Notre Pédagogie Coopérative - Dans la première classe d'une école à deux classes (Suite)

Octobre 1934

 

Notre Pédagogie Coopérative
 
Dans la première classe
d'une école à deux classes
 
(Suite)
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Il y a les jours où nous allons en promenade, il y a ceux où nous préparons une enquête ou un travail de longue haleine Ces jours-là les horaires sont bousculés, les textes sont souvent rédigés en commun.
 
Il y a aussi des élèves qui restent longtemps sans présenter de texte à imprimer Nous voudrions connaître les raisons de ces silences et nous ne savons pas toujours résoudre les conflits psychologiques auxquels nous nous heurtons. Avec plus de 20 élèves, nous n'avons pas le temps de nous attarder aux cas particuliers : c'est évidemment regrettable.
 
Il y a encore des équipes qui, certains jours « bâclent » leur travail de composition criblent leurs compositions de fautes ou impriment des pages sales. Nous demeurons un peu désemparés et déçus devant ces ruptures d'équilibre du travail scolaire. Mais ces déboires occasionnels ne sont pas comparables aux néfastes effets de l'éducation autoritaire
 
Nous voulons consacrer le soir à des calculs, à des recherches scientifiques, historiques, géographiques dérivés tous du texte imprimé le matin ou motivés par des questions posées par les enfants à propos de ce texte.
 
Par exemple, le matin, nous avons eu un texte sur le Graf Zeppelin qui est passé au-dessus du village. Nous voulons faire différents exercices de calcul mental et écrit sur les dimensions du dirigeable, son volume, sa vitesse, le temps mis pour effectuer un voyage, la quantité d'essence consommée, le prix du voyage, etc
 
Évidemment, nous n'avons pas l'espoir d'épuiser en une soirée tous les sujets d'études qui peuvent découler d'un texte sur un dirigeable. L'étude sera forcément incomplète. Si l'intérêt continue, nous la reprendrons le lendemain. Mais le lendemain, nous aurons sans doute un autre centre d'intérêt. Nous abandonnerons le dirigeable. Il faut se résigner à cette forme de la psychologie des enfants qui aiment le changement. L'essentiel est qu'ils aient travaillé avec joie, qu'ils aient relié le travail scolaire aux données de la vie ; qu'ils aient appris à se documenter et à rechercher des renseignements précis. Enfin, l'intérêt sur le sujet est alerté. Si, par la suite, dans une lecture ou dans une conversation, ou d'une façon quelconque dans la vie d'un des élèves, il s'agit de dirigeable, il y prendra garde et ce sera bien rare si, à l'école il ne nous apporte pas des échos de cette rencontre. A ce moment, ou à une autre occasion, nous reprendrons notre étude en ajoutant les renseignements, nouveaux et en étudiant surtout les points laissés de côté la première fois.
 
Pour faciliter cette forme particulière de travail, Chaque élève aurait un cahier spécial, « cahier d'enquêtes » sur lequel il transcrirait tout la travail de la journée (renseignements, chiffres, cartes, graphiques,dessins, tableaux, etc.) La forme la plus pratique de ce cahier est certainement les feuilles volantes, perforés et assemblées au gré de chacun par des reliures mobiles. Ce cahier se grossirait tout le long de la scolarité et pourrait se dédoubler au besoin. Je n'ai pas encore essayé cette façon de procéder, mais je crois qu'elle est intéressante. L'enfant aurait ainsi une idée précise du travail de la journée et une idée d'ensemble des études faites sur un sujet déterminé.
 
Pour un travail ainsi conduit, le maître ne peut faire une préparation classique de sa classe. Il est nécessaire qu'il tienne un journal de classe où il indique au jour le jour quelles questions ont été étudiées, et, au besoin quelles questions seraient à approfondir sur le même sujet.
 
Il y a des quantités de textes d'enfants qui se prêtent ainsi à des études intéressantes, je dirais même passionnantes pour les enfants et au plus haut point profitables. Je pourrais citer au hasard de mes souvenirs : l'arrachage des pommes de terre (calcul du rendement, pour un pied, pour un champ, par hectare ; comparaison du travail à la main et du travail à la machine ; conservation des pommes de terre, silos ; semences, variétés ; composition chimique ; utilisation en cuisine ; historique ; régions de production), etc...
 
‑ Confection d'un gâteau de riz (recherche du prix de revient, exercices de pesée, de mesure ; les rizières ; pays producteurs ; histoire du riz de la rizière à la table ; etc.), etc., etc.
 
‑ Néanmoins, très souvent, dans notre classe, ces études demeurent dans le domaine de la pédagogie rêvée. Outre les empêchements dus aux programmes qu'on ne peut pas trop négliger à cause du C.E.P., nous sommes bien souvent arrêtés par le manque de documents (quelquefois aussi par un manque d'organisation pratique).
 
Il nous faut avoir sous la main des données numériques nombreuses et des renseignements précis qui vont servir de point de départ aux différentes recher­ches. Nous utilisons le fichier scolaire Coopératif, nous l'avons, d'ailleurs con­sidérablement enrichi en collant sur des fiches blanches : cartes postales, images, coupures de journaux, de revues, etc... ; mais nous n'en tirons pas tout le parti désirable : la classification nous paraît difficile pour tous les enfants et nous hésitons à laisser librement manipuler des fiches que nous ne pourrions rem­placer. Nous avons aussi réuni des ma­nuels de lecture, de sciences, d'histoire, de géographie, etc..., des catalogues, des Enfantines, Gerbes ; des brochures qui sont étalées sur des rayons au fond de la classe, à la libre disposition des élèves. Mais cette bibliothèque de travail libre est encore bien maigre, et nous en éprou­vons l'insuffisance chaque jour.
 
C'est pourquoi :
 
a) Il faudrait que la parution du Fichier Scolaire Coopératif s'oriente franchement vers le documentaire.
 
b) Il faudrait que la parution des opuscules de la Bibliothèque de Travail de la Coopérative soit accélérée.
 
c) Il nous faudrait un Fichier de Calcul qui nous donnerait tous les nombres dont nous pourrions avoir besoin.
 
En attendant sa publication, chaque classe doit se constituer les fiches numériques indispensables. Il faudrait que l’« Educateur Prolétarien » publie régulièrement une page de données numériques. Ex.: consommation en essence d'un avion, d'un dirigeable ; en charbon d'une locomotive moderne, d'un paquebot, d'un cuirassé ; quantités de légumes, de poissons, de vin, etc., arrivant chaque jour à Paris ; poids d'une locomotive, d'un wagon de voyageurs, d'un éléphant, etc., etc. C'est à chacun de contribuer à cette publication
 
d) Il serait désirable que les camarades entreprennent avec leurs élèves des études sur les activités spéciales de leur région (construction d'un bateau, pêche, maritime, pêche des étangs, poteries, ardoisières, différentes cultures, etc., etc.) Ces études (dans le genre de celles que nous avons faites sur le charbonnier, la fabrication des sabots, l'exploitation d'une coupe en forêt) mais encore plus précises, et bourrées de données numériques (poids, mesures, temps, valeurs) devraient être publiées sous une forme on sous une autre et serviraient à tous.
 
e) il y aurait un autre genre d'étude que nous­ devrions réaliser avec la collaboration de tous. Ceserait un genre d'enquête nationale, même internationale, sur un même sujet. Exemples : étude d'une ferme (ferme des Alpes, des Landes, de Normandie, de Provence, des Vosges, etc..., Allemande, Scandinave, Russe, Espagnole, etc.) ou simplement l'habitation -
‑ culture du blé dans les différentes régions ;
 
‑ utilisation du lait dans les différents pays.
‑ le problème de l'eau.
‑ le transport des choses au village, etc... etc..
 
Ces enquêtes passionnent réellement les enfants et donnent lieu à une quantité de travaux au plus haut point éducatifs. Elles les intéresseraient bien davantage s'ils pouvaient faire des comparaisons avec d'autres travaux semblables.
 
Nous avons surtout cherché, au cours de cet exposé, à montrer ce que nous cherchons à faire dans notre classe au moyen de l'imprimerie et les principales difficultés que nous rencontrons. Nous demandons à d'autres camarades de dire de même leurs projets et leurs réalisa­tions. C'est de comparaisons de do­cuments vivants que sortira no­tre pédagogie coopérative.
 
Y. GUET (Allier)