DITS DE MATHIEU - Le bon jardinier, ou le cycle de l’éducation

Novembre 1948

L’éducation n’est pas une formule d’école, mais une œuvre de vie.

Il est des jardiniers, soi-disant modernes et scientifiques, qui se font forts d’obtenir une belle récolte quelles que soient les conditions de sol, de climat, d’éclairage ou de fumure. Mais quelle générosité de soufre et d’arséniates, d’insecticides et de bouillies ! Si cela ne suffit pas, on cachera le raisin dans un sachet protecteur et on cueillera la poire encore verte pour la mettre à l’abri dans une couche d’ouate où elle mûrira à son aise.

Le fruit est sauvé et de bonne qualité marchande. Mais il est à tel point imprégné de toxique qu’il devient un poison pour qui le consomme. Et l’arbre qui l’a porté, trop tôt épuisé et meurtri, se dessèche avant même d’avoir jeté vers le ciel ses bras audacieux.

C’est dans sa graine déjà, ou dans le plant naissant que le jardinier avisé soigne et prépare le fruit à venir. Si ce fruit est malade, c’est que l’arbre qui l’a porté était lui-même souffrant et dégénéré. Ce n’est pas le fruit qu’il faut traiter, mais la vie qui l’a produit. Le fruit sera ce que l’auront fait le sol, la racine, l’air et la feuille. Ce sont eux qu’il faut améliorer si l’on veut enrichir et assurer la récolte.

Si les hommes savaient un jour raisonner pour la formation de leurs enfants comme le bon jardinier pour la richesse de son verger, ils cesseraient de suivre les scoliâtres qui produisent dans leurs antres des fruits empoisonnés dont meurent tout à la fois ceux qui les ont anormalement suscités et ceux qu’on a contraints d’y mordre. Ils rétabliraient hardiment le cycle véritable de l’éducateur, qui est : choix de la graine, souci particulier du milieu dans lequel l’individu plongera à jamais ses racines puissantes, assimilation par l’arbuste de la richesse de ce milieu.

La culture humaine serait alors la fleur splendide, sûre promesse du fruit généreux qui mûrira demain.