Nous avons été soldats. Notre génération l’était à 18 ans et a repris du service à cinquante dans l’armée sans uniforme. S’il y a une chose qu’on ne peut nous dénier c’est bien la connaissance de l’esprit militaire que nous avons expérimenté sous tous ses aspects.
Nous avons fait les marches à pied, sac chargé, ventre vide, sans but, sans enthousiasme, certes... D’où nous serait-il venu ? Puis on nous a entassés dans des camions pour nous mener plus rapidement d’un coin à l’autre du front. Et, malgré la motorisation, nous n’en étions pas plus gais ni plus confiants. C’était toujours l’armée. On nous commandait. Nous obéissions. La modernisation technique ou le changement possible de méthodes ne faisaient que renforcer la passivité de soldats qui n’étaient pas des hommes.
Nous avons pourtant eu dans l’histoire les va-nu-pieds de l’An II qui allaient l’Ame sans épouvante et les pieds sans souliers, et soufflaient dans des cuivres ainsi que des démons, et nous avons eu les défenseurs de Moscou et de Stalingrad qui faisaient de leurs corps un rempart aux conquêtes de leur patrie socialiste.
Et aussi les maquisards sans souliers, sans vivres, sans armes, traqués dans leurs repaires comme des bêtes fauves et qui, par leur audace et leur témérité, en chantant, ont vaincu la plus lourde machine de guerre que le monde ait connu.
C'est qu’il y avait pour ces héros quelque chose d’exaltant, de vivifiant, de supérieur à toutes les méthodes et à toutes les techniques : un but était là devant leurs yeux et pour l’atteindre ils étaient prêts à tous tes sacrifices.
Là où n’existe point ce but, où n’agit point cet idéal, il y a que l’armée, que la troupe et la caserne. Il y manque la vie, l’enthousiasme et l’espérance ; c’est peu, et pourtant c’est tout.
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Nous marchions ainsi un matin de juin, sur une route toute bordée de haies fleuries par-dessus lesquelles nous regardaient les immenses bouquets des cerisiers enneigés. Mais nous étions une compagnie en déplacement et notre cœur semblait fermé à toute beauté. C’est à peine si, entre deux couplets égrillards quelques-uns d’entre nous tournaient la tête à droite et à gauche avec, dans les yeux, une désespérante lueur de regret ou d’envie. Comme ces bêtes qu’on conduit sur le chemin et qui reniflent l’odeur enivrante de la luzerne proche, mais n’en marchent pas moins, résignées et tristes.
Et voilà que nous croise une troupe assez semblable à la nôtre de jeunes partant camper à l’A. J. proche. Mêmes gros souliers, même équipement, sauf que leurs sacs, mal arrimés, doivent leur arracher les épaules. Ils s’arrêteront comme nous, dans la matinée, sur un terre-plein où ils installeront leurs tentes. Ils mangeront là un casse- croûte moins riche que le nôtre.
Et pourtant, voyez-les marcher la tête haute et fière, écoutez leurs chants ; et des fleurs, fleurs aux mains, fleurs au sac, fleurs au bout des bâtons.
Un lien nous distingue d'eux, mais ce rien c’était tout. C’était le rayon de soleil qui transforme la vallée, fait briller la neige et resplendir les prés...
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... Nous n’aurons rien fait dans nos classes, quelles que soient les transformations matérielles, méthodologiques et techniques si nous n’avons pas fait briller ce soleil
Ce qu’il nous faut rechercher avant tout, c’est le moyen pratique de faire briller ce soleil.
Il y a eu, de tous temps, des âmes d’élite, des pédagogues nés qui ont eu le don supérieur de faire briller ce soleil, même dans les circonstances les plus défectueuses, avec les éléments les plus pauvres et les plus dégénérés. Il ne sert de rien, hélas ! de prôner leur exemple à qui ne possède ni leurs dons ni leurs possibilités.
Nous nous sentons incapables, par nos seuls moyens, de faire briller- le soleil.
Mais ce soleil chacun de nous le porte en lui. Il suffit qu’on n’en éteigne pas totalement la clarté et qu’on parvienne à en permettre le rayonnement. Autrement dit, ce soleil que nous ne savons pas faire briller de l’extérieur, nous pouvons en susciter l’explosion par l’intérieur.
Comment ? Voilà la vraie technique à mettre au point.
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Nous préconisons le texte libre, non pas pour ce qu’il apporte de possibilités pédagogiques, même si elles sont de la plus haute importance, mais par le soleil qu’il fait briller sur notre classe et dans l’âme de nos enfants. Et c’est pourquoi nous dénonçons avec tant d’obstination toutes les tentatives de scolastisation du texte libre. Tout ce qui en diminue le tonus vital, même si l’organisation pédagogique de votre classe semble en bénéficier, est dangereux et à proscrire. Tout ce qui soulève l’enthousiasme est bon. Et c’est pourquoi nous plaçons au tout premier rang la rédaction du journal scolaire et l’organisation des correspondances qui suscitent cet enthousiasme et animent cette vie. Le dessin, la gravure du lino chaque fois qu’ils sont eux aussi expression de l’individu élèvent l’enfant vers des sommets où nous risquons parfois de ne pouvoir le suivre. Il en est de même pour le théâtre, le guignol, la diction.
Nous sommes à la recherche de formules die travail qui illumineront de même d’un soleil d’enthousiasme le calcul, l’histoire, la géographie, les sciences.
Dans tous nos tâtonnements vers les solutions souhaitables, nous ne nous posons pas, en premier lieu, la question traditionnelle : Est-ce que cela va nous aider à enseigner aux enfants les questions au programme ? Comment, par ce biais, étudier tel ou tel sujet ? mais celle-ci : Est-ce que cela va ajouter à l’élan de nos élèves, les faire monter davantage vers les cimes, illuminer leur vie d’un peu plus de soleil ?
Et ce faisant, nous restons pourtant essentiellement pratiques ; nous ne négligeons ni les programmes, ni les examens. Nous nous rendons seulement compte que nous nous saisissons d’un levier incomparablement plus puissant que les plus ingénieuses des méthodes traditionnelles. Ili devient banal de remarquer que lorsqu’un individu s’attelle sans intérêt à un travail imposé, il ne donne que le minimum indispensable d’activité et d’attention, un 8 %. Voyez le rendement des soldats dans les casernes.
Mais lorsqu’un homme, lorsqu’une équipe, illuminés d’idéal, veulent aboutir et satisfaire leurs grands besoins essentiels, ils renversent les montagnes.
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Et nous assistons à ce miracle incompréhensible pour quiconque n’a pas assisté à l'activité fiévreuse d’un groupe qui veut : ce qu’on faisait naguère avec tant de fatigue, on le recherche aujourd’hui comme un plaisir. L’ouvrier exténué par le travail salarié s’en va cultiver son jardin jusqu’à la nuit.. Et cela le délasse, vous dira-t-il. L'excursionniste fera un chemin double de celui du soldat. Et plus il a marché, plus il est satisfait le soir, car c'est une conquête.
Nos enfants revivifiés se mettront, eux aussi, à faire avec entrain et plaisir, et profit, certains travaux scolaires qui, dans l’ancienne école, leur valaient une désespérante fatigue : ils nous demanderont à faire des dictées, à résoudre des problèmes i; ils étudieront et réciteront des poésies, et quand approchera l’examen, ils sauront prendre un manuel s’il le faut et, pendant des heures et des jours, lire ces mêmes leçons dont l'école ancienne ne sait faire que des pensums. C’est ainsi : quand le soleil a pénétré dans les classes et dans les cœurs, tout travail est une délivrance.
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Seulement, attention ! nous ne sommes pas de ceux qui concluront de ce raisonnement à la nécessité d’un nouveau verbiage moral ou artistique, d’une évasion hors de ce matérialisme pédagogique dont nous affirmons la réalité. C’est sur la puissance et l’exaltation du travail que nous comptons pour créer dans nos classes ce nouveau climat qui est bien, lui, le signe inéluctable de l’école rénovée. Et c’est dans la mesure où nous mettons à la disposition des élèves et des maîtres les outils et les techniques qui permettent ce travail exaltant, que le soleil entre dans les classes, que les élèves nous crient leur joie et que les instituteurs nous écrivent eux aussi : ma classe est transformée et illuminée ; les besognes les plus austères sont aujourd’hui objet d’enthousiasme ; nous vivons enfin !
Et pour eux, pas plus que pour leurs élèves, ne se pose alors la question du travail. Nous ne ferons pas à nos collègues, comme pour les prévenir du prix dont se payent nos conquêtes, la mise en garde par laquelle notre camarade Senèze termine une étude sur les METHODES ACTIVES (1) : « C’est encore une illusion à enlever : que les méthodes puissent s’accommoder d’un travail sans effort. Toute, activité comporte une certaine dépense d’énergie, donc un effort, donc une contrainte. »
Seuls les malades, ou ceux que l’organisation sociale ou scolaire a trop tôt désabusé, redoutent l’effort et le travail. L’homme sain recherche le travail et l'effort. Nous disons, nous : nos techniques vous donneront du travail, beaucoup de travail. Heureux ceux qui peuvent et savent travailler ! Heureux ceux qui apprennent ou réapprennent le travail vivant qui illumine une destinée !
Que ne paierait-on pour avoir ainsi un soleil d’enthousiasme et d'avenir briller sur notre Ecole Française ?
(1) Ecole Libératrice, n° 13.