La discipline autoritaire

Novembre 1956

Dans notre dernier numéro, nous avons tracé le schéma des études à entreprendre. II s’agit maintenant d’entrer dans le détail et de préparer ainsi, coopérativement, les discussions qui, à Nantes, devront se terminer par des décisions pratiques Susceptibles d’influer radicalement sur le comportement des éducateurs et de leurs élèves.

Nous avons prévu comme thèmes majeurs :

1° La Discipline autoritaire, qu’on pratique encore, mais sans oser s’y référer. Elle est la discipline du passé.

2° La Discipline mitigée. Elle est, dans la grande majorité des cas, celle de notre période de transition.

3° La Discipline progressiste et coopérative de l’Education du Travail, que nous devons faire connaître et promouvoir.

Si l’on veut corriger des erreurs, dépasser des insuffisances, il faut d’abord les connaître, en prendre loyalement conscience, en délecter les causes, établir les responsabilités. Mais ne risquons-nous pas, aussi, d’apporter de l’eau au moulin de ceux qui, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’éducation des enfants, partent sans cesse en guerre contre notre Ecole laïque que nous avons le devoir évident de défendre.

Nous nous trouvons dans la situation du mécanicien qui conduit une machine qui lui rend certes des services, qui est supérieure aux installations rudimentaires d’autrefois, mais qui n’en mériterait pas moins d’être perfectionnée comme le permettent les récentes découvertes mécaniques.

Mais, s’il avoue que la machine ne fonctionne pas bien, ne donnera-t-il pas, par là même, prétexte aux ennemis réactionnaires qui voudraient régresser aux pratiques d’autrefois?

S’il ne dit rien — comme il ne pourra pas toujours cacher les rendements insuffisants de son installation — laissera-t-il dire, héroïquement, que c’est le mécanicien qui est eu cause, et que, en préparant mieux les ouvriers, on obtiendrait de meilleurs résultats ?

Il fait finalement confiance aux vertus possibles de sa machine. Il en dénonce les insuffisances pour qu’on essaie d’y parer. S'il y réussit, une étape difficile, qui apparaissait comme une impasse, sera victorieusement franchie.

Devons-nous accepter sans rien dire un certain nombre de pratiques disciplinaires qui nous sont imposées par les conditions défavorables de notre Ecole, par les programmes, les horaires, les locaux défectueux, les installations rudimentaires et la surcharge des classes qui rend plus aigus encore tous les problèmes ? Devons-nous nous taire, de crainte que nos ennemis triomphent: «Voilà ce qu’est l’Ecole laïque», en se gardant bien de dénoncer les maux plus graves encore dont souffrent leurs propres Ecoles? Laisserons-nous croire que la mécanique, même gravement handicapée, fonctionnerait cependant à la satisfaction de ses usagers si les mécaniciens étaient mieux à la hauteur de la situation ? Accepterons-nous la formule qui a cours dans tous les milieux pédagogiques : « Tant vaut le maître, tant vaut la classe», qui n’est pas universellement juste?

Nous aussi, comme le mécanicien, nous avons longtemps hésité. La nécessité où nous sommes de discuter maintenant du thème de la discipline nous impose un examen objectif, mais impitoyable de la situation.

Nous dirons d’abord l’ inéluctabilité du problème de la discipline pour toutes les écoles qui, pour des raisons diverses, n’ont pas encore pu atteindre le stade où l’organisation technique d’un travail fonctionnel peut apparaître comme susceptible de pourvoir à l’ordre et à l’harmonie indispensables dans toute collectivité — et ces écoles sont, hélas ! l’immense majorité.

Et, même dans nos classes que nous disons modernisées, nous portons dans tant de domaines le poids du passé que le problème de la discipline n'est jamais que partiellement résolu et, qu’à nous aussi, se pose impitoyablement le problème :

— Comment obtenir que nos enfants ne fassent pas un bruit excessif dans les couloirs ou en classe ?

— Comment calmer les enfants déséquilibrés, énervés on excités qui perturbent la classe ?

— Comment obliger les élèves à étudier les leçons ou à faire les devoirs exigés par les programmes et les inspecteurs ?

— Comment éviter l’impolitesse, la grossièreté, la brutalité, si courantes dans les classes surchargées de villes ?

Nous nous appliquerons à expliquer, en conclusion de nos articles, que le problème sera résolu naturellement et humainement le jour :

— où les locaux seront construits en fonction de la vie active des enfants qui la fréquentent ;

— où un travail nouveau, intéressant et même passionnant pour les enfants, aura remplacé la scolastique désuète ;

— où, pour cela, les classes seront meublées et équipées eu fonction de cette nécessité ;

— où tes enfants seront élevés, nourris, éduqués hors de l’Ecole d’une façon satisfaisante ;

— où auront disparu les taudis, les maisons-casernes et les écoles-casernes ;

— où les classes auront 25 élèves.

En attendant — et il y aura encore longtemps de la marge — comment résoudre les problèmes difficiles, parfois dramatiques qui nous sont posés?

Dans la pratique, hélas ! une discipline dans un complexe d'autorité supposant l’obéissance demande très souvent les solutions de force.

Cette force se manifeste à divers degrés.

Elle est invisible, imperceptible et, parfois, insensible, quand le maître habile sait avoir recours, à bon escient, aux punitions et aux récompenses. Nous verrons l’incidence, eu l’occurrence, des notes, des classements et d’une émulation qui dépasse très vite la mesure.

Mais ce ne sont là que palliatifs délicats à manœuvrer et qui, dans bien des cas, sont insuffisants, du moins avec certaines personnalités difficiles.

Vient alors la gamme des punitions.

Pour les raisons que nous avons données ci-dessus, l’usage des punitions reste encore général dans nos classes : punitions légères, apparemment acceptables, punitions courantes : privation de sorties, piquets, verbes et lignes ; punitions plus graves, qui attentent à la dignité, non seulement des élèves qui les subissent mais aussi des maîtres qui les infligent.

Quelle est la gravité exacte du mal ? C’est ce que nous voudrions préciser par l’enquête que nous allons mener, et dont les résultats ne seront rendus publics que si nous jugeons cette divulgation sans danger.

Nous demandons à tous les camarades pour qui les punitions ne sont plus une pratique courante de la classe, et qui donc peuvent obtenir les confidences de leurs élèves, de laisser ceux-ci raconter les punitions diverses qu’ils ont subies à l’école et à la maison, de les noter avec détail et de nous faire parvenir le résultat de ces témoignages.

Chaque fois que vous le pouvez, enregistrez au magnétophone les discussions, très vite animées, des enfants, et demandez-leur, en même temps, quels moyens ils préconisent pour résoudre les difficultés devant lesquelles l’éducateur risque d’être désarmé.

Quand nous serons en possession de ce document, nous amorcerons une campagne pour que soient sauvegardés les droits élémentaires des enfants, qui sont nécessairement le pendant des droits élémentaires des hommes et des citoyens.

L’organisation à Nantes, d'un grand Congrès national et international de jeunes coopérateurs scolaires s’inscrit parfaitement dans le cadre de cette enquête. Nous aurons là, parlants : le passé, qui est encore souvent le regrettable présent, et le présent progressiste et enthousiasmant qui prépare l’avenir.

La conclusion de nos discussions pourrait être alors la publication d’une Charte des enfants à l’Ecole et dans la famille, charte que les enfants, mais aussi les parents, les administrateurs et les éducateurs seraient appelés à respecter.

D’ores et déjà, nous recevrons avec intérêt Ions les témoignages que nos camarades voudront bien nous faire parvenir.

L’organisation de la préparation du thème et de la discussion au Congrès sera cette année aménagée d’une façon différente.

Nous devons à tout prix, en effet, éviter les rapports fleuves qui ont, l’an dernier, rendu trop monotones les séances plénières.

En principe, au début de chaque séance, j’introduirai à la discussion c’est-à-dire que je préciserai rapidement les questions traitées et les points plus particuliers à discuter. La discussion commencera aussitôt.

Dans cette discussion pourront intervenir des camarades, pour ainsi dire isolés, mais il serait souhaitable que des responsables de groupes départementaux viennent apporter le résultat îles travaux et études qu’ils auront menés dans leurs séances préparatoires.

Dès maintenant, portez ces questions à l'ordre du jour de vos réunions et informez-moi. Des rapports plus précis pourront être d’ailleurs demandés aux groupes qui auraient montré une particulière activité.

Nous commencerons prochainement, dans I’« Educateur», la publication d’articles susceptibles de nourrir ta discussion par les témoignages des instituteurs eux-mêmes. Nous pouvons, si on le désire, respecter l’anonymat.