L'Educateur Prolétarien n°4 - année 1934-1935

Novembre 1934

L'éducateur prolétarien

N°4 : 20 novembre 1934

 

Autorité, châtiments corporels, fascisme C.FREINET
Faut-il réserver des étapes ? H.BOURGUIGNON
F.S.C., Une classification est nécessaire LALLEMAND
Fichier de calcul : Fiches documentaires LAGIER-BRUNO
La vie du groupe  
Espéranto H. Bourguignon
Sports et Cinéma MAGNENOT
Critique de Disques PAGES
L'éducation de l'instinct Ad.FERRIERE
Colis naturistes  

Documentation internationale :
- Nouvelle vie

Ella WINTER
Jounaux, Revues, Livres  

 

FSC 413 : Moyens de transport à traction humaine
FSC 414 : Petit papa, le soleil brille...
FSC 415 : Le semeur
FSC 416 : Les liquides se superposent par ordre de densité

 

Autorité, châtiments corporels : fascisme ; Confiance en l'enfant, libre activité essor prolétarien

Octobre 1934

 

 
Autorité, châtiments corporels : fascisme ;
 
Confiance en l'enfant, libre activité essor prolétarien
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Nos théories éducatives n'auraient pas leur naturel caractère d'universalité si elles ne trouvaient pas leur application efficace dans l'action sociale de tous les jours et, notamment, dans l'organisation urgente de la lutte antifasciste dont nous avons vu la nécessité pédagogique.
 
Il ne s'agit pas, dans cette lutte, de demander à tous un effort similaire, mais de tirer parti au maximum des aptitudes différenciées et des possibilités individuelles. Si les cheminots doivent prévoir la lutte antifasciste dans le service des transports, les postiers dans les P.T.T., on doit nécessairement attirer l'attention des éducateurs sur les caractères psychologiques et pédagogiques de la lutte antifasciste. Ce n'est pas un hasard si nous voyons encore là aux prises éducation nouvelle et réaction.
 
Dans la lutte entre fascisme et antifascisme, deux conceptions diamétralement opposées s'affrontent : Le fascisme c'est la restauration violente, sur le plan familial, pédagogique, économique, social et politique, de l'autorité.
 
Comme, par nature, rares sont les amoureux de la brutale autorité, le fascisme doit, au préalable, persuader aux citoyens que la liberté a fait faillite : la politique démocratique n'a amené que ruine, guerre et misère ; sur le plan scolaire la pédagogie libérale a été impuissante à instruire et à éduquer les jeunes générations.
 
Or, c'est là jouer sur des mots : ce qui a fait faillite, ce n'est point un système démocratique qui n'a jamais existé dans son intégralité, mais seulement comme paravent hypocrite à la dictature des banquiers, des trusteurs internationaux, des marchands de masques et de canons.
 
Ce qui a fait faillite à l'école, c'est également cette pseudo-liberté, qui se produit en formules sans se traduire jamais effectivement sur le plan de la réalisation pratique. Les règlements interdisent les châtiments corporels, mais nous avons montré bien souvent comment la discipline autoritaire, les punitions réglementaires, la technique des manuels et des leçons font que rien n'a été changé depuis des siècles au caractère oppressif de l'école. C'est toute la pédagogie traditionaliste qui a fait faillite et il est assez curieux qu’on se serve de cet argument pour faire encore machine en arrière, pour dire aux éducateurs : Tous vos insuccès scolaires viennent de ce que vous n'avez pas assez d'autorité, de ce qu'on a parlé aux enfants plus de droits que de devoirs et que vous ne pouvez plus imposer violemment vos prérogatives.
 
Nous pensons, nous, qu'il est bien plus logique de prendre le chemin opposé, de donner aux paysans et aux ouvriers l'entière liberté de leurs actes, et aux enfants le maximum d'autonomie dans leur organisation scolaire.
 
Où cela nous mènera-t-il, nous objectera-t-on ?
 
Pour ce qui concerne la pédagogie du moins, nous sommes en mesure de rassurer les esprits inquiets.
 
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Nous avons sous les yeux un long article d'un instituteur fasciste (N°' du 25 octobre de l'Ecole Française) réclamant le droit d'infliger des châtiments corporels. Article étayé sur des arguments d'une inconcevable superficialité primaire :
 
« La correction manuelle est généralement plus persuasive quela réprimande... C'est pour l'enfant surtout que la crainte du châtiment est le commencement de la sagesse... En tous pays et en tous temps, les pères ont fouetté leurs enfants et les maîtres leurs élèves... Le châtiment corporel, j'entends le châtiment court, inoffensif, mais grâce auquel le sang circule plus vite, prouve son utilité par l'universalité de son emploi... »
 
Il est déroutant, en ce siècle que d'aucuns prédisaient sentencieusement être le siècle de l'enfant, après tant d'expériences loyales et concluantes, tant de recherches scientifiques irréfutables, tant de preuves d'impuissance de l'éducation autoritaire, Il est déroutant de devoir encore mettre en garde contre une aussi retardataire argumentation.
 
Le châtiment commencement de la sagesse ! C'est pourquoi les journaux réactionnaires eux-mêmes ont eu l'occasion de dénoncer récemment le système répressif qui, dans les « maisons d'éducation surveillée » a abouti aux scandales universellement réprouvés. Ils ont donné en exemple les grands pays du monde qui se sont dirigés vers la libre rééducation de l'enfance, l'U.R.S.S. en particulier qui a, par les méthodes nouvelles, liquidé le fléau de l'enfance vagabonde, le plus dangereux que le monde ait connu. Et aujourd'hui, parmi tant de libres communautés, Bolchevo, kolkoze d'anciens enfants abandonnés, dresse ses réalisations comme le couronnement des méthodes nouvelles que nous préconisons.
 
Il ne s'agit pas, croyons-nous, de prôner paresseusement la mystique de l'autorité, mais de réfléchir, de regarder hardiment devant soi pour chercher l'idéal et la raison, de scruter la vérité pour s'y tenir ensuite. Si la réflexion, le raisonnement, l'expérience, les relations sûres de recherches similaires poursuivies par d'autres éducateurs nous prouvent que l'autorité, l'oppression, les châtiments corporels et les brutalités sont impuissants à étayer une éducation vivante et créatrice ‑ qu'au contraire la libre activité (nous ne disons pas évasivement la liberté) produit de véritables miracles de régénération, nous devons être irrévocablement contre l'appression, contre les châtiments corporels, pour l'éducation libératrice.
 
Que la réalité sociale rende souvent difficile la réalisation pratique de nos principes, c'est une autre affaire qui ne saurait en rien modifier cependant nos conceptions éducatives. Ce n'est pas parce que nos classes sont exagérément, de plus en plus chargées, parce qu'elles sont encombrées d'éléments anormaux et difficiles qui rendent toute discipline impossible, que nos principes éducatifs doivent prendre le contre pied de la réalité Scientifique. Que, dans ces conditions, l'éducateur se voie presque toujours contraint d’être, le garde-chiourme, jaloux de son autorité qu'il maintient par un prestige apparent dont les sanctions sont l'élément indispensable, nous l'avons toujours reconnu. Mais nous faisons, nous, le raisonnement inverse de notre traditionaliste réactionnaire. Nous disons : décongestionnez les classes, ne laissez à chaque instituteur qu'un nombre normal d'élèves, veillez à ce que ceux-ci respirent convenablement, aient une nourriture adaptée à leurs besoins afin que se rééduque leur harmonie vitale, soignez séparément les anormaux qui désorganisent les classes, introduisez alors les pratiques de libre activité et vous verrez si vous avez besoin de sanctions et de coups pour mener vos élèves à un niveau que n'auraient jamais atteint les pratiques autoritaires.
 
Ce jour-là, quelques-uns d'entre vous feront peut-être encore comme le bon Pestalozzi qui, notre auteur nous le rappelle, distribuait libéralement quelques gifles.
 
Cela sera déplorable : mais, il suffit que vous vous rendiez compte à ce moment que votre acte n'est qu'un geste d'énervement ou de colère, un acte antipédagogique, humain peut-être dans une certaine mesure si on considère la faiblesse adulte, mais inhumain et injuste, vu par l'autre bout... de la classe et que vous fassiez effort pour ne plus récidiver.
 
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On voit maintenant le caractère nettement fasciste de cette justification à tout prix de l'autorité et de la violence physique.
 
Nous devons dénoncer cette position statique qui accepte le sort fait par le capitalisme exploiteur à l'enfance et à l'école, qui tend à organiser l'école dans ce régime, pour ce régime, avec des techniques adéquates aux buts mêmes du capitalisme.
 
En face de cette position, nous devons affirmer l'urgence d'une conception dynamique, révolutionnaire et libératrice de l'éducation prolétarienne, rappeler la nécessité pédagogique de faire appel à toutes les forces invincibles qui animent la jeunesse, de ne pas enrayer le torrent de vie, mais de nous y engager résolument pour nous mettre au service de l'enfance et l'aider à construire harmonieusement les personnalités puissantes qui, demain, transformeront le monde.
 
Là seulement est la vie, la lumière, l'avenir. Il nous en coûtera souvent à nous, adultes ; nous aurons des faiblesses ; nous commettrons des erreurs. L'essentiel est que nous ne sacrifiions pas à notre amour-propre et à notre égoïste tranquillité l'ardeur intrépide de la jeunesse.
 
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Mais il ne suffit pas de prêcher un extrémisme verbal et de servir par notre acceptation passive le traditionalisme pédagogique et social.
 
Si vous n'avez pas su instaurer dans votre classe une communauté de vie qui réduise le plus possible l'influence réactionnaire de l'autorité et de l'oppression, comment voulez-vous que vos élèves comprennent un jour la possibilité de réalisation d'un régime social où leur libre initiative pourrait opérer des miracles; si les parents se font forts de votre déplorable exemple pour rester, dans la famille, les potentats patriarcaux sur lesquels s'appuie le régime, comment voulez-vous qu'ils conçoivent une société sans gardes-mobiles, sans exploitation, sans obéissance stricte, sans inutile violence ?
 
Montrez, au contraire, que les enfants sont des êtres humains, supérieurs bien souvent par leur fraîche et puissante personnalité, aux adultes déformés et avilis ; donnez-leur le spectacle d'élèves transformés par la libre activité, d'enfants qui sollicitent le travail comme un besoin vital, qui réalisent sans effort, qui vous aiment sans ostentation et vous respectent sans crainte.
 
Si, par hasard, le vieil homme surgit en vous et se soulage furtivement par un pensum ou une gifle, ayez le courage de vous dire en vous-même, de dire aux parents d'élèves, et aux élèves aussi, que vous avez eu tort et que vous avez tout simplement fait preuve d'une faiblesse humaine, hélas ! en voulant vous montrer forts.
 
Les parents réfléchiront à ces spectacles. Et quand des partisans d'un état fort viendront leur vanter « l'autorité », ils sauront y voir le masque idéologique de l'oppression inhumaine qui veut légitimer l'exploitation de l'homme par l'homme ; ils aspireront aussi à l'avènement d'un Etat où ne régnera pas la « liberté »intégrale, certes mais dans lequel les personnalités pourront librement s'épanouir dans le cadre d'une société généreuse.
 
Ils saisiront ce que signifie ce contraste : Ecole des pays fascistes, où les châtiments corporels sont rétablis, où règne une discipline brutale et imposée, sous la surveillance, et avec la complicité de l'Eglise ‑ et d'autre part, écoles nouvelles des pays capitalistes luttant contre le milieu pour réaliser une portion d'idéal, et surtout libres communautés soviétiques où se forge la plus ardente et la plus intrépide jeunesse du monde.
 
Educateurs, sachons éviter le piège qui nous est tendu par les tenants de régimes périmés. Dénonçons l'idéologie fasciste de la discipline passive et de l'autorité; affirmons la toute puissance de la libre activité créatrice, et travaillons pratiquement à introduire dans nos classes des techniques nouvelles qui, dans le régime actuel, ne prétendent pas réprimer tous les abus, mais qui montreront du moins aux éducateurs, aux élèves et aux parents d'élèves quelle est la voie sûre de la libération sociale, à l'opposé justement des théories traditionnelles des défenseurs du capitalisme.
 

 

 

Faut-il réserver des étapes?

Octobre 1934

 

Notre Pédagogie Coopérative
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De Besse-sur-Issole (Var)
 
Faut-il réserver des étapes?
 
Je croyais que la nouvelle formule de l’E.P. était décidée pour faciliter la mise au point et la réalisation de certaines questions qui perdent à être soumises à la réflexion une fois de mois en mois seulement : exemple, le fichier de calcul, dont je suis passionnément les développements sans pouvoir personnellement participer au débat, parce que le calcul n'a jamais été ma partie de prédilection. Je pense que ces études devraient prendre la place prépondérante, de même que la rubrique « Pédagogie Coopérative » qui est absolument nécessaire pour l'édification des nouveaux comme aussi pour les ouvriers actuels, à condition que chacun ou presque vienne dire son mot dans l'affaire, et étaye son raisonnement et ses conclusions par des arguments, des faits précis. Il ne suffit pas, à mon avis, de dire : je fais ceci ou cela dans ma classe... il faut expliquer, toutes les fois que c'est possible, et je crois que c'est là un des attraits de notre travail, l'un des côtés originaux de la technique, pourquoi on procède ainsi, quelles sont les réactions qui ont amené l'éducateur à polir la première manière, à apporter des modifications, etc... Personnellement, je ne te cache pas que l'expérience m'a convaincu définitivement d'une chose : à savoir que l'imprimerie pratiquée quotidiennement devient un travail fastidieux pour l'enfant, et qu'il faut ‑ selon moi toujours ‑ attendre que l'élève manifeste le désir de travailler à l'imprimerie. Etant entendu que j'entends par « travail » la besogne matérielle seulement, les activités dérivant de la rédaction de textes vivants et de leur acclimatation à l'atmosphère de la classe ne subissent aucun changement. Il ne faut pas non plus que la rédaction des textes devienne une tradition journalière, sans quoi c'est rapidement pour l'enfant une nouvelle habitude avec ses exigences, donc un travail qui tend rapidement à la manière automatique. J'exprime assez mal ma pensée, mais je pense que tu devines ce que je veux souligner.
 
Evidemment, on peut tomber sur une classe qui accepte facilement cette nouvelle ordonnance du travail, mais je suis persuadé qu'on arrivera fatalement à constater une lassitude, même intermittente, chez un certain nombre. Tu me diras que je suis désespérément pessimiste, peut-être. Je t'assure que ces considérations relèvent uniquement d'un souci lancinant : examiner et préciser le plus possible ensuite dans quelle mesure l'enfant réagit en face des nouvelles formules, et dans quelles proportions il fait vraiment, pleinement oeuvre personnelle quand il s'adapte aux nouvelles techniques. Il faudrait, selon moi, ou interroger l'enfant au bout d'un certain temps de pratique de l'imprimerie, en ayant, soin dans l'intervalle de noter tous les symptômes qui peuvent éclairer notre jugement :
 
‑ Y a-t-il eu des périodes, des jours où les productions spontanées étaient moins nombreuses, ou moins intéressantes ?
 
‑ Y a-t-il eu des moments où les enfants semblaient uniquement obéir à l'habitude dans la mise en route de la classe journalière ?
 
Ces renseignements, ajoutés aux résul­tats d'une enquête faite adroitement par­mi les enfants, sous forme de questions écrites, nous donneraient, je crois, des indications intéressantes pour le perfectionnement de notre technique.
 
Je pense également qu'il y a des étapes à franchir dans l'introduction de la technique : peut-être est-il exagéré de penser qu'on doit procéder ainsi partout, mais dans la plupart des cas, je pense que l'échelonnement suivant est de nature à concilier bien des points de vue, tout en évitant de créer dans la classe un nouvel état d'esprit, dont on n'est pas sûr qu'il n'est pas aussi artificiel, en partie au moins, que celui qu'on a combattu et détrôné.
 
1 . Idée du journal de la classe.
 
2. Cette idée comprise, c'est-à-dire l'enfant se rendant compte du but et de l'intérêt d'un journal à échanger, échanges avec des classes qui en sont au même stade.
 
3. L'enfant sera amené instinctivement, par lui-même, à déplorer que ce journal, que l'on confectionne avec enthousiasme, que l'on échange avec d'autres, soit aussi difficile à confectionner, ou qu'on ne puisse en éditer qu'un petit nombre chaque fois.
 
Il faut savoir attendre, selon moi, que cette transformation se produise dans l'esprit de l'enfant, qu'il pose des questions à ce sujet, et mette ainsi à découvert sa pensée. A ce moment, il acceptera avec enthousiasme toute solution nouvelle qui lui permettra de résoudre le problème qu'il s'est posé spontanément. Nous avons à cet instant à choisir dans les moyens à lui proposer. Je crois qu'il n'est pas mauvais que nous lui imposions encore une étape, à savoir le journal polycopié, qui satisfera un premier besoin, et ajoutera à la maturation de l'esprit sur la route à suivre. L'enfant suit un processus logique, il raisonne et prend des initiatives en fonction de son raisonnement. Donc tout est bien, il ne faut rien brusquer, et savoir attendre.
 
La dernière étape est franchie un beau jour : l'enfant a eu l'occasion d'apprécier les beaux résultats accomplis par l'impression en caractères typographiques, à propos de la confection d'une pe­tite monographie communale, de l'im­pression de fragments d'histoire locale, etc., à propos desquels on fait entrer en jeu l'imprimerie comme un moyen commode de conserver des documents pré­cieux. Au cours des séances de dessin, on l'a familiarisé avec les techniques du lino gravé, la peinture à la détrempe, etc... Tout est mûr pour ta réussite.
 
Voilà mes impressions. Pour la suite de l'affaire, il importe de se rappeler que la presse et les caractères ne doivent pas devenir un nouveau moyen d'asservissement de l'enfant : il doit donc en avoir la libre disposition, pour transcrire sous une forme définitive et qu'on pourra conserver agréablement, ses impressions ses pensées, pour les transmettre dans le même temps à d'autres camarades.
 
En partant de ce point de vue, je pense qu'il est hasardeux de placer le travail à l'imprimerie dans l'emploi du temps d'une façon formelle. Il faut expérimenter, voilà tout, et adapter son travail en fonction des réactions enfantines, sans aucune obligation d'aucune sorte. Evidemment, avec les programmes et l'épouvantail du C.E.P. avec lequel je renoue connaissance, cette année, c'est un boulot... Mais enfin, il n'est pas défendu d'essayer... Et je voudrais introduire l'imprimerie dans ma nouvelle classe d'une manière idéale autant que possible, eu respectant tant que je pourrai le droit d'initiative de l'enfant.
 
C'est un peu pour cela que je m'intéresse tant à la réalisation du fichier de calcul, car je suis persuadé queles projets actuels sont de nature à alléger la besogne dans celle branche, en libérant une notable partie du temps employé jusqu'à ce jour dans cet enseignement, et donnant des résultats identiques. Je pense que la méthode adoptée, qui veut que l'on, consacre maintenant tous les efforts à la réalisation de cette entreprise, est la meilleure. Nous devons momentanément négliger les autres tâches, partiellement s'entend, pour donner la vedette à cette mise au point. Ensuite, nous pourrions nous attaquer à l'Histoire, qui a besoin d'être adaptée sérieusement.
 
H. BOURGUIGNON.
 
P.S.‑ Au moment de mettre sous presse, nous recevons de Bourguignon une lettre qui précise et complète la lettre ci-dessus et sur laquelle nous reviendrons dans un prochain numéro.
 
Parti de Signes, où il avait eu des ennuis dus en partie à l'imprimerie à l'Ecole, il vient de quitter St Maximin où la réaction essayait encore de soulever les parents contre nos techniques. Dans sa nouvelle classe abrutie par des années de discipline et de travail traditionnels, au milieu d'une population qui ne comprendrait pas une libération radicale, Bourguignon se demande s'il ne doit pas procéder par étapes pour l'introduction des techniques nouvelles.
 
Le problème est, on le voit, posé d'une façon différente et nous y reviendrons. Je donne cependant ma réponse qui, sur le terrain pédagogique strict, garde sa valeur documentaire théorique et pratique.
 
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J'ai promis à Bourguignon une réponse par la voie de l'E.P. à sa lettre qui n'était pas, à l'origine, destinée à cette publication. Cette réponse n'empêche nullement d'autres camarades de dire ici leur point de vue la discussion préparant à la réflexion étant un des buts essentiels de cette rubrique
 
Nous croyons que Bourguignon a parfaitement raison pour ce qui concerne le contenu, la portée et le buts de notre « Pédagogie Coopérative ». Divers problè­mes à résoudre se posent à nous. Dix an­nées d'expérience nous ont permis de donner desdirectives assez précises pour constituer les éléments d'une technique. Mais notre tâche n'est certes pas termi­née : il appartient à tous nos camarades de dire ici, en les expliquant, les originalités de leur travail.
 
La question envisagée aujourd'hui par Bourguignon est d'une extrême gravité et nécessite un examen attentif. Je vais donner mon point de vue qui, nous l'espérons sera lui aussi examiné et critiqué.
 
Il y a trois façons de procéder dans nos classes :
 
a) La méthode idéale qui consiste, à respecter intégralement les désirs et les besoins de l'enfant, non seulement pour la rédaction mais pour toutes les disciplines les élèves rédigeant etimprimant quand ils veulent faisant librement des recherches scientifiques ou, des études géographiques.
 
Cette méthode est sans nul doute supérieure mais elle demande aussi de la part de l'éducateur des qualités pédagogiques ainsi qu'une bienveillance ‑ j'allais dire : une complici­té ‑ hélas ! anormale des inspecteurs. Notre ami Roger avait, à Camphin-en-Pévèle, réalisé ce tour de force que tous nos lecteurs voudraient bien connaître dans le détail.
 
Or, l’expérience est là : ses élèves travaillant librement ne se sont jamais fa­tigués de l'imprimerie. Ils n'ont certes pas imprimé tous les jours, mais ils ont ensuite parfois imprimé plusieurs pages en un seul jour, rattrapant largement le retard et arrivant à sortir régulièrement leur journal mensuel.
 
b) La méthode ci-dessus, dans l'état général de nos possibilités actuelles, ne peut pas être recommandée dans nos classes.
 
Il y a la méthode qui semble préconisée par Bourguignon : garder à la classe son allure traditionnelle en laissant les enfants libres d'imprimer des textes de temps en temps.
 
Mais la liberté ne s'octroie pas ainsi par petites tranches, au moment désiré par l'éducateur. Si l'esprit nouveau dont notre technique est l'importance initiatrice n'imprègne pas les diverses disciplines, il y aura, presque permanentes, les nécessités oppressives de la pédagogie traditionnelle qui contrarient nécessairement les aspirations naturelles vers l'activité libre.                   
 
Il est à peu près certain que les élèves ainsi traités se lasseront plus vite de l'imprimerie que les élèves de Roger qui étaient totalement libres dans leur classe.
 
Les appréhensions ‑ mieux : les constatations ‑ de Bourguignon viennent sans doute de ce que ce camarade n'a jamais pratiqué que cette deuxième méthode.
 
c) Nous sommes partisans d'une troisième façon de procéder, qui répond mieux que la première aux possibilités normales des éducateurs et aux exigences des inspecteurs ‑ et qui imprègne mieux cependant que la deuxième tout l'enseignement d'un esprit nouveau nettement orienté vers la libre activité.
 
L'imprimerie à l'Ecole prend place dans l'emploi du temps régulier de la classe : tous les jours ou moins souvent même mais à heure fixe, on procède à la lecture des textes libres et à l'impression des rédactions choisies. Puis on tâ­che de faire de ces textes le centre d' ac­tivité de la journée entière par l'exploitation méthodique des centres d'intérêts ainsi révélés, et cela grâce aux outils que nous avons créés : fichier scolaire coopératif, bibliothèque de travail, fichier de calcul etc...
 
Nous savons d'avance, que nous ne réa­lisons pas comme Roger, l'idéal, qu'il se peut que des enfants soient contraints par la règle scolaire à composer et imprimer lorsqu'ils préféreraient faire autre chose, qu'il s'établisse une certaine habitude préjudiciable à l'activité individuelle. C'est un sacrifice que nous croyons nécessaire au régime scolaire auquel nous devons nous soumettre. Mais dans le cadre des programmes et des horaires nous réalisons un progrès indubitable : la pensée enfantine, malgré tout librement exprimée – anime désormais tout notre enseignement. Nous tendons à créer, à l'école, une harmonie et une vie dont la portée pédagogique est considérable.
 
Les instituteurs, les élèves qui ont goûté à cette technique ne sauraient plus se résoudre aux techniques traditionnelles. Ils peuvent avoir des moments de découragement, des envies même de revenir à la routine des manuels. Mais ils sentent vite l'abîme qui sépare la vie nouvelle de l'oppression permanente dont on est sorti.
 
Les éducateurs d'ailleurs qui, constatant les imperfections ‑ que nous connaissons ‑ de cette technique, veulent pousser plus avant n'auront qu'un pas à faire pour réaliser l'école nouvelle que nous rêvons mais dont nous croyons la réalisation impossible dans ce régime.
 
Nous sommes en désaccord également avec Bourguignon pour ce qui concerne les étapes à ménager.
 
Nous avons recommandé nous-mêmes ces étapes ‑ du journal manuscrit et de la lettre, à la polycopie puis à l'imprimerie ‑ mais comme un pis-aller pour les camarades qui, pour l'instant, ne peuvent pas acquérir le matériel d'imprimerie. Mais à tous ceux qui peuvent faire la dépense nous consultons au contraire de venir d'emblée à l'imprimerie.
 
Nous avons à faire d'urgence une course de 200 kilom. : éprouverons-nous le besoin d'essayer les modes divers de locomotion depuis la marche à pied jusqu'à l'auto en passant par le cheval, la carriole et la bicyclette ? Non, nous allons spontanément à l'auto que nous savons le mieux susceptible de nous mener au but avec le plus de sûreté.
 
Pourquoi risquer de décourager l'enfant, comme on l'a fait jusqu'à ce jour ‑ car la correspondance scolaire ne date pas de notre expérience ‑ par des moyens imparfaits, qui ne le satisfont pas pleinement, par des polycopies presque illisibles ou des textes manuscrits gauches et sans charme quand l'imprimerie est là pour transposer sous une forme artistique, claire, précise et définitive la pensée de l'enfant ?
 
Craint-on que celui-ci ne comprenne pas le sens et la valeur de l'imprimerie ? Mais, automatiquement, la pensée est multipliée pour être divulguée ; cette multiplication et cette divulgation sont à elles seules un précieux enrichissement. L'enfant, pourvu qu'on pratique simultanément les échanges que nous avons toujours dit être le complément naturel et indispensable de l'imprimerie, aura souvent l'occasion d'écrire des lettres, de copier et de polycopier textes et dessins et de se rendre compte comment et pour­quoi l'imprimerie est, dans la gamme de ces techniques, à un plan supérieur où les autres ne sauraient atteindre 
 
Nous nous faisions parfois timidement le raisonnement de Bourguignon au temps où nous nous débattions en classe même avec un matériel mal adapté à notre travail et qui ne nous donnait que des résultats imparfaits. Nous nous disions que ces ennuis, ces tâtonnements éduquaient quand même l'enfant en lui faisant comprendre les difficultés du travail et les étapes à franchir pour arriver à la perfection. Mais nous voyions bien aussi que ces ennuis décourageaient l'enfant et lui faisaient préférer des procédés plus imparfaits mais plus faciles ‑ et cela est naturel. Nous aussi nous préférons pour arriver au but une bonne bicyclette qui fonctionne à une auto qui est sans cesse en panne, même si les réparations nécessaires doivent nous familiariser avec les techniques de l'autre.
 
Non, ne craignons pas d'aller d'emblée à un mode d'expression absolument parfait : et il n'y en a qu'un : l'imprimerie.
 
On peut certes, si on le désire, faire ces enquêtes : elles ont été faites bien des fois, et, comme dans le cas de Roger, l'expérience a montré toujours que les enfants aiment l'imprimerie, même si, à certains moments, accidentellement, quelques-uns d'entre eux montrent de la lassitude ‑ phénomène normal que nous devrions respecter comme le fait Roger si les circonstances ne nous contraignaient à une règle plus stricte.
 
Plus l'imprimerie pénétrera la vie scolaire, plus seront intenses les échanges, plus sera complet et perfectionné le matériel, et plus les enfants sentiront la nécessité d'une technique qui a remué un coin de leur être, qui fait appel à des activités, A des motivations qu'on n'avait jamais su susciter.
 
Respecter le droit d'initiative de l'enfant ! On n'y parviendra point en semant sur ses pas de nouvelles difficultés mais en permettant l'épanouissement individuel dans une société rénovée ‑ épanouissement maximum dont l'exemple définitif reste pour nous la classe de Roger. Si vous ne pensez pas pouvoir atteindre jusqu'à cette anarchie (le mot étant pris dans son sens strict et non péjoratif), organisez votre classe avec l'imprimerie et n'attendez pas trop de la combinaison d'anciennes et de vieilles méthodes des satisfactions pédagogiques et du renouveau scolaire.
 
C. FREINET