Le beau congrès de Nantes

Avril 1957

Au moment où vient de se terminer un des plus beaux congrès de l'histoire de notre mouvement et, en tout cas, un des plus décisifs, il nous faut ici, dans notre revue, faire le point de nos travaux avec les camarades qui y ont participé et faire connaître en détail pour les autres, les péripéties exaltantes de notre grande rencontre et ses enseignements.

Ce compte rendu sera fait, pour ainsi dire, en deux étapes : Dans le présent numéro, nous nous contenterons de donner les motions votées au Congrès afin que nos camarades puissent les diffuser sans retard. Nous accompagnerons cette publication d’un large coup d’œil général sur le Congrès afin de mettre plus particulièrement en voleur les caractéristiques qui le font, à notre avis, différent des autres, et en progrès. En attendant que le prochain Congrès de Paris, à Pâques 1958 soit en progrès, lui aussi, sur les événements que nous venons de vivre.

Vers le 15 mai, nous publierons un gros numéro de compte rendu général, dans lequel nous mettrons plus spécialement l'accent sur l’étude du thème du Congrès : La Discipline et l’action à mener en cours d’année pour continuer la campagne si bien amorcée.

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Un très grand congrès, disions-nous.

Un Congrès plus important par le nombre que les Congrès précédents. La crise de l'essence, que nous redoutions, n’a arrêté aucun camarade. Huit cents éducateurs, un millier, certains jours, ont participé à nos travaux, faisant de cette manifestation la plus grande rencontre pédagogique de notre pays.

UN CONGRES ORGANISE A LA PERFECTION

Ce n’est pas faire injure aux organisateurs des précédents Congrès que de dire de Nantes qu’on y a fait mieux. Il est normal que l’expérience nous permette, d’année en d’année, de parvenir à de meilleurs résultats, comme il est normal que le prochain Congrès de Paris éclipse partiellement, si c'est possible, celui que nous venons de vivre. Ces réussites successives nous montrent, du moins, combien sont similaires l’initiative, le dévouement et la camaraderie sans réserve de tous les bons ouvriers qui acceptent une tâche que seuls peuvent vraiment mesurer ceux qui y ont participé.

Dans la série déjà longue des Comités d'organisation, Nantes n’en occupe pas moins une place de choix.

Cette place, il la doit d'abord à la qualité des camarades qui en ont pris l’initiative. Depuis deux ans, notre ami Gouzil pensait à son Congrès et posait patiemment les jalons dont nous avons bénéficié. Il a trouvé, dans le groupe nombreux et actif de Loire-Atlantique, les collaborateurs de choix que nous remercions ici sans oser les nommer, tant il est difficile d'établir une hiérarchie dans une entreprise commune mue par un si bel idéal. Nous dirons seulement, et c'est une qualité exceptionnelle, que le Comité d’organisation de Nantes a fonctionné en souplesse, avec le sourire. Et il faut savoir ce que cela représente, pour des camarades qui, pendant des semaines et des mois, sont dominés, jour et nuit, par le travail dont ils ont accepté la charge, Le fils de notre bon ami Turpin nous disait avec philosophie combien, à dix ans, il était familiarisé avec le Congrès. « On ne parle plus que de cela à la maison depuis plusieurs mois. »

Je le disais à la séance d'ouverture : le grand succès du Congrès est leur récompense à tous. Pendant longtemps, nos camarades, en se remémorant l'inoubliable accueil de Nantes, penseront, avec gratitude à ceux des nôtres qui en ont été les artisans dévoués et fraternels.

UN CONGRES QUI FUT UNE GRANDE MANIFESTATION LAÏQUE

Et c’est ce qui lui a valu un caractère spécial, au sein du pays chouan. Quand, le mardi après-midi, nous nous rendions en cortège, bagad de Noyal-Lamballe en tête, pour la réception solennelle de la mairie, les passants s'arrêtaient, émus, les fenêtres se garnissaient, et nous étions fiers de notre grande solidarité.

Cette solidarité devait s'affirmer davantage encore le jeudi après-midi, avec le défilé à travers Nantes d'une masse de 1 000 enfants et de 1000 adultes, précédés par les binious de Noval-Lamballe et Penhars (Finistère) et les groupes folkloriques invités au Congrès. Jamais, peut-être, Nantes n’avait vu s’affirmer avec une telle ampleur la solidarité laïque.

Et nous pensons que c'est cette solidarité laïque en pays chouan qui nous a valu l’accueil que je pourrais dire fraternel et sans réserve de toutes les organisations, des administrations et des établissements se réclamant de la laïcité. Toutes les portes nous ont été ouvertes, de la grande salle des Beaux-Arts au Lycée Clemenceau qui fut notre centre général de ralliement et de travail, aux Centres d'apprentissages qui nous ont hébergés et nourris.

Avec nos remerciements renouvelés, nous formulons le vœu que soit suivi, à travers la France, ce bel exemple d'union des bonnes volontés qui, conscientes du danger clérical, doivent par leur cohésion, assurer la victoire de la grande idée laïque.

UN CONGRES QUI A PRIS DE PRECIEUSES OUVERTURES SUR LE MONDE AMBIANT

Ces ouvertures, c’est notre ami Gouzil qui les a obstinément voulues et ménagées et nous ne saurions trop lui savoir gré de ses initiatives.

Nos Congrès, comme notre mouvement d'ailleurs, avaient les inconvénients et aussi les avantages des manifestations fermées sur elles-mêmes, qui discutaient des questions à l'ordre du jour, mais qui en discutaient comme on en aurait discuté à Bordeaux, à Lille ou à Nice.

Nous disons souvent que notre pédagogie doit hardiment déborder le cadre scolaire, même si les problèmes d'instruction, de cohabitation et de discipline doivent en être momentanément compliqués. Nos Congrès doivent de même affronter le milieu social, économique, culturel et politique du monde où ils se trouvent pour quelques jours implantés.

Le Congrès de Nantes a rompu les amarres : il s’est imposé et allongé dans les rues ; il a visité les musées ; enquêté dans les usines, dans les champs préhistoriques et parmi les marais de Brière. Il a déposé une gerbe à Châteaubriant et au monument de la Résistance. Il a honoré la mémoire de René-Guy Cadou. II a accueilli — et c'est la première fois — des médecins qui ont participé à notre grande discussion sur la discipline. Et la presse locale, en conséquence, nous consacré des colonnes et des pages. La Radio a enregistré tout un jour à l'Exposition et dans nos commissions.

Cet élargissement de notre action sert incontestablement notre grande idée de l’Ecole Moderne, même s'il nous a valu quelques ennuis techniques dont nous parlent certains camarades,

UN CONGRES DE COOPERATION SCOLAIRE

Notre travail est à 100 % coopératif, mais nous négligions trop, dans nos Congrès, d'extérioriser cette grande idée de collaboration dans tous les domaines.

Le Congrès de Nantes y a pourvu cette année par l'organisation de la première Rencontre. Internationale de jeunes coopérateurs. Pendant tout un jour, un millier d’enfants de Nantes, de la Bretagne, de divers départements et de pays étrangers ont travaillé, expérimenté, joué. La journée du jeudi fut leur journée et se termina au théâtre par une remarquable soirée enfantine à laquelle assistèrent de nombreux parents.

L’idée vaut d'être continuée l'an prochain. Elle n’aura à Paris que plus de succès.

Signalons à ce sujet la présence au Congrès des représentants des grands organismes corporatifs de Consommation et de production qui comprennent l'éminente portée de nos efforts.

UN CONGRES DE JEUNES

Je regardais la salle et je constatais avec une grande satisfaction que l'élément demi-jeune et jeune y était en grande majorité. Certes, le noyau de militants chevronnés est toujours là, actif et respecté. Mais les générations nouvelles ont désormais dans notre mouvement une place éminente ; elles posent leurs problèmes qui ne sont pas toujours exactement ceux que nous avons plus ou moins résolus. Des problèmes nouveaux s'imposent à nous et laissent en permanence du pain sur la planche à l'ensemble de notre mouvement. Il n'y a qu'à voir comment notre camarade Delbasty s'applique à résoudre, par des voies nouvelles encore inexplorées, les questions de musique et de sciences.

Ce n’est pas par condescendance que nous écoutons les jeunes, mais par nécessité. Les problèmes pédagogiques ne sont pas en 1957 ce qu'ils étaient en 1930 et nous commettrions une grave erreur si nous prétendions les résoudre avec notre seule expérience. L’Ecole Moderne continue. Et c'est parce qu’elle continue qu'elle vivra et se développera.

Ce sont des jeunes encore qui, le vendredi après-midi, ont réuni en fin de Congrès, les 100 ou 150 vraiment jeunes et débutants du Congrès. Je devais leur parler moi-même, mais j’ai été heureux de l'initiative de nos camarades. Les échanges de vues y ont certainement gagné. La relève se forge aussi dans l’action et dans l’expérience des responsabilités.

Un Congrès de travail où les discours ont été réduits à leur plus simple expression.

Certains regrettent que le travail dans nos Congrès ne soit plus aussi intense qu'autrefois. Voici ce que nous écrit, par exemple, Inès Bellina (Nord):

Le congrès de Nantes m'a laissé sur ma faim. J'étais venue au Congrès pour y travailler et il m'a semblé que nous nous sommes trop dispersés. Trop de choses nous réclamaient en même temps : d'un côté, on nous conviait à nous cultiver (visite de la ville, musées, visite du port) ; d'un autre il y avait des démonstrations passionnantes, puis, en même temps, le travail de commissions. Si bien que, pratiquement, ça a été le Congrès où on se perdait le mieux.

Je comprends qu'on ait voulu faire du Congrès une manifestation polyvalente. Mais je crains que, à juxtaposer ainsi tous les aspects du Congrès on ait nui, finalement, à ce qui faisait, jusqu'à présent, sa principale valeur: c’est-à-dire l'aspect travail. Il me semble que les commissions s'en sont trouvées gênées. Je propose que pour le prochain Congrès on ordonne plus minutieusement les activités eu essayant de découper les journées pour que les aspects dont nous avons parlé y trouvent chacun leur compte :

— Travail de commission le matin, et qu'il n'y ait que cela afin que les camarades qui viennent pour la première fois puissent y faire un tour;

— Démonstrations pendant une partie de l'après-midi ;

— Aspect culturel pendant une autre partie de l'après-midi ; Réunions de synthèse le soir.

Il est exact que, i1 y a quelques années, le travail était beaucoup plus intensif. Nous ne laissions pas même aux congressistes le temps de voir la ville ni de lier amitié au cours de quelques heures creuses ménagées dans l’horaire.

C’est exprès, à la demande des camarades, que mais avons quelque peu allégé nos programmes. Cette année, le travail de certaines commissions dans les musées ou les entreprises, les manifestations laïques et coopératives ont certainement accentué ce sentiment de dispersion qui heurte peut-être les nouveaux venus.

Il heurte les nouveaux venus comme la discipline du travail dans nos classes indispose souvent des collègues habitués à l'ordre strict et au silence.

Nous avons dit, à diverses reprises, que nos congrès sont bien à l'image de nos classes : il y a parfois désordre apparent par manque d'autorité formelle, mais en réalité, il se fait un gros travail dans des équipes et des commissions où les participants savent prendre leurs responsabilités.

A dire vrai aussi, ce n'est pas tant pour nous le travail effectué qui compte que les projets élaborés, les plans de travail établis, les rapports de camaraderie et d'amitié qui, au cours des mois qui viennent, nous permettront de faire, seuls, et par correspondance, le vrai travail. Ce qui compte comme dans nos classes, c'est cet esprit d'amitié qui s'établit et se développe souverainement, qui rend tous rapports fraternels et constructifs ce qui est, en définitive, notre grande force.

Nous aurions tout perdu si nous avions contrôlé des fiches et des B.T., préparé des danses, enregistré des bandes, mis au point des expériences scientifiques, mais si nous avions senti sourdre de nos réunions et de nos conciliabules comme une dangereuse lame de fond destructrice. Nous avons tout gagné parce que, à aucun moment, aucune ombre, aucune ride n'est venue troubler un tant soit peu la fraternité d'une masse de huit cents camarades mobilisés, chacun avec leurs tendances et leurs aptitudes pour promouvoir l'idée généreuse de l'Ecole Moderne.

Et c’est à cet esprit que les nouveaux venus sont d'abord sensibles. Ils sentent, ils savent que tout le reste viendra par surcroît. Et ils ont raison.

C'est parce que nous avons réussi cette fraternité que nous pouvons aller loin dans une voie où nul ne s’est aventuré, quels que soient les moyens matériels dont il pouvait disposer.

Non pas, d'ailleurs, que nous négligions les moyens matériels. Mais ils ne sont valables qu’au service de l'esprit Ecole Moderne, Nous venons d'en faire une expérience, qui semble avoir convaincu les camarades qu’ils ne trouveront qu'en leur union coopérative les vraies richesses dont nous avons besoin pour continuer notre œuvre. Nous sous-estimions notre entreprise coopérative. Parce qu'elle restait toujours difficile et qu’elle ne nous apportait pas les bénéfices attendus, nous avons pensé un instant qu’elle restait comme un reliquat désuet dépassé par la forme capitaliste qui nous paraissait autrement efficiente. Nous nous sommes alors encastrés dans le système capitaliste dont l’organisme bancaire est le nerf. Et nous avons failli en mourir. Nous avons repris à temps nos esprits... et notre liberté. Mais nous ne le pourrons complètement que si nos adhérents, conscients des enseignements de cette expérience, consentent le petit effort individuel qui multiplié par 1000, multiplié par 4000, doit nous donner les moyens financiers que nous cherchions en vain ailleurs.

Tous nos abonnés ont reçu la circulaire explicative. L’appel que nous lançons déborde le cadre de notre CEL. A d'autres situations, d'autres solutions. Vous devez donc et immédiatement, faire l’effort coopératif que nous sollicitons.

J’ai eu l’occasion de dire aux jeunes réunis à Nantes que c’est d’abord à eux que s’adresse notre appel. C’est dans la mesure où ils seront privés pour la CEL, qu'ils s’y intégreront techniquement et sentimentalement. Pour créer, pour réaliser les éléments fondamentaux de l’Ecole Moderne, pour parfaire notre œuvre, ils devront, comme nous, consentir des sacrifices qui leur vaudront l'exaltation d’un travail dont ils auront retrouvé la valeur morale et l'humanité.

La fidélité de l'Ecole Moderne se traduira en actes. Nous attendons votre geste, si minime soit-il. Il sera votre pierre à notre édifice coopératif.

LE CONGRES DE NANTES A ETE UN CONGRES DE RICHESSE, D’ART ET DE BEAUTE

Il nous faudrait, pour en mesurer la portée, revenir quelque dix ans en arrière, au temps où la création enfantine n’avait pas encore magnifié nos réalisations techniques. Nous comprendrions alors que les congressistes nouveaux venus et les visiteurs soient émerveillés par la splendide exposition d'Art Enfantin du Musée des Beaux-Arts, par la Maison de l’Enfant, par les albums d’enfants, par la richesse de nos stands, par les nouveautés des enregistrements magnétophoniques, par la lumière de nos vues fixes, par l'émouvante musique de nos orchestres enfantins.

C’est là le côté tangible et sensible de notre Congrès, celui qui contribue si directement à créer cette atmosphère de compréhension fraternelle qui est comme le soleil qui éclaire et idéalise nos difficiles conquêtes.

LE CONGRES, ENFIN, A ETE UNE GRANDE REALISATION INTERNATIONALE

Nous avions là des délégations : de Tunisie, du Sénégal, de Suisse, de Belgique, de Hollande, de Yougoslavie, du Mexique.

Les délégations d’U.R.S.S,, de Pologne, de Tchécoslovaquie, de Hongrie, de Roumanie, de Bulgarie, d'Allemagne de l’Est, n'ont pas eu en temps voulu le visa nécessaire et, à notre grand regret, n’ont pas pu participer â notre Congrès.

Nous ont envoyé leurs salutations, outre les pays ci-dessus : le Maroc, le Cameroun, La Réunion, L’Italie, San Marin, Cuba, l'Espagne républicaine, l'Uruguay, la Chine, le Viet Nam.

Le nombre des pays qui s'intéressent à nos travaux et qui possèdent des groupes Ecole Moderne devient aujourd'hui si grand que les représentants étrangers réunis à Nantes ont décidé de créer l'organisme international qui harmonisera et enrichira les relations déjà existantes.

Nous avons opéré à l'inverse de ce qui se pratique couramment. Des unions internationales naissent comme spontanément par le haut sans autre assise à la base que des bureaux existant sur le papier. Nous, nous avons d'abord suscité et fait vivre cette base, Et c'est parce que nous sommes riches aujourd'hui de l'appui international qu'apparait nomme naturel et indispensable, la création de la

FEDERATION INTERNATIONALE DES MOUVEMENTS D’ECOLE MODERNE

qui est née à Nantes.

Cette Fédération Internationale compte au départ une quinzaine de groupes nationaux et six revues nationales en français, italien, hollandais, arabe, espagnol.

Cette Fédération harmonisera te travail des groupes nationaux et publiera une revue trimestrielle en trois langues.

Le bureau de la Fédération internationale est ainsi constitué : Freinet (France) ; Lucienne Mawet [Belgique) ; Perrenoud (Suisse) ; Tamagnini (Italie).

Une ère nouvelle commence qui nous sera féconde.

Nous donnons ci-dessous le texte des motions votées par le Congrès. Diffusez-les en attendant le beau numéro spécial : Compte rendu du Congrès.