L'Educateur n°19 - année 1949-1950

Juin 1950

DITS DE MATHIEU - le bon berger

Juin 1950

Ah ! vous croyez que c’est facile à acquérir et à conserver une renommée de bon berger, et qu’il suffit toujours de ramener aux propriétaires des bêtes bien grasses, à la laine souple, ordonnées et disciplinées comme si elles comprenaient la loi du troupeau.

Si le propriétaire vivait avec nous, s’il voyait nos efforts et notre dévouement, s’il appréciait la technique et l’Art avec lesquels nous menons ses bêtes, sans même un coup de fouet, sans un aboiement de chien, comme si c’était nous qui les suivions là où elles veulent aller, peut-être alors l’homme comprendrait-il que nous ne travaillons pas en apprentis mais en maîtres-bergers. La malveillance, hélas ! se joue de nos mérites.

Pendant que nous sommes en montagne, à vivre humblement avec nos bêtes, en bas, dans la vallée, la méchanceté et la vilenie vont leur train.

La vieille fille sans enfants et sans brebis n’est pas contente, paraît-il, parce qu’elle prétend que je suis un mécréant et que je n’ai pas plus de religion que mes bêtes innocentes... Pour le cabaretier, je ne vais pas remplir ma gourde assez souvent à son tonneau suspect, et le politicien du village m’accuse de ne pas voter pour le gouvernement...

Ce sont là les raisons des raisons !...

Ils vont trouver Pierre :

— Tu sais, ton petit « Cagagni », que tu avais élevé au biberon et que tu aimais comme un petit enfant ?... Bien sûr, il était petit ; il marchait difficilement et tu craignais qu’il ne puisse pas suivre le troupeau... Mais il avait le poil luisant et pouvait devenir un brave agneau si on s’était occupé de lui. Il aurait fallu pour cela un autre berger, capable d’agir comme tous les bergers et qui ne se vante pas de garder son troupeau selon une méthode à lui, qui n’est peut-être, sait-on jamais, qu’une manière de le laisser dépérir... Le vieux Tisserand, ça oui, c’était un conducteur de moutons !...

Ils vont vers Louis :

— « Je le vois mal », ton champ de seigle du Faoul. C’est si commode pour le berger de dîner au frais, à ta source... Si les bêtes moissonnent ton grain, il ne viendra pas te le dire !...

Et ces raisons des raisons suffisent pour semer sur mes pas, quand je descends au village, cet air soupçonneux et cette méfiance jalouse qui semblent suinter des maisons endormies. Je ne retrouve confiance et paix que parmi mes moutons...

Mais au matin de la Saint-Michel, le troupeau au complet sur la place, les yeux vifs et la laine souple, seront comme le plus éloquent et le plus définitif des témoignages. La vérité, lorsqu'elle n’est point simple affirmation mais acte qui s'inscrit dans la réalité des faits, est comme ces pierres que les hommes ont posées en fondation des murs indestructibles : elle est un éternel commencement.

 

Une PÉDAGOGIE MODERNE basée sur une puissante motivation : les échanges interscolaires

Juin 1950

Une pédagogie vraiment moderne est en train de naître : non pas comme on pourrait le supposer peut-être celle du texte libre et de l’imprimerie à l’Ecole, ni la pédagogie des enquêtes, des conférences et des fichiers, toutes techniques dont l’introduction dans le processus normal de l’Ecole française reste et restera attaché au nom et. à l’action de la C.E.L. et de Freinet, mais une pédagogie tout entière centrée sur les possibilités que la technique moderne offre aux individus de déborder le cadre scolaire pour plonger dans la vie complexe de notre siècle par les échanges interscolaires, manuscrits et imprimés, par l’échange de dessins, de photos, de films et, demain, de disques, ou de bandes sonores, par l’échange, en fin d’année, des enfants eux-mêmes.

Et la recherche que nous allons entreprendre des outils, des moyens, de la technique et des buts de cette pédagogie, la comparaison des nombreuses expériences poursuivies depuis 25 ans et qui portent maintenant sur plusieurs centaines de milliers d’enfants, vont nous permettre de lancer effectivement et pratiquement tous les éducateurs sur des pistes recommandables non point parce qu’elles sont neuves, mais parce qu’elles s’avèrent efficientes et libératrices.

Cet élargissement de notre pédagogie, dans une voie où nous savons être suivis, est la meilleure réponse que nous puissions faire à ceux qui s’obstinent à juger, d’après les principes désuets de leur vieille araire, notre tracteur modernisé.

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Vous pouvez, certes, posséder dans votre classe imprimerie ou limographe avec lesquels vous donnez majesté aux meilleurs textes libres de vos enfants ; votre journal, diffusé timidement, ne vous en apportera pas moins des thèmes nouveaux et des documents pour vos leçons formelles et classiques ; vous aurez peine peut-être, après la réception d’un colis, à réfréner le besoin puissant d’aller vers la vie et à retourner aux formes d’enseignement que vous croyez encore indispensables.

Tant que vous n’irez pas plus loin, tant que vous considérerez nos techniques de vie comme des adjuvants plus ou moins efficaces de vos méthodes scolastiques, vous n’aurez pas abordé le retournement indispensable ; vous resterez les éducateurs en proie aux enfants qui essaient de faire boire le cheval qui n’a pas soif. Vous n’aurez pas encore donné à vos enfants la soif élémentaire sans laquelle vous n’entrerez point dans le domaine lumineux de la pédagogie vivante.

L’Ecole traditionnelle était, et reste, à base de leçons, de devoirs, d’étude dogmatique, dans les livres d’abord et accessoirement, et accidentellement dans certains éléments connexes de la vie.

Notre Ecole est désormais replacée à 100 % dans la vie par :

la correspondance interscolaire

Nous ferons connaître dès octobre, par une B.E.N.P., les réussites totales dans ce domaine, de façon à encourager les éducateurs à s’orienter dans une voie qui les délivrera, du carcan scolastique, qui passionnera les parents autant que les enfants et qui préparera selon notre formule, dans l’écolier d’aujourd’hui, l’homme de demain

Mais la mise au point de cette pédagogie vraiment moderne nécessite une mise au point à peu près parfaite de l’organisation des échanges eux-mêmes. Il nous faudra notamment prendre davantage l’esprit coopératif : jusqu’à présent la réussite ou l’échec de notre travail n’avait de répercussion que dans notre école — ce qui était déjà suffisamment grave, nous le reconnaissons. Mais enfin, les autres écoles n’en souffraient pas. Désormais, notre école est liée avec d’autres écoles qui attendent, à la date prévue, ce que vous leur avez promis et que vous leur devez. C’est, comme une machine qui est montée et dont vous êtes un engrenage. Si cet engrenage fait défaut, tout le mécanisme en souffre.

Autant la réussite est totale chaque fois que écoles et éducateurs respectent intégralement la loi de l’échange, autant elle est un désespérant échec quand l’un des échangistes fait défaut.

Nous allons donc nous appliquer tout particulièrement, pour la rentrée prochaine, à l’organisation plus parfaite encore des échanges interscolaires de façon que l’année scolaire qui commence, nous apporte en ce domaine une expérience définitive et concluante, et dont nous rendrons compte, avec la collaboration d’ailleurs des Inspecteurs eux-mêmes. Après avoir rappelé les formes possibles de correspondances, nous donnerons enfin une sorte de règlement pour la pratique de bons échanges interscolaires.

Un grand principe d’abord, et qui se suffirait presque : un échange, quel qu’il soit, ne peut être mené que sur un pied de justice et d’égalité. Et l’enfant y est particulièrement sensible : s’il a envoyé trois timbres, il veut en recevoir autant, ou quelque chose au moins de valeur équivalente ; il ne répond volontiers qu’aux lettres reçues et il n’enverra pas de colis sans réciprocité. A moins qu’il sente chez le correspondant une générosité à partir de laquelle on se donne sans compter — ce qui est l’idéal à atteindre — ou qu’on ait accepté d’avance d’aider des enfants ou des écoles en difficulté.

Nous devrons veiller au respect de ce principe essentiel de justice, base de toute correspondance permanente.

On peut, certes, pratiquer les échanges interscolaires sans imprimerie et sans journal, soit d’enfant à enfant — peu recommandable avant 13-14 ans, — soit de classe à classe, par lettres individuelles, échanges d’albums, de documents et de colis.

Mais le propre de notre découverte, celle qui donne des assises nouvelles à notre pédagogie, c’est la réalisation régulière, au jour le jour, d’un livre de vie et d’un journal scolaire qui anime automatiquement et soutient tout le système des échanges. La lettre individuelle, dans notre premier degré surtout, est toujours trop subjective, trop rétrécie, sans vastes horizons ni grandes possibilités. Le texte libre réalisé selon nos techniques permet l’échange de vraies tranches de vie, que le disque et le film préciseront souvent encore et exalteront.

C’est pourquoi nous recommandons, même pour les écoles qui ne possèdent encore ni imprimerie, ni limographe, la réalisation au jour le jour, sur la base du texte libre, d’un journal scolaire manuscrit et illustré, ou d’un album abondamment décoré, image et témoin de l’activité essentielle de la classe.

Avec des éducateurs qui, d’un commun accord, exploiteraient au maximum ces possibilités, un tel échange pourrait déjà transformer l’atmosphère d’une classe. 

Mais c’est surtout des échanges interscolaires sur la base du journal scolaire imprimé ou limographié, que nous parlerons.

On sait que, selon nos techniques, cet échange se pratique, pour ainsi dire, sur deux zones :

1° Echange en fin de mois, du journal imprimé de la classe, avec les journaux de 10, 15 ou 20 écoles correspondantes réparties dans les diverses régions de France et de l’étranger et qui constituent autant de bases et de points d'appui pour l’exploitation pédagogique à entreprendre.

2° L’échange régulier avec une école correspondante à laquelle on envoie, pour chaque imprimé, autant de feuilles qu’elle a d’élèves, cet envoi devant se faire plusieurs fois par semaine. Il sera complété par l’échange régulier de lettres, de colis, de photos, etc...

C’est de cet échange régulier que nous aurons surtout à discuter, parce que là le succès est lié intimement à la bonne volonté de chacune des classes.

C’est à cette organisation méthodique que nous voudrions parvenir afin qu’un nombre toujours croissant d'écoles puisse bénéficier des avantages pédagogiques, sociaux et humains de tels échanges qui bouleverseront totalement toute la pédagogie.

Nous en avons des centaines d’exemples, et nous les résumerons dans une B.E.N.P. : désormais le texte libre d’abord cesse d’être superficiel pour devenir la réponse permanente à une demande formulée ou non de nos correspondants. Nous n’écrivons plus pour nous, mais pour nos amis. Et cette motivation totale anime toutes les disciplines : histoire, géographie, sciences, calcul, étude du milieu, dessin, chant, travaux manuels. Désormais nous ne tournons plus à vide ; nous ne faisons plus du travail scolastique ; nous sommes dans la vie — et les adultes, et les parents surtout, participent étonnés et ravis, à cette vie nouvelle dont ils sentent le dynamisme et l'efficience. Nous ne sommes plus les maîtres d’écoles acharnés à faire boire des enfants qui n’ont pas soif. Nous sommes tous engagés dans une aventure à laquelle nous participons tous sans réserve et qui est la forme nouvelle de notre éducation moderne.

Et si, en fin d’année, l’échange d’enfants complète la correspondance ; si Pierre est reçu par Jacques, dans sa propre maison, à titre de revanche ; si nous connaissons, par la vie même, tout ce que la correspondance nous avait expliqué et raconté, alors l’union est totale entre la connaissance, l’éducation, la culture et la vie.

 

 

 

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