies nouvelles d’intelligence et de vie les « sens» profonds du qualificatif, de redonner à la pensée et à l’art sa place éminente dans la formation des enfants répond à une tendance générale des chercheurs. Le livre de John Nef en est l’expression.

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Dans tout notre effort d’instituteurs progressistes, nous nous heurtons toujours à l'objection majeure de ceux qui, n’étant pas eux-mêmes en proie aux enfants s’accommodent bien facilement de la détresse technique et technologique où l’on nous abandonne.

Dans un livre édité par Sudel « L’Instituteur et l’enfant » (questions de psychologie et de pédagogie), N. David, Inspecteur Général écrit en introduction : «On m’a demandé parfois : « Quelle est votre doctrine en matière d’éducation ? » J’ai un peu honte, en tant que vice-président de l’Ecole des Parents d’avouer que je n’en ai pas. Je confesserai aussi humblement que je préfère les éducateurs qui n’ont pas de doctrine, parce que, s’ils aiment les enfants, et s’ils sont consciencieux et éveillés ils sauront profiter de l’expérience des autres ».

Nous cherchons une doctrine, nous tâchons d'en avoir une qui oriente nos travaux, les éclaire, les mette à notre portée pour soutenir au moins cette bonne volonté élémentaire qui est dans tout instituteur. Mais placez ce même instituteur au milieu de 35, 40 ou 50 enfants, sans outils de travail intéressants, en butte aux réactions de défense d’écoliers malmenés et vous verrez ce qu’il adviendra de l’amour des enfants, de la conscience et de l’éveil.

Cette confession de M. David repose tout le problème de la vocation, qu’on voudrait parfois poser à l’origine du métier d’éducateur.

Or, nous disons que 999 fois sur 1.000, l’instituteur vient à son métier non par vocation mais tout au plus par tendance, et parfois par hasard. Exactement comme pour les autres métiers. Les débuts sont parfois durs, mais si, par la suite le métier est intéressant, ou même passionnant, s’il n’est pas trop fatiguant et s’il permet de vivre normalement, alors on se met à aimer son métier.

Il est très exact que, plus que tout autre métier, celui d’éducateur ne peut être efficient que si on l’exerce avec goût et amour. Nous tâchons de donner ce goût et cet amour, cette vocation, non par des prêches, mais en réalisant les conditions qui font du métier d’éducateur le plus beau des métiers.

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Notre ami Joseph Pascal est instituteur en retraite. Il fut, de tous temps un obstiné chercheur. Il vient de publier chez Debresse, à Paris, un Florilège de la Culture Française en 1400 citations (38, rue de l’Université, Paris, (7e). Prix : 660 francs).

Je vous recommande ce livre non seulement parce qu’il est l’œuvre d’un collègue, ou qu’il nous cite même fréquemment, mais parce qu’il prendra place dans votre bibliothèque de textes d’auteurs et que vous y trouverez immédiatement des citations majeures sur les thèmes essentiels de notre pédagogie.

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Je parlerai dans un prochain numéro :

— de la revue Enfance qui vient de consacrer un n° spécial au Livres pour enfants (pour lequel bien sûr notre expérience, qui commence à compter n’a pas même mérité une mention).

— de Philippe Malrieu : La vie affective de l’enfant (Editions du Scarabée) qui nous donnera l’occasion de parler en détail de la question si importante pour nous de l’affectivité.

— du beau livre que Luc Estang a consacré dans la collection Ecrivains de toujours des Editions du Seuil, à Saint-Exupéry par lui-même.

— de la réédition du gros Cahier de Pédagogie Moderne consacré par les Editions Bourrelier à la Psychologie de l’enfant de la naissance & l’adolescence.

— du livre publié sous la direction de Jean Château aux Presses Universitaires de France sur Les Grands Pédagogues, et qui rendra de grands services aux débutants qui doivent connaître la pédagogie de Platon, les Jésuites, Coménius, Locke, Rollin, J.-J. Rousseau, Pestalozzi, Keschensteiner, Decroly, Claparède, Dewey, Montessori, Alain.

Jongler sans objet, c'est ce que l'enseignement secondaire appelle une culture désintéressée, détachée des contingences du milieu et de l’action, qui peut effectivement mener loin, mais qui est entachée à l'origine de cette tare du manque d'objet.

Les processus de culture sont les mêmes pour tous, et nous nous appliquons à en montrer les éléments : expérience personnelle, prise de conscience de l'expérience adulte dans le milieu ambiant, élude plus abstraite et plus poussée de quelques-uns des problèmes qui sont ainsi posés, sans cependant les isoler jamais des contextes sans lesquels ils perdent but et raison d'être.

Il s'agit comme d’un escalier dont on ne peut pas impunément sauter un groupe de marches. La différence entre les individus vient du fait que quelques- uns d’entre eux, pour diverses raisons, physiologiques, psychiques, sociales, ne parviennent pas à dépasser un certain niveau parce que le vertige les prend et les fait redescendre hâtivement. Il en est d'autres au contraire qui franchissent à toute vitesse les premières marches pour accéder à celles qui, vers le sommet, dominent l’horizon dont ils se sentent cependant solidaires.

« Il est faux, écrit M. Cros, qu'il y ait des méthodes abstraites ne convenant qu'à certains et des méthodes concrètes convenant aux autres qu'on situe, même quand on s'en défend, à un niveau inférieur aux premiers. Toute pensée créatrice exige à la fois la connaissance de la réalité concrète en même temps que l'aptitude à la généralisation, et les esprits tes plus aptes à l'abstraction intellectuelle gagnent au contact de ceux qui sont capables de création matérielle. Ils bénéficient autant qu'eux d'études et de travaux concrets et manuels, et le contraire n'est pas moins vrai. La pédagogie est une. »

Il faut, dit en terminant M. Cros, mettre fin au système des enseignements distincts et cloisonnés dès la 6e. 11 faut remplacer la sélection précoce, suivie d’abandons ou d’échecs, par une orientation continue, en groupant tous les élèves dans des classes peu nombreuses et en leur offrant, à côté de matières communes, le choix des matières à option.

Nous rappelons que notre système de brevets permettrait une telle sélection dans et par l'action. Il devrait devenir une des techniques essentielles de cet enseignement moyen pour lequel on est à la recherche d'une méthode efficiente.

« La réforme pédagogique sera l'œuvre des maîtres et non des textes. Elle devra se modeler pas à pas sur l’expérience. »

Nous apportons notre pierre.

 

 

25 enfants par classe

Octobre 1956