Notre psychologie coopérative

Novembre 1954

Une Directrice d’Ecole Normale m’adresse, avec la coupure du P. S. de. notre avant-dernier article, une courte note de reproches, sèche et froide comme un pensum :

 
« Les Ecoles Normales qui suivent avec intérêt et compréhension votre recherche pédagogique, regret­tent de constater qu'elles n’ont pas à espérer le réciproque. »
 
Mon crime : M'adressant aux éducateurs que j’engage à entrer dans notre équipe de recherche psychologique, je leur disais Vous n’avez jamais rien compris à la psychologie qu’on vous a enseignée à l’Ecole Normale, pas plus qu’à celle que vous avez accidentellement rencontrée dans les livres. »
 
D'abord, est-ce faux ? Si nombreux sont les jeunes qui viennent témoigner du contraire en nous expli­quant quelques-uns des grands secrets auxquels s’achoppent aujourd’hui encore les grands psycho­logues ; s’ils peuvent expliquer, pour notre profit, le comportement des enfants, même les plus diffi­ciles, afin que nous soyons en mesure d’améliorer notre travail de parents et d’éducateurs, je ferai mes excuses et je demanderai à profiter de bienfaits dont je n’ai pas été comblé moi-même.
 
Je n’ai pas avancé que MM. les Professeurs ou Directeurs d’Ecole Normale n’étaient pas experts en psychologie. Je souhaite qu’ils le soient. Mais j’affirme une réalité qui est de notoriété publique quand j’explique que les psychologues et, par la force des choses, ceux qui ont pour mission de les expliquer, parlent un langage de spécialistes qui ne nous est pas accessible à nous primaires. Je me garderai bien de dire que la psychologie de Wallon ou de Piaget n’est pas valable. Je dis que leurs livres ne me sont pas accessibles, que je pourrais peut- être, comme d’autres, y apprendre des mots et des formules mais que, lorsque je les ai lus, je suis tout aussi désarmé qu’avant devant ma classe, parce que « je n’ai pas compris leur psychologie ». Nous aurions besoin d’un interprétateur, usant d’un glos­saire précis. Et encore !...
 
J’admets que notre impuissance puisse être le fait de notre mauvaise formation primaire. J’ai constaté, hélas ! que les secondaires ne sont pas beaucoup plus avancés que nous, sauf qu’ils savent manœu­vrer avec plus d’habileté les mots et les formules.
 
Nous sommes devant cet état de fait. Si un ins­tituteur peut nous expliquer la psychologie qu’on lui a enseignée, s’il nous l’explique en clair parce qu’il l’aura bien comprise, dans ses fondements, nous lui passerons notre rubrique, car nous sentons l’indispensable besoin de mieux connaître les lois du comportement humain qu’on nous a insuffisam­ment révélées à l’Ecole Normale. Et comme, jusqu’à ce jour, nul ne s’est présenté pour ce travail délicat, nous avons — et nous procédons ainsi dans tous les domaines — pris nos destinées entre nos mains. Et, ma foi, cela ne nous a pas si mal réussi.
 
Et, deuxièmement, je voudrais dire que les édu­cateurs ont tort lorsqu’ils se cabrent.. parce que l’éduqué ose dire : « Je n’ai rien compris ! » On connaît la réaction traditionnelle du. maître : « Tu n’avais qu’à écouter, à mieux apprendre ta leçon, et à faire attention... Mauvaise note... » Alors, celui qui n’a rien compris fait semblant de comprendre pour esquiver les punitions. Et c’est parce que sont nombreux ceux qui, à tous les degrés, font sem­blant de comprendre, qu’il nous reste tant à faire pour notre commune culture.
 
Nous, éducateurs modernes, réagissons autrement : nous habituons nos enfants à réclamer lorsqu’ils n’ont pas compris et nous tâchons de rectifier notre enseignement. Le contrôle de nos B.T. en est un témoignage. L’auteur, même fier de son œuvre, nous confie son projet que nous soumettons aux enfants. Lorsque ceux-ci disent, comme nous en psychologie : « Je n’ai rien compris », nous ren­voyons le projet à l’auteur en lui demandant de faire plus simple, mieux adapté aux enfants. Il n’y réussit pas toujours, mais il s’habitue à être humble devant les exigences de sa fonction d’éducateur.
 
Nous rendons à MM. les Professeurs, à MM. les Directeurs, à Mmes les Directrices d’ E. N. l'hom­mage qu’ils méritent, nous les remercions de l’inté­rêt qu’ils portent à nos travaux et de l’appui qu’ils ne nous ménagent jamais, et nous souhaitons d’en­tretenir avec eux les excellentes relations depuis longtemps instituées. Seulement nous leur deman­dons de vouloir bien considérer qu’il est nécessaire, de temps en temps que leurs élèves disent : « Nous n’avons pas compris ». Et nous demandons qu’ils nous aident alors, non seulement théoriquement, mais aussi pratiquement, à mieux connaître l’enfant pour mieux l’éduquer.
 
Que ceux qui ne sont pas de mon avis veuillent bien me l’écrire. « L’Educateur » leur est ouvert.