Un ethnographe poète
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Joël Thépault, sculpteur dit Monsieur T., vit et travaille à Gipouloux près de Cussac en Limousin.
Face aux objets abandonnés, cassés ou usés, il s’interroge tel un ethnographe poète, en les transformant, en les mettant en scène au milieu de ses sculptures en bois, en calcaire ou en pierre. Entre mémoire, ironie et dérision certaines sculptures semblent avoir été oubliées sur une grève après un long voyage, d’autres assemblages absurdes intriguent, questionnent. |
LM : Comment définirais-tu ton travail?
Mr T.: Je suis un peu comme un chercheur, j’expérimente des trucs, je monte, je démonte, je taille, j’assemble… J’habite à la campagne une ferme atelier où j’accumule ma matière première : le bois, la pierre, le fer rouillé, de vieux objets cassés…
J’aime le bois, je dis souvent que je suis sculpteur avec du bois. Autour de chez moi, il y en a partout, entassé dans les granges surtout depuis l’hiver 1999, j’ai pu récupéré des arbres centenaires arrachés par la tempête. Je récupère aussi toutes sortes d’objets dans des décharges ou des greniers. Tout est stocké dans un désordre incohérent qui me permet de ne rien retrouver mais de trouver autre chose !
Derrière le désordre de l’atelier se bousculent des idées qui en poussent d’autres : je cherche dans plusieurs directions, sur plusieurs projets, souvent j’ai envie de faire une sculpture en plusieurs exemplaires pour arriver à quelque chose de plus fort, je travaille en série. Ce sont les projets, les thèmes d’exposition qui m’obligent à réfléchir autrement, à rencontrer d’autres créateurs, à aller dans d’autres directions, à me surprendre.
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Faire « reparler » les objets
LM : Quelle est la place de l’objet dans ton travail ?
Mr T. : En fait, j’ai une culture de dépôt d’ordures, j’ai toujours ramassé ce que les gens jetaient, chez moi j’ai une médiathèque d’objets cassés, d’objets modestes mais riches d’une vie antérieure, je les désosse, je vois comment ils sont faits à l’intérieur …j’ai beaucoup d’objets en attente dans l’atelier, j’aime les « refaire parler » à ma façon, Je suis collecteur et pas collectionneur, il me faut une certaine quantité d’objets pour avoir envie de démarrer un travail.
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Souvent quand je vais à la décharge pour jeter quelque chose, je rapporte d’autres objets ! Je les rafistole comme des ex-voto dérisoires, je les remets en marche, en mouvement.
Plus que les objets en eux-mêmes c’est leur usage qui m’intéresse et aussi la mémoire des hommes qui les utilisaient.
J’ai grandi à la campagne en contact constant avec la nature et avec des gens qui m'ont appris à voir, qui m’ont transmis leurs savoir-faire : se débrouiller pour réparer le matériel agricole avec presque « rien », se servir d’un couteau pour couper des ronces pour faire des paniers ou des ruches, connaître la bonne saison pour aller couper du saule, fabriquer des manches d’outils etc.
J’avais un voisin qui m’emmenait dans sa fourgonnette récupérer des trésors aux ordures et qui me racontait des tas d’histoires, c’est le meilleur conteur que j’ai connu, dans le village on l’appelait « le professeur ».
J’ai aussi beaucoup appris dans la cuisine de ma mère : c’est là que j’ai vu se transformer la matière, c’était mon premier atelier de création ! |
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Effet de surprise
LM : Dans tes installations il y a souvent du mouvement ?
Mr T. : En fait, je m’intéresse aux mécanismes, j’aime comprendre comment çà fonctionne : je démonte des réveils, des aspirateurs, j’utilise des sonnettes, des ventilateurs, des moulinets de pêche, des dynamos, des systèmes de poulies, des turbines ,des détecteurs, de vieux moteurs etc.
Je joue sur l’effet de surprise, je crée des mouvements qui se déclenchent avec l’idée que çà va peut-être aussi déclencher quelque chose dans l’esprit des gens qui regardent ; je cherche des astuces pour les impliquer. J’imagine des mises en scène dans lesquelles les visiteurs deviennent souvent les seuls acteurs : les mouvements « accidentels » ou répétitifs sont là pour provoquer des émotions, faire surgir des souvenirs chez le regardeur.
J’aime les machines archaïques, rudimentaires, je travaille dans le grinçant, le décalé, la dérision.
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" Machine à débrediner élèves et professeurs et à transmuter l'humour en or, machine à découvrir que le rien est l'ami du rêve ..."
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A propos de la Machine à débrediner
"Les micro-turbines qui enfin trouvent le bon sens pour tourner, les aspirateurs qui respirent, les courroies qui entraînent les roues autour d’elles-mêmes dans des frottements et des grincements désordonnés, les lumières qui clignent de l’œil, les riens qui poétisent…"
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Comme un archéologue
LM : Le passé, la mémoire, le temps sont au cœur de ta démarche ?
Mr T. : Oui, en fait j’aurais voulu être archéologue. Lorsque je refais fonctionner des objets obsolètes, collectés un peu au hasard des décharges, des greniers, ou des plages… c’est comme si je racontais des histoires avec des souvenirs, ce sont des évocations du passé qui parlent de l’histoire singulière de gens ordinaires. J’aime bien remonter aux origines, utiliser des techniques très simples sans recours à la technologie, pour moi, plus la technique est simple plus on est proche de la matière. Par exemple j’utilise souvent le principe du sténopé pour prendre des photos avec des boîtes de conserve, jouer avec la lumière du jour pour capter des images .J’aime bien bricoler des machines inutiles, dérisoires en réaction à notre mode de vie où tout se fait avec des télécommandes, des robots, des prothèses qui nous éloignent de plus en plus de la nature. Mes installations questionnent souvent la « surcommunication » de notre société où on a bien du mal à communiquer ! Jacques Tati que j’aime beaucoup l’avait déjà montré dans ses films !
L’art se partage
LM : Tu parles de Tati, quelles autres références nourrissent tes recherches ?
Mr T. : en tant qu’artiste, j’essaie de m’identifier un peu à une famille : l’art brut avec en particulier Césario Obispo ou le Facteur Cheval, l’art populaire en général, les arts premiers m’intéressent aussi. La fréquentation des musées, des expositions est importante. Pour moi, l’art se partage, l’échange avec d’autres artistes, la rencontre et le travail avec des créateurs de différents domaines (théâtre, musique, théâtre de rue) me sont nécessaires. Je fais partie d’un collectif d’artistes qui travaille dans la nature, je pratique aussi l’art postal avec tout un réseau d’artistes.
J’aime réinventer en permanence, recycler les idées, les matériaux, détourner la publicité, la parodier, jouer avec les mots, avec leur sens, les combiner avec de l’image qui a été également détournée… mettre l’autre en situation de rebondissement poétique.
Je me reconnais dans le théâtre d’objets de Macha Makeïev ou de Kantor, dans le regard photographique de Bill Culbert sur les objets abandonnés, l’humour de Wim Delwoye ou dans les expériences pyrotechniques filmées à la Buster Keaton de Roman Signer.
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Dans l’atelier s’accumulent des valises pétrifiées, une malle taillée dans un tilleul abattu par la tempête, un vieux poste de radio rafistolé qui diffuse en grésillant un discours de Malraux, une chauve-souris condamnée à danser sur l’air d’une boîte à musique dans les pages d’un dictionnaire, un tube cathodique dans un sarcophage de bois…
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Entre rêve et réalité, fantaisie et dérision "Monsieur T." fait confiance au hasard, aux rencontres… Il trouve, ramasse, collecte, détourne, met en scène avec malice la mémoire, le voyage, l’enfance, le savoir, la poussière, le temps qui passe, le mouvement, la lumière.
Il immobilise le temps, condense le souvenir, occupe l’espace de ses indices, alimente nos rêves.
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Joël Thépault, Gipouloux - 87150 Cussac
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