L'Educateur Prolétarien n°5 - année 1934-1935

Décembre 1934

L'éducateur prolétarien

N°5 : 5 décembre 1934

 

Notre naturisme prolétarien, fonction éducative C.FREINET
Surcharge des classes régression pédagogique C.FREINET
L'affaire Freinet continue C.FREINET
Faut-il procéder par étape ? C.FREINET
Une magistrale réfutation Davau
Notre classification LALLEMAND
Fichier de sciences C.FREINET
Notre fichier scolaire coopératif  
Décès  
Pour des journaux scolaires polycopiés  
Nouveaux adhérents  
Ecole espérantiste d'été : les cours BOURGUIGNON
Phonos et disques  
Faut-il manger cru ? C (E). FREINET
Propos VROCHO

Documentation internationale :
- Une journée à Bolchevo
- La pédagogie soviétique

E.COSTA
Mme LEFEBVRE
Revues, livres, manuels scolaires  

 

FSC 417 : Moyens de transport à traction humaine
FSC 418 : Moyens de transport à traction humaine
FSC 419 : La pêche à la sardine
FSC 410 : Combustion du fer dans l'oxygène

Notre naturisme prolétarien fonction éducative

Décembre 1934

 

L'IMPRIMERIE A L'ÉCOLE
 
Notre naturisme prolétarien fonction éducative
 
 
Nous avons précisé bien des fois que nous ne faisons pas ici de la pédagogie à la petite semaine, nous contentant d'examiner et de résoudre en apparence, dans leur superficialité, les graves problèmes qui se posent à nous. Nous voulons recréer totalement nos théories éducatives et les asseoir sur des bases inébranlables, en remontant à l'origine même des causes que nous jugeons déterminantes, au risque de laisser croire à ceux qui ne comprennent pas encore ce souci essentiel que nous nous occupons de toutes sortes de questions qui débordent les buts pour lesquels nous sommes constitués.
 
C'est ainsi que nous sommes amenés aujourd'hui à justifier à nouveau l'extension prise par notre chronique naturiste, critiquée notamment, par notre camarade Bourguignon qui la trouve trop envahissante et ne l'accepterait dans une certaine mesure que si elle se bornait à l'explication des rapports indubitables entre les soins corporels et le développement de l'esprit, à l'exclusion de foutes considérations et de tous conseils sur l'alimentation, l'hydrothérapie, la gymnastique, etc...
 
Nous aurions, certes, en réponse une justification qui a sa valeur et qui vient aussitôt à l'esprit du responsable de la revue : Jamais, depuis que nous publions l'Educateur Prolétarien, aucune rubrique n'a passionné aussi totalement de si nombreux camarades ; jamais aucun livre lancé, par nous n'avait obtenu ‑ avant même sa rédaction définitive et à la seule annonce - le vingtième des souscriptions reçues à ce jour pour l'édition des Menus naturistes.
 
Il y a là une preuve absolument certaine que notre rubrique répond à un besoin et que, même si elle n'était liée que de loin à nos soucis éducatifs, elle se justifierait tout de même dans une revue coopérative dont le seul souci est de répondre aux besoins de ses adhérents.
 
Mais il y a plus, et nous tenons à le marquer, pour ceux qui se sont engagés avec enthousiasme dans la voie naturiste comme pour ceux qui disent être d'accord avec nous « en principe », mais qui, dans la pratique, persévèrent traditionnellement dans leurs dangereux errements.
 
Il est un fait patent sur lequel nous avons déjà appelé l'attention des éducateurs : notre action pédagogique est partiellement ou totalement impuissante lorsqu'elle s'exerce sur des enfants qui ne sont pas, physiologiquement, en état de faire l'effort que nous leur demandons.
 
L'élève qui a mal dormi dans une chambre à l'air vicié par ses trop nombreux occupants ‑ qui parfois gardent l'unique fenêtre soigneusement fermée à cause du froid, hélas ! ‑ celui qui a avalé trop rapidement une nourriture intoxicante et trop difficile à digérer, qui est excité par une constipation opiniâtre ou l'usage du café, du vin, des sucreries, ne peuvent rien donner de bon au point de vue pédagogique. Ils se fatiguent très rapidement, deviennent apathiques, ou impatients et nerveux.
 
Quiconque les examine alors avec des yeux avertis se rend compte que les trajets nerveux ne jouent plus normalement, gênés dans leur fonctionnement par l'accumulation des toxines. Ils sont lents à comprendre parce que les sensations se transmettent difficilement de la périphérie au centre et que les ordres timidement partis du centre parviennent avec peine aux organes d'exécution. Il arrive parfois même que les sens sont partiellement atrophiés et que le sujet ne réagit que mollement aux excitations extérieures : la pédagogie actuelle traite ces déficients, par les divers procédés sensoriels inventés par des pédagogues de talent, en portant toujours l'accent sur la matière à enseigner, sur les acquisitions et en négligeant presque totalement les aptitudes fonctionnelles des éduqués. Elle impute ensuite les échecs permanents aux défauts et aux déficiences des enfants, à leur paresse, à leur manque d'intelligence, à leur mollesse, à leur instabilité, sans penser que ces tares déterminantes pourraient et devraient être au préalable victorieusement soignées.
 
Nous avons retourné aujourd'hui le problème éducatif : nous ne sommes pas loin de penser que, si nous en avions la liberté dans nos classes mieux vaudrait ne jamais forcer à nos besognes scolaires des enfants qui n'en sentent ni besoin ni nécessité. La vie ‑ hors de l'école, hélas ! - est assez large et assez complexe, et assez riche aussi, pour légitimer et autoriser quelque intérêt spontané sur lequel nous devrions alors nous appuyer.
 
Peine perdue en tous cas que d'essayer d'inculquer des notions scolaires à un enfant qui n'éprouve peut-être aucun désir d'effort intellectuel : on ne parvient qu'à désorganiser l'individu en donnant naissance à de graves névrosés dont les suites sont incommensurables.
 
Laissons les livres et l'étude ‑ si nous le pouvons ! ‑ et soignons ces enfants ; non pas par des procédés chimiques qui stimulent anormalement certaines fonctions au détriment des autres, mais par une désintoxication profonde qui redonne aux différents organes du corps leur jeu normal et naturel, donc subtil et parfait ; adoptons un mode de vie qui réserve au corps tout son élan, et un élan qui s'harmonise totalement avec les forces puissantes de la nature au milieu de laquelle nous vivons.
 
Nous sommes en mesure de prouver maintenant, grâce à des expériences plusieurs fois répétées avec un plein succès, que c'est là une voie autrement sûre et naturelle que les systèmes compliqués des pédagogues modernes.
 
Nous n'essayons pas de modifier a priori l'ordre ou l'intensité des excitations sensorielles externes : par l'exercice bien compris, une hydrothérapie réactionnelle et surtout une alimentation adéquate nous rendons aux divers organes toute leur souplesse originelle. Et, à mesure que nous y parvenons, le corps reprend de la vie dans, son rythme cosmique ; nous voyons renaître merveilleusement les dispositions éducatives que nous recherchions en vain par les voies intellectualistes : les sens s'aiguisent, l'enfant sent, voit, entend ce qu'il n'enregistrait naguère que confusément, il obéit avec précision aux ordres venus de son cerveau ; il devient au plus haut degré vivant et actif, éprouvant enfin ce besoin impérieux du travail et de l'effort ; son esprit à reconquis cette faculté peu commune aujourd'hui de comprendre sans fatigue et de participer merveilleusement à cette acquisition normale et non scolaire ‑ qui fait partie du processus de vie.
 
Parvenu à ce degré, tout enfant est intelligent dans ce sens qu'il est apte à saisir et à créer ; tout enfant est travailleur à condition qu'on ne lui demande pas un effort anormal, arythmique par rapport à son harmonie constitutive.
 
A ce stade alors l'enfant est susceptible de se saisir du monde avec audace et enthousiasme, sans que nous soyons obligés, pour l’y inciter, d'avoir recours à toutes les inventions de la scolastique moderne.
 
Nous sommes tellement sûrs aujourd'hui ‑ et nous citerons sous peu des documents plus précis ‑ de la réalité des faits que nous avançons ici que, dans l'école nouvelle que les événements vont nous contraindre à ouvrir sous peu, nous placerons au tout premier rang de nos préoccupations cette régénération physiologique ‑ plus que physiologique cependant : cosmique et humaine ‑ persuadés que nous sommes qu'on ne peut demander un travail actif, vivant et personnel qu'aux individus qui ont suffisamment d'élan vital pour réaliser virilement leur destinée.
 
A ces enfants ainsi régénérés humainement, nous offrirons alors un milieu social pleinement éducatif et la possibilité, par ce qu'on appelle l'école et que nous voudrions baptiser d'un nom tout à la fois plus technique et plus vaste, de se saisir au maximum, grâce aux outils divers que nous mettons à sa disposition, du monde qu'ils sont appelés à maîtriser et à transformer.
 
Oui, dira-t-on, mais dans nos classes pouvons-nous entreprendre semblable renversement des valeurs et de leurs considérants ?
 
Nous le pouvons certainement à condition d'avoir nous-même fait loyalement l'expérience pour donner au mot santé un sens autrement vaste et puissant et pour envisager avec d'autres, éléments ce que devrait être notre effort scolaire.
 
Nous disons que tout instituteur pourrait et devrait acquérir cette nouvelle conception matérialiste de l'éducation.
 
Mais la première des conditions c'est de devenir naturistes nous-mêmes, de nous désintoxiquer, au propre d'abord, au figuré ensuite ; d'acquérir cette philosophie nouvelle qui enlève à l'intellectualité son anormale suprématie pour glorifier le respect quasi religieux de l'harmonie naturelle. Et cette harmonie naturelle exclut l'impatience devant les événements, la colère devant l'impuissance à dominer les faits ; elle exclut même l'entêtement et l'erreur, et cette hypocrisie et cet égoïsme qui sont les pivots de notre société d'exploitation. Par la régénération que nous recommandons, et vers, laquelle vous pouvez tous tendre effectivement, vous marcherez vers la « sagesse » ; non pas une sagesse sceptique et rébarbative, mais vers la sagesse naturelle de l'homme qui se sait, qui se veut élément actif d'un cosmos qu'il n'essaiera plus de dominer prétentieusement.
 
A mesure que vous approcherez de cette sagesse que nous appellerions organique pour bien montrer que quiconque s'y passionne peut l'atteindre, vous serez transformés dans votre classe. Vous verrez vos enfants avec d'autres yeux : vous prendrez l’habitude d'interpréter sur la plan matérialiste l'énervement de l'un, la paresse de l'autre, les vices anormaux de tels déficients. Vous n'essaierez plus de lutter par le prêche ou par une instruction sans vigueur contre ces déficients et vous serez avec les enfants d'une extraordinaire indulgence : mieux, vous aurez de la pitié souvent pour ces pauvres êtres qui, vous le sentirez alors, auraient avant tout besoin d'air, d'alimentation vitaminée, d'exercices et d'harmonie et à qui vous êtes contraints d'imposer ces ersatz d'humanité : vos leçons, vos formules et votre barbare discipline.
 
Vous vous tournerez alors, non plus dogmatiquement mais avec tout votre être vers le régime, vers les maîtres du régime qui soumettent des générations sacrifiées à un mode de vie ‑ une alimentation, un logement, un travail ‑ qui sont absolument contraires à ce que vous savez être les conditions indispensables du renouveau pédagogique ; vous cesserez d'user vos nerfs au spectacle lamentable de vos échecs ; vous lutterez en toute conscience pour l'avènement d'un ordre social susceptible de donner à nos efforts éducatifs les assises profondes et stables, conformes à notre philosophie nouvelle.
 
Voilà pourquoi nous accordons une aussi primordiale importance à notre chronique de naturisme prolétarien.
 
Il ne s'agit pas seulement pour nous d'aider un tel à guérir sa maladie de foie et tel autre sa tuberculose, mais de montrer la voie nouvelle vers une conception profondément matérialiste de la vie.
 
Et c'est en ce sens surtout que notre naturisme prolétarien diffère du naturisme à la mode, thérapeutique moderne pour la reconquête égoïste de la santé. Nous voudrions faire comprendre aux éducateurs d'abord, aux élèves et aux parents d'élèves ensuite, comment, physiologiquement bien plus qu'idéologiquement, s'opère l'asservissement capitaliste et pourquoi il est urgent de réagir contre cette intoxication générale qui produit, dès le plus jeune âge, une sorte d'anéantissement des forces vitales, l'annihilation des facultés de réaction qui sont le propre des générations viriles et neuves.
 
Montrer le mal véritable, ses origines profondes et ses conséquences d'autre part indiquer la voie sûre de salut ; préciser enfin les obstacles qui s'opposent à notre triomphe afin que nous n’usions plus inutilement nos forces à lutter contre des ennemis apparents lorsqu'il est urgent de tendre toute sa volonté pour lutter contre les véritables responsables du désordre actuel : le capitalisme hypertrophié et sa forme aiguë, le fascisme.
 
C. FREINET.
 

 

 

Surcharge des classes régression pédagogique

Décembre 1934

 

Surcharge des classes
régression pédagogique
________________
 
Surcharge des classes régression péclag.
Nous avons, dans différents articles, montré que la surcharge croissante des effectifs était une des formes les plus dangereuses de l'accentuation de l'exploitation capitaliste.
 
Le Syndicat de l'Enseignement du Nord s'est particulièrement intéressé à cette question si urgente et vitale dans ces régions essentiellement ouvrières.
 
Dans le département du Nord, il y avait encore au ler janvier 1934, 747 classes surchargées se répartissant ainsi:
 
598 classes de 50 à 59 élèves
111 classes de 60 à 69 élèves
29 classes de 70 à 79 élèves
2 classes de 80 à 89 élèves
4 classes de 90 à 99 élèves
et 3 classes de plus de 100 élèves
 
Nous estimons cette statistique particulièrement suggestive. Nous demandons seulement aux militants de l'enseignement de s'appliquer tout spécialement à faire comprendre aux parents que tout travail intelligent est impossible dans ces classes et qu'aucune amélioration d'aucune sorte n'est possible sans la décharge préalable de ces classes.
 
C. F.
 

 

 

L'Affaire Freinet continue

Décembre 1934

L'Affaire Freinet continue

 
Il faut croire que notre travail pédagogique ‑ puisqu'il constitue, et on le conçoit, l'essentielle préoccupation de ma vie ‑ empêche de dormir certains réactionnaires.
 
Au cours de mon affaire à Saint-Paul, nos ennemis affirmaient hypocritement qu'ils ne demandaient qu'une chose : mon départ de Saint-Paul. J'ai quitté Saint-Paul, je ne bolchevise plus la jeu­nesse puisque je suis en congé. Cela ne suffit pas, et cela montre la vérité de ce que j'affirme d'autre part que l'atta­que contre l'Imprimerie à l'Ecole, là où elle se produit, n'est qu'une manœuvre hypocrite masquant mal des desseins d'une autre ampleur réactionnaire.
 
Avec une impudeur peu commune, s'appuyant sur une documentation erronée, un député qui se disait défenseur des fonctionnaires et des anciens combattants, élu d'ailleurs grâce à ses millions, a sommé le Ministre de supprimer le traitement de congé de Freinet et de sa femme. Bien que je n'assiste jamais, ni comme orateur ni même comme participant à aucune réunion politique, je fais, paraît-il, une propagande communiste effrénée et je menace les gouvernements.
 
Le Ministre a promis de passer outre aux décisions de la Commission de réforme et d'étudier la possibilité de ne pas me renouveler le congé.
 
A l'heure actuelle, aucune décision définitive n'a encore été prise. Mais nous ne doutons pas qu'entre récupérer quelques millions chez le capitaliste Fayssat ou quelques milles francs chez l'éducateur mutilé Freinet, le choix ne soit fait d'avance.
 
Nous avons répondu comme il convient à Fayssat et au Ministre. Nous ne croyons pas nécessaire de reproduire ici ces documents. Nous les tenons à la dis­position des camarades qui désireraient les posséder pour une action à mener.
                                                   C. F.

 

 

Faut-il procéder par étapes pour l'introduction de l'imprimerie dans nos classes

Décembre 1934

Notre Pédagogie Coopérative

 
Faut-il procéder par étapes
pour l'introduction de l'imprimerie
dans nos classes
 
Nous avons fait, dans notre précédent numéro, une réponse pour ainsi dire pédagogique à cette question. Nous avons noté ensuite, comment, par suite d'un malentendu, la question avait été mal posée par notre camarade Bourguignon.
Voilà donc le problème nouveau : un instituteur est nommé dans un poste. Peut-il, doit-il introduire d'emblée nos nouvelles techniques ou, au contraire, ménager d'habiles transitions, commander immédiatement l'imprimerie ou commencer par une timide initiation à la rédaction libre ou la Polycopie d'un journal scolaire.
Qu'on ne nous croie pas aveuglés par notre technique et rigides dans nos principes. Nous savons trop la nécessité de ménager dans les villages de nombreuses susceptibilités, d'éviter les attaques hypocrites plus dangereuses que jamais.
Oui, nous recommandons, nous aussi, la prudence : il appartient à l'instituteur de tâter le pouls de la population, d'examiner l'état de la classe et de prendre les mesures qui s'imposent. Il peut être dangereux de tout vouloir révolutionner d'emblée, de supprimer les manuels, de ne plus faire apprendre de leçons, de ne plus donner de devoirs du soir. Nous avons connu cela.
Mais il faut cependant aussi éviter l'excès contraire : nos techniques intéressent profondément l'enfant ; les parents chercheront les raisons de ce renouveau d'intérêt et seront favorables aux techniques qui les font naître. L'imprimerie, elle-même est souvent fort bien accueillie pour peu que l'ambiance y soit propice et que l'inspecteur en tournée veuille bien, comme cela arrivé fréquemment aujourd'hui, féliciter le maître qui prend ces initiatives hardies.
Il ne faudrait pas que l'exemple de quelques camarades imprimeurs brimés fasse s'accréditer l'opinion que l'imprimerie à l'école suscite des histoires et des ennuis aux maîtres qui la pratiquent. Cela est totalement faux : pour deux ou trois instituteurs tracassés, nous pourrions en citer des centaines aujourd'hui à qui l'imprimerie n'a apporté qu'intérêt et réconfort.
Car ne nous y trompons pas ce n'est pour ainsi dire dans aucun cas parce que l'instituteur fait imprimer ses élèves qu'il est brimé : des parents, des inspecteurs parfois veulent se débarrasser de lui pour des raisons extérieures à la classe : ils s'attaquent certes au côté le plus vulnérable. Mais soyez certain que, s'il n'y avait pas l'imprimerie, on découvrirait bien quelque affaire de gifle, ou de coup de règle, ou de leçon de morale scabreuse, si ce n'est pas une accusation d'attentat à la pudeur.
Ce que nous pouvons affirmer à tous ces jeunes camarades qui pratiquent l'imprimerie ou qui s'apprêtent à nous rejoindre, c'est que nos techniques ont subi aujourd'hui victorieusement l'épreuve de la critique publique et administrative : l'affaire Freinet avait attiré, sur l'imprimerie à l'école l'attention du grand publie, un ministre avait ordonné des enquêtes, quelques petites haines se sont essayées sournoisement à nous combattre. On n'a rien pu dire contre nous qui soit de nature à susciter la méfiance.
Au contraire : plus que jamais, les chefs nous sont sympathiques, presque tous acceptent l'imprimerie, plusieurs d'entre eux la vantent dans leurs rapports ; quelques-uns la recommandent publiquement.
Le résultat patent est là : notre technique a vraiment conquis son droit de cité dans l'effort scolaire français. Ce n'est plus aujourd'hui une expérience ; c'est une réalisation définitive qui est en train de gagner la masse active du personnel.
Aussi disons-nous à nos camarades si, pour des raisons extérieures à l'influence de nos techniques, vous craignez des attaques des ennemis de l'école,soyez prudents ; changez graduellement vos techniques, modifiez lentement l'esprit de vos élèves et celui de leurs parents ; pratiquez la rédaction libre, puis l'échange interscolaire, puis la rédaction d'un journal polycopié.
Mais, sauf dans les cas rares où se légitime cette extrême réserve, adoptez délibérément nos techniques, orientez-vous vers l'école sans manuel scolaire, introduisez les fiches, l'imprimerie, le travail vivant. Vous régénérerez l'école et cela vous vaudra le maximum de sympathie. Nous avons dit de plus que nos techniques n'excluaient pas la préparation aux divers examens ; nous avons même publié une statistique tendant à montrer que les élèves formés dans les écoles travaillant à l'imprimerie savaient en grand nombre conquérir les meilleures places. L'exemple de Roger est là.
Le jour où les enfants aimeront votre école parce qu'ils aiment le travail nouveau auquel vous les avez entraînés, et que vous aurez en fin d'année une heureuse série de réussites aux examens, vous aurez considérablement raffermi votre situation.
Ce qui ne signifie point, Bourguignon, que vous soyez à l'abri de toutes surprises. Mais les surprises viendront aussi bien si on a suivi sagement la routine pédagogique. Elles sont le lot de tous les militants, dans quelques domaines que s'exerce leur action virile, de tous ceux qui dérangent des situations, troublent des appétits, agitent le flambeau de l'idéal aux yeux des profiteurs du régime. Nous sommes fiers de compter parmi nous une bonne proportion de ces « hommes », même si cela nous vaut quelque méfiance de la part des timides et les coups détournés de nos éternels ennemis.
Parodiant le mot d'un, penseur, nous pourrions dire nous aussi : ce n'est pas avec des hommes à genoux qu'on met debout une technique nouvelle prolétarienne.
 
C. FREINET.
 
 
 

 

Une magistrale réfutation

Décembre 1934

Une magistrale réfutation

 
Mon cher Freinet,
 
Il m'est parfois arrivé, au cours de conversations avec des collègues auxquels je vantais l'Imprimerie à l'Ecole, de m'entendre dire : « Vous avez en somme imposé un travail supplémentaire à vos élèves : ils ont l'air de l'accomplir de bonne grâce, mais n'est-ce point pour vous faire plaisir ? Et, si vous quittiez Nouans, ils seraient peut-être contents d'en être débarrassés... » Sur le premier point, je répondais que l'Imprimerie n'était pas un travail supplémentaire, mais une autre façon de travailler. Quant au deuxième point, sait-on jamais !... La plupart du temps, mes élèves de Nouans imprimaient avec enthousiasme, mais il y avait bien des périodes de relâche. Aucune relâche, certes, dans le plaisir d'écrire (les textes m'arrivaient toujours aussi abondants et aussi copieux), mais du laisser-aller dans le travail d'impression, dans le reclassement des caractères, dans l'entretien du matériel. Et parfois, je me demandais avec angoisse si, moi parti, on ne laisserait pas de côté l'imprimerie avec le plus grand des plaisirs... Je sais bien que les plus jeunes élèves (ceux qui, chaque année, arrivaient de la 2e classe) adoraient l'imprimerie, qu'ils y sacrifiaient au besoin leurs récréation, qu'ils arrivaient le matin dès 7 h. 30 pour pouvoir faire une ligne supplémentaire. Mais l'année suivante, ils étaient déjà moins enthousiastes et l'année du C.E.P. ils se débrouillaient pour esquiver leur ligne une fois sur deux. Alors ?
 
Eh bien ! j'ai reçu à Amboise la lettre ci-dessous, qui émane d'un de mes anciens élèves de Nouans (12 ans), et qui n'a certainement été inspirée, par personne :
« Nouans, le 4 novembre 1934.
« Cher maître,
 
« J'ai été bien content d'apprendre mon abonnement à la « Gerbe » en récompense de mes deux cahiers de textes libres envoyés à M. Freinet. Aussi je ne saurai pas comment vous remercier de tout le mal que vous vous êtes donné pour moi et pour nous tous. Je regrette beaucoup votre départ et je pense souvent à notre imprimerie, à nos fêtes d'hiver et aussi à notre voyage à Royan. Nous aurions bien voulu que vous auriez (sic) encore resté à Nouans. Mes parents vous adressent leurs sentiments dévoués. J'envoie à Mme Davau mes bons souvenirs. A Michel et à Claude aussi, Et pour vous mes sincères remerciements et mes plus vifs regrets.
 
« André Couturier.
 
« P.S. - Le nouveau maître a longtemps regardé nos échos de « La Ruche ». Et il nous a dit hier qu'on referait peut-être de l'imprimerie bientôt. Ça fait qu'on est un peu plus content aujourd'hui. Si on imprime, on vous enverra nos journaux. »
 
Le nouveau maître en question (mon successeur) m'a dit en effet que les enfants semblaient navrés de ne plus imprimer. Cela me réjouit, et ne vous laissera certainement pas indifférent. C'est pourquoi j'ai pris la peine de vous signaler le fait.
 
Bien fraternellement.             DAVAU.