DITS DE MATHIEU - Le « Scolastisme »

Février 1956

LES DITS DE MATHIEU

Bréviaire de l’Ecole Moderne

Le « Scolastisme »

La science médicale se glorifiait, naguère, des soins méthodiques qu’elle réservait, dans les cliniques et les hôpitaux, aux nouveau-nés et aux enfants en bas âge : horaire strict, nourriture mesurée et dosée, asepsie minutieuse des chambres nues où, loin de la mère, « l'élevage » semblait atteindre à sa perfection maximum.

Et pourtant, ces enfants ne se développaient pas d’une façon normale. Quelque chose semblait manquer au minutage médical. Ce quelque chose, c’était la présence affective de la mère, le bruit de voix du monde ambiant, les premiers rayons de soleil, la magie des animaux et des fleurs.

La science a donné un nom significatif à cette carence : l'hospitalisme.

La science pédagogique prétend régler avec la même minutie chronométrée, la nourriture intellectuelle des enfants qu’elle isole dans le milieu spécial qu’est l’Ecole. Silence, froideur neutre des leçons et des devoirs, suppression systématique de tous contacts avec le milieu de vie, naturel ou familial, silence, propreté, ordre, mécanique.

La carence est indéniable : nourriture mal digérée, dégoût de l’alimentation intellectuelle pouvant aller jusqu’à l’anorexie, recroquevillement de l’individu, désadaptation en face de la vie, hostilité envers la fausse culture de l’Ecole.

Cette carence, c’est le « scolastisme ».

L'hospitalisme a été un blasphème scientifique avant de devenir une réalité pour laquelle on s’inquiète aujourd’hui des remèdes efficaces.

Le « scolastisme » sera le blasphème pédagogique que nous acclimaterons dans les milieux éducatifs où nous avons introduit déjà tant d’autres néologismes.

Il dérangera un instant l’ordre et la fausse méthode de l’Ecole, comme la lutte contre « l’hospitalisme » a perturbé la froide logique des cliniques.

Mais l’évidence s’imposera.

Nous établirons expérimentalement le diagnostic de cette carence qui a désormais nom : scolastisme. Nous la caractériserons scientifiquement pour que parents et éducateurs s’habituent à détecter chez leurs enfants la maladie nouvelle pour laquelle, tous ensemble, nous chercherons les remèdes.

Que nos lecteurs nous adressent dès maintenant les manifestations de cette maladie, telles qu’ils les ont constatées dans leurs classes, ou chez leurs propres enfants : atonie intellectuelle et sociale indigestions ou mauvaises digestions, désadaptations du milieu, dégoût de l’étude et de l’effort, hostilité contre l’Ecole, complexes divers que notre enquête nous permettra de mieux détecter.