L'Educateur n°11 - année 1948-1949

Mars 1949

 

DITS DE MATHIEU - le temps des farandoles

Mars 1949

Quand, donc les adultes laisseront-ils les enfants marcher à leur pas d’enfants ? Quand donc regarderont-ils vivre les enfants avec des yeux d’enfants ?

Nous sommes les rivières assagies dans la plaine ; ils sont les torrents encore impétueux qui ne coulent ni selon les mêmes régimes ni avec les mêmes élans. Nous sommes les bêtes lasses pour qui l’instant qui suit est déjà inscrit dans le présent, et qui s’en vont de leur pas uniforme et ordonné vers le bercail ou l’abreuvoir ; ils sont les petits chevreaux qui font la farandole par les chemins et les poulains impatients de mesurer l’agilité de leurs jambes futées et pour qui la sagesse est de gambader, de cabrioler et de sauter.

Nous nous arrêtons trop longuement à retourner, dans d’interminables bavardages, les problèmes du passé, qui ne sont pas toujours ceux du lendemain ; ils vont avec la vie qui marche, et nous sommes tentés de les retenir sans cesse parce que leur course nous essouffle et leur dynamisme nous étourdit et nous lasse.

Ceux qui nous échappent pour empoigner la vie à bras le corps et pour la dominer, ce sont ceux-là même qui, dépassant nos espoirs et nos enseignements, s’obstinent à farandoler au lieu de suivre sagement les paliers méthodiques que nous avons prétentieusement aménagés dans la grande aventure de la vie. Ils sont les jeunes as de la pédale, du ring ou du stade qui accèdent un moment à une célébrité qui nous irrite parce qu’elle est le fruit de ce dépassement ; ils sont les artistes et les poètes, ces poulains échappés de l’écurie et qui, malgré nos rappels, partent, échevelés, à la conquête d’horizons inconnus.

Ce sont eux que la jeunesse admire, déifie, suit et non ces cabris et ces poulains malchanceux que, dans nos écoles, nous avons transformés en bêtes domestiques, prématurément dociles et sages, et qui font honneur au berger.

Il faut bien les « assagir », direz-vous. La vie s’en chargera. Profitez au contraire du temps des farandoles pour aller en chemin quelques pas avec eux et faire provision à leur contact d’élan et d’enthousiasme.

 

Nos Techniques au service de l’Ecole laïque

Mars 1949

L’Ecole laïque est cette maison commune dés enfants, patiemment ébauchée par un demi-siècle de luttes et d’efforts, et qui reste menacée par tous ceux qui voudraient bien construire en face leur école à eux, même et surtout si elle n’est pas l’Ecole de la République.

Nous ne nions pas l'importance ni la portée du barrage qui se fait pour défendre l’Ecole laïque menacée et nous y participons dans toute la mesure du possible. Mais nous, éducateurs, nous ne sommes pas seulement les défenseurs qui se portent aux remparts ou aux créneaux. Nous sommes d’abord les ouvriers qui ajoutons une aile à notre bâtiment ou qui en améliorons la toiture ; les administrateurs qui, dans les humbles besognes journalières, assurent la permanence de la vie intérieure.

Cette construction et cette administration supposent de bons ouvriers. Si le bâtiment tombe en ruines, les défenseurs qui sont aux créneaux se demanderont peut-être si la maison vaut d’être défendue. Et c’est dans la mesure où ils la verront monter et s’épanouir qu’ils renforceront le barrage.

Si, par notre effort pédagogique, nous améliorons les conditions de travail des enfants, si nous intéressons toujours davantage l'instituteur à sa classe, si nous l’aidons techniquement à mieux remplir sa tàche, si nous l’enthousiasmons pour son métier au point qu’il en fasse un véritable sacerdoce, alors l'Ecole prendra dans la communauté une place toujours plus éminente, remplissant toujours plus totalement sa fonction de formation des jeunes générations.

Et aussi, du fait seul que nous avons travaillé en bons ouvriers, nous aurons servi de façon exemplaire les destinées de l’Ecole laïque.

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Cela est indéniable. Mais nous faisons plus. Nous faisons participer activement les défenseurs de l'Ecole à la construction et à l’exaltation du bâtiment dont nous leur demandons la garde.

Nous n’avons pas craint de nous élever contre le vieux mythe de l’hypocrite séparation des fonctions. On connaît la formule chère à Pétain : l’Instituteur dans sa classe, le curé dans son église... Il aurait pu ajouter : le paysan dans ses champs, l'ouvrier dans son usine... et le profiteur dans son fromage.

A cette formule, aujourd’hui condamnée par les faits, nous avons hardiment opposé : l’Ecole au centre de la vie du milieu, s’imprégnant de ce milieu, mais réagissant aussi sur le milieu.

Si cette formule avait été appliquée plus ou moins bureaucratiquement, sur directives officielles ou .officieuses, par la propagande, la parole ou l’écrit, elle n’aurait pas manqué de susciter des réactions sociales et politiques qui auraient, en définitive, desservi l’Ecole laïque au lieu de la renforcer.

Nous sommes partis, nous, exclusivement, et en bons ouvriers, de la vie et de l’activité des enfants, du travail de l'Ecole dont les résultats ont rayonné méthodiquement sans dogmatisme et sans heurts.

Cette double imprégnation de l’Ecole et du milieu a été vraiment le fruit de nos techniques.

Le journal scolaire et la coopérative ont été. le centre actif de cette cristallisation.

L’expérience en ce domaine est suffisamment concluante : Achetez un matériel d’imprimerie et constituez une coopérative scolaire qui gérera le matériel coopératif indispensable. Rédigez et publiez, selon nos techniques, un journal scolaire, expression intime de la vie des enfants dans leur milieu. Vous verrez les parents d'élèves s'intéresser désormais à cette vie nouvelle de la classe, s’enorgueillir des textes et des linos produits par les enfants et donner avec bienveillance tous les renseignements qui seront sollicités.

La naissance d’un journal dans une commune de France, c’est un événement qui marquera dans l’histoire de son évolution et de son unité. Pour peu qu’un réseau de membres honoraires de lu coopérative et d’abonnés au journal élargisse l’influence naturelle de la nouvelle pédagogie vivante, l’Ecole se trouvera désormais placée au centre de la vie et acquerra de ce fait une autre éminence dans l’évolution de ses destins. Nous aurons seulement à mettre les camarades en garde contre la tendance qu’auraient certaines écoles à exploiter trop habilement et avec un brin de mercantilisme, l’intérêt profond créé par le journal et la coopérative. Le journal doit rester scolaire ; il ne doit, sous aucun prétexte, devenir le journal du village, car ce serait compromettre alors ce qui en a fait le succès. C’est dans la mesure où le journal scolaire est l’expression de la nouvelle vie de l’Ecole, en résonance avec le travail, les soucis, les joies et les peines des parents, qu’il remplira pleinement son rôle pédagogique, social et laïque.

Ces deux réalisations essentielles seront le point de départ d’une activité extrascolaire dont on va comprendre la portée vitale.

Le journal scolaire, reflétant l’activité de la classe et de la coopérative, intéresse profondément et accroche parents et amis de l’école ; le branle est donné. Tout ce que vous ferez ensuite pour nourrir cet intérêt, vous fera progresser immanquablement dans la nouvelle voie.

Les fêtes scolaires entrent de plus en plus dans les mœurs de notre pédagogie du 1er degré. Ce n’est certes pas nous qui les avons inventées. Nous avons mis à la disposition des éducateurs les outils essentiels de la réussite. Si vous perdez des heures précieuses à faire bachoter des représentations dont le succès ne paie jamais des peines qu’elles ont valu, vous ne recommencerez pas souvent des tentatives où ne réussissent que les éducateurs aux dons exceptionnels. Mais si vous vous engagez dans la voie que nous avons tracée du théâtre libre, vous serez étonnés de constater combien il vous est facile de réussir, quelle que soit la modicité de vos ressources matérielles et techniques. Les parents seront si heureux de voir leurs fils évoluer à l’aise sur la scène, et les fils seront si fiers de montrer leurs talents à leurs parents ! Les insuffisances mêmes seront parfois mie raison de succès.

Et, ce qu’il y a de mieux encore, c’est que, par le journal scolaire, vous aurez annoncé et préparé la fête ; avec votre imprimerie, vous aurez tiré des programmes artistiques que vous mettrez en vente et qui seront une source certaine de bonne et licite recette.

Par nos réalisations, nous avons fait passer dans le domaine de la pratique courante, à la portée de toutes les écoles et de tous les éducateurs, des réalisations qui supposaient autrefois la conjonction exceptionnelle d’heureuses conditions matérielles et d’une compétence pédagogique à laquelle les jeunes surtout ne peuvent prétendre d’emblée. Nous avons créé des outils populaires à la portée de tous : le journal scolaire, la coopérative scolaire, le théâtre libre...

Vous compléterez ces possibilités nouvelles par des expositions régulières de vos travaux.

Pour faire une exposition, il faut d’abord avoir quelque chose d’original à exposer. Ce ne sont ni vos cahiers de classe, ni vos rédactions types, ni vos copies de modèles, ni vos plâtres stéréotypés qui vont attirer les parents de l’an 1949.

Mais préparez une exposition de belles pages imprimées et illustrées, de linos gravés originaux, de documents reçus des correspondants, de peintures grand format, d’objets pyrogravés, de poteries décorées. Vendez quelques chefs-d’œuvre au profit de la coopérative. Faites même travailler les enfants, composer, imprimer, dessiner et graver sous les yeux des visiteurs. On appréciera et on admirera vos réalisations parce qu’on apprécie toujours l’œuvre, même imparfaite, des artisans consciencieux et appliqués. Les ennemis de l’école seront désarmés. L’Ecole laïque gagnera des points.

Et vous vous orienterez ainsi vers un auto-financement de cette nouvelle vie de l’Ecole. Nous avons eu beaucoup de mal à le faire admettre au cours des vingt années écoulées parce qu’on craignait que cet appoint financier diminue encore la sollicitude, déjà si ladrement mesurée, des pouvoirs publics qui ont la charge officielle de l’aménagement el de l’entretien de l'Ecole. Mais nous avons prouvé par notre action, ce qu’on comprend et qu’on admet aujourd’hui, que, dans la pratique, les sacrifices de l’Etat sont toujours fonction de l’intérêt vital que la population porte au service à subventionner. Si l’Ecole n’intéresse, pas, ne passionne pas les parents et les amis de-l’Ecole, on trouvera toujours suffisantes, sinon exorbitantes, les dépenses engagées ; on s’accommodera de locaux défectueux, de tables centenaires, de l’absence totale d’outils de travail. La misère de l’Ecole n’est pas forcément un appel efficace à l’aide de l’Etat ; elle est plus souvent encore un encouragement au marasme.

L’expérience est aujourd’hui concluante de milliers d’écoles qui, par leur propre effort d’abord, avec l'appoint parfois de l’instituteur, ont amorcé la transformation nécessaire et qui possèdent aujourd'hui des budgets dont elles peuvent s’enorgueillir et que renforcent les subventions officielles.

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Mais dans cette aventure dont on ne nie plus le succès, l’instituteur ne risque- t-il pas de redevenir le maître Jacques au service de personnalités ou de communautés exigeantes et tyranniques ?

Si les activités que nous plaçons à la base du succès de l’Ecole devaient se poursuivre aux dépens parfois de l’éducation des enfants, le danger serait patent. Mais par nos techniques, nous centrons toutes nos réalisations sur l’Ecole, sur les enfants, sur leurs besoins et leurs tendances. Nous cessons seulement d'être le maître d’Ecole, pour devenir l’Educateur, placé au centre dynamique de la complexité sociale. Parce que ce n’est qu’à l’échelle de cette complexité sociale que peuvent se préparer les citoyens libres de demain. C’est par la vie qu’on prépare la vie.

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Groupez autour de l’Ecole laïque toutes les forces libres qui sauront la défendre. Mais n’oubliez pas que notre rôle à nous est avant tout d’aller de l’avant, de prendre la tête du peloton, de prouver le mouvement en marchant.

Alors l’Ecole laïque, ainsi modernisée, triomphera irrévocablement.

 

 

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