L'Educateur n°1 - année 1948-1949

Octobre 1948

DITS DE MATHIEU - Le travail qui illumine

Octobre 1948

Eh oui ! Il existe certes des bêches et des charrues, et des outils mécaniques autrement perfectionnés qui vous remuent le sol et vous sèment les graines sans que vous ayez à vous mesurer avec l’aridité de la glèbe. Mais j’aime, moi, quand je prépare un semis, tamiser la terre de mes mains et trier amoureusement les pierres, comme l’on adoucit le lit douillet d’un bébé.

C’est ainsi ; un même travail peut être corvée ou libération. Ce n’est pas une question de nouveauté mais d’illumination et de fécondité.

Vous connaissez l’histoire des « pluches » au régiment ? Il y a un art — dont l’Ecole a fait une tradition — pour opérer le plus lentement possible, sans cependant s’arrêter de travailler. C’est du stakanovisme à l’envers. Et quand il s’agit de prendre le balai pour débarrasser les pluches, c’est pire encore : tous les hommes sont manchots. C’est parfois le caporal lui-même qui doit s’appuyer la corvée. Vivement la machine à éplucher les patates !

Le soldat part en permission voir sa jeune femme. Faire la soupe, éplucher les pommes de terre, balayer même, tout cela devient un plaisir dont il réclame le privilège.

La corvée du matin est devenue une récompense !

Il en est de même à l’Ecole, où certains travaux usés par la tradition seront, demain, recherchés à l'égal d’activités nouvelles que vous croyiez exclusives. Ne cherchez pas la nouveauté ; la mécanique la plus perfectionnée lasse elle-même si elle ne sert pas les besoins profonds de l’individu. Dans le lot toujours croissant des activités qu’on vous offre, choisissez d’abord celles qui illuminent votre vie, celles qui donnent soif de croissance et de connaissances, celles qui font briller le soleil. Editez un journal pour pratiquer la correspondance, recueillez et classez des documents, organisez l’expérience tâtonnée qui sera la première étape de la culture scientifique. Laissez les jeunes fleurs s’épanouir, même si les mouille parfois la rosée.

Tout le reste vous sera donné par surcroît.

 

Une organisation pédagogique complexe à l’image de la vie

Octobre 1948

Les camarades qui ont l’occasion de nous rencontrer, à. Cannes ou à Vence, nous disent souvent : « Les Instituteurs ne connaissent pas suffisamment la C.E.L., son organisation, son fonctionnement, ses possibilités... Il faudrait... »

C'est que la C.E.L. n’est pas une entreprise ordinaire qui tient entre les murs d'un local, dont l’installation, les ateliers et les machines sont la richesse, dont l’activité des dirigeants inspire confiance et sécurité.

La C.E.L., c’est, cela déjà avec son matériel, ses éditions, ses périodiques, ses deux fondeuses monotypes qui sortent trois tonnes de caractères au mois, avec ses trente-cinq employés expédiant un courrier pour lequel il faut deux millions de timbres par an, avec son Ecole Freinet expérimentale.

Quand vous aurez fait le tour de cette richesse, vous serez peut-être satisfait, mais vous n'aurez encore qu’une idée toute relative de notre grande entreprise coopérative qui se développe de plus en plus puissamment à l'échelle nationale et internationale.

La C.E.L. possède à ce jour une équipe pédagogique incomparable, qui n’a certainement aucun équivalent en France, dont l'expérience est peut-être unique dans le monde : Une trentaine de Commissions sont constituées au sein de l’Institut coopératif de l’Ecole Moderne, commissions essentiellement actives, publiant chacune un bulletin mensuel ronéographié, et qui groupent un millier de collaborateurs « actifs ».

La C.E.L. et l'Institut ont leurs filiales départementales, organisées en général sous la forme Groupe départemental de l’Ecole Moderne. Les filiales ont, elles aussi, leurs commissions de travail en relations avec l'Institut.

La C.E.L. a ses services d’échanges interscolaires qui mettent en relations des milliers d'écoles. Notre mouvement constitue à ce jour la plus grande entreprise de presse de notre pays. S’il fallait donner la liste des journaux scolaires aujourd’hui imprimés en France, plusieurs pages de cette revue n’y suffiraient pas. Nous recevons tous les mois environ deux mille journaux scolaires représentant un tirage mensuel de 200.000 exemplaires, soit 4 millions de pages par mois.

L’Institut a, de plus, des équipes de travail, des commissions de contrôle qui, à même la vie des classes, passent à l'épreuve du feu toutes nos réalisations; il a ses techniciens, ses spécialistes dans toutes les branches et dans toutes les régions du territoire.

La C.E.L. n'a pas de propagandistes attitrés ni de commis-voyageurs. Ses propagandistes bénévoles et ses commis-voyageurs, ce sont ses adhérents qui, dans tous les milieux, dans toutes les organisations laïques, à toutes les réunions, savent parler éloquemment de la C.E.L. qui est leur œuvre.

L'Institut n’a qu’une Ecole expérimentale officielle, qui est l'Ecole Freinet, mais dans tous les départements, les plus dynamiques parmi nos adhérents, ont vu leur école transformée en école témoin, recevant les élèves-maîtres et les éducateurs. C’est tout notre Groupe qui constitue un vaste réseau d’Ecoles expérimentales où se forge, avec la collaboration bienveillante et active des Inspecteurs et des Directeurs d’E. N. la pédagogie moderne française.

Quel appareil centralisateur anime ainsi ce grand corps multiple et complexe? Une équipe réduite coordonne les initiatives, noue et ordonne les relations, met en valeur les réalisations. Mais l’organisation est partout à travers la France, à tous les échelons, et ce sont nos adhérents qui la font et qui l’animent.

C'est, parce que la C.E.L. et l’Institut ont aussi à leur service la masse croissante de leurs ouvriers enthousiastes qu’ils peuvent affronter sans présomption tous les problèmes qui se posent depuis toujours aux éducateurs et que l’initiative individuelle, même générale, est impuissante à résoudre. Rien de ce qui est éducatif ne nous est étranger. Toute question peut être posée si elle trouve au sein de notre mouvement une équipe qui s’attache à la résoudre.

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Pour la première fois peut-être aussi dans la pédagogie française, une grande entreprise se développe en dehors de toutes questions mercantiles ou d’intérêt personnel. On ne dira jamais assez tout le mal que les droits d’auteurs et les bénéfices d'éditeurs ont causé à notre Ecole, ni les pratiques déplorables qu’ils ont justifiées. Non pas que nous les jugions négligeables. Nous nous appliquons à les défendre parce qu’il est normal que chacun jouisse du fruit de son travail.

Nous disons seulement que ce ne sont pas eux qui doivent orienter et déterminer notre pédagogie. Ils doivent la servir.

Et quand, aujourd’hui encore, nous voyons des éducateurs de talent nous refuser leur concours, ou nous quitter pour offrir leurs services à telle revue ou à telle firme, nous savons ce que cela signifie : quelles que soient leurs protestations, ils ont choisi.

Notre Institut défend et défendra les droits et les intérêts de ses collaborateurs, mais ceux-ci savent d’avance que lorsque le progrès pédagogique est en jeu, nous savons faire les sacrifices d’amour-propre et d’argent qui s'imposent. Nous sommes des pédagogues et non des marchands de pédagogie.

Les marchands de pédagogie sont d’ailleurs là qui nous guettent. Tant que nous n’en étions qu’à l'ère des tâtonnements et des sacrifices, nous ne craignions pas leur intrusion. Ils voudraient bien aujourd'hui se jeter sur la proie que nous leur avons préparée et exploiter à leur profit l’œuvre que nous avons créée collectivement. Il dépend de nous, et de notre effort pédagogique permanent, de conserver le monopole de fait que notre mouvement a su conquérir pour tout ce qui touche à nos techniques.

Nous ne faisons et ne ferons aucune propagande. Nous ne distribuerons plus de tracts. Nous ne ferons insérer aucune annonce dans les journaux. Nous travaillons, nous réalisons. Et quand nous avons mis au point un outil précieux pour les éducateurs, lorsque nous avons apporté aux graves problèmes de notre Ecole des solutions pratiques qui, par-delà le verbiage pédagogique, influencent directement et profondément le comportement des éducateurs, cela se sait. Et l’on vient à nous.

C’est pourquoi nous disons à nos adhérents : organisons-nous départementalement et nationalement pour travailler mieux encore, dans nos classes d’abord, au sein de nos groupes ensuite. Continuons à mettre en commun nos recherches, nos réussites et nos découvertes. Défendons aussi notre œuvre contre ceux qui auraient intérêt à la déformer pour se l’asservir.

Nous verrons alors concorder au sein de notre mouvement nos intérêts personnels bien compris — et que nous ne négligeons pas — avec les intérêts de la communauté et les intérêts de l’Ecole. Et notre mouvement qui, incontestablement, a déjà marqué si profondément l'Ecole publique française, se développera plus puissant encore que par le passé, pour la libération de l'enfance et pour la libération aussi des éducateurs.

En ce début d’année, nous ne sollicitons ni adhésion, ni abonnement. Mais nous faisons appel aux éducateurs — et ils sont légion — qui se passionnent à leur métier. Nous leur disons : Regardez-nous travailler, voyez le fruit de nos efforts.

Et joignez-vous à nous. La part la plus précieuse de notre commune richesse ne s’achète ni par une souscription ni par une cotisation. Elle se donne à qui se joint à nous en honnête travailleur prêt à prendre, dans l'enthousiaste chantier coopératif, sa part de soucis et aussi sa part d’amitié et de fraternité.

Notre œuvre parle et témoigne aujourd’hui pour nous. Elle grandira encore et s’affermira au cours de l’année qui commence. Et vous en serez les meilleurs ouvriers.

C. FREINET.

NOTE IMPORTANTE

Pour ne pas léser les instituteurs qui, à cause des vacances, n'ont pas été touchés par notre N° 21, nous reportons au 15 octobre la date au-delà de laquelle le tarif d'abonnement de nos revues sera augmenté.

Le tarif imprimé au dos des fiches entrera en vigueur le ler octobre 1948.

 

Quelle est la part du maître ? Quelle est la part de l'enfant ?

Octobre 1948

 

Questions et réponses

Octobre 1948

 

La vie de l'Institut

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Correspondance interscolaire

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Plan général de travail

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Plan général de travail

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La discipline du travail

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Comment je travaille dans ma classe

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Réalisations techniques

Octobre 1948

 

Pour la connaissance de l'enfant

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