L'Educateur n°3 - année 1950-1951

Novembre 1950

DITS DE MATHIEU - bois massif ou contreplaqué

Octobre 1950

De mon temps, me dit le vieux berger, nous n’étions pas pressés par la vie comme aujourd’hui. Si nous construisions notre cabane rustique, nous nous appliquions à l’asseoir, à la bâtir et à l’abriter comme si elle devait durer des siècles. Quand le menuisier taillait en plein cœur du noyer les belles planches des meubles qu’il fignolait avec amour, il avait conscience aussi de créer pour l’éternité.

C’était comme une loi du travail qui imprégnait notre façon de comprendre, d’asseoir et de construire la vie.

On dirait aujourd’hui que l’humanité retombe en enfance. Il vous faut des bijoux qui brillent, même s’ils se ternissent avant même d’avoir servi. Vous décidez de construire une maison et vous voudriez déjà l’habiter, comme cet enfant qui pénètre à quatre pattes dans la hutte à demi montée. Creuser des fondations, bâtir des murs de pierres... c’est bien trop fastidieux ! Amenez des briques systématiques et l’immeuble montera comme un château de cartes.

Il n’a pas belle allure ? Qu’à cela ne tienne ; l’enduit des murs masquera la fragilité de la construction et les meubles en bois blanc hâtivement collés seront recouverts d’un plaqué noyer ou acajou du plus bel effet aristocratique. Dans la bibliothèque habilement vernie s’aligneront des dictionnaires et des albums postiches avec tranches patinées et titres en or dignes d’un plus utile destin.

On m’objecte que ces déformations regrettables sont la rançon d'un progrès qui étend à la masse des hommes un ersatz du luxe et du confort qui étaient naguère l’apanage des privilégiés. Elles sont la tare d’une société mercantile qui sacrifie au profit égoïste les espoirs généreux des hommes.

Nous avons pour la culture du peuple d’autres ambitions et nous ne voulons pas que, à force de porter des bijoux de clinquant, de construire et d’habiter des maisons en château de carte et d’user de meubles en plaqué, vous ressembliez à ces bibliothèques aux rayons prétentieusement garnis de couvertures richement étiquetées mais à l’intérieur desquelles il n’y a même plus du vent.

 

Infos de la C.E.L.

Novembre 1950

 

L’enfant de 1950 n’est plus l’enfant de 1900

Novembre 1950

L’Ecole ne saurait être, en 1950, ce qu’elle était en 1900, et toute pédagogie qui ne progresse pas dans un monde qui évolue, lui-même, à un rythme accéléré, se désadapte et perd pied. Ce sont là des vérités que, par notre observation et par notre action, nous avons fait passer aujourd’hui dans la réalité des conceptions et des discussions.

Nous disons : l’Ecole doit s’adapter au milieu ambiant en mouvement. Mais nous n’avons pas suffisamment mis l’accent sur une autre évolution tout aussi radicale, qui doit influencer profondément notre pédagogie. C’est l’évolution des éduqués eux-mêmes, des enfants qui nous sont confiés.

Les enfants de 1950 ne sont pas les enfants de 1900, et il serait indispensable de mesurer ce qui les en sépare pour ajuster à ces changements les formes mêmes de notre effort pédagogique.

*

* *

Dans nos villages du début du siècle, dans les villes mêmes, à l’activité alors artisanale et fermée, les enfants étaient pratiquement totalement ignorants de. toutes les grandes questions géographiques, historiques ou scientifiques. Les premiers livres de sciences que j’ai vus à 12-13 ans étaient pour moi une étonnante révélation, car je n’avais aucune notion des principes ou des réalisations qu’ils agitaient. Marseille, Paris et, à plus forte raison, Londres ou Moscou, n’étaient dans mon esprit que des entités abstraites figurées sur une carte incompréhensible.

Pour bien se pénétrer de cette réalité, il faut rappeler que, en ce début de siècle, il y a 50 ans à peine, les journaux étaient excessivement rares dans les milieux populaires ; les illustrés étaient inexistants. Ne parlons pas du cinéma, du disque et de la radio qui en étaient encore à l’ère expérimentale et qui ne risquaient pas d’influer sur la culture des parents et des enfants.

On comptait encore alors pour l’information sur les colporteurs, vendeurs d’almanachs, sur les charretiers en tournée, les musiciens arrivés de la ville voisine pour la fête du village, ou les soldats en permission qui, le soir, sur le pas des portes racontaient les interminables et d’ailleurs classiques histoires de pioupious.

L’Ecole était obligée de compter avec cette indigence. Une gravure du livre de lecture montrant un voleur, mains au dos entre deux gendarmes, me faisait rêver. Et quand l’Inspecteur Primaire, en redingote et en chapeau melon, arrivait dans notre école, il pouvait faire une leçon de choses modèle sur cet outil qu’il tournait entre ses doigts, qui ressemblait au couteau à manche de corne que nous avions en poche, et qui n’était pourtant pas un couteau mais un... canif !

Les tableaux muraux nous montraient une variété apocalyptique de balances, de mesures et de poids, et nous ne connaissions que la balance de l’épicier, la romaine du distillateur de lavande et la vieille mesure à blé.

Autrement dit, nous avions tout à apprendre : la forme et la composition des livres, la teneur des leçons, la mémorisation elle-même étaient la réponse logique de l’école au souci de connaissance par l’enfant d’un monde dont on ne lui avait pas encore entr’ouvert la porte.

*

* *

En pensant à ce que nous avons été en face de ce monde en gestation technique, nous serions tentés de dire aujourd’hui : il n’y a plus d’enfants !

Le deuxième jour de classe, un bulldozer évoluant près de l’Ecole a été le sujet d’un texte que nous avons exploité d’une façon passionnante pour nos élèves. Vous ne savez peut-être pas ce que c’est qu’un bulldozer, mais vos enfants, eux, sont renseignés comme ils sont renseignés sur toutes les machines similaires : dragues, pelle mécanique, escalier roulant de métro, chenilles et monte-charge.

Vous passez, vous, indifférents parmi les théories d’autos qui encombrent les chaussées et empoussièrent les routes mais Henri, qui n’a que sept ans, connaît et distingue tous les modèles comme je distinguais et connaissais dans mon jeune âge les races de bœufs et les qualités de haricots. Et Henri nous parle- comme un adulte du voyage qu’il a fait en auto, avec son père, jusqu’à Biarritz. Ils ont couché à Narbonne et le matin, au moment de partir, la roue était crevée. Chambre à air, gonfleur, valve, roue de secours, carburateur sont des mots qui lui sont familiers.

Et Alice elle-même, qui n’a que trois ans, et qui commence à peine à parler, observe : le soleil est ici... mais il fait nuit en Amérique !

Si le jeune instituteur débarquant dans un village, s’avisait de faire des leçons, de rechercher des fiches, des dessins et des photos pour apprendre à ses- élèves à distinguer un chou d’une salade, à soigner un veau ou à choisir l’herbe au lapin, parents et enfants penseraient et diraient peut-être qu’il y a. mieux à faire que de s’attarder à ce qu’on connaît et que c’est à l’inconnu de la vie qu’il faut aller hardiment. Nous devons, avec nos enfants, dominer l’escalier complexe de la connaissance et de la culture. Il y a cinquante ans, il fallait prendre l’individu au pied même de la première marche. Nous le trouvons aujourd’hui à mi-chemin. Si même nous ne savons pas comment il y a accédé si nous craignons qu’il y soit parvenu par des moyens qui n’ont rien de scientifique ; et si cela dérange nos programmes ce n’est tout de même pas une- raison pour ramener d’autorité l’enfant au pied de l’escalier, au risque peut-être de le décourager à jamais d’en reprendre l’ascension.

Il y a cinquante ans, l’éducateur faisait pénétrer son élève dans un local encore vide, qu’il fallait se préoccuper d’abord de garnir, puis d’éclairer et de réchauffer pour le rendre habitable et utile.

Aujourd’hui, l’enfant s’est déjà familiarisé avec un appartement abondamment meublé, si meublé parfois qu’il ne sait comment utiliser placards ou étagères et qu’il risque de se perdre dans un dédale de petits chemins zigzaguant dans des couloirs trompeurs aux lumières indécises et falotes. Ce qu’il attend de nous, ce locataire prématurément encombré de richesses parfois superflues, c’est que nous l’aidions à disposer et à classer ces meubles, à pratiquer des chemins sûrs qui permettent d’utiliser toutes les ressources de cette richesse latente, à entr’ouvrir, puis à ouvrir des fenêtres par lesquelles lumière et soleil donneront une vie nouvelle à l’entassement originel. El quand nous aurons ainsi mieux aménagé, quand placards et étagères offriront leurs rayons aux conquêtes nouvelles, alors nous pourrons, avec la certitude de travailler efficacement, prévoir les aménagements complémentaires dont nous sentirons la nécessité.

*

* *

Et nous avons ainsi tout tracés les soucis actuels d’une pédagogie qui vise, en premier lieu, à servir l’enfant et à le préparer à la vie.

Nous ferons d’abord l’inventaire de notre appartement, pour en connaître les limites et les richesses, afin de ne pas courir le risque de refaire inutilement ce qui a déjà été fait. Cet inventaire, c’est la vertu du texte libre qui nous révèle toutes les immenses richesses enfantines qui seront, pour toutes les disciplines, les obligatoires points de départ.

Mais cet ameublement, cette connaissance, il nous faut les éprouver, les classer, les incorporer à notre comportement. Nous y parviendrons en les soumettant à la permanente expérience enfantine, élargie et enrichie à l’échelle du milieu, de la région, de la nation et du monde.

C’est cette épreuve, cette reconsidération, cette incorporation que nous pratiquons en permanence par l’exploitation des complexes d’intérêt révélés par l’expression libre, et grâce à la correspondance, au fichier scolaire, au cinéma et au disque.

C’est, au cours de cette reconsidération, de ces épreuves vivantes, que nous nous appliquerons à mettre de l’ordre dans notre appartement encombré, que nous retrouverons les voies logiques où nous nous engagerons désormais tout naturellement et que, par nos techniques, nous ferons briller un peu de ce soleil « sans lequel les choses ne seraient que ce qu’elles sont ».

Autrement dit, plus que l’acquisition de connaissance, qui se fait désormais pour ainsi dire malgré nous, et à un rythme qui risque de nous déborder, nous viserons à la conquête de ce sens profond qui permet à l’individu de voir, de comprendre, de sentir et de suivre les pistes qui le mènent vers la lumière et les sommets : l’acquisition du sens mathématique, du sens historique, du sens géographique, du sens artistique, du sens littéraire devient une nécessité de notre siècle. Ceux qui ne les possèdent point, seront irrévocablement condamnés à errer en tâtonnant dans un local encombré, qu’ils ne connaîtront point et où ils seront d’éternels étrangers parce qu’ils n’apercevront jamais au bout du couloir ce rayon de lumière qui permet de continuer hardiment son chemin.

C’est à la sûreté avec laquelle nos élèves s’engagent désormais sur les voies de la connaissance, de la culture et de la vie que se juge et qu’on apprécie les vertus d’une éducation populaire libératrice.

 

Nos gosses... ces hommes

Novembre 1950

 

Quelle est la part du maître ? Quelle est la part de l'enfant ?

Novembre 1950

 

Vie de l'Institut

Novembre 1950

 

C.E.L. et I.C.E.M.

Novembre 1950

 

Comment je travaille dans ma classe

Novembre 1950

 

La grammaire au CE1

Novembre 1950

 

La monnaie

Novembre 1950

 

LES TRAVAUX D'ART au service de l'expression enfantine

Novembre 1950

 

Connaissances et aptitudes

Novembre 1950

 

La neutralité et l'histoire

Novembre 1950

 

Le dessin libre

Novembre 1950

 

La méthode naturelle de lecture

Novembre 1950

 

Réalisations techniques

Novembre 1950

 

A propos de pédagogie sensible

Novembre 1950