L'Educateur n°3 - année 1946-1947

Novembre 1946

Dits de Mathieu - 3 — les effectifs scolaires

Novembre 1946

Vous vous plaignez, non sans raison, je le sais : classes trop chargées, impossibilité d’y travailler ; nécessité de réduire les effectifs !

Et vous êtes là, à mesurer à une unité près, le chiffre normal à ne pas dépasser. Vingt-cinq ou trente élèves : cela devient en Suisse, m’a-t-on dit, un vrai problème national.

Vous raisonnez ici comme le citadin qui aurait la charge de conduire en pâturage dix ou quinze bêtes et qui ne saurait point s’en rendre maître parce qu’il voudrait les diriger là où elles ne veulent point aller, leur faire manger l’herbe pour laquelle elles n’ont point d’appétit, et les tenir immobiles dans un espace réduit, d’où elles voient, à côté, la luzerne appétissante ou les branches tendres du poirier, d’où elles perçoivent les senteurs du large, qui les attirent et les grisent.

Alors, le pâtre improvisé maudit ses ouailles et ne rêve que barrières bien hautes pour les retenir, entraves pour limiter leur fuite, corde pour les attacher et les tenir.

— Qu’est-ce que ce serait, se dit-il, si j’en avais une trentaine.

Le berger du village en mène cinq cents — et sans se fatiguer.

Seulement, il lui faut le large, l’herbe drue loin des dommages, le grand air et la liberté des montagnes. Le problème n’est plus pour lui : « Comment les retenir dans ce court espace », mais : « Comment les conduire vers les gras pâturages autorisés ».

Il est même des vallées des Alpes où le troupeau du village s’en va tout l’été, seul, sans surveillance. Et il s’y conduit fort bien, je vous l’assure. On dit même que les brebis, si bêtes à l’ordinaire, y prennent intelligence et initiative.

Il en est de même dans nos écoles. Il est des classes exiguës, sombres et nues, geôles de jeunesse captive, où il est trop scandaleux ; déjà d’enfermer quinze enfants, où le fait d’y entasser trente élèves devrait révolter les usagers.

Mais que nous réalisions notre Ecole Moderne, aux larges espaces, avec salle commune et ateliers annexes, avec surtout des « possibilités de travail » si enthousiasmantes que notre rôle soit seulement d’aider et de conseiller. Nous serons alors comme le pâtre du village et nous dirons : le plafond des effectifs dépend de la qualité des pâturages, c’est-à-dire de l’organisation matérielle et technique et des possibilités de travail dont peuvent bénéficier nos élèves.

Je veux bien admettre que les enfants ne sont pas des brebis : et qu’il y a intérêt à ce que l’instituteur les connaisse et les suive individuellement. Je ne prône pas les gros effectifs. Je dis seulement que je préfère travailler avec trente élèves dans une école moderne, de village ou de bourg, qu’avec quinze élèves dans une de ces classes- prisons d’une école-caserne comme il y en a tant encore, et qu’il faudrait bien que les officiels se persuadent enfin de ce double aspect du problème crucial des effectifs.

 

Notre outil de travail

Novembre 1946

Notre Coopérative est l’œuvre et la propriété des Coopérateurs ; L’EDUCATEUR est la propriété et l’outil de travail de ces mêmes coopérateurs. Il ne s’agit pas d’y faire prévaloir telle idée ou telle tendance en gardant un silence prudent et intéressé sur d’autres réalisations, mais de profiter au contraire de toutes les critiques pour améliorer sans cesse une revue qui doit servir au maximum ses lecteurs.

Ce qui ne veut pas dire que nous devions nous laisser balloter sans direction au gré des points de vue particuliers. Il faut que, forts des principes sûrs qui sont à la base de nos réalisations enthousiasmantes, nous sachions sauvegarder la grande ligne pédagogique de notre œuvre. Et c’est le rôle de la partie générale de cette revue.

*

* *

Dans les nombreux rapports de fin d’année on insiste beaucoup, nous l’avons déjà dit, sur la nécessité de développer au maximum la partie pratique de notre revue. Nous nous y sommes appliqués et espérons améliorer encore nos premières réalisations. Mais la lettre ci-dessous nous impose une petite reconsidération de la question.

Nous recevons, en effet, du camarade Boscus, de Boussac (Aveyron), la lettre suivante :

FAUX DEPART

Déception en recevant le numéro 1 de L'Educateur : « L’Ecole moderne ne se construit pas avec du verbiage », 5 pages. Pages utilisables : 1 ; tout le reste : laïus et réclame.

Confiance dans un journal qui sera un outil de travail méthodique et ordonné.

Je propose un sommaire paginé :

BOSCUS, à Boussac (Aveyron).

Le dernier paragraphe de cette note nous prouve d’abord que notre camarade Boscus ne s’est pas encore imprégné des principes essentiels de nos techniques. Si nous disons : « Plus de leçons ! » ce n’est pas pour aller donner maintenant « des exemples de leçons dans chaque matière et dans chaque cours ». « Plans détaillés de leçons, en suivant les programmes », alors que les Instructions officielles nous donnent tellement de possibilités de suivre la vie du milieu, et qu’elles nous recommandent même de ne plus nous en tenir à un emploi du temps journalier, mais de veiller seulement à la répartition hebdomadaire, — ce qui sous-entend qu’une étude intéressante, une prospection utile peuvent occuper une classe ou une division pendant plusieurs heures s’il le faut.

Les officiels eux-mêmes nous suivent aujourd’hui sur la voie de l’intérêt et de la vie ; irons-nous intercéder pour faire revivre le morcellement scolastique des devoirs et des leçons ?

II y a dans la vie de l’Instituteur deux conceptions de la préparation de la classe : l’ancienne, qui est encore, nous le savons, presque partout celle d’aujourd’hui, et qui consiste à noter heure par heure, minute par minute, ce que feront les élèves et les divisions, ou les équipes au cours des six heures de classes, en mettant l’accent, nécessairement, sur les devoirs et les leçons ou les exercices.

Nous ne disons pas que doit disparaître totalement cette préparation. Au contraire, nous pousserons très loin, par nos plans de travail, l’organisation méthodique de l’activité collective ou individuelle de notre classe. Mais il en est une autre qui a, à notre avis, une importance autrement décisive : c’est la préparation des outils, la mise au point des techniques à offrir au besoin de travail des enfants.

Si nous avons un bon matériel d’imprimerie, vraiment maniable par les enfants, leur permettant une réalisation dont rêvent aujourd’hui tous les écoliers, et dont rêveront bientôt tous les éducateurs de France, les choses ne se passeront plus chez nous comme si nous n’avions à offrir que le traditionnel cahier ou le manuel scolaire aujourd’hui condamné par les Instructions ministérielles elles-mêmes. .

Si nous bénéficions d’un bon échange, si nous possédons un beau fichier que nous sommes entraînés à enrichir et à utiliser quotidiennement ; si nous avons demain un matériel scientifique et une technique qui nous permettront de réaliser enfin la véritable expérimentation scientifique ; si nous avons dans notre classe une Bibliothèque de travail à la mesure de l’enfant.; si nous avons bientôt mis au point un appareil de projection et une caméra, un appareil de projection fixe et des disques ; si la radio pouvait demain être vraiment et pédagogiquement à notre service; si nous savons orienter nos élèves vers les activités artistiques dont on n’exagère jamais l’importance et la portée, est-ce que nous n’aurons pas apporté aux instituteurs la meilleure, la plus utile et la plus précieuse des préparations de classe.

Boscus ne le sait sans doute pas, parce qu’il n’y a pas encore goûté : Notre classe moderne, ainsi préparée techniquement, c’est comme sur un chantier où tout le monde s’affaire. Il suffit d’être là pour organiser le travail. Et encore, les élèves eux-mêmes, associés dans leurs Coopératives scolaires, sont- ils souvent à même d’y pourvoir.

Nous comptons donc — et ce n'est pas une chinoiserie de bureaucrate — comme pages de préparations de classes, toutes celles — et elles sont nombreuses — où nous mettons collectivement au point la recherche et l’amélioration de nos outils de travail et de nos techniques. Nous n’en réduiront pas l’importance. Au contraire : l’activité de l’INSTITUT va leur donner sans cesse plus de poids. Ce n’est pas avec quelques conseils, par des plans ou des leçons modèles que nous avons influencé si radicalement la modernisation de notre Ecole française — puisqu’on trouve aujourd’hui nos réalisations et nos techniques au carrefour de toutes les préoccupations pédagogiques des revues, des conférences, des conseils officiels... Ce qui transforme l’Ecole française, ce sont les Coopératives scolaires — et nous saluons en M. Profit leur dévoué initiateur, — ce sont le texte libre, l’Imprimerie à l’Ecole, le journal mensuel, les échanges interscolaires; c’est le fichier; c’est la B.T.; Ce sont l’expérimentation, la prospection historique, le dessin, le cinéma...

Nous sommes les inventeurs plus ou moins géniaux, les bricoleurs acharnés qui avons mis au point les outils nouveaux. Vous ne savez pas encore vous en servir.... Vous apprendrez. Nous vous y aiderons... Mais les enfants apprendront plus vite que vous, pourvu que ces outils soient à leur taille.

*

* *

Pratiquement donc ; Nous continuerons ce que nous croyons essentiel : la préparation, la mise au point, la divulgation de notre matériel et de nos techniques. Nous nous appliquerons ensuite à vous donner des exemples d’utilisation de ce matériel et de ces techniques, en insistant surtout sur l’organisation de la classe, sur l’organisation du travail. Car nous en revenons toujours là : le jour où vos enfants, dans votre classe, travailleront avec joie, donc avec profit, vous travaillerez vous aussi avec joie. Vous serez sauvés.

Ne vous exagérez pas les difficultés de cette nouvelle initiative. Quand le matériel est parfait, les enfants se débrouillent bien souvent eux-mêmes. Quand vous aurez l’imprimerie, quand vous aurez vu vos élèves se passionner pour une activité qu’ils sentent essentielle, vous comprendrez mieux nos recommandations et vous regretterez de vous être si longtemps attardé dans les habitudes tatillonnes dont vous avez trop souffert.

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• •

Boscus termine son papier en disant :

« L’Educateur » rayonnera s’il est d’un usage pratique, sinon il rejoindra au fond d’une armoire la plupart des numéros de la collection de l’année dernière, avec « Les Méthodes Activas » des Editions Bourrelier et « L’Education Nationale », etc...

Le succès croissant de notre mouvement et de notre revue nous assurent que sont rares les éducateurs qui, ayant eu connaissance de nos réalisations, n’en ont pas été secoués, parfois illuminés. Nous pourrions citer des milliers de témoignages. Je ne résiste pourtant pas, pour terminer, au désir de copier une autre lettre, reçue en même temps que celle de Boscus :

Durant l’année scolaire écoulée, j’ai essayé de prendre, de vos principes et méthodes, une connaissance aussi approfondie que possible, je vous remercie de la lumière et de l’aide que vous nous donnez sur cette voie d’enseignement. Il est impossible, ayant compris, de continuer avec l’ancienne méthode. Je vais essayer de démarrer.

Nous vous y aiderons. Nous vous donnerons des conseils, EN TENANT COMPTE DE TOUTES LES CONTINGENCES. Mais ce premier pas vers la vie, c’est à vous de le faire, d’abord.

*

* *

Des revues bien pensantes vous mettront insidieusement en garde contre la « revue de Freinet, à tendance marxiste ou matérialiste ». Ou bien elles trouveront plus simples de nous ignorer, en nous pillant naturellement.

Ne vous laissez pas influencer : si, dans certaines publications, on ne nous aime pas, si on s’abstient de nous citer-, si on tente de nous marquer auprès des collègues, ce n’est pas, croyez-le bien, à cause d’une tendance matérialiste quelconque, mais parce que nous disons ce qui nous semble juste et que nous réalisons ce qui nous paraît utile à l’école, sans souci des intérêts personnels d’entreprises que gêne notre activité; parce que nous dévoilons à l’occasion certaines combines, que nous dénonçons les faiblesses des uns, les audaces commerciales des autres.

Et quiconque mènera cette action de propreté, au seul service des éducateurs et de l’école, se heurtera toujours aux mêmes obstacles et s’entendra toujours dire « Racca ! »

Nous n’en avons pas moins la satisfaction de pouvoir affirmer que, au sein de notre C.E.L. collaborent fraternellement des camarades de toutes tendances : communistes, socialistes, francs-maçons, libertaires, pacifistes, catholiques, que nul ne s’y sent brimé et qu’il n’y a jamais d’exemple chez nous d’un travailleur dévoué qui serait écarté de la vie de la C.E.L. pour des considérations politiques ou philosophiques. Nous donnons ainsi un exemple non seulement à la masse des éducateurs, mais aussi à la classe ouvrière, en faisant la preuve que des travailleurs sont capables de s’atteler à une même tâche pourvu qu’ils en sentent le dynamisme et l’utilité.

Quand ils sont à l’arrêt, les chevaux ruent ou se mordillent mutuellement. Lorsqu’ils marchent, ils n’ont qu’un souci : avancer.

Il en est ainsi pour nous : l’œuvre entreprise ne nous laisse pas le temps de discuter de futilités secondaires. C’est en marchant que nous prouvons le mouvement. Que les meilleurs prennent la tête !

Voici ce qu’écrit un de nos bons camarades, et ils sont nombreux à raisonner ainsi dans notre Coopérative :

Mon cher Freinet,

Lu avec toujours autant d’enthousiasme le premier numéro de L'Educateur 1946-47. Ravi de l'article de la page 21 en réponse à une camarade relativement à ses inquiétudes philosophiques. Personnellement, profondément  chrétien, je me sens parfaitement à l’aise à la C.E.L. et j'aime l'atmosphère de pureté qu’on y respire (sincérité absolue, esprit communautaire vrai, foi en la jeunesse). — COQUIN (Eure).

La Coopérative de l’Enseignement Laïc saura écarter de sa route les profiteurs de notre effort commun. Elle restera notre maison à tous, où nous avons poursuivi pendant vingt ans, dans une unanimité qui ne s’est jamais démentie, une œuvre qui honore la pédagogie française. Elle sera, demain plus que jamais, l’atelier fraternel où des milliers d’éducateurs réaliseront, avec des perspectives enthousiasmantes, les outils et les techniques de l’Ecole Moderne Française.

COLLECTION DE FICHES

CARTONNÉES MENSUELLES

LIVRAISON D'OCTOBRE. — Cette livraison sera faite incessamment. (Impression légèrement retardée par retard dans livraison du carton).Elle comprend, outre des fiches diverses soigneusement contrôlées et mises au point par notre Commission du Fichier, les quinze premières fiches de la Technique Moderne d’Enseignement scientifique, de Faure et Guillard,

Si vous voulez les recevoir, souscrivez sans tarder à la collection.

 

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