L'Educateur n°11 - année 1952-1953

Mars 1953

DITS DE MATHIEU - Une pédagogie qui n’ose plus dire son nom

Mars 1953

L’auto a définitivement gagné la partie.

Le voiturier a perdu l’orgueil de son attelage désormais défraîchi et branlant, que le charron, devenu mécanicien, ne voudra plus remettre à neuf et dont le bourrelier ne saurait plus régénérer les harnais au poil terni dont les cuivres usés ont cessé de briller. Les grelots eux-mêmes ne tintent plus au cou des mules.

Le voiturier éprouve pourtant comme une pudeur sensible à médire de son attelage. Il en a vécu jusqu’à ce jour et n’envisage point, pour l’instant, la possibilité d’en changer pour un système nouveau de meilleur rendement. Si vous l’interrogez, il vous dira que son cheval est vraiment une bien brave bête, que sa voiture roule encore avec aisance et commodité et qu’elle a rendu tant de précieux services ! Une auto, ça va tout de même un peu trop vite... C’est dangereux... et il faut compter avec les pannes si fréquentes !

Il vous dit cela sans grande conviction, en homme qui sait faire contre mauvaise fortune bon cœur. Que demain l’occasion se présente d’acquérir une auto moderne : il abandonnera avec à peine un brin de regret la vieille et fidèle voiture à cheval.

Ainsi en est-il en pédagogie.

Nos techniques ont gagné la partie sur des méthodes traditionnelles qui n’osent plus dire leur nom parce qu’il ne leur reste rien à montrer dont elles puissent s’enorgueillir : ni les maximes morales ou les principes d’instruction civique qui ouvraient autrefois solennellement la journée et qui ont désormais perdu toute majesté philosophique et humaine ; ni ces résumés de catéchisme dont l’Eglise elle-même a dépassé le stade ; ni les leçons trop verbeuses que des élèves irrévérencieux qualifieront de bla bla bla et de baratin ; ni le moulin à café ou l’assiette décorée dont on sent instinctivement l’indigence ; ni même cette discipline autoritaire qui fut naguère une des vertus premières de l’Ecole.

Si seulement les méthodes modernes bousculaient moins nos habitudes ; si elles allaient moins vite ; si nous étions mieux préparés à les conduire sans risque de pannes déroutantes !

L’outillage de votre école est défraîchi et les peintures nouvelles tiennent mal sur les brancards usés ; les roues grincent, à demi disloquées ; les grelots fêtés ont perdu leur résonance argentine.

L’Ecole moderne vous attend.

 

Le vrai visage des éducateurs modernes

Mars 1953

Disons d’abord, pour éviter tous malentendus, que nous restons des laïques conséquents et que, dans notre enseignement, nous nous abstiendrons de toutes paroles, de toutes pratiques qui risqueraient de porter atteinte aux sentiments, aux opinions et aux croyances des parents de nos élèves. La vie et la paix de l’Ecole Laïque telle qu’elle s’est constituée en France sont à ce prix.

C’est sur le même respect des opinions et des croyances de nos adhérents qu’est fondée l’unité de notre grand mouvement de l’Ecole Moderne au service de l’Ecole du Peuple.

Ce respect ne signifie pourtant ni inhumaine passivité, ni timide neutralité en face des événements de l’heure.

Nous continuons à penser que les sentiments, les opinions et les croyances des éducateurs dignes d’adhérer à notre mouvement sont suffisamment humains et généreux pour permettre une action constructive commune, basée non sur la crainte et la mort, mais sur une laïcité active et constructive au service de la masse des enfants et des éducateurs.

Ce n’est pas parce que la vie est partout complexe et délicate que nous allons accepter la passivité et la servitude ; ce n’est pas parce que les chemins qui mènent vers les clairières et les rivages généreux sont difficiles et dangereux que nous allons nous enliser dans les marécages sans horizon ni avenir.

Nous voulons faire de nos enfants des hommes. Nous devons à notre loyauté et à notre dignité d’éducateurs d’être d’abord, nous-mêmes, des hommes, selon les canons que nous posons volontiers, et unanimement comme but à notre pédagogie.

Hommes du peuple, travailleurs et fils de travailleurs, intimement mêlés à la classe dont nous, partageons toujours le sort, nous aspirons, comme tous les travailleurs conscients, à vivre avec un maximum de bien-être, d’efficience et d’humanité dans une société d’où sera exclue l’exploitation de l’homme par l’homme, et dans laquelle la communauté, conjonction active d’individualités, sera au service des personnalités qui pourront s’épanouir au maximum, selon leurs tendances et leurs possibilités. C’est, d’ailleurs ce milieu favorable à la formation et à l’éducation des enfants que nous nous efforçons de réaliser dans nos classes lorsque nous les faisons vivre et travailler selon les principes que nous posons à notre action sociale et même politique.

Ce but, individuel, social, moral, pédagogique et politique, nous devons l’affirmer en toutes circonstances, même et surtout quand les chemins qui y mènent nous obligent à nous contenter prudemment d’étapes que nous travaillons à rendre définitives.

Pour ces buts, nous .sommes tous d’accord, comme nous sommes tous d’accord pour défendre avec véhémence et ténacité les droits acquis, pour protester contre toutes les injustices, pour nous dresser contre toutes les tentatives d’abêtissement et d’asservissement, pour réclamer partout, et jusqu’au bout, ce que nous croyons être la justice et la vérité.

Qui n’est pas de cet avis ? Ont-ils bien réfléchi à ces exigences fondamentales de nos devoirs d’éducateurs les quelques camarades qui nous reprochent d’avoir protesté contre la condamnation des Rosenberg, sous le prétexte que nous n’avons point protesté contre les procès de Prague et d’ailleurs ?

Notre réponse est facile : lorsque des hommes défendent avec une obstination aussi héroïque leur destinée d’hommes, lorsque, comme les Rosenberg, et jusqu’au pied de la chaise électrique, ils crient tout à la fois leur innocence et leur dignité d’hommes serviteurs de la Paix et de la Vérité ; lorsqu’ils se refusent à dire les mots déshonorants qui leur rendraient la liberté, ils se conduisent comme un Gabriel Péri refusant dans sa prison le marché honteux qu’on- lui proposait et préférant la mort à la capitulation. .

De tels exemples sont des sommets d’humanité, comme furent des sommets d’humanité les chrétiens mourant pour leur foi. Nous n’aurions plus le droit de parler devant nos enfants de dignité et de solidarité humaine si nous ne disions aujourd’hui notre solidarité avec les Rosenberg contre leurs bourreaux.

Si demain des accusés de Prague ou d’ailleurs criaient avec la même héroïque obstination leur fidélité à une idée, à une cause et à une vie, nous serions à côté d’eux, pour les mêmes raisons de justice et d’humanité, comme nous sommes à côté d’Henri Martin, martyr lui aussi de son idéal, qui préfère la prison au déshonneur d’une abjuration.

Qui ne serait pas de cet avis, et qui pense que, pour des raisons d’opportunisme social ou politique, nous pourrions dire blanc ce que nous croyions être noir, et trahir par des habiletés manœuvrières, par des réticences jésuitiques, par le travestissement délibéré de la vérité, la vie qui monte et qui triomphera ?

Quelles que soient les conséquences possibles de nos décisions, nous affirmons que nous nous appliquerons toujours à rester des hommes, parce que nous devons former des hommes. Et dans ce souci, nous savons que nous avons avec nous la masse innombrable des éducateurs qui ont conscience des obligations de leur charge et qui ne veulent point déchoir.

Qui n’est pas de cet avis ?

« Il ne faut pas, écrit un camarade, que la CEL se lance dans cette voie. L’an dernier, je n’ai pas approuvé les motions du Congrès de La Rochelle sur les Américains, car ces motions sont prises sous l’influence de quelques camarades. Il est inadmissible de protester contre l’occupation américaine en France sans protester contre l’occupation russe en Tchéco-Slovaquie ou en Roumanie... »

Nous répondrons que les membres de notre mouvement sont suffisamment évolués, socialement et politiquement, pour penser et agir librement, et ce ne sont pas quelques camarades, si éloquents soient-ils, qui leur imposeront une attitude qui ne serait pas conforme à leur conscience d’hommes. Les motions de nos Congrès sont toujours prises à l’unanimité, ou bien elles sont retirées. Si le camarade qui nous écrit avait été à La Rochelle, il aurait voté lui aussi la motion pour protester avec nous contre des faits qui soulevaient contre les Américains l’unanimité des habitants honnêtes de la région. Que les Tchécoslovaques et les Roumains fassent de même s’ils le jugent utile. Nous n’avons pas le droit de trouver que la rue des voisins est sale si nous ne sommes pas capables, d’abord, de balayer devant notre porte.

« Notre avenir, conclut le camarade, n’est ni chez les Russes, ni chez les Américains. Il est entre nos mains. Nous avons à lutter contre la guerre, contre la haine, contre l’injustice, contre la lutte des partis. Nous devons prêcher l’amour et la justice, et ne pas nous laisser mener par une idéologie politique quelle qu’elle soit... »

Encore une fois, nous serions indignes d’être des éducateurs si nous nous laissions mener, ou si même nous prétendions mener les camarades. Nous sommes unis pour défendre au mieux nos droits d’hommes et de citoyens qui sont nos droits d’éducateurs. Et tout se tient : nous ne pouvons pas défendre nos droits d’éducateurs sans défendre nos droits d’hommes et de citoyens. Nous irons ensemble, dans cette voie, le plus loin possible en assurant nos camarades que nous ferons toujours le maximum pour éviter, le parti-pris, les manœuvres, les mensonges, la fausse propagande et le sectarisme. A eux de nous y aider et nous maintiendrons vivante et active cette unité qui a donné dans le passé des résultats qui sont garants de l’avenir.

Il faut éviter cependant que cette attitude de totale liberté d’action au sein de notre mouvement dégénère en anti. Car alors, sans nous en rendre compte parfois, nous subissons, par peur, les manœuvres de nos pires ennemis qui agitent devant nous un mouchoir — rouge d’ordinaire — pour nous exciter et nous faire oublier nos plaintes et nos revendications fondamentales dans d’autres directions. C’est toujours en nous faisant battre entre nous que nos ennemis communs maintiennent leurs monstrueux privilèges.

Nous avons toujours affirmé également que notre mouvement pédagogique n’était ni un syndicat ni un parti politique et que nous aurions le sentiment de faire de la mauvaise besogne si nos adhérents croyaient un jour que travailler à l’Ecole Moderne c’est, remplir tous leurs devoirs de pédagogues, d’hommes et de citoyens. Ces devoirs d’hommes — qui sont les essentiels devoirs de pédagogues — nous les remplissons partout où nous savons affirmer et défendre âprement notre liberté et notre dignité, qui se confondent avec la liberté et la dignité de nos élèves et de leurs parents. Nos devoirs de citoyens, nous les remplissons en adhérant aux syndicats, aux partis politiques et aux associations de notre choix, et en ne nous contentant pas d’y adhérer formellement, en y militant avec confiance et dévouement, et aussi avec courage et lucidité.

Il n’est donc pas anormal que les adhérents de syndicats, de partis politiques et d’associations diverses soient dans nos rangs. C’est le contraire qui serait anormal et qui constituerait, pour notre mouvement, un signe grave de démission et de faiblesse.

Les membres actifs d’un parti politique quel qu’il soit ont donc leur place de choix dans notre mouvement, comme y ont leur place les militants syndicalistes et les participants de croyances diverses ou de sectes philosophiques. Et ne vous cachez pas, ni en cours d’année, ni dans nos Congrès, de la part que vous prenez, hors de notre mouvement, à une action que nous croyons nécessaire aux progrès éducatifs que nous préconisons. Nous ne voyons aucun inconvénient, au contraire, à ce que les membres d’associations diverses se retrouvent en sympathie et discutent entre eux des problèmes que leur pose notre commune action. Nous savons qu’ils auront le souci de nous aider à construire dans le sens libérateur qui est la marque de notre Ecole Moderne. Dans le cas contraire — pratiquement impossible chez nous — nous sommes assez grands pour nous défendre et pour défendre notre œuvre.

Si nous parlons ainsi, malgré les erreurs sectaires dont nous avons été victimes depuis quelques années, C’est parce que nous avons la certitude — que notre longue expérience n’a fait que renforcer — que trop de sentiments communs, que trop de soucis, de rêves et d’espoirs nous unissent pour que nous ne continuions pas ensemble à lutter, tous unis pour une grande cause qui est incluse dans les soucis communs de nos diverses associations.

Cette unité, cette action commune, nous serions gravement coupables de ne point la rendre effective et efficace au moment où la réaction nous menace chaque jour plus dangereusement. Nos classes sont de plus en plus chargées, à tel point que tout travail normal sera bientôt impossible et que nous devrons, malgré nous, revenir aux méthodes autoritaires souhaitées par la réaction. Les municipalités s’avisent, çà et là, de susciter des ennuis aux éducateurs qui ne font pourtant que respecter les instructions ministérielles. Notre camarade Vigueur, qui avait gagné son procès contre les hommes politiques, est déplacé d’office parce que dans la République de 1953 les politiciens tout-puissants sont au-dessus des lois que nous croyions désormais intangibles. Et au Maroc une réunion du S.N. était surveillée directement par deux policiers.

Prenons garde, camarades : une telle atmosphère administrative et politique est en contradiction formelle avec l’esprit de l’Ecole Moderne. La laisser s’étendre et se développer c’est accepter notre déchéance progressive. En accord avec tous nos camarades, dans nos écoles et dans nos organisations, et au premier rang, nous défendrons les droits de l’Ecole, les droits des enfants, les droits des citoyens que nous sommes. Nous exigerons que l’Ecole Laïque du peuple puisse progresser et s’épanouir dans un climat progressiste au service du peuple.

Alors, mais alors seulement, nous apparaîtrons avec notre vrai visage original et constructif d’éducateurs modernes.

 

 

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