L'Educateur Prolétarien n°12 - année 1934-1935

Avril 1935
L'éducateur prolétarien
N°12 : 10 avril 1935
 
Dernier discours à des parents C.FREINET
Offre d'emploi  
Informations diverses  
L'imprimerie à l'école de Guignonville (Loiret) NEVEU
L'imprimerie à l'école en Espagne PAGES
Nous ne concurrençons personne C.FREINET
Une technique par l'enseignement du calcul à l'école primaire C.FREINET
Petits Trucs Cinématographique MAGNENOT
Les Disques C.E.L. pour l'étude des chants scolaires PAGES
Menus de transition du carnivorisme au fruitarisme E.FREINET
Documentation internationale :
- La littérature enfantine en U.R.S.S.
E.WINTER
Revues, journaux, livres  
 
FSC 445 : Le "Normandie"
FSC 446 : Les tunnels
FSC 447 : Le ventre de Paris
FSC 448 : Un sacrifice antique

 

 

Dernier discours à des Parents sur l’Education nouvelle prolétarienne

Avril 1935

L’IMPRIMERIE A L’ECOLE

 
Dernier discours à des Parents
sur l’Education nouvelle prolétarienne
 
On nous accuse parfois d’être, à l’excès, pessimiste, et de charger l’école traditionnelle de méfaits imaginaires. La preuve, nous dit-on, que cette école répond mieux que vous ne le prétendez aux besoins individuels et sociaux, c’est que les personnalités puissantes, douées de grandes possibilités, arrivent tout de même à percer. Et on nous cite des noms.
 
Nous ne nions pas que l’école populaire actuelle réponde dans une certaine mesure aux besoins et aux buts de la société qui l’a créée et qui la conditionne et que, en jouant des coudes, les plus débrouillards ne parviennent à conquérir une place dans la hiérarchie des exploiteurs et des parasites. Ce serait plutôt ce que nous lui reprocherions : d’être trop bien adaptée - j’allais écrire : asservie - à une conception sociale que nous condamnons, qui se condamne elle-même par le gâchis sans précédent où elle se débat désespérément.
 
L’ancienne école est bien, en effet, à l’image du capitalisme petit-bourgeois : chacun pour soi - cache ton devoir pour que le voisin ne puisse pas copier - ne souffle pas la leçon - tâche d’arriver premier, de gagner des bons-points ou des croix d’honneur – débrouille-toi, réussis aux examens, en fraudant si tu le peux conquiers une situation, monte, enrichis-toi !... Tant pis pour les autres Rien n’est plus déplorable qu’une telle éducation, tant au point de vue des buts de mercantilisme individualistes qu’elle se propose, que par la « méthode » qu’elle suppose et qui place l’éducateur au milieu d’individualités en compétition perpétuelle, mues par une opposition profonde qui rend stériles tous les efforts d’harmonisation et de travail communautaire. Il n’y a pas une unité, une âme, une volonté naturelle de collaboration. L’ordre lui-même ne peut être maintenu que par une discipline autoritaire renforcée. Tout comme dans notre régime capitaliste qui se désagrégerait et se disloquerait sans la protection symbolique du gendarme.
 
Nous voulons, nous, que l’école soit d’abord collaboration et effort commun. Et nous ne nous sommes pas contentés de prêcher cette conversion : Par nos innovations, par notre matériel, par notre technique de travail nous avons rendu possible et nécessaire cette conception nouvelle de la vie scolaire.
 
L’Imprimerie à l’Ecole a été, encore une fois, à l’origine et au centre de cette innovation.
 
Le matériel d’abord, commun à toute la classe nécessite la naissance d’un esprit collectiviste. Le sabotage, conscient ou non, d’une pièce, est supporté par l’ensemble des élèves. Et c’est parce que, instinctivement, les enfants sentent ici les rapports intimes entre individus et travail commun qu’il n’y a jamais, pratiquement, de sabotage mais que s’amorce au contraire le dévouement de tous à l’œuvre commune.
 
Le travail ensuite de l’imprimerie est avant tout un travail collectif.
 
Des instituteurs nous ont dit parfois : Mais il faudrait que chaque élève ait son imprimerie, qu’il puisse composer et imprimer sa feuille.
 
C’est justement ce que nous n’accepterions à aucun prix. Il est nécessaire, au contraire, que le travail de chaque individu se fonde totalement dans l’œuvre commune, que la faute ou la malfaçon de l’un des ouvriers soit sentie par tous, que le désir de réalisation constitue tout à la fois un puissant stimulant vital et un élément précieux de discipline naturelle.
 
Témoins et bénéficiaires des avantages incontestables de cette socialisation par l’Imprimerie à l’Ecole, nous avons, le plus possible, généralisé dans nos classes ces pratiques de coopération. Nous avons supprimé les manuels scolaires, ces livres dont chaque enfant dans la classe possède un exemplaire identique. Comme ces quarante paysans d’un village qui ont chacun la même petite charrue, dont ils ne se servent que quelques jours par an, traînée par d’identiques et familiales paires de bœufs qu’il faut soigner toute l’année pour les utiliser un mois au temps des semailles.
 
Si ces quarante paysans mettaient en commun leur matériel de travail, ils pourraient, soit acheter en commun des outils perfectionnés, soit réduire au moins le nombre d’attelages afin d’acquérir d’autres outils qu’ils ne peuvent posséder aujourd’hui individuellement.
 
C’est ce regroupement collectiviste que nous avons réalisé dans nos classes : Au lieu de faire acheter à nos quarante élèves, quarante livres de lecture tous semblables, 40 histoires, 40 géographies, nous avons acheté pour la même somme un exemplaire de tous les livres intéressants que nous avons trouvés. Notre Coopérative C.E.L. a d’ailleurs entrepris l’édition de brochures adaptées justement à ce que nous appelons désormais notre Bibliothèque de Travail, et où peuvent puiser librement tous les enfants - richesse commune obtenue seulement par un meilleur aménagement de notre matériel, par une collectivisation des outils de recherche et d’étude.
 
L’enfant avait autrefois ses images, ses journaux, qu’il utilisait parfois comme moyens d’échanges pour ses premières opérations mercantiles. Nous avons créé un Fichier Scolaire Coopératif qui est comme l’encyclopédie vivante de la classe, à laquelle chacun a collaboré. Outre des fiches types que notre Coopérative a éditées, nous collons sur des cartons de format standard tous les documents que les enfants apportent en classe ou reçoivent par échanges : cartes postales, pages illustrées de journaux ou revues, etc... - documents qui sont ensuite utilisés librement par les élèves propriété commune au sein de la communauté. Le bien commun se fond ici aussi dans la propriété collective des instruments de travail.
 
Nous avons un phono et des disques, un appareil de projection et des films, un appareil de radio, tous articles collectifs également, au service de tous.
 
Et non seulement cette propriété collective est bien accueillie par les enfants, mais spontanément alors naît une forme nouvelle de la discipline pour la défense et la sauvegarde de ces outils communs, pour l’organisation nécessaire du travail coopératif.
 
Ce n’est plus l’instituteur qui règle la vie et le travail; ce sont les enfants eux-mêmes. Ils se constituent en coopérative dont ils assurent tous les services et qui régissent effectivement toute la vie de l’école - coopératives qui n’ont de commun que le nom avec ces sociétés que certains instituteurs créent de leur propre initiative pour faire payer aux enfants, donc aux familles, les dépenses accessoires que la Commune ou l’État ne veulent pas engager - coopératives nées du puissant besoin de collaboration des enfants, de leur désir de se libérer de l’emprise des adultes, d’organiser leur vie et leur travail dans le sens de l’éducation nouvelle prolétarienne.
 
La conséquence naturelle aussi de ce nouvel état de faits, c’est que le maître ne commande plus ; il est le collaborateur aimé et écouté, l’âme de la communauté, le ferment du nouveau progrès scolaire et social. Plus de leçons qu’on apprend par cœur et qu’on récite en trichant pour esquiver les punitions, mais du travail effectif, des lectures, des recherches, des expériences, des discussions qui forment vraiment les personnalités. Plus de punitions, mais la sanction naturelle et décisive du groupe qui veut vivre et prospérer.
 
Tout cela ne va pas sans heurts; et il se peut que vous en ayez des échos. Nous vous demandons d’oublier aussi les principes éducatifs dont vous avez souffert - ou plutôt de vous rappeler tout ce que l’ancienne école, l’ancienne discipline avaient mis en vous de passivité et de doute et de faire confiance aux forces jeunes. Certes, lorsque tout, autour de soi, est mercantilisme, compétition individualiste et exploitation, il est difficile de dresser ainsi à l’école l’îlot d’une coopération, embryon de la société future dont nous sommes fiers de jeter les bases.
 
Mais nous ne le pouvons que si vous nous y aidez, si vous fermez les oreilles aux discours intéressés qui voudraient vous persuader que les enfants ne sont pas des êtres raisonnables, qu’ils ont besoin, pour se préparer à la vie, d’être dressés et commandés. Si vous acceptez que vos enfants soient asservis aux forces mauvaises qui vous dominent, oui. Mais si vous rêvez pour eux d’une société fraternelle que nous avons le droit d’entrevoir et d’espérer, il ne faut pas craindre d’habituer au travail coopératif et créateur, à la discipline libérale et consentie, ceux qui doivent bâtir sur de nouvelles bases le monde des travailleurs.
 
Un doute naît en vous.
 
Nous avons beaucoup parlé d’activité, de vie, de dévouement à la collectivité. Vous voudriez bien avoir l’assurance que, par l’école, vos enfants pourront plus facilement se créer une situation digne. Et ce souci est légitime.
 
Nous pouvons vous assurer d’abord, et nous serions en mesure d’en faire la démonstration, que les élèves travaillant selon nos techniques acquièrent au moins autant de connaissances, sinon plus, que ceux qui sont soumis aux anciennes méthodes. La raison en est simple d’ailleurs, et vous en êtes bien souvent témoins dans vos familles. Votre enfant ne sait pas résoudre un problème simple parce qu’il n’est pour lui qu’un devoir sans intérêt et sans but. Mais, pour réparer la bicyclette qui lui permettra de bondir jusqu’à la ferme voisine, il sera capable de résoudre pratiquement des problèmes autrement ardus. Nous disons que, dans ce cas, son effort est motivé, que l’acquisition répond à un besoin fonctionnel de l’individu.
 
Nous avons ainsi motivé tout notre travail scolaire. Et là réside le secret du fort rendement que, sans obligation stricte, permettent nos techniques.
 
La preuve en est dans le nombre impressionnant de succès aux examens enregistrés par les écoles de notre groupe.
 
Il y a deux ans, une petite enquête, portant sur 24 écoles de notre groupe préparant au Certificat d’Etudes, a donné les indications suivantes :
 
            Ces 24 écoles ont présenté 96 élèves.
                          Ont été reçus .... 92 élèves, soit une proportion de 95%
avec mention Très Bien ou Bien 24 élèves, soit une proportion de 25 %
 
Ces indications vous sont données non pas pour vous montrer notre technique comme un moyen idéal pour réussir aux examens, mais pour bien préciser que nos élèves entraînés au travail et à l’effort intelligents, passionnés par la recherche et l’étude, triomphent même là où le bourrage exténuant est maître. Cela ne doit pas nous empêcher de dénoncer les méfaits pédagogiques des examens en général et du certificat d’études en particulier, de ce certificat qui signifiait peut-être quelque chose il y a trente ans et qui n’est plus aujourd’hui qu’une vaine gloriole, sans portée d’aucune sorte dans une période où les brevets et diplômes les plus difficiles à acquérir n’empêchent pas leurs titulaires d’être sans travail, à la charge de leurs parents.
 
Préférez toujours à la préparation et aux succès aux examens la formation véritable dont nous vous avons indiqué les lignes directrices. Vos enfants auront le temps dans leur adolescence. et dans leur âge mûr d’acquérir les connaissances que la science actuelle offre aux esprits curieux. Encore Faut-il qu’ils aient gardé intacte cette curiosité, qu’ils affrontent la vie avec leur intrépidité invincible, avec leur soif de justice et d’idéal, avec aussi une pratique sûre des techniques de travail qui leur permettront de s’instruire et de s’élever.
 
Annihiler, sous prétexte d’instruction prématurée, ces forces vitales sans lesquelles il ne saurait y avoir de véritable éducation, c’est le plus grand crime qu’on commette contre l’enfance et le progrès. Aidez-nous dans notre effort seul fécond du triomphe de l’école, du triomphe de la jeunesse et de la vie.
 
Au terme de ces discours, j’ai conscience de l’insuffisance de mon verbe. Que l’expérience, du moins, vous soit comme à nous un guide et un réconfort.
 
Lorsque vous voyez vos enfants tristes et maussades à la maison et dans la rue, vous sentez bien vite que quelque chose ne va pas et vous craignez pour leur santé, car vous savez malgré tout avec quelle exubérance se traduit le besoin de vie des jeunes êtres. Et quand ces mêmes enfants sont maussades et tristes en classe, vous en seriez satisfaits ? Quand vous les voyez s’épuiser à des besognes passives et mortes, vous accepteriez cette mutilation intellectuelle, ce refoulement de tant de velléités et de tant de rêves !
 
On vous a habitués, hélas ! à l’usine et aux champs au travail exténuant sous la surveillance jalouse de patrons ou de contremaîtres. Et votre effort est toujours une souffrance.
 
Les revues nous montrent régulièrement les faces épanouies des travailleurs soviétiques maîtres de leurs destinées ; l’activité, l’enthousiasme, la divine création de la jeunesse prolétarienne en U.R.S.S. sont le signe royal d’une pédagogie qui, là-bas, œuvre dans le sens puissant des lignes de vie.
 
En attendant que s’éclaire ici aussi notre horizon, aidez et soutenez les éducateurs qui font aimer l’école et le travail à vos enfants, qui stimulent l’effort naturel dont ils ne sont jamais avares, qui les arment pour la lutte et la conquête. Si des inspecteurs s’inquiètent, si des réactionnaires hurlent, serrez-vous toujours plus sympathiquement auprès de ceux qui oeuvrent pour la libération intellectuelle, morale et matérielle de vos enfants.
 
Vous comprendrez alors l’émotion qui perce dans cette lettre que P.Brien, professeur à Bruxelles, écrivait tout récemment à un de nos adhérents : « Laissez-moi vous dire que je tire orgueil de votre oeuvre pédagogique vraiment belle, des talents que vous mettez à respecter et à favoriser l’éclosion de l’âme de l’enfant en toute sa fraîcheur, sa spontanéité et sa beauté. »
 
C.FREINET.