Nos idées sont comme nos poules, me dit un jeune ouvrier.
Chez les uns, elles sont rares, indigentes et lentes, tout juste capables de s’accrocher à la planche branlante qui mène au portillon. Elles s’y engouffrent une à une, sans histoire.
Chez d'autres, elles arrivent, ordonnées et décidées, caquetant harmonieusement, ou grattant la terre humide. De temps en temps, l’une d'elles lève le bec, tourne la tête comme si elle voulait sentir le vent ; elle monte, sûre d'elle- même, s’arrête un instant pour mesurer sa décision et pénètre comme une princesse en son palais.
Chez moi, précise-t-il, tout se bouscule au portillon. J’ai trop d'idées, comme dans une cour trop populeuse qui ne disposerait que d’une ouverture d'entrée. C’est à qui passera le premier, et pas sans mal, et sans ébouriffement de plumes.
Si ma culture était plus solide, mes idées seraient échelonnées selon leur nature et leur importance, comme des volailles qui disposent de la richesse des jardins et des champs, et qui n’ont aucune raison de se précipiter vers un rassemblement. Elles profitent des graines qui s'offrent et des rations de soleil qui s'évanouissent, et s’en reviennent enrichies et assagies.
Mais qu’un chien menace ou que l’épervier jette son cri de guerre, alors, vous voyez l’armée des poules s’enfuir éperdues, s'engouffrer dans les impasses, se meurtrir aux grillages, et se battre pour pénétrer dans l’abri.
Ainsi vont mes pensées en bataille.
Aidez-nous. Ne restreignez pas arbitrairement le flot de nos idées. N’en surpeuplez cependant pas notre poulailler. Laissez-leur la possibilité de se nourrir et de s’acclimater de façon qu’elles ne soient point en nous comme un aveugle troupeau, mais postées toutes à leur place, aux abords de l’entrée, vives et fraîches, et que nous puissions les appeler d’un geste pour les amener méthodiquement à l’orée de l’intelligence.
Nos idées ne se bousculeront plus au portillon.