L'Educateur n°14 - année 1949-1950

Avril 1950

DITS DE MATHIEU - Raccrocher l’outil à nos mains

Avril 1950

A l’origine, quand l’homme apportait un perfectionnement à son outil, c’était sa propre main qu’il perfectionnait ; il ne cherchait, il ne réalisait que dans le sens de ce perfectionnement personnel.

Du moment que la machine devient une pièce indépendante de notre vie, nous pouvons nous amuser à la perfectionner dans n’importe quelle direction. L’essentiel, c’est qu’elle aille plus vite, qu’elle tire plus fort, qu’elle monte plus haut. Quant à savoir si cet accroissement de puissance peut nous servir, c’est une considération qui ne nous atteint plus : la machine, détachée de notre main, s’en va vers sa destinée, mais c’est malheureusement une destinée aveugle.

Et nous voilà au centre du grand drame de notre époque, où la machine domine, asservit et broie l’homme dans un but d’exclusif profit, ajoutant constamment à son déséquilibre, le montant très haut, mais si haut qu’il perd pied, qu’il ne retrouve plus ses racines, qu’il ne se retrouve plus lui-même, et qu’il s’en va à l’aventure, au gré des mécanismes, vers l’inévitable catastrophe que suscite la société capitaliste.

On comprendra que nous nous méfiions d’un tel désordre et que nous essayions de mettre debout une pédagogie basée sur le travail, qui redonne à l’enfant le sens profond de l’outil d’abord, de la machine ensuite, qui les raccroche au bout de ses mains où il pourra les diriger et les dominer, pour s’en servir à la construction de sa personnalité puissante et équilibrée dans une société humaine où la machine sera instrument de puissance et de libération.

Nous ne jetons nullement l’anathème, comme le font certains théoriciens effrayés d’un déséquilibre dont ils n’ont point pénétré les vraies raisons, sur les outils ou les mécanismes. Ils sont l’élément et le moteur du progrès ; ils sont à l’origine de notre élévation au- dessus de l’animal. Notre intelligence n’est que le reflet des relations nouvelles qu’ils permettent et de notre puissance accrue sur le milieu. Nous nous appliquons seulement, répétons-le, à les raccrocher au bout de nos mains. Ou mieux, nous ferons en sorte qu’ils ne se décrochent plus. Et ce n’est pas par une quelconque opération de l’esprit que nous y parviendrons, mais par l’obstiné et lent exercice de nos mains qui, dans un milieu riche et aidant, le milieu social que nous aiderons à préparer, feront le tour des choses familières d’abord, puis y adapteront lentement les outils simples, puis les machines plus compliquées, mais de telle sorte que chaque acquisition technique soit une augmentation personnelle de puissance, une montée équilibrée dans le sens de notre destinée.

Et il nous faut réussir.

(ESSAI DE PSYCHOLOGIE SENSIBLE).

 

Projet de résolution sur l’esprit C. E. L.

Avril 1950

L’entente et la paix doivent régner dans le ménage, si nous voulons travailler avec efficience.

Il ne suffit pas de jouer à cache-cache, de ne pas aborder certains problèmes vitaux sous le prétexte que nous risquons de n’être pas d’accord.

Pour un travail donné, pour une activité dont le but est et sera, bien précisé, nous pouvons et nous devons être d’accord à 100 % non pas du bout des lèvres, mais avec tout notre être et notre totale bonne volonté.

Nous allons essayer, non pas de codifier, mais du moins d’énoncer et de préciser, les conditions essentielles de cette collaboration à 100 % au sein de la C.E.L., ce 100% qui fait l’esprit C.E.L., dont notre Congrès de Nancy montrera encore une fois la puissance et la virilité.

1° Nous sommes des hommes et des femmes de bonne volonté, qui en avons assez d’avoir le crâne bourré et de bourrer le crâne aux autres. Nous voulons essayer de penser par nous-mêmes, d’agir par nous-mêmes et de pratiquer une éducation qui prépare les enfants à agir et à penser par eux-mêmes, avec le maximum de liberté et d’humanité compatible avec les exigences du milieu.

2° Nous sommes des hommes et des femmes qui en avons assez d’être exploités et qui renonçons de même à exploiter les autres, adultes ou enfants.

Cette âme de serviteur ou de tyran — il n’y a pas souvent d’intermédiaire — que nous a forgée une longue éducation, à l’image d’une société d’exploitation, nous luttons pour la dominer, pour nous entraîner lentement et parfois péniblement au comportement coopératif.

En conséquence, nous renonçons à exploiter, sous quelque forme que ce soit, matérielle, intellectuelle, morale ou politique, les éducateurs et les enfants qui travaillent avec nous ; mais nous nous élevons de même, avec la dernière énergie contre ceux qui tenteraient d’exploiter notre travail ou notre bonne volonté pour des fins que nous ne reconnaissons pas délibérément être les nôtres.

Si nous avons la prétention de former des hommes, nous devons être d’abord, entre nous, dans notre C.E.L., des sortes de prototypes du modèle de citoyen et de travailleur actifs que nous voudrions mettre au service de l’Humanité.

3° Nous sommes des éducateurs qui acceptons de nous plier aux lois et exigences du travail coopératif et qui savons qu’on ne triche pas avec le travail.

Chez nous, ce n’est plus le verbiage ni l’éloquence, ni l’habileté qui sont rois, mais les qualités d’application, de ténacité, de probité et de générosité du travailleur. Chez nous, ce ne sont pas les meilleurs orateurs qui sont aux postes responsables. Nous nous méfions des beaux parleurs. C'est sur les travailleurs que nous faisons fonds.

Dans cette atmosphère de travail honnête, profond et désintéressé, celui qui voudrait profiter de nos efforts pour les exploiter à son profit, le politicien qui voudrait tirer la couverture à lui, s’excluent automatiquement de notre ronde des travailleurs.

Nous évitons ainsi, localement, départementalement et nationalement, tous les risques graves de déviation de notre mouvement qui restera toujours propriété et œuvre des travailleurs.

4° Nous sommes des éducateurs qui, selon le mot d’A. Thierry, « refusons de parvenir ». ..

Notre travail n’est jamais motivé par le souci de nous faire remarquer du public ou des chefs ; nous évitons la propagande qui n’est que propagande et qui risquerait de mettre exagérément en vedette telle ou telle personnalité. Nous gardons notre totale liberté vis-à-vis des autorités, ce qui n’implique nullement une attitude d’hostilité délibérée. Notre refus de parvenir ne doit pas être suffisance ou prétention et nous savons collaborer humblement, à notre place, administrativement, socialement et pédagogiquement, avec tous les organismes et toutes les personnalités qui œuvrent avec le même souci de servir l’éducation libératrice de nos enfante.

Mais nous n’oublions pas, non plus, que nous sommes des éducateurs du peuple, chargés d’éduquer les enfants du peuple. Nous n’avons pas le droit de nous contenter d’une pédagogie idéaliste et idéalisée qui, conçue pour un milieu qui n’est, ni le nôtre, ni celui de nos élèves, ne serait en définitive qu’une erreur et un mensonge.

Nous saurons faire dans nos préoccupations de base la part souvent déterminante des conditions difficiles que la société capitaliste impose aux enfants des travailleurs, comme nous ne craindrons pas de nous élever, s’il le faut, contre les tentatives réactionnaires qui s’opposeraient à notre effort libérateur.

5° Le ciment de notre mouvement pédagogique, c’est ce souci de libération de l’enfant et des éducateurs.

Nous sommes des démocrates. Nous pensons que les hommes doivent organiser eux-mêmes la société dans laquelle ils vivent, et qui doit leur réserver un maximum de possibilités de développement, matériellement, socialement, intellectuellement, humainement.

L’expérience nous a prouvé que ce n’est pas par l’autorité et la domination qu’on peut conduire les individus à ce maximum de liberté, mais par l’exercice méthodique et permanente de la Coopération sociale à tous les degrés.

Ceux qui pensent que l’enfant a besoin d’être dominé, commandé, maté, formé, parce qu’il est appelé à obéir, à servir, à souffrir et à mourir, ceux-là n’ont pas place dans notre mouvement pédagogique. La construction que nous montons ne saurait leur convenir et nous aurons à dénoncer en permanence leurs tentatives de se servir des outils que nous avons réalisés pour rebâtir ou consolider leur construction branlante.

Mais nous appelons à nous l’immense masse des éducateurs qui savent quel dynamisme, quelle confiance et quels espoirs il y a dans la hardiesse avec laquelle nos enfants abordent, non seulement les tâches scolaires, mais les multiples exigences de la vie.

Nous appelons à nous tous ceux qui, après avoir pris conscience des erreurs dont ils ont été les premières victimes, sentent la nécessité d’une reconsidération radicale entre éducateurs et éduqués, entre école et milieu, entre culture et société.

Nous ne disons pas que nous parviendrons à 100% à cette reconsidération qui est, elle aussi, œuvre de longue haleine. Il suffit que nous soyons sur la bonne voie et que nous sachions œuvrer en toute humilité, mais en toute sincérité.

Tous les éducateurs qui comprennent la nécessité d’une éducation libératrice ont leur place dans la C.E.L., quelles que soient leurs opinions philosophiques ou leurs tendances politiques.

6° Cette considération est essentielle. Elle sera, avec l’éviction, de notre mouvement, par le seul effet du travail, de tous les profiteurs, sous quelque forme qu’ils se présentent, le vrai ciment de notre C.E.L.

Si des chrétiens pensent que leur doctrine les engage à considérer leur fonction éducatrice sous l’angle de cette pensée libératrice, ils n’auront qu’à être de bons chrétiens pour être de bons éducateurs C.E.L. Si les communistes, si les socialistes, si les radicaux sont persuadés de la nécessité de la libération de l’homme en l’enfant, de l’urgence qu’il y a à préparer dès l’école l’homme et le citoyen qui construiront demain la société socialiste, ils n’auront qu’à être de bons communistes, de bons socialistes, de bons radicaux pour être de bons ouvriers C.E.L. Si les anarchistes tiennent farouchement à l’éducation de la liberté, qu’ils soient alors des anarchistes conséquents, ils seront d’excellents ouvriers C.E.L.

Et si les éducateurs sans-parti redoutent l’autorité, qu’ils croient partisane, des diverses tendances sociales ou politiques, s’ils veulent être en toute simplicité et en toute honnêteté, des hommes libres, eh ! bien, qu’ils soient ces hommes honnêtes et sincères. Ils seront d’excellents ouvriers C.E.L.

On dira que nous choisissons nos adhérents exclusivement dans les tendances de gauche. Certainement. Parce que nous voyons mal les partisans de l’autorité et de la réaction sociale et politique défendre avec nous le besoin de libération de l’enfant. Ou bien alors, ils le feraient verbalement, dans leur journaux, ou du bout des lèvres. Et ce ne sont pas des professions de foi que nous demandons, mais du travail voulu, une collaboration intime et totale sur un terrain où nous sommes d’accord sans réserve. 

Et l’expérience nous prouve que lorsque nous sommes entre travailleurs — de la base, pourrais-je dire — entre ouvriers consciencieux d’une œuvre à laquelle nous donnons le meilleur de nous-mêmes, quand nous sommes entre bons chrétiens, bons communistes, bons socialistes, bons anarchistes, bons sans-partis, nous nous entendons toujours à 100 %.

Nous serons unis à 100 % pour préciser ce que nous souhaitons, ce que nous exigeons, pour que nous puissions réaliser au maximum l’éducation libératrice dont nous jetons les bases. C’est à l’unanimité que nous voterons cette charte de l’Ecole Moderne dont nous avons publié un avant-projet. Nous serons unanimes également pour dire avec précision la paix que nous voulons.

Nous serons donc d’accord à 100% chaque fois que nous sommes entre nous, pour régler des affaires dont nous sommes seuls responsables.

Mais, hélas ! les considérants de l’éducation ne sont pas tous de notre seul ressort. Les graves incidences économiques, matérielles, sociales et politiques ne peuvent pas être réglées au sein de la C.E.L. et la C.E.L. ne prétend pas les régler. Nous posons tous ensemble les problèmes, en laissant nos adhérents libres d’intervenir avec le maximum d’efficacité dans toutes les organisations sans exception dont ils sont membres.

Et nous savons que si, par nos efforts, par notre unité et nos réalisations, nous avons fait comprendre à 100 % l’urgence de ces interventions, nos adhérents, de quelque parti ou de quelque croyance qu’ils se réclament, sauront agir en éducateurs conscients et en hommes au sein de leurs associations. Nous ne pouvons pas demander davantage à nos camarades que d’être partout des hommes dignes pour former des enfants et des hommes dignes pour la nouvelle société démocratique.

Nous n’ignorons donc aucun problème ; nous ne nous masquons point les yeux pour éviter de voir les réalités. Mais nous ne discutons entre nous que des questions qui sont de notre ressort. Pour toutes les autres, nous demandons à nos camarades d’en discuter librement dans les associations ou organismes habilités pour- cette action.

Mais, étant donné nos méthodes de travail, nous ne disons pas non plus à nos adhérents : Faites de la pédagogie, et rien que la pédagogie. Là nous sommes compétents et unis. Ne vous occupez ni des questions sociales ni des questions politiques qui nous diviseront.

Nous affirmons, au contraire, que l’action pédagogique est impuissante à elle seule à réaliser les buts que nous lui proposons. Il nous faut agir hors de la pédagogie, dans les administrations, dans les syndicats, au Centre d’entraînement, à la Ligue internationale pour l’Education Nouvelle, dans les partis politiques. Nous devons être des hommes complets sachant aborder avec hardiesse et lucidité le complexe éducatif dans la complexité de la vie.

Et vous verrez vous-mêmes, dans l’action, quels sont les organismes, quels sont les partis qui vous servent et nous servent avec le plus de désintéressement, ceux qui sont les plus dévoués, sans arrière-pensée, à la formation en l’enfant de l’homme de demain. .

C’est sur ces bases essentiellement éducatives que nous poserons de même dans notre Congrès de problème de la Paix. Nous reconnaîtrons, ce qui n’est pas difficile, que les éducateurs sont toujours les plus acharnés ennemis de la guerre qui détruit leur œuvre, comme les mamans sont foncièrement acharnées contre toute entreprise qui leur ravit leurs enfants.

Mais nous dirons aussi la nécessité pour les éducateurs, comme pour les mamans, de défendre la paix par tous les moyens en leur pouvoir. Si nos camarades ont bien été persuadés de cette nécessité de la paix, ils seront partout, à l’école, dans les associations, dans les partis politiques, parmi les meilleurs artisans de la Paix.

Sur ces bases de sincérité et de loyauté, nous pouvons aller très loin dans cette collaboration active, à 100 %, dans un esprit non de timidité et de passivité, mais d’audace et de création, dans un chantier commun où nous restons des hommes complets, mais des hommes qui ont compris et qui savent agir.

Et l’action, toujours, nous retrouvera unis.

 

Quelle est la part du maître ? Quelle est la part de l'enfant?

Mars 1950

 

Commissions

Mars 1950

 

Questions et réponses

Avril 1950

 

La vie de l'Institut

Avril 1950

 

La vie scolaire

Avril 1950

 

Les enquêtes

Avril 1950

 

Réalisations techniques

Avril 1950

 

Une échelle d'humanité

Avril 1950