L'Educateur n°14 - année 1955-1956

Février 1956

DITS DE MATHIEU - Un rien qui est tout

Février 1956

LES DITS DE MATHIEU

Bréviaire de l’EcoIe Moderne
Un rien qui est tout

 

La corvée de patates est, au régiment, le prototype et le symbole du travail de soldat.

 

Ils sont une douzaine, groupés autour du sac entrouvert sur le carreau de la cuisine, comme des combattants désabusés veillant sur l’ennemi défait.

On commence au signal, quand tout le monde est prêt. Et selon la technique du travail de soldat, pomme de terre en mains, on surveille le sergent. Lorsqu'il regarde, vite un ruban d’épluchures. On se reposera ensuite jusqu'au coup d'œil suivant.

On parle de rendement dans le travail. C’est ici comme un contre- rendement. Celui qui produit trop et trop vite compromet le sort de l'escouade qui sera condamnée à une nouvelle corvée. C’est la loi du milieu, d’un milieu qui n’est pas fait pour le travail.

Mais le jeune militaire qui a ainsi, toute une matinée, épluché des pommes de terre au rythme des soldats, va retrouver, le soir, sa jeune femme qui lui dit gentiment :

« C’est qu’il faut préparer la soupe...

— Laisse... Les patates, ça me connaît. »

Il n'attend pas le signal. Et vous verriez alors les pommes de terre danser et tourner dans les mains diligentes, et la pointe du couteau extraire délicatement les yeux noirs. Et à quel rythme !

Ce n'est plus du travail de soldat. C’est du travail tout court, une activité qu’on attaque avec entrain parce qu'elle est condition de notre vie, et à laquelle, comme à toute œuvre de vie, on se donne à cent pour cent.

Il a fallu si peu pour muer en travail efficient la stérile corvée du soldat : un sourire aimable, un mot engageant, un peu de chaud au cœur une perspective humaine, et la liberté, ou plutôt le droit qu’a l'individu de choisir lui-même le chemin où il s’engagera, sans laisse, ni chaîne, ni barrière.

Il a fallu si peu, mais ce peu est tout.

Si vous parvenez ainsi à transposer le climat de votre classe ; si vous laissez s'épanouir la libre activité, si vous savez donner un peu de chaud au cœur, avec un rayon de soleil qui suscite la confiance et l'espoir, vous dépasserez la corvée du soldat et votre travail rendra à cent pour cent.

Ce rayon de soleil, c'est tout le secret de l'Ecole Moderne.

 

 

Le mûrissement de l'Ecole Moderne

Février 1956

L'Ecole moderne est dans l'air.

Les idées que nous avons jetées, il y a 20 à 30 ans, à l'assaut des vents contraires, sont aujourd'hui entrées dans le domaine public, c'est-à-dire qu'elles sont et doivent rester la propriété de tout le monde. On parle aujourd'hui couramment de texte libre, d'exploitation pédagogique, d'imprimerie, de journal et de correspondance, de fichiers, de méthodes naturelles, de dessin ou de peinture. A force d'en parler, il faudra bien qu'on y vienne. Le temps n'est pas loin peut-être, pour peu que nous y aidions, où les parents réclameront l'Ecole moderne aux instituteurs, comme ils exigent, à J'épicerie, les articles nets et bien conditionnés qui leur donnent satisfaction.

Il y a là, incontestablement, un état de fait pour nous encourageant. Nous avons atteint notre but qui est, non d'amorcer et de poursuivre une expérience originale, mais d'influer dans un sens progressiste sur les destins de notre pédagogie populaire laïque. La partie n'est pas encore gagnée, même dans les milieux politiques et syndicaux qui devraient être le terrain d'élection de notre Ecole moderne. Et « L'Ecole Libératrice » elle-même ne parle qu'à mots couverts d'une réalité dont elle devrait, au contraire, se saisir pour en tirer le maximum en faveur de notre cause commune. « On sait — écrit Jacques Charles dans l'Ecole Libératrice du 20 janvier 1956 — que la pédagogie nouvelle et singulièrement telles méthodes ou techniques de plus en plus répandues, visent à ce même épanouissement de coeur et de la pensée».

Nous aurons à notre congrès à faire le point des réalités positives et constructives dont nous pouvons nous enorgueillir. Notre exposition artistique qui aura cette année une ampleur sans précédent, et la succession didactique de nos trente stands technologiques diront d'une façon décisive la maturité de nos techniques et leur portée sur la culture dont nous devons jeter les bases.

Mais en face de ce positif - pleinement encourageant, répétons-le - il n'y a pas moins le côté négatif et oppositionnel, les situations, les idéologies et les difficultés sociales qui mettent une entrave permanente à l'évolution de nos techniques et risquent même de les pervertir et de les compromettre, afin d'éliminer progressivement ce qui en constitue l'essentiel, l'esprit, pour n'en garder que la forme et le nom, changer l'étiquette et le drapeau pour donner l'illusion d'une évolution et d'un progrès.

C'est pour créer le milieu scolaire, technique, social et politique favorable à nos efforts que nous allons examiner dans les jours qui viennent, pour une profonde discussion au congrès les réalités majeures auxquelles nous nous achoppons.

25 ENFANTS : Par la force des choses, notre mot d'ordre 25 enfants par classe va se trouver comme au carrefour de toutes les rubriques qui orienteront l'examen attentif de notre thème central : le rendement.

Notre expérience de ces dernières années nous prouve, hélas ! avec évidence que la surcharge des classes est l'ennemi N° 1 non seulement des techniques modernes mais de toute pédagogie efficiente et humainement valable. Dès qu'un maître si actif et si entreprenant soit-il est muté dans une classe surchargée ou voit monter en flèche ses effectifs, il est perdu pour tout travail constructif au sein de notre mouvement. Il s'en rend compte lui-même et il le regrette.

Je sais : les traditionnels argumentent volontiers, en partant de cette observation, que les techniques modernes ne sont applicables que dans des conditions particulièrement favorables d'espace, d'outils de travail et de nombre d'élèves. Nous répondons que, dans certaines données péjoratives aucune pédagogie n'est valable, pas plus les nouvelles que l'ancienne et c'est donner à nos ennemis des verges pour nous faire battre que d'affirmer et de faire croire qu'un instituteur peut s'accommoder sans danger pour lui et ses élèves de 35, 40, 50 ou 60 enfants.

La surcharge des classes pose le problème des locaux et de leur équipement. Il faudra que nous habituions élèves et parents à cette idée simple que quiconque travaille encore dans sa classe comme en 1906 retarde de cinquante ans, et qu'un tel décalage mortel pour toute entreprise est tout autant sinon plus catastrophique pour l'Ecole.

La surcharge des classes pose d'une façon angoissante le problème du recrutement. L'enseignement technique et les centres d'apprentissage vont se développant parce que les parents savent bien qu'on ne s'improvise pas spécialiste et Professionnel sauf lorsqu'il s'agit de traiter la matière la plus délicate et la plus précieuse : l'enfance.

Nous allons, dès le prochain numéro, amorcer notre campagne méthodique qui aboutira à Bordeaux à des discussions d'action plus que jamais indispensables.

LES EXAMENS ET LES TESTS :

Dans le cadre du point 3 de notre thème du Congrès, nous avons, au cours de notre journée de travail du 26 janvier à Lyon, étudié entre spécialistes, le problème de la mesure en éducation.

Cette mesure se fait couramment par les examens dont nous n'avons cessé de faire le procès. Or, s'il y a moins à dire aujourd'hui du Certificat d'études qui est reporté maintenant à un âge normal et peut être préparé sans bachotage excessif, nous sommes par contre dominés dans nos classes par l'examen de 6e qui, trop prématuré, nécessite des instituteurs un bourrage qui les excède et qui ne peut que fausser toutes données pédagogiques.

Que cet examen de 6e n'ait aucune valeur pour l'orientation des enfants, les instituteurs les inspecteurs et psychologues de l'enseignement technique, les professeurs du 2e degré sont unanimes à l'affirmer. Le seul argument de quelque poids pour le maintien à 10 ans de l'examen de 6e est la nécessité — selon les secondaires — de commencer à cet âge l'étude du grec et du latin.

En conséquence, nous avons été unanimes à demander que soit reculé de 10 à 12 ans l'âge d'entrée au 2e degré, le même décalage pouvant intervenir pour les divers examens secondaires.

On trouvera dans ce numéro 2 questionnaires, l'un destiné aux primaires, l'autre aux secondaires. Nous vous demandons de les remplir d'urgence pour les retourner à FREINET, CANNES, qui fera suivre.

Mais la question a été soulevée aussi d'une amélioration de la technique des examens par l'emploi des tests. Disons tout de suite que les personnalités présentes ont été unanimes à réserver les questions trop délicates des tests psychologiques et de comportement. Ils ont pensé, par contre, que des tests de connaissance pouvaient être mis au point et employés dans nos classes. Une commission, dont Finelle, à Montbard (Côte-d'Or) est le responsable va s'occuper de cette question essentiellement pratique et soumettre aux camarades un certain nombre de tests que nous mettrons expérimentalement au point dans nos classes.

Autre décision importante : sous l'impulsion et la direction de notre ami Delchet, un centre de mesure des Techniques Freinet va être organisé à l'Institut de Psychologie de Lyon. Avec la collaboration de nos camarades du Rhône et de la Loire, un travail technique méthodique sera entrepris sans retard pour que nous puissions apporter la preuve chiffrée de la supériorité des Techniques Modernes sur les Techniques traditionnelles.

L'indispensable adaptation

de notre organisation et de notre travail

aux conditions nouvelles

de notre École publique

Les instituteurs de notre génération peuvent vous assurer — et les jeunes en mesurent certainement moins la portée — que les conditions de travail ont été modifiées à 80 % au cours de ces dix dernières années, notamment : mécanisation croissante du milieu où se trouve l'école culture en surface et nervosité, surcharge des classes, déclin de la fonction enseignante, loi Barangé, etc.

Et, nous-mêmes suivons difficilement cette inéluctable évolution.

Nous sommes même dans une sorte d'impasse : nous avons, par notre longue camaraderie dans le travail et les sacrifices, mobilisé pour une oeuvre emballante quelque 6 ou 7.000 éducateurs qui sont le lot important de nos travailleurs et de nos abonnés. Seulement, nous avons, de ce fait, une sorte de tendance, bien naturelle, à rester entre nous et à former un cercle fermé dont nous n'entrouvrons qu'accidentellement les portes. Nous discutons de ce qui nous intéresse, dans notre langage de spécialistes, en partant des conquêtes ,aujourd'hui définitives, sans nous soucier de ceux qui, derrière nous, auraient besoin de repartir du b a ba.

Le fait est beaucoup plus grave qu'on ne croit : chaque année, 1.500 instituteurs, mus par un louable souci de renouvellement, achètent imprimerie ou limographe. Sur ce nombre, 5 % à peine poussent leur geste à son aboutissement naturel et se joignent à nous. Les autres nous regarderont de loin, ne s'abonneront ni à l'Educateur ni à La Gerbe, n'encastreront point leur activité dans le cadre de notre effort coopératif qui les encouragerait et les aiderait.

Notre mouvement ne s'enrichit qu'au compte-gouttes de l'indispensable sang nouveau dont nous avons besoin et, à côté de la pédagogie coopérative que nous tâchons de promouvoir, nous verrons ainsi naître et se développer une sorte de pédagogie bâtarde, que nous ne reconnaîtrons pas et qui ne nous connaîtra pas, pédagogie qui peut évoluer, éventuellement, dans un sens absolument contraire à l'idée libératrice qui nous a toujours guidés.

C'est, on le voit, une question de vie ou de mort. Nos adhérents en ont conscience : la preuve en est l'effort généreux qu'ils font dans chaque département pour accrocher des jeunes et pour amener des normaliens au Congrès.

Il nous faut aujourd'hui étudier et solutionner ce problème, non seulement sentimentalement mais techniquement et pratiquement.

Nous pouvons, aujourd'hui, par l'exemple vivant de milliers d'écoles et par le spectacle emballant de nos réalisations, donner aux instituteurs, aux jeunes surtout, le choc pédagogique qui les mettra sur la voie de la curiosité et des expériences. Il suffirait que les instituteurs soient amenés, en face de l'actif de, l'Ecole Moderne, à se dire : « Peut-être ! Si nous essayions ! »

Mais il ne faut pas, ensuite, ni les rebuter ni les laisser sur leur soif. Et ce n'est pas par des laïus que nous les ferons progresser, mais en leur apportant des outils de travail, des techniques et une méthode qui leur permettent de réussir suffisamment pour aller de l'avant. Le problème se pose exactement comme pour nos élèves. Il leur faut quelques réussites. Il ne faut pas exiger d'eux qu'ils refassent le chemin que nous avons si laborieusement franchi, surtout si nous espérons qu'ils continuent notre œuvre avec audace et ténacité.

Comment y parvenir ?

En français, nous pouvons faire fonds désormais sur le texte libre dont nous nous appliquerons à' montrer toutes les ressources, et nous dirons comment l'imprimerie ou le limographe, le journal et les échanges, l'exploitation pédagogique, le fichier peuvent être employés, sans qu'il en résulte, à l'origine, un dangereux chambardement de la classe.

C'est pour cette discipline que nous pouvons préparer le travail le plus utile. Si nous nous y prenons bien, expérimentalement, sur la base des activités variées de nos classes, nous devrions, en quelques années, imprégner de cet esprit de création et de vie la grande majorité de nos écoles.

Il nous faudrait de même, par la mise au point des outils adéquats, permettre aux instituteurs un meilleur rendement en sciences, en histoire et géographie, en calcul, en dessin et peinture.

Nous allons être à pied d'oeuvre par nos réalisations en histoire. Mais tout reste à faire en sciences car nous voudrions apporter aux instituteurs du matériel et des fiches-guides vraiment utilisables par les enfants dans les classes, et qui dépasseraient le verbiage qui reste, à ce jour, la grande technique des sciences.

Même travail en géographie et en calcul. Nous ne nous contenterons pas de critiquer ce qui a été fait avant nous : nous apporterons de nouveaux outils de travail et nous dirons, dans le détail, comment se servir de l'imprimerie, du limographe, du plan de travail, des échanges, de la coopérative.

Nous pouvons, en nous y mettant dès maintenant, commencer dès octobre une revue pratique d'Ecole Moderne. Mais, sous quelle forme réaliser cette revue ? Suffira-t-il d'adjoindre aux Educateurs actuels une revue pratique pour les jeunes ? Les vieux ne la trouveront-ils pas fastidieuse ? Ou bien, devrions-nous étudier l'édition : d'une revue pratique de Travail pour les jeunes, sur format fiches détachables et d'une revue mensuelle culturelle, contenant notamment les études copieuses que nous éditions autrefois dans les BENP ? Mais aurions-nous suffisamment d'abonnés pour ces deux revues ?

Je n'essaie pas aujourd'hui de conclure. Je jette seulement des idées, pour que les camarades puissent y réfléchir et donner leur avis. Des décisions seront prises pour Pâques.

***

Nous voudrions surtout, par la campagne que nous désirons intensifier en faveur des 25 enfants par classe, dépasser cette hostilité latente entre maîtres traditionnalistes et maîtres école moderne. Nous montrerons que l'instituteur traditionnaliste est le produit normal d'une organisation scolaire, d'outils et de techniques d'un autre âge. Si l'ouvrier travaillait encore comme le forgeron du début du siècle, tirant le soufflet, attisant le feu, sortant et battant le fer rouge, il aurait forcément une mentalité artisan 1900 dont il ne, serait pas responsable. Si nous pouvions replacer ainsi l'instituteur dans un milieu plus humain, avec des outils et des techniques de travail correspondant aux nécessités et aux possibilités de notre époque ; si nous parvenions à faire éclater les écoles-casernes, à rapprocher les instituteurs de leurs enfants et des parents, de leurs élèves ; si nous épargnions, techniquement, aux maîtres, les colères qui usent et la tension nerveuse qui aigrit le tempérament, alors l'instituteur sentirait et comprendrait d'emblée pourquoi il devrait moderniser ses méthodes ; il reprendrait goût à son Métier, ce qui est une des conditions majeures de l'efficience.

Nous aurons à surmonter cette sorte de pessimisme qui nous gagne, au spectacle de la lassitude désabusée de la plupart de nos collègues : « Rien ne les intéresse de ce qui est leur métier... Ils ne travaillent que pour gagner leur mois. Ils n'ont rien de ce chaud enthousiasme et de cette foi, sans lesquels il ne saurait y avoir d'éducation. »

Que les accusateurs se mettent donc à la place de ces éducateurs en proie, pendant six heures par jour, à 45 ou 50 élèves, dans une école dont ils ne sont eux-mêmes qu'un rouage anonyme et interchangeable, et préoccupés, de plus, par le souci du logement ou la nécessité d'arrondir, par des travaux post-scolaires, un salaire insuffisant. N'avons-nous pas tous les jours sous les yeux le spectacle de ces enfants que des méthodes dogmatiques ont rendus atones et ont marqué, parfois irrémédiablement, d'un dégoût maladif pour le travail intelligent ? Nous leur redonnons, totalement ou partiellement, le sens exaltant de l'activité constructive au sein d'une communauté qu'ils apprennent, tout à la fois, à animer et à servir.

Il ne fait pas de doute que si nous parvenions à redonner au métier d'éducateur sa dignité, sa sécurité, son efficience humaine et sociale ; si nous pouvions un jour, dans ce domaine aussi, motiver la peine et le sacrifice des hommes et des femmes qui savent encore s'enthousiasmer et se dévouer, nous verrions refleurir cet idéal laïque qui ne se nourrit pas seulement de formules et de promesses, mais qui se construit, comme toutes grandes oeuvres humaines, avec des investissements, un équipement technique moderne, des conditions nouvelles de vie et de travail et la permanente sollicitude des pouvoirs publics et des parents pour une des fonctions éminentes de toute société : former en l'enfant l'homme qui, demain, saura, mieux que nous et avec moins d'erreurs dramatiques, construire le monde de nos rêves.

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