L'Educateur Prolétarien n°3 - année 1934-1935

Novembre 1934

L'éducateur prolétarien

N°3 : 1er novembre 1934

 

Notre position dans la lutte sociale C.FREINET
Le cours Montessori de Nice C. Freinet
La Gerbe - Plumes  
La visite des normaliennes CAZANAVE
Les conditions de l'expression libre C.FREINET
Un miracle de la coopération PROFIT
La vie de notre groupe : Congrès de Montpellier  
Service des échanges  
Faites vos achats à la coopérative  
F.S.C. et Discothèque PAGES
Notre école espérantiste d'été BOURGUIGNON
Le cinéma : Choix du matériel MAGNENOT
Edition de disques A. Pagès
Il n'y a que des malades B.VROCHO
Notions de cuisine végétarienne E.FREINET

Documentation internationale :
- Au musée du livre et du dessin pour enfants, à Moscou

COSTA
Revues et Livres  

 

FSC 409 : Moyen de transport à traction animale
FSC 410 : Depuis six mille ans la guerre... V.Hugo
FSC 411 : L'absurdité de la guerre
FSC 412 : Force expansive de la vapeur

Notre position dans la lutte sociale

Octobre 1934

L'IMPRIMERIE A L'ÉCOLE

 
Notre position dans la lutte sociale
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Nous avons publié dans notre dernier numéro la lettre par laquelle la Coopérative de l'Enseignement Laïc adhère au mouvement anti-fasciste.
 
Malgré les réserves nées du souci de tous les participants au Congrès de ne prendre aucune décision susceptible de déplaire à un seul de nos adhérents, la motion antifasciste a été votée à l'unanimité après une longue discussion. C'est qu'en effet, si quelques camarades craignent de nous voir nous engager dans les luttes politiques au service de tel ou tel parti, il ne s'en trouve pas un pour nier que, dans les conjonctures actuelles, les éducateurs soient dans la nécessité de prendre position.
 
Les événements ont, hélas ! apporté une justification éclatante de notre position pédagogique depuis de nombreuses années. Au moment où la Ligue Internationale pour l'Education nouvelle semblait triompher internationalement, où les pédagogues les plus connus adoptaient d'enthousiasme ses principes, nous avons hardiment dénoncé l'erreur, consciente ou non, sur laquelle elle était fondée. La toute-puissance de l'éducation, exacte dans, son essence idéale, nous a toujours paru comme une dangereuse illusion petite-bourgeoise. Nous avons prédit l'opposition qui ne pouvait aller que croissant, entre les buts libérateurs de l'éducation nouvelle et les nécessités oppressives d’un régime d'exploitation et de vol. Nous avons maintes fois précisé le raisonnement implacable qui nous menait à cet axiome : l'éducation nouvelle ne sera possible que lorsque la révolution sociale aura remplacé par une société juste le capitalisme antisocial.
 
Qui pourrait maintenant se soustraire à l'éclatante leçon des événements historiques de ces dernières années ? Deux mondes : L'ensemble disparate des vieux états sur lequel la Ligue Internationale pour l'Education nouvelle semblait étendre irrévocablement son influence : L'un après l'autre les pays se fascisent et nous savons, hélas ! ce que cela signifie. Partout l'école recule outrageusement, matériellement, physiologiquement, intellectuellement et moralement. La misère accentuée accable chaque jour davantage les enfants ouvriers et paysans tandis qu'une réaction impitoyable remplace par les principes d'autorité les velléités libératrices des éducateurs progressistes.
 
Mais un autre monde grandit, qui, après avoir fait sa révolution, cons­truit méthodiquement ce qui sera un jour prochain la triomphante école nouvelle prolétarienne.
 
Les pédagogues bourgeois, et nos camarades éducateurs qui sont encore sous leur emprise idéologique, ressemblent à ces intoxiqués gros amateurs de vin et de café, qui se persuadent que ces boissons leur sont indispensables, qui en ressentent bien, de temps en temps, les effets nocifs, mais redoutent de perdre leurs illusions et leurs jouissances.
 
Les pédagogues bourgeois nous font un raisonnement idéal prouvant que l'éducation seule pourra transformer le monde, mais quand on leur montre la nécessité de nous débarrasser au préalable des puissances mauvaises qui empêchent l'éducation, d'exercer leur action libératrice, ils tournent court, de crainte de perdre leurs illusions de tranquillité bourgeoise.
 
Il ne s'agit pas ici de savoir si nous préférerions poursuivre méthodiquement une évolution sociale libératrice ou nous engager dans des aventures radicales. Il faut aujourd'hui regarder les réalités en face, et réagir en partant de ces réalités : Partout les pouvoirs bourgeois contrecarrent l'action évolutionniste de l'éducation. De deux choses l'une : ou bien nous abdiquons tout notre idéal et toute notre foi pour sacrifier nos buts pédagogiques à une réaction délibérément obscurantiste, ‑ ou bien nous voulons marcher de l'avant coûte que coûte, disposés à renverser les obstacles quels qu'ils soient qui s'opposent à l'épanouissement grandiose de nos rêves d'éducateurs.
 
Fascisme ou révolution : il faut choisir.
 
On s'étonnera peut-être que nous transposions aussi totalement en un problème social et politique tout le processus éducatif. Si l'action révolutionnaire seule importe, nous dira-t-on, pourquoi menez-vous une si active cam­pagne pour des techniques nouvelles que vous savez impuissantes à triom­pher des forces mauvaises ? Où   donc puisez-vous cet enthousiasme qui fait de vous de si pratiques réalisateurs ? Quels mobiles orientent vos efforts avec une unité et une sûreté incontestables ?
 
L'alpiniste qui part avant le jour à l'assaut d'un pic inaccessible sait bien qu'il ne parviendra pas du premier coup là où nul avant lui n'a pu toucher. Et c'est pourtant avec une sorte d'ivresse qu'il commence l'assaut : l'ascension et l'effort sont par eux-mêmes une récompense ; vaincre une difficulté est comme un besoin de l'âme saine et forte.
 
On s'arrête sur les plateformes pour mesurer par instants le chemin parcouru ; on admire les pics nouveaux qu'on découvre à la ronde, changeants aux divers rayons du soleil ; on rebrousse chemin parfois, on hésite, on repart, heureux si nul accident grave ne vient attrister les esprits sans rabattre l'enthousiasme ni le désir de conquête. Et on rentre le soir, exténué, blessé peut-être, mais ragaillardi et fier de cette montée vers l'azur et la liberté.
 
Nous sommes les alpinistes de l'éducation : nous avons devant nous un idéal comme but nécessaire de nos efforts. Nous avons même cette supériorité sur nos prédécesseurs et sur nombre de nos contemporains que nous connaissons avec certitude les voies qui conduisent à la conquête de cet idéal que nous savons aujourd'hui accessible. Mais nous savons aussi quels obstacles se dressent et se dresseront sur notre route et comment de hardis pionniers ont su, ailleurs, en triompher.
 
Nous nous acheminons jusqu'au pied de ces obstacles, nous mesurons exactement nos forces, nous montrons le chemin, nous accumulons les matériaux grâce auxquels des masses d'hommes pourront un jour monter plus haut triomphalement.
 
Ce faisant, nous connaissons la joie suprême d'éveiller des esprits, de semer un peu de vérité, de découvrir, ça et là des horizons nouveaux. Et si même nous devons momentanément rebrousser chemin, nous savons que jamais nos efforts ne seront totalement perdus. N'aurions-nous fait qu'entr'ouvrir pour les petits prolétaires la porte de la connaissance libératrice que nous aurions apporté notre pierre à l'immense effort populaire.
 
L'essentiel n'est-il pas d'allumer des flambeaux sur ce que nous savons être la route de l'avenir ? Et si les éducateurs révolutionnaires ne tentent pas cette besogne, qui donc s'y appliquera ? La réaction, qui ne sy trompe pas, peut tenter son oeuvre obscurantiste : si nous avons donné à l'enfant le désir, le besoin de réfléchir, de penser par lui-même, de s'exprimer, d'aller de l'avant imperturbablement, notre tâche ne saurait être vaine.
 
Car l’œuvre révolutionnaire, comme l'action antifasciste, est diverse et complexe : des impondérables que nous ne saurions, négliger y ont une importance parfois décisive. L'éducation nouvelle libératrice est un de ces impondérables : elle demande les efforts virils et permanents de tous les éducateurs d'avant-garde.
 
On nous avait dit jusqu'à ce jour : l'éducation peut tout. Quand vous avez constaté tout ce que cette formule contenait de duplicité, vous avez été entraînés vers son contraire : l'éducation ne peut rien. Et nous avons assisté à ce spectacle navrant d'éducateurs militants qui allaient inciter ouvriers et paysans à se lever virilement et qui tenaient courbés sous leur autorité despotique ceux dont ils attendent demain l'effort libérateur.
 
La vérité est entre ces deux extrêmes : ni totalement encourageante comment pourrait-elle l'être parmi les heures que nous vivons ? ‑ ni désespérante pourtant. Ce qui nous paraît du moins incontestable c'est que, s'il y a des ouvriers qui, dans leur besogne quotidienne, peuvent et doivent faire quelque chose pour l'émancipation prolétarienne, ce sont bien les instituteurs qui ont cet insigne honneur.
 
Le temps n'est plus où la révolution était exclusivement un sujet à harangues et à discours. La gestation du monde, nouveau demande un effort cohérent et inlassable de tous les travailleurs conscients. C'est aujourd'hui à même notre tâche et notre vie que nous devons accomplir notre besogne révolutionnaire.
 
Qu'on se rassure pourtant : nous ne préconiserons pas ici la propagande révolutionnaire, mais la recherche constante de la vérité pédagogique et sociale. Des modes nouveaux de penser et d'agir secouent actuellement le vieux monde. L'école nouvelle prolétarienne doit en porter en tous lieux le ferment. Nous nous appliquerons dans de prochains articles à montrer comment nos techniques nouvelles sont susceptibles d'aider considérablement, à la ville et à la campagne, au renouveau révolutionnaire que des poings vigoureux dressent face à un régime désormais condamné.
 
C. FREINET.
 

 

 

Un miracle de la coopération

Octobre 1934

Un miracle de la coopération

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En nous transmettant ce court article, M. Profit nous demande de le passer sans commentaire. Nous nous excusons de ne pas lui donner satisfaction ; mais nous avons besoin de répéter ici ce que nous avons dit et écrit bien des fois : la coopération scolaire, telle que l'a toujours comprise et prônée son initiateur nous parait être la forme française de l'éducation nouvelle prolétarienne. La définition qu'en donne ci-dessous M. Profit nous satisfait pleinement : aussi bien n'avons-nous pas à recommander la coopération à nos adhérents qui la pratiquent tous depuis longtemps. Nous n'en serons que plus à l'aise pour dénoncer les exagérations et les déviations qui risquent de compromettre une initiative aussi salutaire.                     C. F.
 
Sous ce titre, je viens de lire l'histoire d'une Coopérative scolaire qui n'y va pas, comme on dit, avec le dos de la cuiller.
 
L'auteur, au cours d'une excursion, a eu la surprise « assez vive », dit-il et je le crois, de trouver dans une région où les villages n'ont rien de luxueux, un bâtiment neuf, vaste et clair, bien dégagé bien en vue, et qui a l'air de dire aux passants : « Voyez comme les enfants de cette commune ont une belle école ! »
 
« Le bâtiment est fier ; les habitants sont fiers de lui. Et ils ont bien raison, comme vous allez le voir ». Voyons donc cela !
 
« M'étant arrêté quelques instants pour me reposer, dit l'auteur, je cherchai à savoir comment la commune avait pu trouver dans son budget de quoi faire une pareille dépense...
 
« Ce beau bâtiment qui fait notre orgueil, me répondit-on, n'a rien coûté à la commune. C'est la coopérative scolaire qui l'a payé ! »
 
« Je ne voulais pas y croire et demandai quel trésor la coopérative avait bien pu déterrer... ‑C'est bien dans la terre qu'il a été trouvé, mais pas comme vous le supposez, m'a-t-on répondu.
 
Pendant dix ans, les enfants du pays ont récolté des racines de gentiane, et c'est le produit de la vente de ces racines qui a fini par payer notre maison d'école ».
Et notre auteur conclut : « Une telle persévérance me remplit d'admiration. Et quelle belle leçon de continuité dans l'effort de ces enfants qui avaient reçu... et donné. Rien n'est impossible à la coopération ».
 
Il est assez fâcheux, cher confrère, que vous soyez déjà rempli d'admiration. Plus de place chez vous ! Que diriez-vous de ces écoliers américains qui, après avoir trouvé les fonds nécessaires à une construction semblable, les emploient eux-mêmes, s'improvisent tour à tour terrassiers, maçons, plâtriers, couvreurs, etc... Voilà, au moins, des coopérateurs intégraux ! 
 
Mais tenons-nous en aux écoliers dont vous parlez. Vous faites bien de répandre partout, cet exemple. Espérons qu'il finira par tomber sous les yeux de nos ministres des finances en quête de ressources nouvelles. Et quelle belle leçon donnée par ces abeilles que sont nos coopérateurs faisant, eux, la besogne des hommes, puisque de cette besogne « les hommes en ont peur ! »
 
Ah ! oui ! ils ont raison, dites-vous, les habitants d'être fiers de ce bâtiment neuf qui ne leur a rien coûté ? Ce n'est vraiment pas être bien difficile. Ils avaient un devoir primordial à remplir, tout comme l'État, envers leurs enfants : assurer leur instruction dans les meilleures conditions d'hygiène et de confort ; et ce devoir, ils ne l'ont pas rempli. Ce sont les enfants qui ont fait ce qui devait être fait par les hommes !
 
Et vous pensez que la coopération scolaire pourra indiquer une telle tâche à ses adhérents ? ‑ A chacun son rôle, à chacun ses responsabilités !
 
Aussi bien son but ‑ et nous l'avons répété bien des fois, n'est pas de se substituer à la commune, en ce que la commune doit ou peut faire pour ses enfants ; son but n’est pas de créer des ressources en exportant de la gentiane ou d'autres produits : son but, c'est d'élever les enfants à la vie civique et sociale : la production des ressources indispensables, leur gestion et leur utilisation ne sont que les moyens de réaliser son but véritable. Ce qui peut remplir d'admiration un véritable éducateur, ce n'est pas le bénéfice matériel de l'association, ce sont les résultats moraux incontestables, quoique impossible à chiffrer. Des enfants associés pour s'entraîner au self‑gouvernment, pour s'entr'aider, pour se dévouer à une oeuvre commune et qui les dépasse : voilà ce que nous cherchons avant tout.
 
Nous connaissons bien votre sincérité, cher confrère ; mais on vous en a peut-être conté. En tout cas, cessez d'admirer. Aidez-nous à condamner toute exagération. Ne vous lassez pas de répéter autour de vous ce principe posé dès le début devant nos petits coopérateurs : Ne rien dépenser inutilement; ne rien acheter de ce qui, légalement, peut être exigé ou pratiquement obtenu de la commune et de l'État.
 
PROFIT.
 

 

 

Notre école espérantiste d’été

Octobre 1934

 

ESPERANTO
 
Notre école espérantiste d’été
 
Après une Deuxième Expérience
 
Nous avions prévu l'an dernier, à pareille époque, un succès décuplé par les circonstances en faveur de notre initiative. Nous ne nous trompions point, comme on va le voir. Notre Ecole 1934, à Lesconil, prend rang dans l'histoire du mouvement espérantiste prolétarien comme une manifestation magnifique et consacre d'une façon très nette l'utilité des Cours d'Eté. Il est dès maintenant établi que l'Ecole de Vacances deviendra, dans les années à venir, l'un des instruments les plus efficaces pour une propagande rationnelle de l'Espéranto et sa diffusion parmi les éducateurs. Tout nous encourage à persévérer et à parfaire notre organisation. Oeuvre collective, elle intéresse à divers titres tous les membres de notre Coopérative. Les conclusions développées pourront être utilement commentées par tous : elles s'inspirent de l'expérience acquise au cours de notre travail ; elles peuvent donc être prétexte à discussion et amélioration de nos méthodes de travail, pour l'enseignement de la langue internationale.
 
1. ‑ Le Séjour,
 
Dès les premiers jours d'août, les participants commençaient à arriver à Lesconil, où ils furent fraternellement reçus par notre ami QUINIOU, secrétaire du Groupe espérantiste du Finistère, aidé du camarade LUCAS et de marins-pêcheurs. Le 9 août au soir, une assemblée générale des élèves réunissait déjà plus de soixante camarades des deux sexes, venus de tous les coins de la France. Les jours suivants, ce nombre ne fit que croître du fait de nouvelles rentrées, et dès la deuxième semaine d'août, nous pouvions compter à l'Ecole ‑ non sans quelque satisfaction ‑ près de 80 éducateurs appartenant à 31 départements différents.
 
Après l'élection de diverses Commissions, chargées d'assurer la marche régulière du séjour, les cours s'ouvraient, le 10 au matin à l'Ecole de garçons. Succès d'affluence, disions-nous plus haut, mais aussi succès complet quant aux normes de travail. Nous y reviendrons en détail. Succès encore, du point de vue propagande dans un milieu particulièrement avancé et sympathique à nos idées. Nos distributeurs de tracts reçurent partout le meilleur accueil, au cours de nombreuses excursions qui nous permirent de visiter de nombreuses localités, entre autres Douarnenez.
 
Notre assemblement fut par-dessus tout un important rassemblement prolétarien. Il n'est pour se convaincre de la portée de nos efforts que de noter l'imposante levée de boucliers parmi les cléricaux, fascistes et autres hobereaux de villages que suscita la seule annonce de notre séjour. Dès le mois de mal, l'ana­thème était jeté sur nous et les calomnies se faisaient jour : la « Lutte » anti- religieuse et prolétarienne, le bulletin du Groupe espérantiste finistérien étaient attaqués. Pour nos bons prophètes, la question fut rapidement tranchée : dès l'instant que, en dehors de l'étude de l'Espéranto, nous nous préoccupions de prendre part au mouvement général de lutte contre la guerre et le fascisme, il n'était plus permis de conserver la moindre illusion : le Groupe finistérien est « d'obédience communiste » comme les hôtes de l'Ecole d'Eté sont des communistes camouflés. Conclusions grotesques : les directeurs de   l'Ecole « sont surtout des instituteurs, et les élèves des... internationaux. » (!)                                                                                          
 
La lutte se poursuit, sous le voile courageux de l'anonymat. Une semaine avant l'ouverture des cours, une longue diatribe paraît dans « Le Progrès (!) du Finistère », organe officieux de l'évêché. Mais un incident va nous permettre de percer à jour certaines manœuvres. Le 15 août, au départ d'une excursion, les touristes de l'hôtel Atlantic, pour la plupart gros bourgeois ou fascistes militants, accompagnent de « hou ! hou ! » l'embarquement des camarades. La réplique se produit le soir, au retour : vibrante Internationale, que nos adversaires essayent de couvrir par la « Marseillaise ». Des touristes prennent à partie nos camarades... Il faut toute la mesure des nôtres pour éviter une correction aux perturbateurs. Cela n'empêchera pas l'ineffable rédacteur (en chef) du Progrès d'annoncer imperturbablement dans son numéro du 25 août :
 
« Des incidents ont lieu journellement (1) entre les deux catégories de touristes « qui fréquentent la plage de Lesconil : les baigneurs espérantistes‑communistes, les plus nombreux, et les baigneurs paisibles. Dans les hôtels, les repas étant continuellement troublés par des discussions entre les baigneurs espérantistes et les autres, les gérants ont affecté des salles à manger différentes aux deux catégories (?) de pensionnaires.
Il y avait échange d'injures (2), chant de l'Internationale auquel répliquait la Marseillaise ; menaces de rixes... et mêmes rixes. »
 
Nous ne nous attarderons pas à reproduire tout au long les élucubrations de la feuille cléricale. Disons simplement que le reste est au moins aussi savoureux, et que « L'Ouest‑Eclair » du 31 août s'empressa de reproduire les renseignements ci-dessus en partie, ajoutant de son propre chef que « les provocations du groupe espérantiste sont dues à des éléments étrangers (Allemands, Russes, etc…) », et que « la population paisible de Lesconil est justement indignée des procédés auxquels elle est en butte ».
 
Avec un cynisme déconcertant, le plumitif du « Progrès » signalait à la vindicte populaire... et surtout aux foudres de l'administration les instituteurs « qui se permettent d'enseigner des doctrines contre la Patrie et contre Dieu ». C'est l'époque où l'on enquête un peu partout sur le fameux Congrès de Nice, et il importe de ne pas perdre une occasion de sanctions envers les « meneurs ». Inutile de dire que nos noms sont complaisamment mis en vedette dans les divers articles publiés par les gazettes bien pensantes. C'est là le but essentiel de la campagne de basses calomnies engagée contre nous.
 
Il y en a un autre. Il faut empêcher par tous les moyens, la fête qui doit terminer, le 2 septembre, le séjour du Groupe à Lesconil. Les prétextes ? Les « amis de l'ordre » sont gens de ressources ! Et l'on va, publiant partout que les espérantistes‑communistes se proposent d'interdire la procession du Pardon de Lesconil. « Il est à craindre, dit le Progrès toujours sur la brèche, que les cours d'espéranto provoquent des troubles plus graves, soit le 26 août..., soit le 2 septembre » !
 
Conclusion : puisque ces énergumènes veulent « violenter la procession » (sic), il faut interdire la fête du 2 septembre !
 
En définitive, la procession n'eut pas lieu, et Lesconil vit ce jour-là un rassemblement antifasciste important, auquel participaient tous nos membres. Mais... sous la pression des forces réactionnaires, le préfet du Finistère se décidait à prendre, à la dernière minute, un arrêté interdisant aux espérantistes la disposition des locaux scolaires pour l'organisation de la fête ! Il nous faut remercier ici bien chaleureusement à ce propos, le propriétaire de l'Hôtel des Dunes qui voulut bien mettre au pied levé son vaste établissement à notre disposition, ce qui permit, d'organiser superbement, avec le concours de tous les participants et de nombreux marins, une matinée récréative qui eut un succès inespéré. Une foule énorme, évaluée à deux mille personnes minimum, venue de tous les villages et bourgs de la région, s'entassait littéralement dans l'immense salle verte, à tel point qu'il fallut organiser deux représentations pour satisfaire l'enthousiasme de tous. Affluence énorme, succès des numéros présentés, notamment de là fête des Provinces, recette très fructueuse, tels sont en quelques mots les résultats tangibles. Ajoutons que le préfet lui-même assistait à la fête, accompagné de son chef de cabinet, du commissaire spécial de la préfecture et du commandant de gendarmerie de la région !
 
« La Dépêche de Brest » relatait le lendemain même le succès de la manifestation. Ce qui n'a pas empêché le « Progrès » décidément incorrigible, d'annoncer en grosses lettres, une semaine après la fête, que « la manifestation communiste de Lesconil avait été (enfin) interdite grâce aux Patriotes » ! Il faut du temps dans certaines sphères pour prendre certaines décisions, mais il faut aussi un certain aplomb pour oser maintenir certaines affirmations et informations. C'est avec le plus grand sérieux que notre scribe annonce que « la grande fête Espéranto‑Communiste n'a pas eu lieu ». Et il traite de « contre‑vérité manifeste » l'information de la Dépêche, déjà citée.
 
Nous n'aurons garde d'omettre dans notre compte-rendu l'inoubliable manifestation de solidarité prolétarienne que fut le meeting de protestation du 1er septembre au soir, en réponse à l'arrêté préfectoral. Nous avons trouvé ce soir-là, groupée étroitement autour de nous, la population entière de Lesconil, comme aussi le lendemain au cours de la fête. Ce sont là des témoignages ineffaçables d'amitié qui réconfortent et permettent d'envisager la lutte sous un jour moins sombre. A cette heure, où nous évoquons ces souvenirs à quelques semaines de distance, une émotion nous étreint. Il me revient en particulier d'amicales protestations qui me furent prodiguées par de nombreux camarades en cette soirée du 2 septembre, qui devait être la dernière passée en commun ; de ces protestations qui vont droit au cœur, parce que empreintes d'une sollicitude qu'on ne trouve ‑ quoi qu'on dise ‑ que parmi la classe travailleuse, de laquelle nous sommes issus, et à laquelle nous sommes fiers d'appartenir toujours.
 
Il nous plait de confondre dans un même sentiment de gratitude affectueuse tous ces témoignages comme aussi ceux que nous avons reçus à diverses reprises de tous les participants, sans exception, de notre Caravane 1934. Tout cela fait chaud au cœur, comme on dit, et les journées des 3 et 4 septembre restent de réconfortants souvenirs, malgré qu'elles aient vu les départs de la grande majorité des camarades.
 
Il nous faut, dès maintenant, préparer notre Ecole 1935 : elle aura lieu en Provence, ainsi que l'a décidé l'assemblée générale qui termina les cours. Au moment où nous nous engageons dans une nouvelle organisation, nous tenons à unir ici dans des remerciements particulièrement chaleureux, notre ami QUINIOU, qui se dépensa sans compter pour satisfaire les désirs de tous, sans jamais réussir complètement, les camarades Lucas et Le Lay, des organisations locales et surtout le camarade Cariou, marin‑pècheur, secrétaire de la commission locale d'organisation qui nous prépara un séjour des plus agréables ; à la population de Lesconil, enfin, pour son accueil si sympathique et les marques d'amitié qui nous furent prodiguées, en particulier au camarade maire de Plobannalec‑Lesconil. A tous, nous disons bien volontiers : au revoir !
 
Nous donnerons, dans un deuxième article, la parole aux participants de notre Ecole à propos des desideratas émis en fin de cours, et nous nous efforcerons de tirer quelques conclusions pratiques.
 
H. BOURGUIGNON
 
Secrétaire de l'Ecole Espérantiste d'Eté instituteur à Besse‑sur‑Issole (Var)
 
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COURS D'ESPÉRANT0
 
Un cours d'Espéranto par correspondance, organisé par la Fédération des Espérantistes Prolétariens, fonctionne toute l'année. A la fin du cours, l'Elève est mis en relations avec des camarades de tous pays (en particulier de l'U.R.S.S. et d'Allemagne) et est à même de remplir une tâche de rabcor international. Ce cours est gratuit. Pour tous renseignements, s'adresser à
 
FEDERATION DES ESPERANTISTES PROLETARIENS
 
(Bourse du Travail, 14, rue Pavée, 14, NIMES ‑ Gard)
 
 
 
(1) C'est nous qui soulignons dans les citations.
 
(2) Ce qui prouve que les « amis de l'ordre et de la liberté » ne furent pas en reste.