Ils ont marché si longtemps sur les mains ; ils en ont la tête si dangereusement congestionnée ; ils trouvent cette façon de se tenir et de se mouvoir si normale qu'ils en arrivent à plaindre les pauvres humains qui s'obstinent — contre toute science, disent-ils — à marcher sur leurs pieds.
Et ils vous affirment sans rire :
— Votre méthode naturelle est peut-être bonne avec certains individus ; elle donne peut-être, à la longue, des résultats non négligeables, mais convenez que, pour l'employer avec succès, il faut posséder des qualités particulières qui ne sont pas le lot de la masse des éducateurs. Nous ne conseillons point aux jeunes ni aux moyennement doués de s'y lancer ainsi sans préparation. Qu'ils pratiquent d'abord, sans prétention, notre marche sur les mains qu'ont éprouvée des siècles de scolastique.
Bien sûr : ceux qui marchent les jambes en l'air se demandent — et le plus grave, c'est que c'est sérieusement — par quels prodiges nous tenons encore sur nos pieds.
Que n'observent-ils les mamans qui depuis toujours réussissent à cent pour cent selon cette méthode naturelle ! Et qu'ils regardent donc, par-delà les têtes de classes qui, effectivement, apprennent en un temps record à marcher sur les mains, l'immense armée des rebutés qui ont essayé sans succès, qui dressent bien un instant, sur leur ordre, les jambes en l'air mais en prennent aussitôt un vertige qui compromet leur équilibre, et ne gardent leur anormale position qu'abondamment flanqués de principes, de béquilles et de manuels. Ils ne vont d'ailleurs pas loin ainsi. A peine parfois jusqu'au certificat d'études qu'ils atteignent de justesse en béquillant.
Et nos pseudo-scientifiques marchant sur les mains s'étonnent ensuite que les enfants qu'ils avaient cru dresser à cette marche antinaturelle se remettent à marcher sur leurs pieds dès qu'ils retournent à la vie.
Heureusement !
Seulement, par cette fausse manoeuvre, ils ont compromis leur équilibre naturel qu'ils n'ont en tous cas pas perfectionné et il arrive que toute leur vie ils se posent encore cette question qui ferait sourire si elle n'était tragique :
— Dois-je marcher sur les mains ou rester sur mes pieds ?