L'Educateur n°9 - année 1949-1950

Janvier 1950

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DITS DE MATHIEU Barrage ou calebasses

Février 1950

Notre unité, ce sont nos besoins communs de travailleurs, nos besoins et nos soucis d’éducateurs du peuple qui la supposent, la préparent et la cimentent.
Nous ne nous réunissons pas dans nos Congrès pour discuter de nos sentiments philosophiques ni de nos tendances sociales ou politiques. Ce sont déjà là jeux intellectuels qui séparent seulement les hommes qui n’ont su retrouver, à la base, les fondements inébranlables de leurs efforts communs.    
Nous sommes les habitants d’un quartier qui avons besoin d’eau d’irrigation et qui avons décidé de nous unir pour exécuter les travaux de recherche et de construction qui nous permettront d’améliorer nos conditions de vie et de travail.
Nous sommes forcément d’accord sur le principe de la nécessité de l’eau. Seules les questions techniques peuvent nous séparer, à savoir si on doit faire le barrage en gabions ou en béton moderne, si on doit le construire hardiment dans cette gorge abrupte ou l’amorcer seulement au débouché du ruisseau dans la plaine, ou s’il ne serait pas préférable d’installer un élévateur.
Ces considérations techniques ne seraient graves pour l’unité de notre groupe que si nous les abordions, non sous l’angle de l’expérimentation scientifique mais sous celui du dogmatisme et de l’autorité, ou bien si nous n’avions pas su, ou pas pu, dominer les intérêts particuliers qui risqueraient d’imposer des solutions contraires aux besoins de la majorité du groupe.
Mais si nous cherchons loyalement, scientifiquement, sans souci égoïste d’intérêt personnel, nous tâtonnerons peut-être longtemps, nous nous tromperons mais nous rectifierons nos erreurs et nous triompherons.
Il y a, certes, pour nous regarder ironiquement, les racornis qui n’ont plus la force ni la volonté de lutter pour une amélioration de leur sort et qui continueront à aller puiser l’eau à la rivière avec une calebasse. Ils sont les plus durs à traîner mais non les plus à craindre. Ils sont moins à craindre que les affairistes qui vendent l’eau de la rivière ou qui fabriquent les calebasses et que gênera le canal généreux vivifiant demain le village. Et moins à craindre aussi que les malins qui ont inventé un bidon spécial pour le transport de l’eau ou une pompe qu’ils disent supérieure au puissant barrage, et qui veulent vendre leur camelote brevetée S.G.D.G.
Asseyons et montons notre barrage, mettons en place notre canalisation. Quand l’eau coulera à gros bouillons clairs au tuyau de la fontaine, les sceptiques eux-mêmes viendront y boire, et les bidons et les calebasses rejoindront dans les greniers les vestiges morts des techniques dépassées.

Projet de charte d’unité du mouvement C.E.L.

Février 1950

Projet de charte d’unité du mouvement C.E.L.,

 
Dans deux mois, le Congrès de Nancy battra son plein, nous replongeant une fois encore dans cette atmosphère réconfortante d’amitié et de collaboration C.E.L. qui est une des grandes conquêtes de notre groupe sur la voie de l’éducation libératrice.
 
Nos adversaires et nos concurrents, ceux aussi de nos collègues qui ne nous ont encore ni rejoints ni compris, se demandent parfois d’où vient, dans un monde divisé à l’extrême, cette extraordinaire, fraternité de travail, cet esprit C.E.L. qui est le ciment le plus sûr et le plus efficace de notre action.
 
Il n’est pas mauvais qu’à la veille de nos assises annuelles, nous essayions, une fois encore, de faire le point de nos efforts, ne serait-ce que pour asseoir sur des bases solides les discussions prévues par le thème hardi que nous avons choisi.
 
Nous allons résumer ici, avec l’expérience que nous avons et de nos principes pédagogiques et de la vie de notre groupe, les données essentielles sur lesquelles l’accord peut et doit se faire au sein de notre mouvement, la charte pour ainsi dire d’une unité qui va s’élargissant et se resserrant depuis vingt-cinq ans, et en faveur de laquelle témoignent la fidélité inébranlable de nos adhérents et les résultats pratiques obtenus qui feront date dans l’Histoire de la pédagogie populaire.
 
1° L’éducation est élévation et épanouissement et non dressage ou asservissement à une autorité ou à un dogme
 
En théorie, la cause est aujourd’hui entendue, dans tous les milieux. Il en est autrement, hélas ! dans la pratique. Nous cherchons loyalement et obstinément les outils et les techniques de travail, les modes d’organisation et de vie dans le cadre scolaire et social qui permettront au maximum cette élévation.
 
2° Nous sommes contre tout endoctrinement
 
Nous ne prétendons pas, d’avance, que l’enfant à éduquer sera matérialiste, spiritualiste, catholique ou anarchiste. Nous ne préparons pas l’enfant à servir et à continuer le monde d’aujourd’hui, mais à construire hardiment, demain, la société qui garantira au mieux son épanouissement. Nous nous refusons à plier l’esprit de l’enfant à un dogme ou à une doctrine infaillibles et préétablis quels qu’ils soient. Nous nous appliquons à faire de nos élèves des travailleurs conscients et efficients, qui sauront œuvrer intelligemment et défendre héroïquement s’il le faut leurs droits élémentaires de travailleurs et d’hommes.
 
Nous souhaitons que dans cette voie ils sachent et ils puissent réaliser et même dépasser les rêves que nous n’avons fait, nous, qu’entrevoir et préparer.
 
3° Nous combattrons l’illusion d’une éducation qui se suffirait à elle-même, en dehors des grands courants sociaux et politiques qui la conditionnent
 
L’éducation est un élément, mais n’est qu’un élément de l’amélioration sociale désirée et indispensable. La santé des enfants, les conditions de travail et de vie des parents, les locaux scolaires, l’adaptation et la modernisation des outils de travail, le cinéma et la radio influencent directement, et parfois d’une façon décisive, la formation des jeunes générations.
 
Nous montrerons aux éducateurs, aux parents d’élèves et aux amis de l’école la nécessité de lutter socialement et politiquement pour que notre école laïque puisse remplir son éminente fonction éducatrice. Nous laisserons seulement à chacun de nos adhérents le soin d’agir comme il l’entendra pour mettre en accord ses préférences idéologiques, philosophiques, sociales ou politiques avec les exigences d’une pédagogie qui s’intègre chaque jour davantage au vaste effort des hommes à la recherche du bien-être et de la paix.
 
4° L’Education est une force de libération et de paix
 
Mais nous sommes persuadés que nos efforts, même dans les conditions sociales où nous nous trouvons, ne sauraient être inutiles. Nous n’attendons pas, passivement et égoïstement, qu’une amélioration décisive des conditions sociales vienne rénover nos classes. Nous ne serons pas de ces révolutionnaires en pantoufles qui montent sur les tréteaux pour réclamer la libération des esclaves et qui restent dans leurs classes de parfaits autocrates participant au dressage inconscient des esclaves, d’aujourd’hui et de demain. L’expérience est là, d’ailleurs pour montrer que notre action, et celle des novateurs qui nous ont précédés, n’a été ni vaine ni inutile. Elle a contribué à ouvrir les yeux et les esprits. Elle a, du moins, ouvert les yeux et les esprits des éducateurs eux-mêmes, qui réclament enfin, et à bon droit, une amélioration humainement indispensable de leurs conditions de travail et de vie.
 
A côté des travailleurs qui, au sein de leurs organisations, luttent pour leur pain et leur liberté, mais aussi pour leur sécurité et leur dignité ; à côté des artistes et des écrivains qui jettent inlassablement sur le monde décadent une étincelle de vérité, les éducateurs de la C.E.L. affirment que leur devoir d’hommes et de citoyens est de s’occuper intelligemment et efficacement de leur fonction d’éducation libératrice.
 
5° La loyale recherche expérimentale est la condition première de notre effort coopératif
 
Il n’y a, à la C.E.L., ni catéchisme, ni dogme, ni système auquel nous demandions à quiconque de souscrire passivement. Nous organisons, au contraire, à tous les échelons actifs de notre mouvement, la confrontation permanente des idées, des recherches et des expériences.
 
Nous nous interdisons toute exploitation, c’est-à-dire qu’aucun d’entre nous ne doit profiter abusivement du travail de ses camarades, que nul ne peut, par ruse ou autorité, nous mener vers des voies ou des solutions que nous n’aurions d’avance acceptées.
 
Mais si nous nous engageons à verser sans cesse dans le creuset coopératif les meilleurs de nos travaux, nous nous défendrons toujours avec la dernière énergie contre les individus, les associations ou les organismes qui essayeraient d’exploiter à leur profit nos communes réalisations.
 
Nous défendrons notre bien que nous voulons mettre exclusivement au service de l’éducation populaire.
 
6° Les éducateurs de la C.E.L. restent les maîtres souverains du conditionnement, de l’orientation et de l’exploitation de leurs efforts coopératifs
 
Nous bâtissons et nous animons notre mouvement pédagogique sur les bases et selon les principes qui, à l’expérience, se sont révélés efficaces dans nos classes : travail constructif ennemi de tout verbiage, libre activité dans le cadre de la communauté, liberté pour l’individu de choisir son travail au sein de l’équipe, discipline entièrement consentie avec responsables désignés mais sans chefs, imposés.
 
Nous ne nous intéressons profondément à la vie de la C.E.L. que parce qu’elle est notre maison, notre atelier de travail que nous devons nourrir de nos fonds, de notre travail et de notre pensée et défendre contre quiconque nuit à nos intérêts communs.
 
7° La C.E.L. n’est pas un groupement d’affinités mais une équipe de travail
 
Ce sont chez nous les meilleurs travailleurs, les chefs d’équipe dont on a reconnu la valeur technique, coopérative et humaine qui prennent la tête du peloton. Ce sont les nécessités du travail qui les portent, aux postes de commande, où ils ne sauraient se maintenir que par le travail, à l’exclusion de toute autre justification.
 
Il en résulte que l’appartenance à une religion, à une association ou à un parti ne saurait jouer dans la désignation ou le maintien des responsables. Il appartient aux hommes qui veulent honorer leur religion ou leur parti - et c’est très humain et très juste - d’être les meilleurs ouvriers, les plus dévoués des chefs d’équipe.
 
Dans la pratique de notre mouvement, cette sélection se fait automatiquement. Nous avons des délégués départementaux, des responsables de commissions, des membres du C.A. de toutes tendances ou sans parti. Ils jouissent tous au sein de la C:E.L. de l’autorité que leur valent leur compétence et leur dévouement au service de la Coopérative.
 
8° Relations du mouvement C.E.L. avec les associations voisines
 
Un syndicat peut s’affilier à une centrale syndicale, mais non à une Ligue, ou à un Parti. La C.E.L., équipe de travail, ne peut, pour les mêmes raisons, se lier organiquement à aucune des associations voisines, quelles que soient par ailleurs ses sympathies pour ces associations.
 
C’est pourquoi la question ne peut pas se poser de l’affiliation de la C.E.L. ni à un syndicat, ni à la Ligue de l’Enseignement, ni à tel autre mouvement culturel, si intéressant soit-il, ni même au Groupe Français d’Education Nouvelle, organisme de coordination et de propagande plus que d’action pédagogique et technique au service de l’éducation nouvelle.
 
Nos groupes départementaux pourraient plus légitimement œuvrer au sein de la Commission pédagogique du Syndicat des Instituteurs qui est, elle, une équipe de travail, mais dont la dépendance - naturelle – vis-à-vis du Syndicat, risque de créer chez nous des situations délicates.
 
La question de collaboration technique permanente pourrait être éventuellement examinée avec l’office des coopératives scolaires qui est, lui, un organisme d’entr’aide technique et de coopération de toutes les coopératives.
 
Mais, si même ne peut se poser la question de l’affiliation, il n’en reste pas moins que la C.E.L. collabore sans réserve et à fond avec tous les organismes laïques qui poursuivent des buts identiques aux nôtres et qui luttent pour la même cause. Notre collaboration actuelle à la Commission pédagogique du S.N.I. est une preuve encore de notre désir permanent de servir de notre mieux, par tous les moyens, l’Ecole et ses maîtres.
 
9° Position de la C.E.L. en face des officiels
 
Même explication naturelle de nos relations avec les officiels. Nos groupes de travail dépérissent partout où y pénètrent les officiels en tant qu’officiels : les instituteurs ne parlent plus, ne critiquent plus librement en présence de leurs chefs ; ils ne sont plus à l’aise dans leur travail. N’étant plus à l’aise, ils se désintéressent de l’équipe et de son activité. L’expérience l’a montrée bien des fois : toute réunion de la C.E.L. ou de ses filiales tenue en présence d’un officiel petit être, dans certains cas, une réunion de propagande, elle est toujours une séance de travail ratée.
 
Nous ne faisons qu’une réserve pour les cas, heureusement de plus en plus nombreux, où les Inspecteurs, comme dans nos stages, viennent en ouvriers et non en chefs. La collaboration et le travail n’excluent pas, au contraire, le respect et la considération.
 
C’est au titre d’équipe de travail que la Commission des Inspecteurs a sa place au sein de la C.E.L. et de l’Institut.
 
Cette position technique, pourrions-nous dire, n’est nullement d’ailleurs une opposition systématique à l’administration que nous gardons la liberté d’aider, de servir ou de critiquer selon les exigences de notre travail coopératif, dans le cadre de la grande lutte laïque pour l’éducation du peuple.
 
10° La C.E.L. est au service des enfants du peuple
 
Dans le cadre des réserves ci-dessus, nous collaborons au maximum, à tous les échelons, avec tous les organismes populaires et laïques, à toutes les initiatives désintéressées qui servent directement ou indirectement notre grande cause de l’éducation libératrice de l’enfant. Nous jetons généreusement dans le circuit de la construction sociale toutes nos solides réalisations. Nous veillons seulement à ce que des individus ou des organismes intéressés ne s’en saisissent pas, jusqu’à nous en dépouiller, pour poursuivre à leur profit l’œuvre obscurantiste contre laquelle nous luttons.
 
11° La C.E.L. est, par principe, internationale
 
C’est sur ces mêmes principes d’équipes coopératives de travail que nous tâchons de développer notre effort à l’échelle internationale. Notre internationalisme est, pour nous, plus qu’une profession de foi, il est une nécessité de notre travail.
 
Quand des filiales actives et constructives se constituent en Belgique, en Suisse, en Hollande, au Luxembourg, bientôt en Allemagne, en Italie, en Amérique centrale et en Amérique du sud, lorsque se reconstituera dans l’Espagne libérée notre héroïque filiale espagnole, nous sommes naturellement liés, organiquement par les nécessités même de notre travail, avec les équipes de travail de ces pays. Nous constituons ainsi, peu à peu, sans autre propagande que celle de nos efforts enthousiastes, une C.E.L. internationale, qui ne remplacera pas les autres mouvements internationaux, mais qui agira sur le plan international comme elle le fait sur le plan national pour que se développent les fraternités de travail et de destin qui sauront aider profondément et efficacement toutes les œuvres de paix.
 
12° La C.E.L. est une grande fraternité dans le travail constructif au service du peuple
 
Fait unique en France, si ce n’est dans le monde, des milliers d’éducateurs de toutes tendances et de toutes conditions participent depuis vingt-cinq ans à une des plus grandes entreprises coopératives de notre histoire pédagogique. Et leur unité n’est point faite de silence ou d’abandon, mais de dynamisme et de loyauté, au service d’une grande cause : la lutte sur tous les terrains pour que s’améliorent et s’humanisent nos conditions de travail, les conditions de travail et de vie de nos enfants, l’action hardie pour que les forces de réaction ne sabotent pas davantage, ne pervertissent ou ne détruisent les fleurs que nous tâchons de laisser éclore et s’épanouir, parce qu’elles portent la graine de notre bien le plus précieux : l’enfant.
 
C. FREINET.
 

 

 

L'envvers d'un grand film

Janvier 1950

Il y a, hélas ! une affaire du film L’Ecole Buissonnière. Nous en avons dit quelques mots incidemment, mais nous avons tenu à pousser jusqu’à l’extrême notre souci d’un arrangement amiable qui aurait sauvegardé les droits matériels, pédagogiques et moraux de notre mouvement. Nous sommes allés à la limite de notre confiance et de nos sacrifices. D’aucuns diront que nous ne connaissons pas encore les hommes et que nous nous obstinons à mesurer à notre aune les affairistes pour qui l’idéal n’est trop souvent qu’un alibi et un paravent.

 
Nous continuerons à faire confiance à ceux avec qui nous sommes amenés à collaborer, parce qu’il ne peut pas y avoir de travail profond, intelligent et humain hors de cette franche collaboration. Mais il est de notre devoir aussi de stigmatiser sans réserve les hommes qui, abusant de nos bons sentiments, exploitent à leur profit nos efforts et notre générosité.
 
Nous vous apporterons ici un exposé très objectif des documents irréfutables. Chacun d’entre vous les interprétera comme il l’entendra et agira en conséquence.
 
Nous ne cherchons ni la publicité ni le scandale. Nous ne visons point à un procès spectaculaire pour une propagande dont nous n’avons pas besoin. Mais nous disons et nous dirons la vérité, et nous appellerons à la défense de cette vérité les camarades qui comprennent comme nous le travail coopératif.
 
Nous avons tout donné pour ce film : nos innovations, nos efforts, notre lutte et notre vie. Nous avons apporté 90 % du scénario que Le Chanois s’est contenté de mettre en images, il est vrai, avec un incontestable talent. Nous avons donné notre école qui, pendant trois mois, n’a vécu que pour ce film. Nous avons donné l’effort - enthousiaste mais réel - de quatorze de nos enfants qui pendant près de trois mois, ont travaillé dans des conditions que les acteurs adultes, et encore moins les vedettes, n’auraient jamais acceptées.
 
Nous avons donné tout cela, comme nous donnons tout notre effort depuis trente ans, parce que nous avions l’assurance formelle, verbale et écrite que ce film :
- servirait nos techniques et notre mouvement pédagogique ;
- que, s’il réussissait, et il devait être une réussite, il devait rapporter à l’Ecole Freinet des sommes importantes qui la sauveraient de la misère où elle végète depuis sa fondation.
 
Parce que nous avions affaire à des camarades qui se réclamaient d’amis communs très sûrs, nous n’avons exigé aucun contrat préalable, la parole donnée devant nous suffire en attendant la signature d’un contrat pour lequel je devais - selon la promesse qu’on m’en avait faite - me rendre à une réunion du C.A. de la Coopérative générale du Cinéma Français, productrice du film.
 
Or, à mesure que la sortie du film approchait, je réclamais en vain la dite réunion qui préciserait nos droits. Il a fallu que, trois jours avant la sortie du film, nous mettions, par lettre recommandée, saisie-arrêt sur le film pour qu’un membre du C.A. de la Coopérative du Cinéma se rende immédiatement à Cannes pour lâcher du lest et nous faire signer un contrat provisoire qui, au dire des hommes de loi, vaut un contrat définitif et n’est, paraît-il, qu’un contrat de dupe.
 
Le film sortait et nous le voyions à Angers. Je constatais alors avec stupeur qu’une mention sur laquelle nous étions tombés formellement d’accord, avait sauté au générique. Celui-ci devait, en effet, porter selon nos accords écrits, la mention suivante :
 
Ce film est dédié à :
 
Mme Montessori (Italie), Pestalozzi (Suisse), Ferrière (Suisse), Bakulé (Tchécoslovaquie), Decroly (Belgique), Freinet (France).
 
Ainsi mon nom disparaissait du générique. Personne ne connaîtrait donc la filiation Freinet-C.E.L. et « Ecole Buissonnière ».
 
D’autre part, malgré l’assurance formelle écrite de Le Chanois, « de faire aux Techniques Freinet et à la C.E.L. la place qu’ils méritent et qu’il n’a jamais été dans nos intentions de sacrifier », les communiqués donnés à la presse (et que tout le monde connaît puisqu’ils ont été reproduits dans tous les journaux), ignorent systématiquement Freinet et la C.E.L. Le film est présenté partout comme la création authentique de Le Chanois, ce qui est au moins un abus de confiance, pour ne pas dire plus.
 
C’est contre cette non-exécution des clauses formelles de nos contrats que nous protestons depuis neuf mois. Elle nous a causé de très graves torts pécuniaires et moraux Le film ne nous a fait aucune réclame en France ni à l’étranger. Nous demandons le rétablissement de la mention irrégulièrement supprimée au générique et des dommages-intérêts pour le tort qui nous a été causé.
 
La partie adverse reconnaît ses torts puisqu’elle propose le rétablissement de la mention supprimée. Seulement, comme ce rétablissement coûtera trop cher. étant donné le nombre considérable de copies en circulation, on nous propose de mettre la mention en vedette américaine à la fin du film, quand la musique joue et que chacun s’en va.
 
Nous avons refusé, et prenant acte de la reconnaissance de la faute par les coupables, nous exigeons le rétablissement au générique et le paiement des dommages-intérêts.
 
L’affaire en est là, dans cette impasse, après neuf mois de négociations. La justice est aujourd’hui saisie. Elle dira si un metteur en scène, si des producteurs doivent respecter les accords qu’ils ont signés ou s’il est juste que, après avoir tout donné, nous voyions notre film servir des intérêts et une cause personnels et égoïstes.
 
Voilà pour le point essentiel du différend. Il en est d’autres que nous tenons cependant à signaler :
 
- Pendant deux mois et demi, notre école a abrité, surveillé, entraîné, nourri de 15 à 30 Petits acteurs du film. Il a fallu. réclamer véhémentement pour être payé du minimum de pension prévue, soit 160 fr. par jour. L’Ecole Freinet a perçu de ce fait 150.000 fr. pour règlement de tous frais, alors que le film coûtait 250.000 fr. par jour.
 
- Tous les petits acteurs ont joué dans des conditions inhumaines (nous rappelons en passant qu’aucune loi ne défend encore en France les enfants contre l’exploitation des firmes cinématographiques), levés parfois à 6 heures, rentrant certains soirs à 11 heures, s’énervant tout le jour sous la lumière crue des projecteurs. Trois de nos enfants seulement ont été payés. Les autres n’ont rien touché.
 
Deux frères, anciens élèves de l’Ecole Freinet et actuellement dans une autre école, ont perçu 5.000 fr. (2.500 fr. chacun) pour deux mois et demi de travail.
 
Les camarades jugeront.
 
- Quand le film est passé en soirée de gala, à Nice, en juin dernier, tous les petits acteurs ont été oubliés, ceux de l’Ecole Freinet, ceux de notre camarade Camatte, de Nice, et d’autres encore qui ont dû payer leur place.
 
Mais on a monté une véritable mascarade publicitaire. On a installé sur un car tous les élèves d’une maison d’enfants voisine avec deux acteurs de « L’Ecole buissonnière », et une grande banderole portait : « Les petits acteurs de « L’Ecole Buissonnière ».
 
- Les enfants, contrairement aux promesses faites, ont été totalement oubliés au générique.
 
- Elise Freinet a perçu 50.000 fr. pour le scénario qu’elle avait fourni. Mais c’est Le Chanois qui a sa participation aux bénéfices pour le scénario ; il touche, lui, la grosse somme.
 
Ces 50.000 fr. ont été versés par Elise Freinet à l’Ecole Freinet, et nous avons pris l’engagement de reverser à l’Association des amis et parents d’élèves de l’Ecole Freinet l’intégralité des sommes qui pourraient nous venir de l’exploitation’ du film « L’Ecole Buissonnière ».
 
En réclamant donc l’exécution régulière des engagements pris, nous luttons d’abord, comme nous l’avons toujours fait, pour la propreté morale et commerciale, dans le seul intérêt des enfants et de l’éducation.
 
Nous tenons tout particulièrement à faire connaître à nos adhérents cet envers d’un grand film laïque, car nous ne voulons pas courir le risque de voir notre timidité à nous défendre interprétée comme une complicité.
 
Nous nous sommes tus tant que nos révélations risquaient de compromettre le succès d’un grand film qui est notre film. L’œuvre est maintenant connue ; elle a, pourrions-nous dire, un passé.
 
Nous avons tenu à dégager nos responsabilités en affirmant que, comme par le passé, nous saurons toujours défendre la vérité et notre dignité d’éducateurs et d’hommes.
 
C. FREINET
 

 

 

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