L'Educateur n°7 - année 1948-1949

Janvier 1949

 

DITS DE MATHIEU - enfoncer ses racines

Janvier 1949

Le citadin repenti est devenu paysan. Il a défoncé son terrain à la dynamite et, dans le sol fraîchement remué, il a planté des arbres déjà formés qui n’avaient plus qu’à reprendre racine et à produire.

Cela n’a pas été long. Mais, hélas ! après quelques précoces récoltes prometteuses, la plantation dégénère : la maladie attaque et brûle les feuilles, le ver ronge les fruits; les branches se dessèchent et meurent. Un coup de vent, et les arbres, en apparence les plus vigoureux, se couchent comme des piliers mal assurés.

J’ai continué, moi, à semer prosaïquement mes graines. Elles enfoncent opiniâtrement dans le sol leurs racines maîtresses qui s’accrochent à jamais aux roches qu’elles contournent, et s’en vont, au cœur de la terre, chercher la vie féconde de leur sève. L’arbre neuf monte et, parce qu’il est vivace et riche, il nourrit la greffe et obéit victorieusement à la volonté qui le forme et à la main qui le plie. Ne vous étonnez pas qu’il s’élève plus haut que vos rejetons transplantés et qu’il produise un jour dans une permanence digne des grandes destinées.

Fiers de vos vergers express, vous vantez la réussite d’une éducation qui transplante vos enfants dans un sol qu’auront hâtivement soulevé vos machines et que nourrira votre chimie. Et vous vous étonnez que branlent vos troncs mal assis, que pourrissent les fruits précoces et que tombent trop tôt les feuillages vieillis.

Nous laissons nos graines enfoncer leurs racines dans leur milieu familier et se nourrir d’abord des sucs délicats qu’elles auront longuement assimilés. Si nous savons, alors, d’une main experte, diriger la sève et orienter les rameaux, nous formerons des êtres qui sauront monter haut et produire.

Le brouillard pourra s’insinuer dans vos feuilles, le vent pourra souffler et le soleil durcir la terre, vous aurez produit pour l’éternité.

En enfonçant profondément vos racines pour jeter, un jour, vos bras vers la lumière, malgré l’adversité.

 

Défense de la taupinière, porte ouverte sur le vaste monde

Janvier 1949

« Il y a, en pédagogie comme ailleurs, écrit M. l'I. P. Petit dans la revue L’Education Nationale, des formules qui ont la chance de venir à leur heure, et le don de provoquer immédiatement une adhésion quasi-générale. »

C’est, nous l’avons dit, l'heureuse aventure de nos techniques. Elle nous oblige à une action vigilante pour tenir sans cesse la tête du peloton et pour éviter les déviations qui justifieraient une réaction dont nous serions les premières victimes.

L’article de M. Petit est une de ces réactions. Il ne sera pas superflu d’en déblayer les éléments pour tâcher de voir, toujours, la ligne sûre de notre construction pédagogique.

Par ignorance, sans doute, de nos réalisations, M. Petit n'a vu que les deux extrêmes : d’une part les erreurs de certains contempteurs exclusifs de l'étude du milieu, surtout au 2° degré ; d’autre part, la scolastique classique à peine tempérée de quelques aménagements formels. Il n’a pas considéré la position essentiellement dynamique du mouvement de l’Ecole Moderne Française qui réprouve la nouvelle erreur scolastique sans pourtant retourner aux conceptions classiques vaguement teintées de libéralisme.

Il résulte de ce faux départ que, de ce point de vue, l'article de M. Petit serait à réécrire en entier. A défaut, nous nous limiterons aujourd'hui à l’examen critique des points essentiels de l’argumentation.

« Je trouve anormal, écrit M. Petit, que l'on passe des années à étudier des « nomenclatures de rivières et de sommets dépeuplés situés dans notre pays, alors qu’on ignore tout des pays où se joue peut-être le destin du monde. »

Mais étudier des nomenclatures de rivières et de sommets, ce n'est pas l’étude du milieu, c’est l’étude scolastique centrée sur le milieu. Faut-il redire ici que c'est sous leurs yeux, mais sans leçon formelle, que nos enfants comprendront ce qu’est une vallée — ce qui les aidera à concevoir ce qu'est une vallée de Chine ; ce que sont nos côtes découpées pour étudier avec profit les côtes de telle autre région du monde.

Nous ne rétrécissons pas le champ de notre étude. Nous l’éclairons.

« Le premier défaut est de « centrer » toute l'attention et, si c’était' possible, « toute la curiosité des élèves, sur des choses familières qui, justement parce « qu’elles sont familières, paraissent vides de tout mystère et dénuées de tout « intérêt. »

Dangereux point de vue d’un adulte qui a oublié les préoccupations majeures de son enfance. Transportez votre élève — en pensées, par images ou en réalité — dans le vaste monde et vous serez étonné, quand vous le ramènerez dans son milieu local, de le voir s’accroupir, passionné, autour de la mare, patauger dans la rivière, s'enthousiasmer au spectacle de la vie des bêtes, comme à la culture de son petit jardin ou à l’exploration d’une grotte.

Et je dis : malheur à. l'enfant que le vaste monde aurait détourné de ses assises normales dans son milieu ; et malheur aux générations qui auraient désappris la culture profonde sans laquelle il ne saurait y avoir de vraie formation humaine.

« Est-ce qu’un enfant s'arrête, dit M. Petit, pour observer le paysan qui « laboure, la vache qui paît, ou la montagne qui borne son horizon ?.. »

Certes, l’enfant ne va pas, scolastiquement, se poser en face du laboureur, crayon en main, pour noter les éléments de notre leçon d'observation. Mais quel est l’enfant, si peu normal soit-il, qui n’est pas sensible à la splendeur d’un geste et à la douceur d'un paysage. Ce seront, au contraire, ces images qui resteront le plus tenacement accrochées à son souvenir quand se sera estompé le pauvre vernis de vos leçons scolastiques.

« Pour que naisse le goût d’apprendre, il faut, au début, d'autres aliments... » C’est comme si on disait : « Pour que l’enfant ait le goût de manger, il lui faut, au début, une autre nourriture que le lait maternel »... Et je sais qu’il s’est trouvé des hommes assez présomptueux pour oser cette monstruosité.

Mais pourquoi essayer de justifier plus longuement notre défense d’une étude vivante du milieu local ? M. Petit dira, avec raison, qu’il ne s’en prend nullement à notre conception logique de l’étude du milieu local, mais à la déformation scolastique qu’on en fait en certains milieux. Nous ne pouvons pas mieux dire que M. Petit, en effet, les dangers de ce rétrécissement de l’enquête scientifique et la vanité de certaines analyses, même si elles aboutissent à la rédaction de fiches.

Mais nous ne sommes plus du tout d’accord quand il s'agit des remèdes à prévoir pour faire barrage à ces déviations.

La critique de M. Petit sur «le livre refusé par l’étude du milieu local et qui est, par ailleurs, l’instrument d’instruction et de culture par excellence », néglige notre distinction essentielle entre livre et manuel. Nous avons condamné le livre dans sa fonction manuel. Nous avons fait mieux que de le condamner théoriquement. Nous sommes en train de le remplacer par la pratique des enquêtes, des conférences, des expériences menées avec l’aide de ces outils nouveaux que sont les fiches et les B.T. Ce faisant, d’ailleurs, nous prétendons faire aimer les livres instruments de culture dont les manuels nous avaient un instant dégoûtés.

Et ce n’est pas la suppression au C.E.P.E. de l’épreuve des sciences qui corrigera l’erreur ou les insuffisances de cet enseignement. Non, il ne suffit pas de dire aux éducateurs : Vous êtes libres !... Il faut leur donner des outils et des techniques de travail qui permettront, dans tous les domaines, l’expérimentation permanente, base de toute science.

« L’homme cultivé, termine M. Petit, est celui qui a des clartés de tout. » Pour une culture de dilettante, non intégrée à la vie, peut-être. Mais l’homme véritablement cultivé que nous prétendons former, est celui qui a su retrouver, à la base, les grandes lois permanentes et profondes de la vie, qui sont les lignes directrices de toutes les acquisitions humaines. Le vrai mécanicien n’est pas celui qui a une idée superficielle de chaque pièce du moteur, mais celui qui a, une fois pour toutes, pénétré et compris la vie essentielle de ses mécanismes.

Les lois de la vie ne s’acquièrent point par le verbiage, pas plus que par la lecture ou l’étude formelles, mais par l’incessante expérimentation, hase de la culture scientifique.

Pour nous, nous ne posons pas le dilemme : étude du milieu local ou vaste monde. Nous n’avons pas à opter entre ce vaste monde et la taupinière dont parle avec mépris M. Petit.

Je pense à cette taupinière qu’étaient ma maison natale et mon petit village au creux de la vallée. J’ai, depuis quarante ans, affronté, non sans dommage, le vaste monde. Mais, aujourd’hui encore, les fondements de mon activité, l'essence de ma philosophie et ma compréhension de la vie, je vais toujours les chercher dans ma taupinière, porte ouverte sur le vaste monde.

 

 

L'action départementale

Janvier 1949

 

Congrès d'Angers

Janvier 1949

 

Quelle est la part du maître ? Quelle est la part de l'enfant?

Janvier 1949

 

Questions et réponses

Janvier 1949

 

La vie de l'Institut

Janvier 1949

 

Plan général de travail

Janvier 1949

 

Comment je travaille dans ma classe

Janvier 1949

 

A propos de la mémoire / cartes de géographie

Janvier 1949

 

Est·ce perdre du temps?

Janvier 1949

 

Réalisations techniques

Janvier 1949

 

L'expérience tâtonnée

Janvier 1949