1936, 1966 et 2016

Pourquoi ces dates ?
C'est simple : l'année 2016 verra les 80 ans de la victoire électorale du Front populaire (le 3 mai 1936) et le cinquantenaire de la mort de Célestin Freinet (le 8 octobre 1966).
Je souhaite donc rendre hommage à Célestin Freinet en m'arrêtant sur ses écrits en lien avec cette période particulière du Front populaire (1935-1938). Dès 1935, on y perçoit les espoirs de changement avec l'alliance politique du Front populaire en cours (Parti Socialiste, Parti Communiste et Parti Radical-socialiste) .

Tout au long de l'année 2015/2016, je proposerai  sur ce blog à la lecture quelques textes de Freinet.

Un deuxième tome complète ce livre

 

Pourquoi défendre la pédagogie nouvelle prolétarienne, 25 février 1935

Une certitude pour Freinet, l'école  ne pourra changer qu'avec le soutien des parents prolétariens. Il est donc essentiel de leur ouvrir les yeux, d'expliquer les rouages de l'école capitaliste afin d'agir dès maintenant sans attendre le grand soir pour ne pas laisser les enfants la subir au quotidien.

Il fera plusieurs appels au parents prolétariens.

« Camarades ouvriers et paysans, on vous demande souvent de défendre l'Ecole.

Mais quelle école ?

Celle que les meilleurs d'entre nous accusent de servir hypocritement le régime d'exploitation contre lequel vous vous dressez, celle qui ne serait qu'un rouage de la grande machine d'asservissement capitaliste ?

Et quelles raisons avez-vous alors de défendre cette école ?

La condamner en bloc et irrévocablement pour attendre patiemment la révolution et, pendant ce temps, laisser les jeunes générations entre les griffes tenaces de la réaction ?

Agir dès maintenant, mais en quel sens ?

Nous sommes en France de nombreux éducateurs d’avant-garde qui essayons de tirer du présent le maximum d'avantages pour le progrès socialiste, qui jetons, au sein même de cette école capitaliste dont nous dénonçons obstinément les tares, les fondements inébranlables de votre école prolétarienne.

On m'a demandé instamment de préciser ici, d'une part, les griefs que nous faisons à l'école capitaliste ; de montrer, d'autre part, dans quelle mesure et comment nous pouvons, dès aujourd'hui, oeuvrer modestement mais hardiment dans le sens du progrès et de l'avenir.

Dans aucune branche d'activité humaine, la domination capitaliste n'est aussi bien camouflée que dans l'asservissement de tout le processus scolaire. A tel point que de nombreux éducateurs, militants clairvoyants et dévoués de la classe ouvrière, continuent servilement à l’école une besogne obscurantiste dont ils ne comprennent point encore les dangers. Et c'est cet aveuglement quasi général qui complique étrangement notre tâche.

Ah ! certes, tant d'hommes éminents ont élaboré les idées qu’on nous inculque à l’école ; tant de penseurs, tant de philosophes renommés ont écrit les livres précieux qu’on nous impose, tant de vénérables législateurs ont fixé les cadres dans lesquels doivent évoluer les universels principes éducatifs !

Et nous sommes quasi seuls à opposer un clair bon sens aux grands mots de la scolastique, à ses formules débordantes d’idéalisme et de spiritualité. L'instituteur, le professeur, élevés dans le culte et l'admiration de cette culture, en restent éblouis et déformés. Le pauvre travailleur lui-même, ancre à la terre et au labeur par sa condition et sa destinée, et qui ne peut s’élever à cette hauteur de pensée formelle, éprouve une sorte de béate et traditionnelle vénération devant les grands hommes Pères de ces grands principes. On a changé nos dieux, pense-t-il. Et il redoute, et il adore, et il courbe la tête. Les Intellectuels satisfaits gonflent leur orgueil et, derrière la coulisse, le capitaliste sourit de la candeur des uns, de la présomptueuse suffisance des autres, et renforce d'autant son exploitation.

N’en déplaise à tous les philosophes et à tous les théoriciens, grands ou petits, nous ne les suivrons pas dans leurs spéculations. Nous ramènerons le problème sur le terrain du bon sens et de la raison matérialiste ; nous tâcherons surtout de voir clairement les voies futures où pourront s'engager les activités prolétariennes. »

Célestin Freinet

Texte dans son intégralité
 

Surveillez avant tout la santé et la vie de vos enfants, 10 mars 1935

Un appel à vigilance des parents et à soutien des pratiques de libération scolaire.

 « Surveillez avant tout la santé et la vie de vos enfants, car d’elles dépendent, quelles que soient par ailleurs les circonstances accessoires, les progrès intellectuels, moraux et scolaires dont vous vous préoccupez à juste titres.
Nous disons bien santé et vie pour attirer votre attention sur une conception erronée et souvent courante de la santé. […] La santé est une harmonie à la conquête difficile ; elle est en danger toutes les fois que vous constatez en vos enfants une altération de ses grandes fonctions vitales, qu’elles soient diminution ou atténuation de ses réactions, ou, au contraire, excitation et déséquilibre.
L’École s’en soucie fort peu, direz-vous.
– Exigez de l’air, de la lumière, de la propreté en classe ; faites désaffecter les vieux locaux sombres et exigus ; exigez la construction d’écoles spacieuses et claires.
– Protestez contre le surmenage des éducateurs débordés par une surcharge scandaleuse des classes ; protestez contre les habitudes d’une administration qui parque les enfants pendant six heures par jour, entre des bancs incommodes, véritables instruments de torture ; soutenez les tentatives de libération scolaire dont nous nous vous parlerons.
– A vos enfants exténués par les efforts scolaires, donnez au moins, en dehors des heures obligatoires de travail passif, la possibilité de s’épanouir selon leurs lignes de vie. Six heures par jour – si elles étaient rationnellement employées – seraient largement suffisantes pour les acquisitions indispensables.
Quoi qu’il en soit, pour la besogne de bourrage actuellement poursuivie, les heures de classes suffisent amplement.
Élevez-vous donc contre la pratique barbare des devoirs à la maison, et exigez l’organisation collective et sociale des jeux et du travail libre enfantins hors l’école.
– N’oubliez pas, enfin, qu’il n’y a pas de pire handicap pour des enfants que la misère physiologique. En réclamant pour vos salaires, en luttant pour le travail et le pain, vous luttez pour une meilleure éducation de vos enfants ; car un régime qui attente aussi gravement que le régime actuel à votre niveau de vie, atteint encore plus profondément vos enfants dans leurs possibilités éducatives, quelles que soient les apparentes sollicitudes, foncièrement hypocrites, par lesquelles on tente de masquer ce crime social.
Ne séparez donc pas, dans votre lutte quotidienne, des revendications qui sont aussi intimement liées : il n’y a pas d’un côté votre vie à vous, votre travail exténuant, votre asservissement et votre misère, et de l’autres la possibilité pour vos enfants de profiter de l’école capitaliste pour s’émanciper et secouer le joug de l’exploitation.
Ces deux questions sont intimement, matériellement liées : votre misère, c’est la misère de vos enfants, leur défiance scolaire, leur impuissance devant la vie, un anneau seulement de la chaîne qui vous rive à vos maîtres.
Le problème scolaire est avant tout un problème social et un problème politique : chacune de vos victoires sociales, syndicales ou politiques est une victoire pour l’école ; chacune de vos défaites est une accentuation des difficultés de libération scolaire ; le fascisme, qui serait votre défaite totale, marquerait comme en Italie et en Allemagne, une régression pédagogique incroyable; votre victoire seule ouvrira à l’école des horizons insoupçonnés, que le triomphe prolétarien en U.R.S.S. nous fait entrevoir et espérer.

C’est à dessein que le capitalisme s’est obstiné à isoler l’école de la vie et de la lutte ouvrière. Nous venons de vous démontrer l’interdépendance intime de l’une et de l’autre. Problème capital, croyez-le bien, auprès duquel les questions de méthode, de morale ou de faux idéal que le capitalisme place hypocritement au premier plan, ne sont que des accessoires, des moyens pour le grand œuvre qui ne saurait s’accomplir hors de son élément essentiel et vivifiant.
Non pas que nous sous-estimions l’importance de ces moyens. Encore une fois nous avons voulu rétablir d’abord une hiérarchie afin que les fumées, de l’esprit qu’on agite romantiquement devant vos yeux ne vous empêchent point de voir se lever à l’horizon le grand soleil libérateur.»

 

Célestin Freinet

Extrait du « Deuxième discours à des Parents sur l’Éducation nouvelle prolétarienne »,

L’Éducateur Prolétarien, 10 mars 1935

Lire le texte dans son intégralité

Aux Éducateurs d’avant-garde, 10 mai 1935

Après celui aux parents, voici l'appel aux instituteurs, aux éducateurs, ceux qui sont à l'avant-garde des luttes et restent dans leur classe (et dans leur famille) des traditionnels, voire des réactionnaires et sont en contradiction avec leur vision de la société.

Nous avons publié dans nos trois derniers numéros des Lettres aux Parents sur l’Éducation Nouvelle prolétarienne qui, si imparfaites qu’elles soient, n’en ont pas moins été utilement commentées et appréciées.
Lettres aux parents, d’ailleurs, dont les instituteurs eux-mêmes pourront et devront faire leur profit. Car, nous ne sommes pas les seuls à le constater, il reste autant à faire dans le milieu enseignant que dans le milieu familial pour cette nécessaire rénovation des fondements mêmes de notre éducation.
Nous n’écrirons cependant pas de Lettres aux Éducateurs parce que toute notre action depuis dix ans vise justement à convaincre les instituteurs progressistes des avantages incontestables des nouvelles techniques. Et c'est un précieux encouragement pour nous de sentir autour de cette action tant d'intérêt et de sympathie. Lentement mais inéluctablement, tous les éducateurs qui suivent nos efforts, qui lisent L'Éducateur Prolétarien, qui connaissent nos journaux scolaires, La Gerbe, Enfantines, qui sont témoins de l'activité nouvelle qui anime nos classes, tous viennent un nour à nos techniques, confiants et enthousiastes. On connaît maintenant l' Imprimerie à l'École et on compte certainement par milliers les éducateurs qui pensent positivement à rejoindre notre groupe dès que les circonstances matérielles ou psychiques le leur permettront.
Nous voudrions cependant faire un appel particulier aux milliers d’instituteurs militants d’avant-garde qui, soit par manque de temps, soit plutôt par incompréhension de la portée de notre effort, se refusent à nous suivre, et continuent le dangereux bourrage traditionnel. Il faut absolument que ceux-ci se rendent compte à quel point leur conduite dogmatique en classe, leur discipline autoritaire, leur asservissement inconscient aux programmes et aux manuels sont en contradiction avec leurs conceptions sociales et politiques de libération prolétarienne. Il y a là une harmonisation de l’activité personnelle qui décuplera tout à la fois le rendement pédagogique et le rendement social de leurs efforts.
Comment voulez-vous, en effet, que les ouvriers et les paysans, parents d’élèves, vous prennent totalement au sérieux et comprennent profondément vos appels à la lutte virile et à l’émancipation de personnalités conscientes s’ils sont témoins d’autre part de votre domination despotique, sinon brutale, sur des êtres qui ne peuvent point, malgré eux, se réaliser ? Comment leur donnerez-vous une idée de la société fraternelle que nous rêvons si vous êtes incapables d’en constituer dès l’école, avec un nombre réduit d’individus, l’embryon révélateur ? Et ces élèves que vous dressez ainsi conformément aux instructions et aux programmes, qu’aurez-vous fait pour les aider à s’engager dans la voie que vous préconisez lorsque, dans quelques années, ils subiront à leur tour « le malheur d’être jeunes » ?
Mettez, au contraire, vos actes de tous les jours en harmonie avec vos idées : apprenez à vos enfants dans votre famille, à vos élèves en classe, à se gouverner eux-mêmes, à prendre des responsabilités et à s’émanciper ; entraînez-les à s’exprimer totalement, à parler et à écrire, à critiquer et à voir juste ; donnez-leur la joie du travail désiré et voulu.
Nous savons certes, - et il ne faut nous faire aucune illusion, - que la plus grande partie de cet effort sera annihilée par l’emprise brutale ou hypocrite de la société réactionnaire. Mais vous aurez été du moins, sur le plan pédagogique comme vous essayez de l’être sur le plan social, des flambeaux ; vous aurez contribué à dénoncer la duperie des mots en réalisant une partie de votre idéal ; vous aurez aidé élèves et parents à comprendre, obscurément ou positivement, que vous ne prêchez pas l’utopie mais la société nouvelle dont vous contribuez à jeter les bases tangibles et fécondes.
Ne dites pas : Il y a une besogne urgente de propagande qu’il faut mener hardiment pour jeter bas un jour un régime qui est la négation même de l’idée éducative ; nous n’avons pas le temps de rénover notre classe.
Nous ne sous-estimons point ni la portée ni l’urgence de cette propagande. Nous avons dit bien des fois l’impasse où se débat l’éducation nouvelle bourgeoise et le seul espoir révolutionnaire qui reste à la pédagogie prolétarienne. A tel point que, s’il nous fallait choisir entre effort éducatif et militantisme social et politique, il nous serait difficile de nous prononcer radicalement. Mais nous prétendons justement que rénover leur classe selon nos techniques aidera nos camarades militants dans leur action sociale prolétarienne.
Vous sentez la nécessité de ménager vos forces, et vous avez raison. Mais vous sous-estimez la fatigue psychique que vous occasionne ce travail « forcé » que vous exécutez pour gagner votre pain, sans intérêt ni élan ; vous ne vous rendez pas compte de la somme de lassitude que vous vaut cette tension de l’esprit pour un effort qui n’est pas dans la ligne de votre évolution vitale. Vous en sortez brisés et désabusés, sans confiance ni amour, sceptiques même sur la puissance génétique de cet enthousiasme qui, seul, soulève les masses et permet à nos camarades soviétiques de tendre à l’extrême limite de leurs forces leur énergie constructive.
Adoptez nos techniques : votre classe deviendra pour vous comme une projection de votre personnalité ; vous y vivrez avec vos élèves un aspect original et émouvant de la souffrance, de l’effort et de l’espoir prolétariens ; votre pédagogie s’incorporera à votre vie, et votre militantisme ne sera que le prolongement naturel et la conséquence souvent de votre effort pédagogique. Vous gagnerez à cette unité dans votre action, à cette harmonisation de votre vie, un calme bienfaisant, une puissance nouvelle que ne sauront atteindre ni les échecs, ni les désillusions.
Et puis vos heures de classe passeront comme un enchantement, dans la vie instinctive de qui se donne totalement à une idée. Vous craigniez la fatigue : l’activité et l’enthousiasme décupleront vos forces en vous redonnant cet élan qui soulève les individus et les foules lorsqu’ils se sentent à la proche conquête de leur idéal.
Nous ne cachons pas qu’il y a un effort initial à faire pour quitter les sentiers traditionnels, un effort surtout de documentation personnelle d’abord et de réorganisation du travail ensuite. Mais cet effort lui-même est non pas épuisant mais vivifiant. Il y a des repos qui sont déprimants et mortels ; il y a des travaux et des efforts qui bandent les énergies, trempent les caractères, et sont susceptibles de donner à l’activité militante une unité imposante et féconde.
Camarades d’avant-garde, n’hésitez plus. Vous devez être aussi des éducateurs d’avant-garde, mais à l’image de ceux de notre groupe, qui connaissent la nature des obstacles qui se dressent devant eux, qui mesurent avec sûreté la portée de leurs efforts, qui sont conscients de l’aspect social et politique de l’éducation prolétarienne et qui, sur tous les terrains, luttent sans faux espoirs, donc sans désillusion, avec cet optimiste enthousiasme qui transformera le monde.

Célestin Freinet

Texte dans son intégralité

 


En faveur d'un large mouvement de Parents Prolétariens, 10 juillet 1935

Un appel aux parents prolétariens avec la prise en compte de tous les lieux que fréquentent les enfants en dehors de l'école et la coopération avec les parents et avec tous les acteurs de l'Education populaire. La pédagogie Freinet doit s'installer aussi dans ces différents espaces... 

 « Le succès éclatant du Front populaire pose avec plus d’acuité encore la question de l’organisation des Parents prolétariens.
Parallèlement à ce puissant Front Populaire, est en train de se constituer une solide Fédération de l’Enfance Ouvrière et Paysanne qui, en dehors de tout sectarisme de chapelle ou de parti, groupera toutes les associations d’enfants, toutes les Ligues scolaires ou post-scolaires qui intéressent la jeunesse.
  "Nous pensons, dit l’appel, qu’il est absolument nécessaire que se crée en France, en face du bloc des organisations enfantines dirigées par la bourgeoisie, une fédération des organisations d’enfants dirigées par les travailleurs, bloc solide ayant des vues communes, une direction homogène, reconnue par tous, pouvant prendre des décisions et diriger l’ensemble. "
Sont déjà adhérents : Pionniers, Jeunes Amis du SRI, Groupes du SOI, Amis de l’enfance ouvrière, minimes de la FSGT, jeunes campeurs, etc. Les Faucons rouges socialistes y adhèreront certainement sous peu.
Nous demandons à nos camarades de s’intéresser activement à la constitution de cette Fédération Populaire, de contribuer à l’imprégner de nos conceptions pédagogiques. Elle pourra devenir alors un appui considérable pour notre éducation nouvelle prolétarienne.
Nous demandons enfin à nos camarades d’œuvrer pour ce rassemblement et ce regroupement, parce qu’il entraînera nécessairement l’organisation, le rassemblement, le regroupement de forces populaires pour la défense de l’école prolétarienne.
Notre Ligue de Parents Prolétariens sera certainement constituée sous peu. Nous en informerons nos camarades en temps voulu pour qu’ils nous aident de leur mieux.
Élargira le domaine de la pédagogie a toujours été un de nos mots d’ordre. Nous avons montré bien souvent comment le capitalisme obscurantiste sert sa domination en cantonnant l’action éducative entre les quatre murs de la classe, dans les pages mortes des manuels. Si nous voulons, par l’éducation, féconder vraiment l’action sociale et humaine, nous devons, moins que jamais, redouter la vie et la lutte.
L’heure est plus que jamais propice.
Œuvrez pour le rassemblement des organisations d’enfants prolétariens ; préparez le rassemblement des parents prolétariens. C’est le service le plus grand que vous puissiez rendre actuellement à la cause de l’éducation nouvelle, à la cause de nos techniques.»


Célestin Freinet

Extrait de L’Éducateur Prolétarien, 10 juillet 1935

Texte dans son intégralité

Optimisme, 10 octobre 1935

La perspective d'un regroupement des masses populaires permet d'espérer le recul des menaces du fascisme en France et attise l'espoir.

« Nous vivons, à n’en pas douter, une période tragique de l’histoire des peuples. La réaction, le fascisme, la guerre, sont là à nos portes ; mais aussi la Révolution, la Révolution triomphante en URSS et la Révolution qui débute en France par le regroupement et la mobilisation de masses qui prennent conscience du danger social et de la nécessité d’une lutte élargie et décisive.
Ce regroupement des masses, cette levée étonnante de tant de défenseurs de la paix et de la liberté, sont pour nous éducateurs, les raisons réconfortantes d’un immense espoir. Il y a un an, la nuit fasciste menaçait la France et le monde ; la barbarie hitlérienne semblait élargir irrésistiblement sa tâche lugubre, négation et anéantissement de tous nos efforts éducatifs.
Nous revivons !
Malgré les restrictions de crédits, malgré des décrets-lois draconiens, nous sentons que l’éducation prolétarienne dont nous avons été en France les initiateurs, s’affirme, se développe et s’impose : les municipalités de Front populaire ont une plus généreuse estimation de l’importance sociale et politique de l’école ; les colonies d’enfants s’inspirent de l’esprit nouveau ; le naturisme et le campisme prolétarien fixent leurs techniques et leurs buts ; un mouvement d’enfants unifié va se développer et nous nourrissons l’espoir d’animer bientôt un vaste Front populaire de l’Enfance qui groupera, pour des buts progressistes, tous les amis de l’école.
N’essayons pas de trop pronostiquer sur le triomphe prochain et définitif de l’esprit populaire et révolutionnaire. La victoire nous demandera bien des efforts encore et des sacrifices. Mais nous avons du moins aujourd’hui un espoir et une certitude : la lutte est possible entre les forces de progrès et les forces de réaction et, dans cette lutte, l’influence d’une solide et profonde formation scolaire prolétarienne peut devenir prépondérante.
Cette assurance nous est d’un grand réconfort.»

Célestin Freinet

Extrait paru dans L'Éducateur Prolétarien n° 1, octobre 1935

Texte dans son intégralité

Aimer, c'est haïr, 10 novembre 1935

Freinet publie ce texte de Jean Roger paru dans l’École nouvelle de Lille en éditorial de l’Educateur Prolétarien. Un cri de révolte dénonçant la misère des enfants des écoles publiques qui ont faim, froid…et le coupable : le régime capitaliste.
  
Aimer, c’est haïr

« Nous tairons-nous davantage, amis de l’école nouvelle, devant la grande misère des élèves de nos écoles publiques, devant l’incroyable détresse des gosses de banlieues de nos cités ouvrières ? 
C’est une question à laquelle chacun se doit scrupuleusement de réfléchir et sa conscience lui dira, j’en suis sûr : Non.   
Les plus malheureuses et les plus innocentes victimes de la crise sociale actuelle sont les enfants. Je pourrais citer de nombreux exemples de l’immense détresse qui est la leur. Je me bornerai à reprendre ici quelques cas typiques parmi ceux que j’ai déjà tenu à citer au hasard de réunions corporatives.
Un enfant de 13 ans a volé ! Qu’a-t-il volé ? Un petit morceau de beurre ! Cet enfant je le connaissais bien, il est pauvre, pas méchant, honnête, courageux. Il n’avait pas voulu parler encore, mais à 11 h. 1/2, lorsque les autres ont quitté la classe, il est resté et il m’a dit : « Je voulais en goûter, je n’en avais jamais mangé. » Je sais bien que je puis le croire, je vérifie pourtant ; la petite enquête à laquelle je me livre, montre que c’est bien vrai et qu’il n’est pas le seul dans son cas : Il y a actuellement des pauvres petits qui, à 13 ans, n’ont jamais mangé de beurre. C’est atroce.
Qui de nous n’a parfois demandé aux enfants quel métier leur semblait le plus beau ? L’on obtenait, hier encore, des réponses pleines d’imprévus, les plus amusantes comme les plus sérieuses, les plus naïves comme les plus audacieuses. Mais voilà que depuis quelque temps, deux métiers tentent bien des gosses de 8 à 11 ans : celui de boucher, « parce qu’on est bien nourri, parce qu’on « vient » gros », et celui de boulanger, parce que – n’est-ce point navrant de lire de telles choses sous les plumes d’enfants – « il doit faire chaud auprès de son four ».
Je n’abuserai pas. Mais il faut que je dise ici que ce sont les beaux rêves, les plus merveilleuses espérances d’enfants de 10 ans. Lisez ceci :
  «  Si je gagnais les cinq millions, j’irais à Lille faire un bon dîner, on achèterait des habits neufs, on aurait une armoire…. »   
Manger, c’est le premier cri. Mais comme est révélateur de la révolte intérieure enfantine le second cri lorsqu’on sait ce qui le motive : l’enfant est fils de chômeurs, la mère est une femme courageuse, admirable ; sa maison, ses enfants, tout est remarquablement propre. Des personnes charitables lui font parvenir de temps à autre des vêtements usagés, qu’elle nettoie, qu’elle démonte et dans lesquels elle confectionne les habits de sa petite famille. Et le cri de cet enfant, il faut le traduire ainsi : « Je veux être comme les autres, je veux avoir des habits à moi, des habits achetés pour moi seul, que je serai seul à avoir portés, je ne veux pas qu’on me fasse l’aumône, qu’on me dise : « Tu es bien dans « mon » pantalon, elle te va bien « ma » veste. »
Tenons-nous-en là. Ceux qui enseignent dans les écoles publiques, ceux surtout qui exercent dans les quartiers ouvriers ou dans les banlieues immédiates des grandes cités industrielles, savent bien que devant leurs yeux, six heures par jour, ils voient des gosses sous-alimentés, rendus nerveux à l’excès par l’abus de café promu au rang de repas habituel du soir, des malheureux sur qui des parents, malheureux eux aussi, passent trop souvent « leurs nerfs », des jeunes de demain qui sentiront en eux l’angoisse d’être non pas des soutiens de famille, mais, affreusement inutiles, des poids morts pour lesquels il n’y aura aucun travail, aucune vie réelle, rien, rien qu’une profonde désespérance.
Je ne noircis pas un tableau malheureusement trop courant et qui devient plus sombre de jour en jour.
Mais alors, comment ne pas voir que disparaissent, très rapidement, les possibilités de progrès pédagogiques dans nos écoles publiques, qu’au surplus les décrets-lois d’économie surchargent de plus en plus. Je précise bien : dans nos écoles publiques. Car je ne doute pas un instant que chez Bertier aux Roches, que chez Decroly à Uccle, que dans les écoles nouvelles privées du groupe Cousinet-Gueritte, les éducateurs pourront encore ne se soucier que de pédagogie pure et réussir les expériences les plus intéressantes, le recrutement ne se faisant dans ces établissements payants que dans des milieux où l’aisance est certaine.
Dans l’enseignement primaire public, il faut maintenant bien plus encore qu’autrefois, qu’avant toute chose l’école soit toute tendresse, toute affection, j’irai même jusqu’à dire toute faiblesse pour le pauvre petit qui, sans cela, n’aura plus, le plus souvent, un seul refuge heureux, une seule oasis de douceur. Il faut que nous ayons la conviction inébranlable que ces enfants physiologiquement déficients parce que sous-alimentés, ne sont pas responsables des fautes qu’ils commettent, que leurs possibilités vont s’amoindrissant et que, pourtant, les progrès de l’école publique, au surplus sabotée par l’administration elle-même, sont bien compromis.
Aussi, est-ce notre devoir, - j’insiste, car je voudrais convaincre ceux qui ont du cœur mais demeurent insouciants – d’être plus tendres, plus faibles pour les innocentes victimes de la crise, mais c’est, pour la même raison, notre devoir durs, d’être de plus en plus durs contre le régime social qui permet un tel martyre : le devoir d’aimer a ici pour conséquence inévitable le devoir de haïr ; aimer l’enfance malheureuse c’est haïr le régime capitaliste décadent qui permet une telle iniquité.
Et ainsi la conclusion s’impose d’elle-même. Les amis de l’enfance doivent lutter pour elle, les véritables amis de l’école nouvelle n’ont plus le droit de s’enfermer dans une tour d’ivoire, de s’y croiser les bras et de jouir de leur petite tranquillité bourgeoise bien à l’abri des coups de la gigantesque bataille sociale qui secoue actuellement le monde entier. Ils sont donc, dans cette lutte, les représentants, les délégués de l’enfance meurtrie. La solution des problèmes pédagogiques qu’ils se posent est pour une bien faible proportion maintenant à chercher à l’intérieur de nos écoles, elle est surtout dans la lutte qu’il faut mener pour que de telles iniquités sociales disparaissent et pour qu’au milieu d’une abondance si grande que le profitariat éprouve le besoin de la détruire, on ne voie plus une détresse aussi effroyablement totale et aussi parfaitement imméritée.
Porte-parole de l’enfant, l’instituteur doit être dans la lutte, c’est un fait acquis ; il y perdra – qu’il n’ait aucune illusion là-dessus – la considération de ceux des chefs qui ne veulent pas d’histoires ou qui ont la volonté d’arriver ; il y perdra avancement et récompenses dont l’obtention n’exige qu silence et reptation, fréquentation des forts et dédain à peine voilé des faibles, mais il gagnera la satisfaction de sentir qu’il fait son devoir et qu’il défend une cause sacrée : celle des petits ; il y gagnera ce regard d’affection qui, venant du faible, est le plus doux ; il sentira enfin, avec une netteté accrue, qu’il remplit alors complètement son rôle de pionnier de l’éducation nouvelle, lequel ne peut plus se satisfaire des seuls efforts faits en classe.
Ainsi, notre attitude, par la force des choses, en arrive donc, en définitive, à coïncider avec celle de Freinet et du mouvement « Éducateur Prolétarien » ; c’est pour nous une réelle joie et nous avons la conviction d’être avec notre héroïque camarade, dans la voie la meilleure, étant donné les circonstances actuelles, pour travailler à la réalisation de l’éducation nouvelle.»
 
                                                                                              Jean ROGER, L’Ecole Nouvelle, Lille

 

          
L’Éducateur Prolétarien, 10 novembre 1935 dans on intégralité
 

 

Charte constitutive du Front Populaire de l’Enfance, 20 novembre 1935

Novembre 1935 

Après le constat amer sur le peu de prise en compte dans les programmes du Front populaire des conditions de vie et d’éducation de l’enfance et de la jeunesse qui pourtant représentent l’avenir, Freinet va répertorier les points essentiels, les leviers de changement.
On y trouve un beau plaidoyer sur l’école laïque et ses principes ;  Freinet considère les instructions ministérielles de 1923 comme une véritable charte de l’éducation nouvelle dans les écoles publiques. Il conseille aux parents et aux éducateurs d’utiliser au maximum les possibilités idéologiques et scolaires des règlements, des programmes… qu’il considère comme des conquêtes à défendre. Et surtout ce que peut devenir l’école laïque, si on y fait vivre les grands principes de ses fondateurs.
Mais on ne peut pas dissocier l’école des conditions de vie des familles qui se répercutent obligatoirement sur l’enfant. La lutte revendicative des parents pour leur niveau de vie est donc une condition de l’amélioration de l’école.
Dans cette charte, sont évoqués également les conditions matérielles dans lesquelles fonctionne l’école, les salaires des enseignants, les lieux éducatifs hors école et la presse pour les enfants.
Dans l’ensemble, elle est encore d’actualité, la jeunesse n’est guère au cœur des actions politiques, il suffit de voir le peu de cas en France de la Convention internationale des droits de l’enfant (même s’il y a quelques petites avancées). De plus, les conditions de vie des familles se dégradent, la pauvreté augmente… rapidement.
Dans les points listés par Freinet, il faudrait ajouter le chômage des jeunes, l’école comme grande reproductrice des inégalités sociales et des discriminations, sans oublier les problèmes liés à la destruction de l’environnement.

« Une société ne vit, ne s’améliore et ne progresse que par les forces vives et intrépides qui la poussent hardiment en avant.
[…] Un gouvernement populaire doit tout mettre en œuvre pour que l’Enfance et la Jeunesse puissent, au sein d’une communauté heureuse, s’affirmer et s’épanouir.
L’Enfance se meurt chez nous !
Jamais les conditions économiques et morales ne lui ont été plus fatales : le chômage et la misère entraînent inévitablement avec eux la déficience physiologique et l’affaiblissement plus ou moins catastrophique des possibilités intellectuelles des enfants.
Le fascisme ne serait que l’aggravation des maux redoutables dont le capitalisme accable l’enfance prolétarienne.
Et l’adolescence impuissante cherche en vain les moyens de dépenser sa généreuse activité, de se réaliser par un travail productif et socialement utile, par le dévouement aux grandes œuvres humaines qui sont, pour les jeunes surtout, les vraies raisons de vivre et d’espérer.
Le Front Populaire a, depuis quelques mois, heureusement réagi contre les prétentions du fascisme naissant. Dans toutes ses revendications cependant, l’Enfance et la Jeunesse n’occupent point la place de premier plan qui devrait leur être réservée.
Il s’agit là non seulement d’une question d’humanité, mais aussi de la plus haute et de la plus importante nécessité sociale : l’avenir libérateur de la classe prolétarienne.
Que, de toute urgence, les amis de l’enfance populaire se groupent, collaborent, conjuguent leurs efforts pour l’aboutissement de revendications précises sur lesquelles il nous est facile de faire l’accord de tous les honnêtes gens.
Au Front Populaire doit répondre le Front Populaire de l’Enfance.
Les enfants, les écoliers d’aujourd’hui seront dans quelques années les adolescents intrépides et enthousiastes qui forment, dans tous les mouvements sociaux, le meilleur des troupes partisanes.
L’éducation, la formation de ces enfants ont donc une importance primordiale et une portée souvent décisive sur la marche des événements sociaux et politiques.
On peut former l’enfant à l’obéissance et à la passivité, lui inculquer le respect et la crainte des riches et de ceux qui tiennent le pouvoir, le persuader qu’il est venu sur terre pour travailler, souffrir et obéir. Ce faisant, les gouvernements et les régimes au pouvoir prennent ainsi une sorte d’assurance sur le maintien de leurs privilèges au cours des années à venir.
À cette œuvre d’asservissement et d’obscurantisme collaborent directement toutes les écoles privées aux mains des jésuites et des ensoutanés, ouvertement soutenues d’ailleurs par toute la réaction citadine et rurale.
Collaborent indirectement à cette œuvre aussi, et souvent malgré eux, les nombreux instituteurs qui conservent dans leurs classes les méthodes dogmatiques d’asservissement scolaire, de respect des manuels, de bourrage et d’abrutissement.
Parfont cette œuvre toutes les entreprises péri et post-scolaires du régime capitaliste : la presse immonde pour enfants – depuis le Bon-Point, Mickey et Hurrah jusqu’au Pèlerin – le Cinéma, les organisations bourgeoises d’enfants : Patronages et Boy-Scouts.
 
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Mais on peut à cet âge aussi former en l’enfant ce précieux esprit d’activité et de libération, lui inculquer la connaissance et le respect du travail et des travailleurs, lui faire sentir la noblesse de l’effort, si humble soit-il, lui donner confiance en ses possibilités créatrices et l’habituer à mettre ces possibilités au service de la communauté, éduquer en lui ce sens moral, ce besoin de coopération qui seront les ferments du monde nouveau.
L’école laïque française est un premier pas, et important dans le sens de cette libération.
Elle a affirmé la nécessité de libérer l’enfant de l’emprise religieuse, de l’éduquer dans le sens de la connaissance et de la vérité. Elle a commis certes des erreurs idéologiques, dues en général aux erreurs sociales d’hommes qui avaient en la vérité, en la justice et la liberté une foi trop exclusivement idéaliste et qui n’ont pas su mettre pratiquement ces grands principes à l’abri des attaques hypocrites de la réaction.
Mais il en est de l’école laïque comme de la plupart des conquêtes démocratiques. Elle est un pas important vers la libération des enfants à condition qu’on puisse et qu’on sache l’utiliser : les programmes eux-mêmes de cette école ne manquent pas d’un certain idéalisme et les instructions ministérielles de 1923 qui accompagnaient les nouveaux programmes restent comme une charte véritable de l’éducation nouvelle dans les écoles publiques.

 Éducateurs et parents doivent utiliser au maximum les possibilités idéologiques et scolaires qui leur sont ainsi offertes par les règlements, les programmes et instructions diverses qui régissent notre école laïque et défendre ces conquêtes contre les attaques sournoises ou avouées de la réaction.
 DÉFENDRE LES CONQUÊTES POPULAIRES DE L’ÉCOLE LAÏQUE DOIT ÊTRE UN DES POINTS ESSENTIELS DU PROGRAMME DU FRONT POPULAIRE DE L’ENFANCE. 
                                                                                                          
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Mais ces conquêtes doivent être développées, à la lumière surtout des récentes découvertes psychologiques et pédagogiques.
Les principes ne suffisent pas : encore faut-il que soient étudiés les moyens pratiques de les faire passer dans la réalité.
Nos pères avaient une confiance presque illimitée dans le verbalisme, dans les proverbes et les formules morales, dans les vertus de l’instruction, des livres, des manuels, de la parole pontifiante du maître. L’expérience nous a montré la vanité pratique de ces moyens d’action dont la réalité a souvent fait des armes au service de la réaction et de la guerre.
Il faut aujourd’hui organiser pratiquement l’école nouvelle progressiste qui fera entrer dans la réalité des faits les grands principes des fondateurs de l’école laïque.
  Il faut que l’école libère l’enfant, non pas en paroles, mais dans la réalité de la vie, pratiquement, effectivement :
– en lui apprenant à travailler avec joie et à exercer sans cesse ses immenses possibilités créatrices ;
– en lui enseignant à ouvrer au sein d’une communauté pour le plus grand bien de cette communauté ;
– en substituant à la discipline passive et autoritaire une auto-discipline basée sur les nécessités du travail coopératif et sur les besoins de libération des individus ;
– en liant toujours davantage les destinées de l’école populaire aux destinées de la grande masse du peuple, en plaçant toujours davantage l’école dans la vie, en relations directes avec le travail, les souffrances, les espoirs et les rêves des travailleurs ;
– en faisant connaître parmi les parents et le personnel enseignant les techniques éprouvées qui permettent pratiquement la marche vers la libération de l’enfant par l’influence de l’école.
CETTE DÉFENSE SUR LE TERRAIN D’UNE LARGE CONCEPTION NOUVELLE DE LA PÉDAGOGIE ET DE LA VIE DE L’ENFANT DOIT ÊTRE LA DEUXIÈME DES TÂCHES ESSENTIELLES DU FRONT POPULAIRE DE L’ENFANCE.  
 

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Mais le destin de l’école est intimement lié au destin des masses populaires elles-mêmes.

Si les familles vivent dans les taudis ; si elles sont sous-alimentées ou mal alimentées : si les parents s’exténuent dans les bagnes modernes en attendant que leurs enfants les y rejoignent pour les y remplacer, l’école populaire est matériellement marquée par cette misère et cette exploitation.

Il est un fait que parents, et même éducateurs, n’ont pas encore suffisamment compris : le développement intellectuel, scolaire et moral des enfants est directement fonction de leur développement physiologique vital, lequel, est lui-même fonction des conditions de travail et de vie qui leur sont imposées.
Améliorez ces conditions de vie, donnez aux enfants une meilleure santé en leur permettant de jouir d’une nourriture saine, de l’air, de l’eau et du soleil, et vous aurez réalisé une des plus grandes conquêtes pédagogiques qui soient. 

C’est pourquoi nous plaçons la lutte revendicative des parents pour l’amélioration dans tous les domaines de leur standard de vie comme une des conditions de l’amélioration financière de l’école.  
LE FRONT POPULAIRE DE L’ENFANCE DEVRA MONTRER À SES ADHÉRENTS LA NÉCESSITÉ URGENTE DE CETTE ACTION NON SEULEMENT POUR EUX-MÊMES, MAIS AUSSI, MAIS SURTOUT POUR L’AVENIR DE LEURS ENFANTS.
 
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Les conditions dans lesquelles vivent et travaillent les enfants dans leur famille sont, nous l’avons dit prépondérantes.
Mais il faut qu’on sache aussi que le succès scolaire est directement fonction des conditions matérielles dans lesquelles fonctionne l’école.
Une école sans air, sans soleil, sans eau, sans espace libre, sans arbres et sans jardin, est, comme le taudis l’est pour la famille, mortelle pour l’éducation des enfants du peuple.
Les parents ne doivent tolérer nulle part des écoles taudis comme il en existe tant ecore. Ils doivent tout mettre en œuvre pour que les crédits nécessaires à l’entretien des écoles existantes et à la construction des groupes nouveaux soient votés sans retard.
Mais ce n’est pas tout.
Les règlements stipulent que, dans les classes de ces écoles, le nombre normal des élèves est de 30, 35, sous-entendant par là que, au-dessus de ce chiffre, tout travail régulier et profitable devient impossible.
Qu’a fait le fascisme ? Il ne s’est attaqué ni aux programmes ni aux principes de l’école parce qu’il se savait en possession d’une arme autrement redoutable : il a réduit dans une proportion scandaleuse le nombre de classes et le nombre des instituteurs. La conséquence en a été une surcharge incroyable de ces classes. À l’heure actuelle, dans les villes surtout, il n’y a pour ainsi dire plus de classes de 30 - 35 élèves. Les classes de 40, 50, 60, 70, 80, 90 et même 100 élèves deviennent la norme.
Il faut que les parents sachent que, dans de telles conditions, tout travail pédagogique est matériellement impossible. L’école devient une garderie où l’instituteur est une sorte de garde-chiourme, obligé de violenter et de dominer les enfants, et de les plier ainsi, d’avance, à l’obéissance capitaliste. Dans de telles écoles, quelle que soit la beauté de l’école, il ne peut s’agir ni d’instruire, ni d’éduquer, ni de libérer vos enfants.
Si cette école d’abrutissement est voulue par le capitalisme fasciste, IL APPARTIENT AU FRONT POPULAIRE DE L’ENFANCE DE LUTTER SANS CESSE, DANS TOUS LES DOMAINES, POUR RÉTABLIR UNE SITUATION NORMALE, POUR FAIRE ROUVRIR DES ÉCOLES, NOMMER DES INSTITUTEURS, DÉCONGESTIONNER LES CLASSES AFIN QUE SOIT POSSIBLE LE TRAVAIL D’ÉDUCATION QUI FERA DES ENFANTS DU PEUPLE DES HOMMES, DES LUTTEURS, DES CONSTRUCTEURS DE LA SOCIÉTÉ NOUVELLE.
 
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Pour que le peuple ne se rende pas compte de la nocivité excessive de ces mesures fascistes, le capitalisme a fait dévier contre les instituteurs la colère des parents. On a montré les éducateurs comme des budgétivores, des gens qui sont payés pour ne rien faire ; on les a dénoncés comme nuisibles toutes les fois qu’ils ont affirmé leur désir de se dégager des forces mauvaises pour servir le peuple.
LE FRONT POPULAIRE DE L’ENFANCE DEVRA NÉCESSAIREMENT PRENDRE EN TOUTES CIRCONSTANCES LA DÉFENSE DES INSTITUTEURS : MATÉRIELLEMENT, EN APPUYANT LEURS REVENDICATIONS, EN EXIGEANT POUR EUX DES TRAITEMENTS HONNÊTES QUI LEUR PERMETTENT DE SE CONSACRER TOTALEMENT À LEUR SACERDOCE ; MORALEMENT, EN SE GROUPANT AUTOUR DE L’ÉCOLE TOUTES LES FOIS QUE, OUVERTEMENT OU NON, LE FASCISME ET LE CLÉRICALISME LA MENACENT.
 
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Mais l’école n’agit sur les enfants que pendant une petite partie de la journée.
Depuis longtemps la réaction a vu la possibilité d’influer sur le destin des enfants en se saisissant d’eux hors de l’école. Le cléricalisme notamment a eu une forte influence par l’organisation de patronages d’abord, de fêtes, de secours, de séances de cinéma, etc. Quand les besoins des enfants ont évolué, la réaction a organisé le scoutisme dont l’idéologie et les buts servent totalement le régime existant.
LE FRONT POPULAIRE DE L’ENFANCE DOIT GROUPER TOUTES LES ORGANISATIONS POST-SCOLAIRES PROGRESSISTES ET EN SUSCITER LA NAISSANCE LÀ OÙ IL N’EN EXISTE POINT ENCORE : PATRONAGES, SALLES DE RÉUNION, FÊTES, SÉANCES DE CINÉMA, ETC. IL APPUIERA ENSUITE DE TOUTE SON AUTORITÉ L’ORGANISATION DES ENFANTS DANS DES GROUPES DE PIONNIERS QUI, SELON DES TECHNIQUES MIEUX ADAPTÉES AUX BESOINS ACTUELS, SERONT LA MEILLEURE DES PRÉPARATIONS AUX LUTTES DONT LA SOCIÉTÉ NOUVELLE SERA L’ABOUTISSEMENT.
 
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Le journal enfin est une des formes dangereuses par lesquelles la réaction impose aux enfants les croyances nécessaires à la domination capitaliste.
LE FRONT POPULAIRE DE L’ENFANCE DÉNONCERA TOUS LES JOURNAUX POUR ENFANTS ESSENTIELLEMENT NOCIFS ET QUI SONT À METTRE DANS LE MÊME SAC, QU’ILS SOIENT BON-POINT, OU ROMAN D’AVENTURES, OU BENJAMIN OU BERNADETTE. IL RECOMMANDERA LES QUELQUES JOURNAUX D’ENFANTS QUI, HORS DE TOUTE CONSIDÉRATION COMMERCIALE, VISENT À L’ÉDUCATION VÉRITABLE ET À LA FORMATION DES ENFANTS. IL SOUTIENDRA TOUT SPÉCIALEMENT LES JOURNAUX QUI RÉPONDENT LE MIEUX À CES BUTS, EN ATTENDANT DE CRÉER, OU DU MOINS DE PATRONNER, UN VÉRITABLE JOURNAL POPULAIRE D’ENFANTS.
 
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Nous nous sommes appliqués à définir et à préciser ici les points essentiels qui doivent être comme les jalons du programme fondamental du Front Populaire de l’Enfance. Dans le détail, il appartiendra ensuite à ses sections de prendre telles initiatives qui correspondent aux buts principaux dont nous avons montré l’urgente nécessité. »
Célestin Freinet
L’Éducateur Prolétarien, 25 novembre 1935, pages 73 à 78.
Numéro dans son intégralité
 

 

Le Front Populaire de l’Enfance, 20 décembre 1935

Encore peu de réponses à la constitution du Front populaire de l’Enfance et à sa charte… Freinet renouvelle son appel dans un contexte qui lui semble favorable avec notamment des initiatives spécifiques pour l’Enfance qui pourraient rejoindre le Front Populaire de l’Enfance.

 
« Il est impossible de mesurer dès maintenant la portée de notre initiative, car il faut laisser aux individus et aux groupements touchés par nos publications et nos circulaires le temps de réagir.
Nous enregistrons du moins :
D’abord l’adhésion enthousiaste de notre grand Romain Rolland qui nous adresse la lettre suivante :
« De tout cœur, je m’associe à vous, dans le Comité de Patronage du Front Populaire de l’Enfance, que vous voulez former et dont la nécessité m’apparaît, comme à vous, impérieuse. Je vous prie de croire toute ma sympathie dans le bon combat que vous livrez. »
Le secrétaire de la Fédération de l’enseignement nous écrit :
" Le Bureau de notre Fédération a pris connaissance de votre lettre du 2 courant.
Il a estimé qu’en raison de la proximité de la fusion syndicale, il ne pouvait accepter de participer au Comité de Patronage que vous projetez. 
Ce sera à la Fédération unifiée d’étudier votre proposition quant au fond même. "
Le Comité Central des Groupes de Jeunes, lui, nous soutient totalement comme par le passé et se propose de demander à tous les groupes une action énergique.
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Deux ordres de faits ensuite montrent que l’idée d’un regroupement des forces gravitant autour de l’Enfance est désormais dans l’air et qu’une action coordonnée de tous ceux qui s’y intéressent, devrait rapidement aboutir.
La Fédération Nationale des Comités d’action et de défense laïque de France se réunit en Congrès à Paris le dimanche 29 décembre. Elle adresse une invitation aux divers groupements laïques pour que soit étudiée la possibilité d’un Front laïque, susceptible surtout de défendre l’école et ses maîtres.
D’autre part, la Fédération de l’Enfance Ouvrière et Paysanne publie le rapport intégral fait par Daniel à la réunion du Bureau et fixant l’orientation nouvelle de la Fédération.
Nous reviendrons plus loin sur certaines considérations pédagogiques contenues dans ce rapport. Nous signalons seulement ici qu’il préconise la constitution d’une Fédération Populaire de l’Enfance Française, gravitant plus spécialement autour des patronages laïques.
L’une et l’autre de ces deux initiatives nous paraissent insuffisamment élargies et gagneraient à s’incorporer et à se fondre dans notre Front de l’Enfance.
Le Front laïque s’adresse exclusivement aux parents et aux éducateurs et néglige l’action si puissante auprès des enfants eux-mêmes, c'est-à-dire tout le côté pédagogique et social de notre action éducative.
La Fédération Populaire de l’Enfance Française au contraire s’occupe spécialement des enfants et ne pense pas suffisamment à mobiliser, à grouper et à animer parents et éducateurs.
L’une et l’autre de ces actions ont certainement leur pleine raison d’être. Mais puisque nous parlons de regroupement, pourquoi ne pas élargir notre conception et ne pas constituer ce large Front Populaire de l’Enfance qui ne négligera aucune des questions touchant l’Enfance et la Jeunesse, mais qui œuvrera pratiquement aussi pour mobiliser les parents et les amis de l’École et pour défendre nos instituteurs et nos institutions contre l’action sournoise ou avouée du cléricalisme et de la réaction.
Nous écrivons dans ce sens aux animateurs du Front laïque, ainsi qu’à nos camarades de l’Enfance ouvrière, pour leur demander de joindre leurs efforts aux nôtres. Personnellement, nous l’avons dit, il n’y a dans notre initiative aucune pensée individualiste d’amour-propre et nous sommes prêts à nous rallier à tout mouvement répondant à nos buts et qui serait lancé par d’autres groupements. Il ne s’agit pas aujourd’hui de faire triompher tel ou tel projet : l’enjeu est autre ; il s’agit de regrouper par l’action immédiate tous ceux qui sentent la nécessité urgente de sauver l’école et l’enfance ouvrière.
Devant cette nécessité, notre entente immédiate doit être possible.
Dès aujourd’hui, entrez en rapports avec toutes les organisations qui s’intéressent à l’Enfance. Le Front de l’Enfance sera sous peu une puissante réalité. »
 
Célestin Freinet

L'Éducateur Prolétarien n° 6, décembre 1935 dans son intégralité.
 

 

Notre position en face de la religion en général et du catholicisme en particulier, janvier 1936

Une position, notamment de compréhension pour certaines individualités « sincères et dévouées » que le mouvement rencontre sur son chemin.


Notre position en face de la religion en général et du catholicisme en particulier

 Nous sommes une des rares revues d’avant-garde qui aient suivi, et d’assez près, ces années-ci, le mouvement de pédagogie et d’action sociale du catholicisme.
Notre but n’a pas été seulement de dénoncer cette action mais d’en tirer un enseignement pour notre propre comportement dans notre œuvre de vulgarisation. Nous avons voulu faire besogne équitable, solide et profonde, non pas pour nous en tenir à la surface mais étudier attentivement cette merveilleuse adaptation de sa propagande que l’Église a su faire, au jour le jour ; par quels actes, par quels procédés, elle attire à elle, malgré nous, des masses considérables d’hommes, de femmes et d’enfants ; par quel filet d’entreprises sociales la religion peut rester dans la société actuelle en apparence « déchristianisée », une des plus redoutables forces de réaction.
Notre critique et notre effort dans ce domaine n’ont pas été ce que nous aurions désiré, mais nous avons du moins lu, pour en rendre compte dans cette revue, quelques-uns des livres les plus suggestifs du mouvement pédagogique et social religieux. Nous ne sous-estimons ni l’importance des boys-scouts catholiques et protestants, ni l’effort que fait Marie Fargues par exemple, depuis une dizaine d’années pour moderniser l’enseignement religieux et mettre nos techniques modernes de libération enfantine au service de ceux que nous persistons à considérer comme les plus dangereux bourreurs de crânes. En face de la propagande si souple et si soucieuse des faiblesses humaines, en face de l’organisation systématique de la charité capitaliste chrétienne, nous avons essayé de voir clair pour y parvenir.
Nous ne pratiquons plus cet anticléricalisme des « mangeurs de curés » du début du siècle. Nous reconnaissons et nous ne craignons pas de le dire, qu’il y a parmi les propagandistes de la Foi chrétienne, des personnalités totalement sincères et dévouées à leur idéal, et nous leur rendons hommage toutes les fois que nous rencontrons ces « hommes » sur notre chemin.
Mais nous n’oublions jamais, par contre, que ces hommes eux-mêmes ne sont que des rouages de la machine religieuse au service du capitalisme et que cette machine reste, de ce fait, notre ennemie permanente.
Cette position de compréhension, vis-à-vis des hommes et de claire et définitive opposition en face du cléricalisme nous a valu à diverses reprises des témoignages réciproques de catholiques influents.
Lors de notre affaire de St Paul déjà un Professeur des Universités catholiques de Lille nous adressait spontanément un télégramme d’enthousiaste sympathie.
Ce télégramme, détourné(e) en cours de transmission, paraissait aussitôt dans la presse royaliste qui opérait une sorte de chantage dont l’auteur devait être la victime.
Parmi d’autres témoignages, nous donnerons notamment de larges extraits de lettres reçues d’un Directeur d’une grande école religieuse que nous nous abstiendrons de nommer, afin d’éviter les représailles possibles contre les rares hommes qui pensent librement. Les conclusions que nous en tirerons nous situeront parfaitement en face de l’action religieuse contemporaine.
« J’ai lu avec un grand intérêt l’Éducateur Prolétarien que vous avez eu l’amabilité de joindre à l’envoi.
Nous devons faire un effort sérieux et sans arrière-pensée pour nous comprendre, pour pénétrer nos mystiques différentes. Il me semble que j’ai fait cet effort consciencieusement avec vous. Certaines remarques de vos articles m’ont paru justes. Permettez-moi de vous apporter, comme elles me sont venues, celles que j’ai faites et sur lesquelles je crois ne devoir pas être d’accord avec vous. La recherche de la vérité est un travail collectif et continu. St Augustin avait dit autrefois : « Cherchez comme quelqu’un qui doit trouver, et trouvez comme quelqu’un qui doit trouver encore ». Spinoza disait : « Ne pas s’irriter, ne pas admirer, mais comprendre ». Voulez-vous qu’on mette ces diverses paroles en pratique ?
J’ai lu très attentivement vos recensions de livres ; il m’a semblé que vous n’avez pas bien saisi certains aspects du catholicisme. Combattez le cléricalisme qui est une soumission, un asservissement de la religion aux fins utilitaires d’une classe ou d’une caste ; les vrais catholiques les combattront autant que vous ; ils en souffrent comme le Christ a souffert des Pharisiens. (C’est nous qui soulignons. CF.).
Dans votre compte-rendu de l’abbé Teberghien, vous l’accusez de torturer les mots et les textes. Certes, je reconnais que nous pouvons comprendre de travers des textes et des mots… mais nous avons cette même impression qu’on torture nos mots et nos textes quand des adversaires de bonne foi ne nous comprennent pas.
Dans le même compte-rendu vous accusez certains catholiques de se faire de Dieu une idée mesquinement rétrécie… Je ne vous trouverai pas tort là-dessus… C’est un catholique qui a dit que « Dieu a créé l’homme à son image et que… les hommes le lui ont bien rendu ». Mais ne confondez pas catholiques et catholicisme. L’idée de Dieu telle que la donne notre grand philosophe St Thomas, voilà ce qu’est le catholicisme, ou telle que la donne l’évangile de St Jean disant : « Dieu est amour, Dieu veut le salut de tous les hommes ; seuls ceux qui refusent de suivre les appels de leur conscience ne seront pas sauvés ».
…Il me semble que vous saisissez mal la vraie doctrine de l’Église catholique. C’est d’ailleurs normal quand on ne la connaît que du dehors, quand on la considère de loin et qu’on y découvre si souvent des hommes qui se croient catholiques ou qui cherchent à se servir de l’Église. Il faut éviter de juger d’après ces pauvres gens : on ne les exclut pas, car on garde toujours l’espoir de les améliorer mais évidemment, ce ne sont pas eux qui, dans leurs livres, expriment la doctrine ou incarnent l’esprit chrétien dans leur vie.
Autre réflexion, toujours à propos d’analyses d’ouvrages : Ne cherchez pas, je vous prie, la doctrine de l’Église sur la guerre et les rapports internationaux dans les journaux dits « de droite »… Dans une exposition internationale de la presse catholique au Vatican, on n’a retenu en France que deux journaux de Paris et publiés pour la France entière : La Croix et l’Aube.
Quand le Pape condamne la guerre (« toutes les guerres », comme vient de le préciser encore tout récemment le journal officiel l’Osservatore Romano) en raison de l’existence actuelle de moyens nouveaux et légaux pour régler les conflits, il est évident que d’une part, les journaux payés et soutenus par les marchands de canons, les agences capitalistes, déforment ou passent sous silence ces déclarations qui leur déplaisent. En face d’eux, les journaux dits « de gauche », inspirés par des préjugés d’ordre métaphysique et antireligieux, imitent les journaux capitalistes dans la déformation de la vérité et des faits…
Encore une fois, croyez, Monsieur, qu’à côté de ces critiques, j’admire votre œuvre. Je Ne vous critiquerais pas si je ne vous admirais pas et ne vous estimais pas, ou du moins, je ne vous écrirais pas si longuement. »
Nous ne pourrions mieux dire, nous ne saurions plus justement stigmatiser cette masse de catholiques sans doctrine qui se servent de l’Église . Et si des âmes doivent être sauvées, nous sommes donc tranquilles, car nous n’avons jamais refusé de suivre les appels de notre conscience.
C’est à bon droit donc, que nous considérons comme des ennemis de la vérité et du bien social la masse conformiste des cléricaux pour qui sembleraient bien impies les assertions de notre correspondant, anticlérical comme nous.
Et pourtant l’expérience nous a appris à ne nous faire aucune illusion sur ces chrétiens 100 % qui stigmatisent, dans le privé, les marchands du Temple qui déconsidèrent la religion. Nous jugeons leurs déclarations pour ce qu’elles sont : des positions idéalistes et verbales, des jeux d’esprit, des jeux de mots dans lesquels les Jésuites sont, depuis longtemps passés maîtres. Mais ces convictions ne supportent que très accidentellement l’épreuve du grand jour et de l’opposition effective, dans l’action, aux pratiques condamnées.
Nous avons eu, au cours de notre affaire de St Paul, l’expérience d’un juif converti au catholicisme et qui fait aujourd’hui métier d’écrire des livres à la gloire de sa nouvelle religion. Dans le privé, en tête à tête, il nous tenait exactement les mêmes propos que notre correspondant. À l’entendre, il était encore plus révolutionnaire que nous et le gros curé qui prostitue à l’église de St Paul sa vierge noire n’avait pas de pire ennemi.
Mais le dimanche venu, ce grand écrivain - René Schwob pour parler clairement - allait s’incliner devant ce même curé et écouter béatement les balivernes dont il émaille ses sermons.
Mieux, quand un groupe d’écrivains de passage - dont Lucien Jacques et André Viollis - ont pris l’initiative d’une déclaration publique pour ma défense, le catholique révolutionnaire s’est piteusement dégonflé : il a préféré servir les marchands du Temple que les faiseurs de vérité.
Si notre correspondant était placé dans la même alternative : condamner publiquement les mauvais catholiques pour servir la vérité, - servirait-il la vérité ou s’inclinerait-il ?
L’expérience nous a prouvé qu’il s’inclinerait et c’est pourquoi nous ne prenons les déclarations du genre de celles que nous venons de donner que comme des sursauts de consciences angoissées qui voudraient bien ne pas pactiser avec le mal et qui, à défaut de courage suffisant pour conformer leur actes à leurs convictions tiennent à jeter quelques bravos discrets à ceux qui, logiques avec eux-mêmes, disent tout haut ce qu’ils pensent bien bas.
Et qu’on ne vienne point comparer cette position du chrétien dans l’Église à celle du communiste qui, lui aussi, serait asservi à une certaine orthodoxie. Il y a du moins cette différence primordiale que les communistes jettent hors de leurs rangs ceux qui, au lieu de servir le peuple, se servent du peuple et de leur parti. Dans l’Église, ce sont les trafiquants d’idéal, mar(r)ionnettes dont le capitalisme tire les ficelles, qui se servent de faux idéalistes qui prétendent penser révolutionnairement mais qui, en aucun cas, ne savent réagir révolutionnairement.

***


La question n’est pas ici de savoir si Dieu existe, si la science le révèle ou le nie . Car ce Dieu alors n’a rien de commun avec le Dieu que l’Église exploite et impose à la masse des asservis.
Le Dieu des idéalistes n’a rien de contre-révolutionnaire et il s’identifierait assez bien avec notre conscience de l’immensité de la nature et de l’infini dont nous sommes des éléments.
Mais le Dieu des curés, le Dieu des Papes, le Dieu au nom de qui les peuples se déchirent, le Dieu dont le capitalisme fait un utile paravent, ce Dieu que les véritables chrétiens ne reconnaissent plus comme leur Dieu, comment ne les considérerions-nous pas comme le pire ennemi de la vérité et du progrès ?
Et ces quelques réflexions nous poussent à dire à nos camarades : qu’elle soit avouée ou tacite, la collusion de toutes les forces de réaction est certaine. Notre correspondant chrétien lui-même assure que capitalisme et cléricalisme poursuivent la même action d’asservissement du peuple. Il nous faut lutter sans cesse contre le cléricalisme soutien permanent du capitalisme. Mais, dans cette lutte, évitons l’influence amollissante des croyants sincères qui voient cette collusion mais prêchent du moins, en faveur du catholicisme, les circonstances atténuantes. Le bloc religieux est plus compact que nous ne croyons et ses éléments avancés, si près qu’ils soient de notre idéal, se replient toujours, en fin de compte, sur le corps puissant de l’Église qui reste notre grande ennemie.
La religion est une maladie qui affecte les faibles : ceux qui, vaincus provisoirement, ont besoin d’un illusoire appui - et ceux aussi qui, idéalement conscients, manquent du ressort nécessaire pour regarder la vie en face, sans le secours d’une mystique.
La société socialiste de demain, l’organisation collective qui rendra impossible l’exploitation de l’homme par l’homme, la possibilité infinie de développement qui s’offre aux yeux des hommes libérés donnent aux individus d’autres raisons de vivre et de lutter. Dégagé de la religion, opium du pays, l’homme pourra alors, s’il le désire, évoquer un Dieu splendide et infini, à la mesure de ses rêves et de ses conquêtes, un Dieu qui sera l’aboutissement des efforts de tous les chercheurs courageux, de tous les ouvriers de justice et de vérité, de tous les ennemis déclarés d’un cléricalisme soutien et instrument du capitalisme national et international.

Célestin Freinet

L’Éducateur Prolétarien, n° 7, 10 janvier 1936 dans son intégralité.

Tour d’horizon, février 1936

Malgré l’espérance que provoque la montée du Front Populaire, la satisfaction de constater le développement des adhérents, Freinet exprime son amertume de n’être pas reconnu au sein des milieux syndicaux, politiques et littéraires, ce qui a nui au succès du Front de l’Enfance, c'est pour lui une profonde déception.

Freinet ne baisse pas les bras. Même si les luttes immédiates sont indispensables, il faut penser l’avenir et donc changer sans attendre la pédagogie pour arrêter d’abrutir la génération enfantine et jeter les bases pour la libération du peuple, pour une autre société et pour offrir aux parents une cohérence de pensée et de vie.
 
« Février ! Émouvant anniversaire !
Il y a deux ans, nous nous réveillions un beau matin en face du fascisme montant à l’assaut de l’État. Et nous avions quelques raisons de nous demander alors, le plus sérieusement du monde, si nous n’allions pas suivre bientôt, comme nos camarades allemands, le chemin de la torture et des camps de concentration.
Le triomphe fasciste ne faisait aucun doute pour certains camarades bien informés qui nous conseillaient de camoufler nos activités. Précaution bien inutile, pensions-nous : nous sommes classés d’avance parmi les premières victimes du fascisme et nous savons qu’aucune de nos initiatives ne trouverait grâce devant la réaction au pouvoir.
Comme tant de camarades antifascistes, nous avons lutté avec la dernière énergie parce que notre œuvre et notre vie étaient directement en cause ; et c’est avec un réconfort incontestable que nous entrevoyons aujourd’hui, avec la montée souveraine du Front Populaire, la possibilité de continuer notre action éducative.
***
Nous avons l’habitude, pour conserver intact notre optimisme, de considérer impartialement mais avec sérénité les obstacles que nous rencontrons sur notre route.
Le fascisme recule, mais nous n’en devons pas moins reconnaître que les temps sont bien peu propices aux calmes travaux pédagogiques.
Nous traversons une de ces tristes périodes militantes, où l’on sent que se joue l’avenir d’une civilisation. Alors, à l’exemple des Perrin et Langevin, on abandonne momentanément s’il le faut les austères travaux de laboratoire et on descend dans la rue pour renforcer matériellement le barrage que les masses dressent victorieusement contre les menaces fascistes.
Loin de nous, la pensée de désapprouver cette action. Quand l’inondation menace, il ne suffit pas de se réfugier sur le toit en attendant que la maison croule. Si le redressement politique et social actuel permet un jour prochain une reprise enthousiaste des besognes actuelles, tous les ouvriers de cette œuvre essentielle auront bien mérité de la civilisation.
Nous nous contentons donc de noter que la période actuelle n’est pas propice du tout aux paisibles recherches pédagogiques et qu’il faut vraiment que notre mouvement ait poussé aujourd’hui de solides racines de base pour qu’il continue à se développer puissamment.
Et, effectivement, le nombre de nos adhérents ne fait que croître ; l’enthousiasme de ceux qui se joignent à nous est toujours aussi frais et aussi intrépide ; notre Éducateur Prolétarien se répand dans le personnel ; nos éditions sont de plus en plus connues. Nous reparlerons d’ailleurs de ces différentes activités dans notre prochain rapport général préparatoire aux discussions de notre Congrès de Pâques.
Mais, hors de notre cercle, nous trouvons bien peu d’échos dans les milieux syndicaux, politiques et littéraires, et cela explique l’insuccès – que nous ne saurions cacher – de notre initiative du Front de l’Enfance. Il fut un temps, il y a 5 à 6 ans, où les grandes revues hebdomadaires ouvraient leurs colonnes aux éducateurs d’avant-garde : Monde nous offrait ses colonnes et les peu combattives Nouvelles Littéraires avaient leur page de l’Enfance… C’était la période où la masse petite-bourgeoise de France souriait sceptiquement aux annoces des prochaines tentatives fascistes et s’installait dans une paix égoïste qui masquait les nuages menaçants.
C’est maintenant la lutte : à nous les adultes de nous battre pour éviter la réaction ! Donnons-nous à la propagande politique, suivons meetings et manifestations ! Et, ma foi, si nous garantissons à nos enfants le pain et la liberté, n’est-ce pas encore là une des meilleures conquêtes pédagogiques ?
Explications qui ne sont ni raisons ni excuses, mais simples constatations : les journaux ont depuis longtemps supprimé leur page pédagogique ; les chroniques de l’enseignement dans les journaux ouvriers sont exclusivement revendicatives ; on s’intéresse en général aux enfants dans la mesure où leur regroupement sert les propagandes politiques ; on reste fasciné par l’immédiat, par le tragique et l’inexorable des batailles de demain.
Nous participons aussi à ces luttes avec la même certitude de défendre ainsi, indirectement, le mouvement de pédagogie populaire. Mais nous trahirions notre cause, nous ferions montre d’une bien piètre confiance dans les forces invincibles du redressement populaire, si nous persistions à voir plus avant, et à préparer, par notre éducation libératrice, les batailles et les victoires qui resteront encore à emporter quand, dans 5, 6, 10 ans, nos élèves seront des adolescents puis des adultes.
Ne nous lassons donc pas, même si nous rencontrons bien peu d’échos encourageants. Éducateurs d’avant-garde, nous devons ouvrir la marche, et, sans négliger les besognes urgentes, aller vers la jeunesse et la vie…
***
Notre grand Romain Rolland est un des rares hommes qui, les yeux obstinément fixés vers l’avenir, jugent cependant à leur valeur les pressants événements contemporains. Il a vu l’importance primordiale de l’action que nous préconisions en faveur du Front de l’Enfance et il nous a spontanément écrit l’encouragement enthousiaste que nous avons publié.
Mais il a été le seul, parmi les sommités pédagogiques et culturelles que nous avions sollicitées à apprécier notre effort. Les autres n’ont pas su se dégager de leurs préoccupations… L’enfance attendra !
En vain, nous nous sommes adressés aux Partis politiques. Les journaux ont brièvement commenté notre charte. Le Populaire en a donné un bon résumé : grâce à l’intervention personnelle du directeur de L’Humanité, ce journal a accueilli un premier article sur le Front de l’Enfance… Mais le deuxième, qui lui faisait suite, s’en est allé au panier… La Fédération de l’Enfance ouvrière tergiverse pour bâtir sur le papier des plans et des contre-plans, ergote sur des mots et des suppositions comme si nous avions voulu établir, par notre charte, les lignes définitives de ce Front de l’Enfance.
L’essentiel n’était-il pas de créer un courant, et un courant populaire souverain ? Foin des discussions byzantines ! A la roue, ceux qui veulent pousser ! Quant à nous, nous prenions modestement notre place, et parmi les premiers et les plus acharnés. Nous acceptions tous ceux qui poussaient dans le même sens. Quand le mouvement aurait été créé, nous aurions à loisir alors recherché en commun des règlements et des statuts.
Les appuis essentiels, sans lesquels, dépourvus de tous moyens de propagande, nous ne pouvons rien, nous ont fait défaut : CGT, CGTU, ITE, Parti communiste, Parti socialiste, Municipalités ouvrières… rien n’a voulu bouger.
Nous avons, conformément aux décisions du Congrès d’Angers, accompli jusqu’au bout notre tâche. Nous avons lancé l’idée, frappé à toutes les portes que nous croyions sympathiques.
Si même notre idée ne devait point se réaliser, nous aurons du moins apporté notre pierre originale au puissant mouvement de regroupement populaire. Mais il n’est pas dit encore que notre initiative ne continue son chemin et qu’un de ces jours peut-être, prenne corps, même sous une forme légèrement transformée, le Front de l’Enfance dont, plus que jamais, nous sentons la nécessité. »
 
Célestin Freinet

Intégralité du texte dans L’Éducateur Prolétarien, n° 10, 25 février 1936
 
 

 

Front de l’Enfance, grande réunion constitutive publique, 25 mars 1936

La réaction s’organise, un Front National se dessine avec la constitution de la Ligue de l’Éducation Française qui appelle les maîtres « patriotes » et « fidèles au devoir national » à la rejoindre. En opposition, Freinet appelle de nouveau à un Front Populaire de l’Enfance, une urgence !

 

Grande réunion constitutive publique, le 11 avril prochain, 21 h

 
« Nous avons donné dans notre dernier numéro les raisons qui, après un moment de découragement, nous ont poussé à continuer notre action en faveur de Front de l’Enfance.
Le Front Laïque, auquel rien ne nous interdit d’ailleurs d’adhérer si le Congrès le décide, ne nous paraît pas répondre totalement aux exigences de l’heure. La réaction, d’autre part s’organise. Le Temps rend compte de la constitution de la Ligue de l’Éducation Française dont nous avons parlé, patronnée par Gaston Doumergue, Pétain et Weygand :
" Son programme peut être accepté par tout éducateur, quelles que soient par ailleurs ses opinions politiques ou philosophiques, pourvu seulement qu’il ait le souci de l’avenir du pays.
Il consiste à rendre l’école apte à préparer à la France, en étroite collaboration avec la famille, une jeunesse vigoureuse, saine d’esprit et de cœur, et résolue à servir et à défendre une patrie dont elle est fière.
Sa méthode est d’éviter autant que faire se peut la polémique, le travail négatif et de donner tout son effort à rassembler, stimuler et défendre les heureuses initiatives des maîtres patriotes.
Ce nouveau groupement ne prétend remplacer aucun de ceux qui existent déjà et qui ont tous rendu à la cause nationale dans l’enseignement de très grands services. Mais le fait qu’il est né de délibérations de membres appartenant à des associations multiples et diverses, montre qu’il rendra possible une action commune et puissante de tous les maîtres fidèles au devoir nationale. "
C’est, on le voit nettement, un essai de Front National auquel il nous faut d’urgence opposer un Front Populaire de l’Enfance.
Le CA a estimé aussi que notre action devait être continuée. Nous avons aussitôt demandé aux personnalités pédagogiques, aux organisations syndicales, politiques, philosophiques, d’assister ou de se faire représenter à une grande réunion constitutive qui aura lieu à Moulins à l’issue de notre Congrès.
Un appel spécial sera fait aux organisations départementales, dans l’Allier.
Il s’agit moins, à cette réunion constitutive, de présenter notre projet de charte que de confronter des opinions sur l’urgence et les modalités de l’action à mener. Car dans notre esprit, ce Front de l’Enfance ne devrait pas être un groupement avec statuts et directives, mais bien, et surtout un mouvement, un élan, une conjonction d’actions et de bonnes volontés qui trouveront facilement, nous en sommes convaincus, les points communs à mettre en avant.
Nous demandons à tous nos camarades de faire le maximum, dans la presse amie, au sein des organisations politiques et syndicales pour que cette réunion constitutive jette vraiment les bases d’action de ce Front de l’Enfance. »
 
Célestin Freinet
 
La réunion du Front de l’Enfance sera placée sous la présidence d’honneur de Romain Rolland.
« Cher Camarade Freinet,
«Je serai heureux que vous placiez votre Assemblée Constitutive du Front de l’Enfance sous ma présidence d’honneur.
Je voudrais n’être pas si chargé de tâches pour pouvoir vous prêter une aide plus efficace.
Vous savez quelle sympathie et quelle estime j’ai pour vous et pour votre œuvre.
Affectueusement.
Romain Rolland »

L'Éducateur Prolétarien, n°12-13, 25 mars 1936 dans son intégralité
 

 

Projet de Tâches du Front de l'Enfance, 25 avril 1936

Le Projet de Tâches du Front de l’Enfance, conçu et approuvé par l’Assemblée constitutive du Front de l’Enfance du 11 avril 1936 à Moulins.

 

FRONT de L’ENFANCE   
Président d'honneur : Romain ROLLAND 
 
 

« Je serai heureux que vous placiez votre Assemblée constitutive du Front de l'Enfance sous ma présidence d'honneur.
Je voudrais n'être pas si chargé de tâches pour pouvoir vous prêter une aide plus efficace. Vous savez quelle sympathie et quelle estime j'ai pour vous et pour votre oeuvre. »
 
                                                                                                                                                          Affectueusement,

Romain ROLLAND

 

« Quand nulle autre cause ne nous le commanderait, le salut physique et intellectuel de l'enfance nous obligerait déjà à la révolution.

Notre société est une entreprise d'abaissement de l'homme et de DESTRUCTION de l'enfant. Qu'un sentiment de révolte et une poussée d'espoir ne soulèvent pas nos contemporains, qu'ils acceptent cette dégradation presque systématique dont ils sont les témoins, cela est une des condamnations les plus dures qu'on ait à prononcer contre eux. Heureusement qu'il y a des hommes comme vous. »

Jean-Richard BLOCH

 

 

Projet de Tâches du Front de l'Enfance  


Devant le fascisme qui menaçait les plus élémentaires de nos libertés républicaines, l'immense masse des citoyens de toutes tendances s'est unie en France au sein d'un FRONT POPULAIRE qui, au-dessus des partis, sans contrarier d'ailleurs ni la vie ni le recrutement de ces partis, coordonne, sur des principes communs, l'action de tous.
Mais, hélas ! les besognes urgentes sont si nombreuses et si prenantes que ce FRONT POPULAIRE ne pense pas assez, à notre gré, à la défense sociale dans le proche avenir. Dans la cité menacée, on mobilise d'abord tous ceux qui sont en âge de participer à la lutte ; on pense à dresser le barrage nécessaire. Et ce souci est certes légitime.
Les éducateurs, eux, préparent les lutteurs de demain. Ils savent que, dans les années à venir, la république sociale demandera encore du dévouement et des sacrifices. De ce lendemain si proche, le FRONT POPULAIRE ne saurait se désintéresser.
C'est pourquoi, parallèlement à ce FRONT POPULAIRE, et selon les mêmes principes d'organisation et d'action, nous avons constitué le FRONT DE L'ENFANCE, susceptible de coordonner puissamment l'activité des diverses associations, des multiples personnalités qui s'intéressent à l'Enfance.
Certes, nombreux sont en ce pays ces associations et ces personnalités, nombreux sont les éducateurs qui se dévouent à une tâche qu'ils voudraient élargir et approfondir.
Mais, d'une part : chacun agit de son côté plus ou moins efficacement des associations se concurrencent au lieu de collaborer, et surtout aucune idée d'ensemble ne domine cette action constructive.
D'autre part éducateurs ni associations n'ont pas encore pu toucher comme ils l'auraient désiré l'immense masse des citoyens. Les parents notamment restent trop souvent à l'écart de l'école, circonvenus parfois par l'action cléricale. Il manque à ce pays le vaste mouvement de fond susceptible d'imposer aux gouvernements une action vigoureuse et coordonnée en faveur non seulement de l'école, mais de l'enfance et de la jeunesse.
Ce puissant mouvement de fond, le FRONT DE L'ENFANCE prétend le susciter en France.
Il est bien entendu alors que ce FRONT DE L'ENFANCE ne saurait, en aucune manière, être un super-parti ni un super-groupement.
Il ne saurait se substituer aux partis prolétariens ni aux organisations syndicales auxquels il fera sans cesse appel. Il ne prétend entraver en rien l'action propre des organisations qui, actuellement, s'occupent de l'enfance; il s'en voudrait de gêner tant soit peu l'activité progressiste de telle ou telle personnalité.
Son rôle est seulement de coordonner, d'unir, de montrer les buts à atteindre, de préconiser des moyens d'action - et de mobiliser si possible, autour de ces associations et de ces personnalités, pour des buts précis, la grande masse populaire.
Dans ce cadre, il y a place, on le voit, pour tous les groupements, pour toutes les individualités qui désirent loyalement le bien et le progrès de l'enfance, quelle que soit leur orientation politique ou religieuse, quel que soit le terrain propre sur lequel elles se meuvent.
C'est dans cet esprit de large entente qu'a été conçu et approuvé, à l'Assemblée Constitutive de Moulins, le projet de tâches du FRONT DE L'ENFANCE, dont nous publions ci-dessous les points essentiels, étant entendu que ce projet ne saurait en aucune façon être restrictif, qu'il reste d'ailleurs un projet, révisable à mesure que la masse populaire prendra conscience des nécessités d'action du FRONT DE L'ENFANCE.

1. L'École Laïque est une des grandes conquêtes de la République. Le jour où elle serait libérée de toutes les forces réactionnaires qui l'assaillent, elle offrirait au peuple d’immenses possibilités de progrès.
LE FRONT DE L'ENFANCE DÉFENDRA L'ÉCOLE LAÏQUE CONTRE TOUS SES ENNEMIS.
2. Les gouvernements ont, jusqu'à ce jour, fait passer au dernier plan les préoccupations concernant l'enfance.
La réaction a, au cours de ces dernières années, aggravé les conditions matérielles de l'école: suppression des crédits pour constructions, suppression d'écoles, donc surcharge anormale des classes. Le fascisme ne ferait qu'accélérer cette irrémédiable décadence voulue par les forces obscurantistes.
Le FRONT DE L'ENFANCE luttera dans tous les domaines pour rétablir une situation normale, pour faire rouvrir des écoles, nommer des instituteurs, décongestionner les classes afin que soit possible le travail d'éducation qui fera des enfants du peuple des hommes, des lutteurs, des constructeurs de la société nouvelle.
3. LE FRONT POPULAIRE prendra, en toutes circonstances, la défense des instituteurs matériellement en appuyant leurs revendications, en exigeant pour eux des traitements honnêtes qui leur permettent de se consacrer totalement à leur sacerdoce ; moralement, en sonnant le rassemblement autour de l'école toutes les fois que, ouvertement ou non, le fascisme et le cléricalisme la menacent.
4. La construction sociale et la défense républicaine exigent qu'un esprit nouveau de libre collaboration anime dans tous les domaines l'oeuvre d'éducation.
Le FRONT DE L'ENFANCE popularisera les mots d'ordre de l'école nouvelle prolétarienne: pour l'activité communautaire, pour une discipline libératrice, pour une école liée à la vie et aux destinées des masses populaires.
5. LE FRONT DE L'ENFANCE, conscient des graves dangers que font courir à l'enfance et à la jeunesse les publications pour enfants et le cinéma mercantile, entreprendra d'urgence une grande campagne pour dénoncer les entreprises obscurantistes, encourager et soutenir les initiatives libératrices, prendre enfin dans ces domaines toutes mesures pour que naissent la véritable presse pour enfants, les théâtres et cinémas pour enfants.
6. Pour ces buts, le FRONT DE L'ENFANCE groupe toutes les organisations scolaires et post-scolaires: coopératives scolaires, patronages, caisse des Écoles, organisations sportives, organisations d'enfants, etc., ainsi que les diverses organisations d'adultes susceptibles de soutenir les revendications du FRONT DE L'ENFANCE: Associations de Parents, syndicats et organisations diverses.
Le FRONT DE L'ENFANCE suscitera d'ailleurs, là où il n'en existe pas, la naissance et le développement d'associations scolaires et para-scolaires, décidé qu'il est, sans refuser l'adhésion des personnalités, à être le plus possible une sorte de large trait d'union entre organisations ouvrant toutes, dans leur milieu spécial, selon les modalités qui leur sont propres, tout en concourant à la vaste oeuvre de rénovation.
7. LE FRONT DE L'ENFANCE n'oublie pas que le développement, l'éducation, les progrès de l'enfance sont conditionnés d'abord par le milieu social et politique, qu'il ne saurait y avoir de sérieuse amélioration sans une amélioration du standard de vie des travailleurs, sans une plus large conception des libertés sociales.
C'est pourquoi, sans participer directement aux luttes politiques, le FRONT DE L'ENFANCE agira en complète liaison avec toutes les organisations qui ouvrent contre le fascisme, pour l'avènement d'une société meilleure, qui nous permettra de marcher victorieusement vers la conquête des buts ci-dessus.

                Pourront adhérer au FRONT DE L'ENFANCE :
1. Les organisations diverses, scolaires et péri-scolaires, philosophiques, syndicales et politiques qui s'intéressent à l'enfance et qui verseront une subvention volontaire dont le taux pourra être fixé ultérieurement ;
2. Les personnes qui verseront une cotisation de deux francs. 

A l'assemblée constitutive de moulins étaient représentées, sous la présidence d'honneur de Romain Rolland, les associations suivantes : Union Locale de Moulins, Syndicat National des Instituteurs (Allier), Jeunesses Socialistes, Cartel des Services Publics, Patronage Laïque de Moulins, Ligue des Droits de l'Homme (Moulins), Groupe Français d'Éducation Nouvelle, Comité Amsterdam-Pleyel (Creuse), Rassemblement mondial des Femmes (Creuse), Coopérative de l'Enseignement Laïque, Parti Socialiste (Allier), Union Départementale de la C.G.P.T.
Toutes ces associations ont donné leur adhésion au Front de l'Enfance.
Les Jeunesses Communistes avaient envoyé un observateur.
Le Bureau provisoire suivant a été élu :
Président d'honneur: Romain ROLLAND.
Secrétaire général: C. FREINET.
Secrétaire à la propagande: Dr Henri WALLON, du Groupe Français d'Éducation Nouvelle.
Trésorier : un délégué du mouvement Amsterdam-Pleyel.
Pour adhérer, s'adresser à C. FREINET, à Vence (Alpes-Maritimes). C. C. Marseille 115.03.

  BULLETIN D'ADHÉSION

 Adresse : .................................................................

Nom de la personne ou de l'Association : .................................................

Déclare adhérer au FRONT DE L'ENFANCE et verse au trésorier une cotisation de ........... francs.

A ................................., le ........................................
 

                                                                                                                                             SIGNATURE  

A remplir et à renvoyer à C. FREINET, à Vence (Alp.-Mar.). C.C. Marseille 115-03.

 

L'Éducateur Prolétarien, n° 14, 25 avril 1936 dans son intégralité.

 
 

 

Victoire du Front Populaire, 10 mai 1936

Une semaine après la victoire électorale du Front populaire aux législatives, l'éditorial de Freinet dans l’Éducateur Prolétarien

 
Victoire du Front Populaire

« Nous avons fait la démonstration maintes fois des rapports étroits qui lient le sort de notre pédagogie prolétarienne à l’évolution sociale et politique des divers pays.
A mesure que montait le fascisme en France, il y a quelques années, les conditions de notre travail et de notre évolution allaient se compliquant. La victoire du fascisme a été la fin de la pédagogie nouvelle en Allemagne et en Italie ; la victoire réactionnaire en France aurait inévitablement marqué l’étouffement de notre foyer de régénération pédagogique.
Nous n’oublions pas, personnellement, que la plainte de l’Académie au Procureur de la République pour fermeture de notre école attendait au Tribunal la décision électorale et que l’affaire aurait suivi son cours dès le 4 mai si la décision populaire n’avait porté au pouvoir nos propres défenseurs.
Nous savons être l’interprète de tous nos camarades en saluant cette promesse de progrès. Mais, maintenant, au travail plus encore que par le passé pour cette promesse devienne réalité.
Continuons notre travail pratique et réalisateur, attachons-nous à imprégner de nos idées la grande masse des éducateurs et surtout œuvrons sans retard pour que vive et agisse le Front de l’Enfance dont notre CEL a eu l’initiative et qui devrait un jour prochain cristalliser au sein du Front Populaire, toute l’action revendicative en faveur de l’Enfance.»
Célestin Freinet
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 15, 10 mai 1936

 

A l’œuvre ! Camarades ! pour le Front de l’Enfance, 10 mai 1936

Publication de la circulaire pour relancer la dynamique du Front de l’Enfance.

 
Le Front de l’Enfance
 
« Nous avons adressé la circulaire suivante, au sujet de laquelle nous sollicitons aussi l’action militante de tous nos camarades :
Aux délégués départementaux de la CEL ;
Aux responsables d’organisations prolétariennes ;
A tous les amis de l’Enfance ;
La période électorale qui préoccupe si toalement l’esprit de nos camarades et qui surcharge aussi les imprimeurs, ne nous a pas permis d’entreprendre plutôt le lancement du FRONT DE L’ENFANCE.
Les organisations pressenties, Groupe Français d’Éducation Nouvelle et Comité d’Amsterdam n’ont pas encore non plus désigné leur responsable à notre Bureau, mais Mlle Flayol nous a annoncé son accord total avec les décisions prises et son désir de faire procéder sans retard à la nomination du vice-président.
Nous allons maintenant commencer le plus méthodiquement possible notre campagne de propagande.
Nous avons édité un tract dont nous vous adressons quelques exemplaires et dont nous vous ferons parvenir gratuitement autant d’ex. que vous demanderez. Au-delà de quelques dizaines, nous vous demandons seulement de nous verser une souscription pour nous aider.
Comment utiliser ce tract :
1. Adhésions individuelles : avec versement d’une cotisation de 2 frs.
Comme nous le disons dans notre tract, nous ne visons pas spécialement les adhésions individuelles, mais dans la période actuelle de lancement elles nous permettent d’avoir, dans tous les coins de France de solides points d’appuis et des propagandistes susceptibles de toucher ensuite et de décider les organisations.
2. Adhésions d’Associations : il appartiendra alors à tous les adhérents individuels, à tous les responsables d’association, de faire adhérer de nombreux groupements : syndicats, coopératives, caisses des écoles, groupements d’enfants, patronages, etc.
La subvention facultative que nous sollicitons, ne saurait en aucun cas être un obstacle à l’adhésion. Nous étudierons ensuite l’action à mener.
3. Une camarade de Toulouse qui se prépare à passer à la réalisation, nous suggère une idée qui serait excellente ; des manifestations culturelles se rapportant à l’Enfance, notamment des expositions enfantines contenant dessins, travaux manuels, réalisations pédagogiques diverses, avec le concours de toutes les organisations d’enfants : Pionniers, Faucons rouges, patronages, scouts, écoles laïques, etc.
Ces expositions, ouvertes au public, pourraient être accompagnées de conférences, d’auditions de disques, de projections cinématographiques, et peut-être même de représentations théâtrales. « De là, dit notre correspondante, naîtrait peut-être une union, une fraternité que l’on pourrait continuer en établissant un Comité, soit pour essayer de monter une imprimerie ou un centre culturel enfantin selon tes méthodes. »
A la réflexion, nous pensons que cette activité pourrait bien devenir une des activités spécifiques du Front de l’Enfance. Nous demandons à nos adhérents d’y réfléchir. Nous restons à leur entière disposition pour les y aider.
Certes, il nous reste tout à faire. Avec l’aide généreuse de milliers de camarades nous pourrons entreprendre de grandes choses.
Ne nous décourageons pas si nous n’avons pas, dès le début, l’appui des grandes organisations nationales. C’est en marchant que notre mouvement s’affirmera et trouvera sa vraie voie.
A l’œuvre ! Camarades !  
Le secrétaire : Célestin Freinet
P .S. – Au moment de mettre sous presse, Mlle Flayol nous annonce que le Dr Henri Wallon, bien connu de tous nos camarades, accepte de prendre place au Bureau du Front de l’Enfance.
Nous l’en remercions bien cordialement et nous sommes persuadés qu’avec des concours aussi compétents et aussi dévoués, nous ne tarderons pas à démarrer puissamment. »
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 15, 10 mai 1936
 
 
 

 

Besogne constructive, 25 mai 1936

Un appel à réflexion collective pour une autre école aux adhérents, mais aussi aux organisations de l’enseignement, aux revues pédagogiques, aux journaux amis et aux syndicats.

Les préconisations pour cette réflexion résonnent encore en 2016 : fournitures gratuites ; ouvertures de classes et recrutement de jeunes enseignants ; aides budgétaires suffisantes pour l’achat de matériel ; modifications des programmes pour les plus jeunes (notre cycle 2) pour coller plus aux besoins des enfants dans leur milieu, sans leçons imposées, pour les plus grands (correspondant aux cycles 3 et 4) un « minimum strict exigible » (on dit « socle commun » aujourd’hui) ; latitude dans les méthodes pédagogiques éprouvées ; participation des enfants à la vie scolaire ; étude du milieu (sorties, visites…) ; soutien des pédagogies nouvelles ;   écoles expérimentales d’éducation nouvelle ; un nouvel examen final qui ne contrôle pas seul les acquisitions ou sa suppression, un carnet de scolarité pris en compte (Brevet des collèges et livret de compétences aujourd’hui) ; organisation des lieux éducatifs hors école…
 
 Questionnaire de fin d’année
 
« Sans prétendre que l’avènement au Parlement d’une forte majorité Front Populaire doive tout bouleverser, nous pouvons reconnaître et affirmer que le puissant mouvement de masse dont les élections sont le témoin autorise les plus grands espoirs.
De la défensive où les éducateurs se cantonnaient depuis longtemps, il est possible maintenant de passer aux réalisations offensives, et notre groupe doit, dans ce domaine, encore une fois, être à l’avant-garde.
Les masses sentent que les vieilles mécaniques administratives doivent changer, que des initiatives hardies doivent prendre corps pour nous sortir de l’impasse. Notre premier devoir est de montrer que l’éducation des enfants ne saurait suivre les chemins périmés de la routine et de l’asservissement, que des méthodes aujourd’hui éprouvées peuvent être introduites dans l’enseignement public. Il nous faudra étudier très soigneusement les plus urgentes et demander alors aux pouvoirs publics les améliorations raisonnables que nous préconiserons.
Mais la besogne essentiellement pratique est surtout de libérer l’éducateur des vieux cadres qui jugulent sa bonne volonté et ses initiatives. Ces cadres sont essentiellement les programmes et les examens, plus spécialement le CEPE. Il nous faut, par une étude approfondie, préparer et mettre au point des propositions pratiques dont nous demanderons ensuite l’adoption.
 
***
Il y a, d’une part, ce travail de documentation et de préparation qui doit être avant tout une œuvre coopérative des techniciens compétents et intéressés : les instituteurs en l’occurrence. Par la collaboration de plusieurs centaines de nos camarades, nous sommes en mesure de mettre sur pied des propositions répondant effectivement aux besoins de la masse des éducateurs. Il ne sera pas inutile d’ailleurs de saisir de notre initiative nos sections du Front de l’Enfance qui sont susceptibles de nous aider en maintes circonstances.
Nous demandons instamment à tous nos camarades de répondre au questionnaire suivant qui remplacera, cette année, de façon originale, on le voit, le questionnaire habituel concernant nos techniques.
Il ne s’agit pas de répondre simplement par des oui ou par des non aux quelques questions que nous posons et qui ne sont que des indications nullement restrictives pour le plan possible de notre travail. C’est un véritable rapport que nous vous demandons, dans lequel chacun de vous apportera le meilleur de sa compétence et de sa documentation, sans craindre de traiter à fonds les points que nous avons pu oublier dans notre questionnaire.
Bien que nous comptions avant tout sur la collaboration bien souvent éprouvée de tous les adhérents de notre groupe, nous élargirons le plus possible notre enquête. Nous allons soumettre notre questionnaire aux diverses organisations de l’enseignement, nous le communiquerons aux revues pédagogiques et aux journaux amis. Nous vous demandons de le soumettre si possible à l’étude de vos syndicats ou de vos filiales.
Ce n’est que si les documents qui nous parviennent sont issus d’une base importante et compétente que nous pourrons ensuite, alors, soumettre nos conclusions au gouvernement.
Les résultats de notre vaste enquête paraîtront à la rentrée d’octobre, dans un numéro spécial de l’Éducateur Prolétarien.
Nos amis voient certainement toute l’importance pédagogique de cet effort et l’excellente propagande qu’il constitue pour nos techniques. Nous comptons encore une fois sur vous tous. »
Célestin Freinet
 
A) REVENDICATIONS D’ORDRE ADMINISTRATIF :
– Organisation du service des fournitures gratuites à tous les enfants ;
– Prolongation de la scolarité jusqu’à 14 ans ;
– Décharge des classes par l’ouverture de classes nouvelles et remploi de jeunes éducateurs ;
– Amélioration permanente des locaux scolaires ;
– Octroi de subventions nationales et départementales du tiers pour tout matériel collectif d’enseignement : cinéma, radio scolaire, phono et disques d’enseignement, Imprimerie à l’École, Fichier Scolaire, Bibliothèques scolaires et Bibliothèques de Travail ;
– Dispense des formalités légales de déclaration et de dépôt pour les journaux scolaires édités dans les écoles sous le contrôle de l’Inspecteur primaire, avec gratuité de la circulation en France ;
– Divers.
 
B) REVENDICATIONS PLUS SPÉCIALEMENT PÉDAGOGIQUES :
– Modifications aux programmes et au Plan d’études. En Belgique, le nouveau plan d’études stipule que, jusqu’à 8-9 ans, le souci d’acquisition doit céder le pas au souci d’éducation. Il y aurait lieu, pour ces degrés, de modifier les programmes, en stipulant que l’enseignement doit, avant tout, répondre aux besoins des enfants dans leur milieu sans obligations extérieures ni leçons imposées.
Pour les degrés suivants, le programme devrait préciser un minimum strict d’acquisition exigible, – (nous demandons à nos adhérents d’établir ce programme minimum pour le CM et le CS) – et laisser aux éducateurs la plus grande latitude dans les méthodes employées pour parvenir à cette acquisition sans nuire aux nécessités éducatives.
– L’établissement de ce programme minimum permettra la participation active de l’école à la vie sociale :
a) Classes promenades (en préciser le nombre souhaitable et le règlement) ;
b) Visite d’usines, d’exploitations diverses (une fois par semaine par exemple) ;
c) Organisation effective des branches secondaires qui, dans la pratique, sont totalement négligées : éducation physique, travaux manuels et chants.
– Participation des enfants organisés en coopératives scolaires à la vie officielle de l’école. 5Préciser comment pourrait se faire cette participation).
– Vœu en faveur des méthodes nouvelles dans l’enseignement.
– Organisation des écoles expérimentales d’éducation nouvelle.
c) Les examens, et plus spécialement le certificat d’étude :
Si vous vous rendez compte des dangers de la course aux acquisitions, il sera nécessaire d’éviter que le CEPE contrôle cette seule acquisition.
Quelles propositions feriez-vous pour l’organisation d’un nouveau CEPE (ou pour sa suppression pure et simple) ?
– Établissement d’un carnet de scolarité dont l’examen entrerait en ligne de compte pour l’obtention du CEPE. Dans quelle mesure ?
– L’examen lui-même doit-il subsister et faut-il en demander la suppression ?
– Si on le laisse subsister, dans quel sens l’améliorer :
a) âge ;
b) épreuves : comment les amender, épreuves écrites et épreuves orales. Dans quelle mesure pourrait-on employer les tests ?
– Autres examens.
D) L’organisation post-scolaires :
– Réorganisation des cours d’adultes.
– Patronages.
– Organisation d’enfants.
– Cinéma et théâtre d’enfants.
– Journaux d’enfants.
– Bibliothèques, etc.
 
***
Si possible, présenter les rapports, au recto seulement des feuilles, sous la forme suivante :
Discussion ;
Exposé des motifs ;
Propositions pratiques qui pourraient être éventuellement traduites en articles de loi.
Il est bien entendu que le questionnaire ci-dessus n’est qu’indicatif et que nous ne voudrions en rien limiter tant soit peu votre initiative. Nous sollicitons au contraire l’examen approfondi de toutes questions susceptibles d’entre dans le cadre de notre rapport.
Faire les envois avant la fin juillet à Célestin Freinet, Vence (Alpes-Maritimes).

L'Educateur Prolétarien, n° 16, 25 mai 1936 dans son intégralité
 
 
 

 

Vers un nouveau plan d'études français, 10 juin 1936

Complément à la réflexion pour le questionnaire paru dans « Besogne constructive » de l’Éducateur Prolétarien précédent (25 mai 1936).

« Les éducateurs populaires failliraient à leur tâche s'ils ne savaient utiliser pour les fins éducatives qui nous passionnent le puissant courant revendicatif qui secoue les masses victorieuses. Dans ce domaine aussi des réformes urgentes s'imposent. Lesquelles ?
Il y a deux aspects que nous ne saurions arbitrairement séparer dans l'organisation ou la réorganisation de l'enseignement. Nous avons toujours dit la portée prépondérante sur l'évolution pédagogique des améliorations administratives morales et surtout matérielles : décharge des classes, donc création de nouvelles classes par la nomination d'instituteurs sans travail, construction de locaux, prolongation de la scolarité, organisation de l'enseignement du 2d degré, de l'enseignement technique, de l'orientation professionnelle, de la post-école.
Le gouvernement du Front Populaire a voulu faire un geste en demandant la prolongation de la scolarité. Nous espérons qu'on n'oubliera pas que ce n'est là qu'un geste, et, que ce geste fait, tout reste encore à réorganiser dans l'enseignement populaire.
Mais ce côté administratif, dont nous sommes cependant loin de nous désintéresser, est plutôt du ressort des syndicats. Nous nous attacherons davantage, nous, à l'examen de la réorganisation pédagogique, que tout le monde désire, mais pour laquelle manquent totalement les suggestions et directives susceptibles d'influer, le cas échéant, sur les décisions gouvernementales.
Nous réserverons aujourd'hui, pour la traiter séparément, la grave question du certificat d'études et des années de scolarité qui le précèdent directement, soit 11 et 12 ans, période pendant laquelle, dans l’organisation actuelle, il nous faut dévier nos efforts et procéder, plus ou moins, au bourrage systématique qui assurera le succès à l'examen. La question est délicate parce que liée à des considérations extra-scolaires dont nous ne méconnaissons pas la gravité.
Mais il est une période éminemment plus favorable à la réforme pédagogique : c'est celle qui concentre les quatre ou cinq premières années d'études primaires, de 5 et 6 ans à 10 ans.
Nous avons, pour ce degré, l'exemple précieux de la grande et récente réforme pédagogique belge, que nous citerons longuement pour montrer comment, en France encore plus qu'en Belgique, un nouveau plan d'études s'impose.
Les considérants de la circulaire ministérielle belge seraient bons à citer :
" Afin de conserver à l'enseignement primaire la caractère concret et cohérent qui doit être le sien, nous estimons que les leçons de géographie, d'histoire et de sciences naturelles peuvent être en quelque sorte confondues dans une seule et même rubrique: exercices d'observation.
Au cours des quatre premières années d'études, ces exercices bien conduits fourniront aux élèves un bagage sérieux de connaissances, les mettront en contact direct avec le monde extérieur et développeront leur esprit d'observation et de recherche.
Le milieu direct auquel l'enfant s'intéresse et qui le sollicite de toutes parts prodiguera la matière de tout cet enseignement. Le choix de la matière n'aura rien d'absolu et le programme des exercices d'observation sera établi en fonction du milieu et des circonstances. Cet enseignement sans ambitions scientifiques n'aura donc rien de systématique ni de rigide. Il ne peut s'agir au fond que d'une modeste initiation par une série de leçons judicieuses au cours desquelles l'esprit de l'enfant sera mis en contact avec les phénomènes et leurs effets pratiques sans s'égarer dans une outrecuidante recherche des causes.
L'observation des choses dans le milieu ambiant enrichira l'expérience de l'enfant et fournira l'occasion de lui apprendre à exprimer sa pensée. Au cours des exercices d'observation, la langue maternelle sera toujours à l'honneur.
Observer les êtres vivants, les choses et les faits et y appliquer les moyens d'expression, constituent un seul et même progrès.
L'enfant exprimera par la parole et l'écriture ce qu'il aura vu, constaté, expérimenté. Mais les autres moyens d'expression, tels que le dessin, le modelage et le travail manuel ne seront pas négligés. Ainsi toute une série d'intérêts jaillissent et gravitent autour d'une idée et un beau travail d'association et de concentration se fait en profondeur.

En résumé, au cours des quatre premières années d'études, la langue matérielle et l'arithmétique seront au premier plan des préoccupations et on visera à des résultats nettement déterminés et contrôlables. Un barème de connaissances pourrait être établi, afin que le but à atteindre soit défini avec précision.
A partir de la 5e année d'études, les matières seront progressivement élargies et plus systématiquement organisées. C'est une autre étape à parcourir au cours de laquelle la connaissance abstraite remplacera petit à petit la connaissance concrète. En d'autres termes, à la façon accidentelle d'apprendre se substituera une méthode plus logiquement ordonnée. Mais si les branches d'études font ici leur réapparition, c'est en laissant tomber beaucoup de rameaux et en renonçant à l'encyclopédisme. En géographie, en hygiène, en histoire, etc., il faut nous décider à laisser les enfants de l'école primaire ignorants d'un grand nombre de choses à condition qu'ils possèdent bien les plus simples et les plus importantes.
A tous les degrés de l'école, l'enseignement s'inspire largement du milieu et il puisera ses plus fécondes leçons dans les réalités proches.
Nous osons croire qu'en s’inspirant des principes que nous venons de rappeler, on peut établir un plan d’étude primaire applicable dans toutes les écoles du pays.

En réclamant plus de simplicité et de sobriété, loin de nous la pensée de vouloir borner brutalement l'horizon des enfants. Cependant, il faut renoncer à vouloir tout apprendre et mal apprendre. Il faut surtout se préoccuper du choix, de la qualité et de la portée des connaissances, ne pas confondre les moyens avec les fins et ne jamais dissocier l'instruction de l'éducation."
Que signifie, au fond, cette circulaire ?
Nous avons, en France, la grande expérience de l'école maternelle incontestablement, il a été fait beaucoup dans ce domaine, et beaucoup surtout dans le sens de l'éducation nouvelle. On s'y applique à éduquer l'enfant, à étudier ses réactions, à faire du travail en profondeur en partant de ses besoins et de ses intérêts essentiels et fonctionnels. On n'y est pas contre l'acquisition, mais on pense avec raison que, à ce degré, l'acquisition ne doit pas trop tôt systématiser et étouffer la vie, qu'elle doit être la conséquence normale de cette vie.
On a souvent déploré qu'un fossé dont on mesure d'ailleurs mal la profondeur, sépare l'école maternelle de l'école primaire qui devrait en être la suite naturelle. Là, l'enfant est dans un milieu qu'on s'efforce de rendre tout à la fois familier et éducatif, avec des activités qui le sollicitent, un matériel parfois même exagérément suggestif, des éducatrices qui s'essayent à marcher à son pas.
Il passe à l’école primaire. Finie la vie ! C'est ici le règne du manuel, du devoir, du règlement, de l'étude. On croirait que brusquement l'enfant a fini sa croissance et son évolution et qu'il faut, en hâte, procéder à un ameublement anormal et inconsidéré.
Nous demanderons seulement que soient continuées jusqu'à dix ans, les méthodes pédagogiques qui font, dans le monde, l'honneur de l'école maternelle française. Non pas qu'il s'agisse d'y appliquer les mêmes techniques mais seulement de se laisser diriger par les mêmes considérations pédagogiques que nous trouvons résumées dans la circulaire belge.
Sans prétendre dicter leur devoir à nos camarades du Front Populaire au pouvoir, nous hasarderons une règlementation qui, simple, souple et large, serait susceptible de donner satisfaction à toutes les exigences.
Le Cours préparatoire et le Cours élémentaire à l'école primaire ne sont que la continuation de l'école maternelle, et il ne doit pas y avoir brusque changement de méthode générale entre ces deux degrés.
La caractéristique pédagogique à ce degré sera que l'éducation de l'enfant y a le pas sur l'éducation, que la vie compte plus que la formule, que l’activité sociale prime l'étude verbale ou formelle par les leçons magistrales ou par le manuel scolaire.
Cela ne signifie point que nous devions, à ce degré, négliger l'acquisition. Le rythme global pourra même en être prévu au règlement, à titre purement indicatif, étant entendu que, en aucun cas, on ne gavera l'enfant de notions formelles pour parvenir à ces normes indicatives.
La méthode sera celle que nous préconisons depuis dix ans et qui a fait ses preuves dans cinq cents écoles : c'est celle qui part de la vie de l'enfant pour mener à l'activité sociale par la vie de l'esprit.
L'enfant sera appelé à réfléchir d'abord sur les faits qui l'entourent, sur les événements intérieurs ou extérieurs de sa propre vie. Il sera engagé à écrire ses réflexions, à les imprimer, à les échanger avec d'autres camarades. Chemin faisant, il acquerra de la meilleure façon qui soit la maîtrise de la langue française qu'il apprendra ainsi à lire et à écrire - cet apprentissage ne devant jamais être l'effet d'un forçage, mais le résultat d'une vie intense et pédagogiquement, techniquement, organisée.
Les expériences d'éducation nouvelle, la nôtre en particulier, sont unanimes à montrer que, pour les enfants normaux - et les anormaux aussi d'ailleurs - les résultats, pour ce qui concerne l’acquisition, ne sont jamais inférieurs à ceux qui résultent du bourrage systématique trop communément pratiqué encore.
Les leçons ex-cathédra de sciences et de géographie – et partant, les manuels sous leur forme actuelle – seront supprimés et remplacés par l'examen approfondi et systématique de la vie autour de soi. Par des visites sur les lieux du travail, par des expériences pratiques, des travaux manuels, par l'examen des vues, par la constitution et l'enrichissement permanent d'un imposant Fichier scolaire, par le cinéma, les enfants, en partant de leurs véritables intérêts, s'initieront harmonieusement aux acquisitions systématiques ultérieures. Les calculs basés sur la vie et partant de la vie éviteront l'écueil de la « prématurité », c'est-à-dire de l'obligation où nous sommes actuellement d'imposer aux enfants des études et des problèmes qu'il n'est pas encore mentalement en âge de comprendre et dont il s'assimile fort mal l'aride technique.
Pour l'histoire, l'inutile verbiage actuel sera remplacé par l'étude naturelle de l'histoire locale d'abord et, simultanément, de l'évolution à travers les âges, des conditions de vie et de travail - éléments qui donnent aux acquisitions formelles ultérieures une assise inébranlable.

***
Ce n'est pas parce que, ce faisant, on tournerait le dos aux pratiques indéfendables de la pédagogie classique qu'on ferait un saut dangereux dans l'inconnu. Ces méthodes ont donné dans l'enseignement matériel des résultats incontestables ; elles ont enthousiasmé les éducatrices. Notre technique a d'ailleurs préparé la voie à cette réforme souhaitable puisqu'elle a montré pratiquement que, sans anormal forçage, sans leçons systématiques, sans abêtissement par les manuels scolaires, les enfants savaient et pouvaient non seulement s'harmoniser et se centrer mais aussi s'enrichir d'une expérience qui, à l'heure actuelle, déborde étrangement les formules et les résumés des manuels scolaires.
L'élan et la volonté créatrice des masses ont porté au pouvoir un gouvernement de Front Populaire. Celui-ci ne peut que faire confiance à l'élan, à la volonté créatrice, à l'enthousiasme invincible des enfants d'aujourd'hui, constructeurs de la société socialiste de demain.
Nous demandons à tous nos camarades de réfléchir longuement aux propositions que nous apportons ci-dessus, de nous donner leur point de vue afin que, à la rentrée d'automne, nous puissions soumettre au Parlement le résultat pratique de notre travail collectif. »

Célestin Freinet

L’Éducateur prolétarien, n° 17, 10 juin 1936

 

Notre vrai visage, 25 juin 1936

Entre « communiste », « bolchévik », « bourgeois » et « petit-bourgeois », le mouvement a connu depuis trois ans des représentations politiques caricaturales selon les modes, les événements et les organisations politiques. Freinet trouve important non pas de se disculper, mais de montrer le « vrai visage » du mouvement, ce qu’il est véritablement dans ses principes et réalisations.

Dans l’école nouvelle et sa pédagogie populaire, la confiance en l’enfant est telle, qu’il est impossible de lui imposer des convictions et des opinions. Au contraire, tout est fait pour que l’enfant construise sa personnalité et sa culture. La laïcité sans être nommée est bien présente.
On ressent quand même de l’amertume envers le silence de certains, dits d’avant-garde qui n’ont jamais levé leur petit doigt ou pris leur plume !
On ressent également le besoin chez Freinet de justifier une pédagogie créatrice, émancipatrice et révolutionnaire auprès des militants, mais aussi des parents, de tous les ouvriers et paysans pour qu’ils comprennent les actions du mouvement et les soutiennent et diffusent.
Néanmoins, l’espoir demeure très présent : « En avant ! » termine cet article.
 

« Il y a des légendes qui ont la vie dure.

Au temps où le fascisme naissant fourbissait ses armes, nous avons été victimes d’un des premiers coups de mains tenté dans l’illégalité pour débarrasser une Croix de feu d’un voisinage gênant. Pour les besoins de la cause, pour préparer l’atmosphère d’hostilité qui allait permettre la violence, il a fallu donner au pédagogue qui n’avait jamais écrit un seul article politique, qui n’avait jamais pris la parole dans un seul meeting politique, figure d’excitateur bolchevick. On a présenté Freinet comme un épouvantail communiste, servilement orthodoxe dans ses conceptions et ses réalisations, danger local et national.
Les coups ont porté. Trahis par ceux-là même qui devraient nous défendre, nous avons dû quitter Saint-Paul, puis l’enseignement.
Il fut un temps où, parmi les organisations qui se bolchévisaient, nous faisions figure de tièdes parce que nous ne craignions pas de nous mêler à la masse pour y porter la vérité, sachant bien que nos efforts ne seraient jamais totalement perdus. La Fédération de l’Enseignement ne nous accusait-elle pas, lors du Congrès de Nice de l’Éducation Nouvelle, en 1932, de nous mêler en confusionnistes à des bourgeois et petit-bourgeois au lieu de nous cantonner à la propagande strictement révolutionnaire ?
Quelques mois après, nous étions dénoncés dans plusieurs centaines de journaux comme les plus dangereux ennemis du désordre capitaliste.
La roue a tourné. Le vent est maintenant à l’union par l’action généreuse au sein des organisations existantes – ligne que nous approuvons d’ailleurs totalement puisqu’elle est la nôtre depuis toujours. Mais alors, par un regrettable renversement des rôles, c’est au sein même du mouvement révolutionnaire que nous sommes devenus l’épouvantail communiste, l’élément trop rouge qu’il faut souvent éliminer pour ne pas effrayer la masse des pâles et des indécis.
Nous n’avons certes pas à nous disculper ici devant des camarades qui savent dans quel esprit nous travaillons et nous réalisons. Mais nous avons cru nécessaire de leur signaler l’injustice dont nous sommes victimes, par suite de la fausse réputation qui nous avait été faite il y a trois ans par la presse fasciste.
Nous n’avons pas à nous disculper, disons-nous.
Notre œuvre plaide pour nous. Lorsqu’un mouvement comme le nôtre groupe en son sein, dans un même enthousiasme, plusieurs centaines d’éducateurs particulièrement chatouilleux pour ce qui touche à leur liberté d’expression et appartenant à des opinions très diverses, depuis quelques rares communistes jusqu’à des catholiques sincères, on comprend que celui qui l’anime ne saurait être un étroit sectaire. Qui prétend comme nous travailler en profondeur ne peut être un vulgaire agitateur… Cela, n’importe qui le comprend : mais encore faut-il le dire !...
C’est maintenant notre école prolétarienne qui souffre de ce tenace malentendu. La légende s’institue qu’elle n’est qu’une école communiste orthodoxe, n’admettant que des communistes, pratiquant des méthodes directement inspirées de la révolution soviétique, poursuivant un bourrage de crâne nuisible à la saine action révolutionnaire.
Des anarchistes viennent ; ils voient sur place notre effort pour organiser la vie libre des enfants et, enthousiastes, nous confient leurs enfants. Cachin vient visiter notre école ; il en sent la vie intense et loyale, en est ému, et promet de nous soutenir. Des bourgeois d’abord sceptiques, mais qui savent situer la destinée au-delà de l’horizon borné de leur intérêt, comprennent, au contact des enfants, notre action profondément humaine. Des jeunes passent, qui rêvent de communautés semblables jalonnant la route de l’avenir ; des catholiques discutent fraternellement avec nous.
Seuls, ceux qui n’on connu de Freinet que ses démêlés tragiques avec la mobilisation fasciste nous font un visage qui est un épouvantail et se refusent à nous soutenir. Un fait est là : malgré de multiples et vigoureuses interventions de camarades à qui une visite chez nous avait dessillé les yeux, aucun journal d’avant-garde n’a accepté de faire la moindre propagande directe ou indirecte pour notre école.
C’est parce que nous savons que la vérité est et reste la grande arme révolutionnaire que nous recherchons avant tout, et dans tous les domaines, sa lumière et son enseignement. C’est parce que nous avons en l’enfant, le grand porteur de vérités, une entière confiance que nous nous abstenons, bien plus que dans n’importe quelle autre école, d’imposer nos conceptions et nos points du vue. Notre orgueil est d’apprendre aux enfants à vivre et à travailler en communauté, à penser en fonction de leur travail et de leur vie, à se dégager de l’appât des mots et des formules pour construire solidement leur personnalité et leur culture.
Dans cette préoccupation réside toute l’originalité dynamique de l’expérience que nous entreprenons.
 
***
Nous poursuivons une besogne ingrate de création et de construction qui demande une grande loyauté, une claire conscience des nécessités de l’heure, une continuité harmonieuse de nos efforts malgré les modes et les incompréhensions passagères.
Il faut qu’on apprenne à nous juger autour de nous avec équité ; il faut notamment que les ouvriers et les paysans avec qui nous prétendons nous lier intimement pour notre besogne profonde, comprennent nos vrais mobiles d’action, appuient nos mots d’ordre, divulguent nos réalisations, sans prêter l’oreille à la calomnie intéressée que nos ennemis lancent et entretiennent.
C’est dans l’espoir d’aider nos camarades dans cette défense essentielle de notre esprit et de notre œuvre que nous avons cru devoir faire en cette fin d’année cette rapide mise au point.
Incompréhension et brimades ne nous empêchent pas d’ailleurs de continuer notre action plus vigoureuse que jamais. Nous n’avons pas désespéré dans des heures tragiquement troubles. Nous avons maintenant quelques lueurs d’espoir.
En avant ! »
 
Célestin Freinet


L’Éducateur Prolétarien, n° 18, 25 juin 1936

 


Il faut que le mouvement d’éducation nouvelle devienne un mouvement de masse, 1er octobre 1936

L’articulation entre militantisme pédagogique et militantisme politique est essentielle, les deux agissant simultanément et c'est une préoccupation persistante de Freinet de sensibiliser à la pédagogie nouvelle tous les travailleurs en même temps que tous les éducateurs.

Nous y trouvons une belle définition de la pédagogie Freinet (passage mis en gras par mes soins).

Freinet présente ce que pourrait être – pour un meilleur développement de la pédagogie nouvelle – l’organisation du Groupe Français d’Éducation Nouvelle. Une nouvelle organisation est mise en place, mais qui doit devenir un mouvement de masse pour ne pas sombrer dans la passivité et l’immobilisme. La période est favorable pour la pédagogie nouvelle, les dirigeants et les inspecteurs la regardent autrement et la recommandent…

Freinet rappelle aussi dans ce texte, qu’il n’y a pas « d’orthodoxie » dans le mouvement. Chacun reste libre de concevoir comme il l’entend la lutte politique et sociale bien qu’elle soit « urgente et nécessaire » et que les dangers pédagogiques de la réaction fasciste sont bien là et qu’ils ne doivent pas nuire à « la puissante action de la masse en marche vers ses destinées révolutionnaires ».

 
« Bien qu’obscurci par la tragique partie qui se joue présentement en Espagne et dont l’issue ne saurait nous être indifférente, l’horizon nous laisse du moins quelque espérance. Nous entrevoyons la possibilité de progresser, de travailler utilement dans une atmosphère politique et sociale plus favorable à nos réalisations.
Nous savons bien que pour nous aussi, comme pour nos camarades espagnols, il s’agit aujourd’hui de « vaincre le fascisme ou mourir » ; plus que jamais la montée de la réaction serait l’anéantissement immédiat de notre action pédagogique et l’extermination physique de tous ceux qui y participent avec décision et obstination.
« Vaincre ou mourir ! ». C’est parce que le dilemme se pose avec cette impitoyable brutalité que nous vaincrons. Et alors, nous disons comme notre camarade Almendros qui, en pleine bataille espagnole nous écrit : « Quand nous aurons acquis la victoire, notre travail scolaire prendra une grande valeur. Nous préparons actuellement les éléments de la technique que demandera le peuple après sa révolution. »
Nous ne saurions commencer cette nouvelle année sans envoyer notre salut fraternellement ému à tous nos camarades, à tous les éducateurs, aux paysans, aux ouvriers et aux ouvrières qui, en Espagne, ont su donner un exemple jamais connu encore de clarté, de netteté et d’inébranlable décision dans la défense prolétarienne. C’est aujourd’hui à coups de fusils, c’est par le sacrifice de leur vie que nos camarades espagnols défendent, avec leurs libertés, le triomphe de nos techniques pédagogiques. Leur succès sera un épanouissement de leurs efforts et de nos efforts ; leur défaite serait l’anéantissement immédiat de leurs expériences éducatives.
Il faut, plus que jamais, prendre conscience de cette interdépendance essentielle de nos efforts pédagogiques et de la lutte sociale et politique qui oppose ennemis et défenseurs de la liberté du peuple. Notre devoir de pédagogues est alors de défendre activement, par tous les moyens qui s’offrent à nous, nos admirables frères espagnols, et nos camarades n’y manquent point. Il est aussi de préparer chez nous le triomphe de la démocratie qui seule permettra le progrès normal et naturel de nos techniques.
Dans les conjonctures présentes, s’obstiner à faire de la pédagogie pure serait une erreur et un crime. La défense de nos techniques, en France comme en Espagne, se fait sur deux fronts simultanément : sur le front pédagogique et scolaire certes, où nous devons plus que jamais être hardis et créateurs parce que l’immédiat avenir nous y oblige, sur le front politique et social pour la défense vigoureuse des libertés démocratiques et prolétariennes.
Mais il faut être sur les deux fronts à la fois. L’Espagne ouvrière et paysanne construite à l’intérieur pendant que se battent ses miliciens. Nous ne comprendrions pas que des camarades fassent de la pédagogie nouvelle sans se soucier des parties décisives qui se jouent à la porte de l’école ; mais nous ne comprenons pas davantage les éducateurs qui se passionnent, activement ou plus souvent passivement, hélas ! pour l’action militante, et restent dans leur classe de paisibles conservateurs, craignant la vie et l’élan, redoutant l’apparent désordre de la construction et de l’effort. Quiconque voit la nécessité de changer la face du monde doit se mettre immédiatement et directement à la besogne et chaque éducateur doit, dans sa classe, rechercher et appliquer les techniques constructives et libératrices qui permettront aux adolescents de demain de continuer l’œuvre nécessaire pour laquelle nous sommes prêts aujourd’hui, nous aussi, à sacrifier notre activité et notre vie.
A la période actuelle devrait correspondre un grand renforcement de notre pédagogie. Cela sera, si, sans négliger nos autres obligations, nous savons développer notre propagande parmi la masse travailleuse et parmi les éducateurs.
 
***
 
Notre revue s’y emploiera certes, comme par le passé, et plus encore puisque ne fait que croître le nombre de nos abonnés. Mais nous avons voulu faire mieux et nous y parviendrons si nos camarades, partout, savent donner à notre cause une part intelligente de leur activité.
Au cours du Congrès de Cheltenham, nous avons eu fort à faire pour opposer, à cette pédagogie scolastique qui tourne en rond depuis des décades autour de quelques idées nouvelles ou de quelques pièces de matériel, notre pédagogie vivante et naturelle, qui puise ses assises constructives et ses méthodes dans la synthèse complexe dont elle ne peut s’abstraire. Que ce soit au sujet de la longue et passionnante discussion qui s’est instituée sur la question de la religion dans ss rapports avec la formation libre des personnalités, ou à propos des conceptions familiales ou sociales de tels ou tels orateurs, nous avons dû mener une lutte opiniâtre pour faire comprendre et admettre notre conception d’une pédagogie nouvelle à base matérialiste, d’une pédagogie surtout dégagée de toute scolastique, largement ouverte à la vie et à l’effort social, d’une pédagogie qui ne néglige aucune des graves réalités qui sont déterminantes aujourd’hui pour l’orientation des destinées humaines. Aux grands discours, aux discussions soi-disant idéalistes, qui restent avant tout des jeux scolastiques et philosophiques, nous avons opposé le solide bon sens de la masse prolétarienne qui dénonce, brutalement parfois, certaines valeurs douteuses, mais qui sait d’instinct où elle va et ce qu’elle désire ; nous avons fait sentir la dignité et la noblesse d’un idéal nouveau, l’exemple émouvant de ceux qui s’y dévouent. La montée populaire dans les régimes délivrés de la dictature réactionnaire pose, brutalement peut-être, mais inéluctablement, des problèmes nouveaux dont nous, techniciens, devons chercher la solution. La pédagogie nouvelle internationale est à un tournant. Nous avons essayé de le faire sentir et comprendre. Nous ne croyons pas avoir perdu notre temps.
Nous avons été aidés et renforcés dans cette besogne par l’autorité calme et hardie, par la courageuse franchise du Professeur Wallon qui a su exprimer bien souvent, sous une forme plus intellectuelle, ce que nous sentions être la vérité. Nous devons dire aussi que les congressistes de langue française se seront montrés dans l’ensemble très favorables à cette pédagogie réaliste qui contrastait quelque peu avec l’idéalisme pur des discussions anglo-saxonnes.
Nous n’insisterons pas davantage sur ces discussions, pour aborder le sujet qui, pratiquement, nous intéresse plus directement : celui de l’organisation et de la vie du Groupe Français d’Éducation Nouvelle.
 
***
 
Il est de tradition de réunir, au cours des Congrès mondiaux de la Ligue pour l’Éducation Nouvelle, une sorte d’Assemblée générale des adhérents du Groupe Français d’Éducation Nouvelle. En l’absence de Mlle Flayol qui, à notre grand regret, n’a pu se rendre à Cheltenham, Mme Hauser, trésorière du groupe, a provoqué une réunion des participants français.
L’action que, au cours de l’année écoulée, nous avons menée dans divers départements en liaison avec le Groupe Français d’Éducation Nouvelle, nous autorisait à intervenir dans la fixation de l’action et de l’orientation du Groupe.
Je suis personnellement intervenu pour rappeler l’ampleur de la besogne pédagogique qui devrait être le domaine propre du Groupe Français : unir pour une action et des buts précis tous ceux qui, en France, sentent la nécessité d’une action pédagogique nouvelle. Mais pour répondre à ce besoin la réorganisation du Groupe s’imposait : au Bureau – à l’action duquel nous rendons d’ailleurs hommage – il fallait adjoindre un organisme, des personnalités, des activités susceptibles de faire de cette association un véritable moteur pour une puissante réalisation de pédagogie nouvelle en France.
Il ne suffit plus d’avoir à Paris un bureau dont l’activité se résoud le plus souvent dans le travail – accablant – de un ou deux responsables. Il faut :
– Un Bureau parisien susceptible de prendre des décisions rapides, et se réunissant toutes les fois que c’est nécessaire ;
– Un Comité directeur comprenant :
a) Un certain nombre de personnalités pédagogiques susceptibles de travailler ;
b) Des représentants des diverses associations s’intéressant à l’éducation nouvelle, ou désirant œuvrer d’une façon quelconque dans le sens de cette éducation.
Le Comité directeur se réunira tous les mois seulement.
Au cours de la deuxième réunion des adhérents, les nominations suivantes ont été effectuées et le règlement qui suit approuvé et accepté.
BUREAU
Pr. Langevin, Pr. Wallon, Pr. Pièron, Mlle Flayol, Mme Hauser, et une autre personnalité à désigner.
 
COMITÉ DIRECTEUR 
a) Personnalités pédagogiques
1.  Enseignement Primaire. – Hulin, instituteur à Phalempin (Nord), du Groupe du Nord des Amis de l’École Nouvelle ; Pichot, instituteur à Lutz-en-Dunois (Eure-et-Loir), du groupe d’Éducation nouvelle d’Eure-et-Loir.
2. Enseignement Secondaire. – Brun-Laloire, proviseur à St-Omer (Pas-de-Calais) ; Lob, professeur au Lycée de Nice (A.-M.).
3. Enseignement Primaire privé. – Mme Brandt, 13, rue Nernegger, Strasbourg ; C. Freinet, à Vence (Alpes-Marit.).
4. Enseignement Secondaire privé. – Bertier, directeur de l’École des Roches, à Verneuil-sur-Avre (Eure) ; Mme Roubakine, école Nouvelle de Bellevue.
5. Enseignement supérieur, Technique et Professionnel. – Mlle Bayeux, directrice École technique, Boulogne-sur-Mer ; X… 

b) Représentants d’organisations
 
1 représentant du Syndicat National des Instituteurs ;
1   …              de la Ligue de l’Enseignement
1   …                         de la Fédération Générale de l’Enseignement
1   …                         de l’Association des Écoles Maternelles ;
1   …                         du Syndicat des Directeurs d’E.N. ;
1 …              des Parents d’élèves de l’Enseignement secondaire ;
1 délégué de la CGT, représentant les parents d’élèves de l’enseignement primaire ;
1 représentant du Groupe Médecine et Travail
[…]
Mais ce premier effort ne serait rien s’il devait rester le cadre mort d’une organisation passive et statique.
Le Groupe Français d’Éducation Nouvelle doit devenir l’organisation de masse de tous ceux qui comprennent la nécessité d’une rénovation pédagogique. En liaison avec les organisations professionnelles d’éducateurs, il doit remplir son rôle de regroupement et de stimulant pour l’action spécialement pédagogique. Tout ou presque tout, reste encore à faire en France dans ce domaine. La conjonction d’efforts que nous préconisons devrait nous permettre d’utiles réalisations immédiates.
Mais il ne saurait y avoir action de masse sans ce sursaut d’énergie de tous ceux qui, dans leur travail quotidien, apprécient la justesse et l’urgence de l’action entreprise. Nous rendons hommage à l’activité et au dévouement inlassable de Melle Flayol, mais ce n’est ni un bureau, ni un Comité directeur, si actifs soient-ils, qui feront du Groupe Français ce que nous voudrions qu’il soit. Il faut que dans toutes les villes, dans tous les départements, se constituent des sections actives du Groupe Français.
[…]  
 
***
 
Sans renoncer à aucune des caractéristiques qui lui donnent sa physionomie originale, notre Groupe de l’Imprimerie à l’École apportera au mouvement d’éducation nouvelle tout son appui. Mais cette collaboration permanente et complète ne nous empêche point de poursuivre notre propagande.
Le moment est favorable. Les progrès de l’idée nouvelle poussent nos dirigeants, donc nos inspecteurs, à nous accepter et même à nous recommander. Pour la première fois depuis que nous luttons, nous avons pu obtenir justice malgré l’administration : le pourvoi que nous avions formulé, au Conseil supérieur contre l’interdiction de notre école, a été approuvé le 8 juillet dernier.
Signe des temps ? Preuve surtout de cette interdépendance entre l’action politique et sociale et le développement de notre pédagogie nouvelle qui sera, elle aussi, une conquête de la masse prolétarienne et de la démocratie.
Autre fait qui prouve le rayonnement international de notre action : à la suite de la circulaire si hardie publiée l’an dernier par le Ministère belge et dont nous avons parlé, un Nouveau Plan d’Études avec instructions pédagogiques vient d’être adopté. Il sera applicable dès octobre.
Ce document précieux est, à quelques réserves près, l’application intégrale de nos techniques dans les écoles publiques. Ce que nous avons préconisé, préparé, développé en France dans 500 écoles, la Belgique le recommande aujourd’hui à tout son personnel enseignant. L’Imprimerie à l’École elle-même y est officiellement présentée.
C’est là, on le comprendra, un événement d’une importance considérable. Aussi allons-nous consacrer à l’école nouvelle publique un numéro spécial.
Nous ne sommes soumis ici à aucune orthodoxie. L’Éducateur Prolétarien reste exclusivement au service de l’École Nouvelle Prolétarienne. Mais il est totalement au service de cette école, sans aucun souci de plaire ou de déplaire aux gouvernements qui passent. Nous avons une besogne large et profonde à mener. Nous nous y employons. Nos efforts se rencontrent bien souvent avec ceux des militants des organisations syndicales et des partis prolétariens. Pas toujours pourtant. Dans notre domaine, nous sommes à l’avant-garde et cette position nous expose, nous le savons, à n’être pas toujours compris de nos meilleurs amis et camarades. Nous devons braver leurs critiques pour continuer dans une voie que l’expérience et les résultats obtenus montrent comme juste et féconde.
Qu’on ne nous demande pas alors d’être soutiens à fond du gouvernement de Front Populaire, ou d’être « stalinien » comme nous le reproche Wullens, ou de « verser dans la campagne anticommuniste et antisoviétique » comme nous en accuse un camarade qui déclare se désabonner pour cette raison.
Nos camarades et nos collaborateurs restent libres de concevoir comme ils l’entendent la lutte politique et sociale que nous estimons urgente et nécessaire. Mais il existe suffisamment de revues spécialisées pour que nous n’abordions pas des discussions qui accapareraient toute notre revue. Ce que nous pouvons assurer, c’est que nous sommes trop conscients des dangers pédagogiques de la réaction fasciste pour nuire le moins du monde à la puissante action de la masse en marche vers ses destinées révolutionnaires. Il faut, au contraire, que notre effort pédagogique soit une raison de plus, et une des plus péremptoires, pour nous galvaniser dans cette lutte.
Mais nous estimons d’autre part que nos camarades sont suffisamment éduqués pour ne pas craindre les vérités, toutes les vérités. Adversaires irréductibles du bourrage de crâne dans nos écoles, nous continuerons à L’E.P. avec la même doctrine et la même fermeté.
Nous vous demandons de nous aider et de nous soutenir fraternellement. »

Célestin Freinet

L’Éducateur Prolétarien, n° 1 , 1er octobre 1936 dans son intégralité

 

Pour un nouveau Plan d’Études Français, 15 octobre 1936

 Un numéro spécial de l’Éducateur Prolétarien :  le projet de réalisations immédiates soumis au Ministre de l’Éducation nationale, aux Députés du Front Populaire et aux Organisations pédagogiques.

La victoire du Front Populaire nourrit quelques espoirs de rénovation de l’École. Un événement important : le 9 août 1936 Jean Zay prolonge la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de 14 ans.
Le mouvement de l’Imprimerie à l’École et toute l’Éducation nouvelle doivent se saisir de cette opportunité et proposer leurs recherches, leurs expérimentations et leurs réalisations dans cette rénovation de l’École pressentie.
 
Différentes parties qui se terminent chacune par une proposition de texte de loi :
 
– Acquisition et Éducation
– Le Certificat d’Études Primaires
– L’Inspection Scolaire
– Organisation matérielle de l’École
– Projets de création d’Écoles expérimentales en France
– Conclusion
  
 La France avait ses Instructions ministérielles de 1923, que nous avions saluées, à l’époque, comme un solide document d’éducation nouvelle.
Les temps ont marché. Les expériences pédagogiques se sont développées et approfondies. La période difficile de réaction et de déflation ne nous a pas permis de tirer de ces instructions les avancées scolaires pratiques qui auraient dû en être la conséquence.
Au moment où l’avènement du Front Populaire nous permet quelques espoirs, nous ne pouvons pas offrir de préface plus suggestive et plus encourageante à nos travaux constructifs que les pages essentielles du Nouveau Plan d’Études belge dont nos voisins ont le droit de s’enorgueillir.
Nous n’avons pas l’outrecuidance d’affirmer que les rédacteurs belges de ce document se sont directement appuyés sur nos études et sur nos réalisations. Il n’en est pas moins certain que nos expériences et nos travaux commencent à avoir en France et dans le monde un très grand retentissement et que, directement ou non, notre technique tend à prendre, dans les constructions nouvelles, la place imposante que lui assurent et lui assureront les bases inébranlables sur lesquelles elle a été dressée.
Cette réalisation, l’influence indéniable de nos efforts sur la réforme belge nous encouragent à présenter ici, dans une deuxième partie, des propositions que nous demandons à nos amis au Parlement de faire passer dès que possible dans le domaine des réalisés. Avec l’appui du Groupe Français d’Éducation Nouvelle, réorganisé dans le sens génétique que nous avons indiqué dans notre dernier numéro, nous pensons orienter la pédagogie populaire française vers une réforme décisive analogue à la réforme belge.
Il suffit que tous nos camarades comprennent l’urgence de la campagne à mener et nous appuient sans réserve.
 
***
Extraits du Plan d’Études belge (pages 30 à 39)
***
 
Nous avons, par les longues citations qui précèdent, donné une idée de l’orientation pédagogique hardie du Nouveau Plan d’Études belge.
Nous nous sommes attardés à faire connaître cette réforme parce que c’est la première fois qu’une administration officielle s’engage aussi totalement dans la voie de l’école nouvelle, et pour montrer aussi à quel point ces diverses recommandations s’accordent avec les principes que nous défendons depuis plus de dix ans et qui, en apparence utopiques et paradoxaux à l’origine, sont sur le point d’être admis et pratiqués par les grandes masses d’éducateurs.
Il ne s’agit point cependant de demander à la France de copier la Belgique : certaines habitudes, certaines traditions, certaines conditions de vie à prépondérance rurale doivent donner au nouveau Plan d’Études français une orientation spécifique qui se fera cependant, nécessairement, comme pour le Plan belge, dans le sens des techniques populaires d’éducation nouvelle.
C’est ce problème spécifique du nouveau Plan d’Études français que nous voudrions étudier ici, moins théoriquement que pratiquement, dynamiquement. Nous ne prétendons pas présenter aux parlementaires et à l’administration ministérielle des textes absolument définitifs.
Notre but aura été atteint si nous avons poussé éducateurs, législateurs et administrateurs à étudier attentivement et d’urgence ce problème primordial – et cela sans ignorer les grands principes d’éducation nouvelle dont nous sommes en France les acharnés défenseurs.
A temps nouveaux, nécessités et solutions nouvelles. Ce sont ces nécessités et ces solutions que nous voudrions signaler seulement à l’attention de tous ceux qui s’intéressent activement au sort et à l’avenir de l’enfance populaire.
Les programmes officiels de 1923 et l’importante circulaire qui y était jointe contenaient effectivement d’excellentes recommandations théoriques. Mais faute d’entrer assez avant dans la pratique il en est résulté une méconnaissance presque totale des belles leçons de pédagogie nouvelle qu’elles contenaient.
Nous connaissons le vice irrémédiable des recommandations que chacun interprète selon ses désirs ou ses habitudes. Nous savons, par contre, à quel point certaines réalisations pratiques peuvent influer directement sur les destinées de l’école, et c’est tout spécialement sur ces réalisations que nous porterons notre effort de clarification et de propagande.
 
 Acquisition et éducation
 
La France est la patrie de prédilection des manuels scolaires ; c’est chez nous qu’on en consomme le plus ; et l’importance du commerce qui en résulte est certainement déterminant dans la période actuelle pour assurer la permanence de pratiques scolaires visiblement dépassées.
Nous ne pensons pas qu’il soit opportun de réglementer plus ou moins arbitrairement la production et la vente de ces manuels scolaires. On en aura enrayé la malfaisance le jour où on aura fait comprendre que les manuels scolaires ne sont pas un outil idéal pour notre travail. Ils sont l’outil idéal de l’école d’acquisition dont nous avons fait si souvent le procès. Il est certain que si on suppose que le premier rôle de l’école est de remplir la tête des enfants de notions adultes, prévues et classées par les adultes, alors il faut des manuels, il faut tout l’organisation oppressive actuelle avec son appareil de récompense et de punition.
Il est nécessaire que les pouvoirs publics, à l’exemple de l’administration belge, révisent leur position sur ce point précis, énoncent clairement que le rôle de l’école est non pas de remplir les têtes, mais de les former, que l’éducation doit primer l’instruction.
On sera lors amené à conseiller la méfiance de livres qi n’ont qu’un but : remplir les têtes. Et il sera nécessaire, par contre, de recommander les techniques nouvelles qui partent de la vie, et qui exploitent cette vie.
Ce tournant scolaire est le premier à réaliser, celui sans lequel rien de solide ne saurait être fait ultérieurement.
Nous soumettrons aux partenaires et aux administrateurs le texte suivant :
Préambule. – Le rôle de l’école primaire, surtout jusqu’à 10-12 ans, n’est point de remplir la tête de formules scolastiques, définies, rédigées, classées par les adultes et qui ne sont que des mots qui ne s’intègrent jamais à la vie des enfants, qui ne réagissent donc jamais sur cette vie.
Si un minimum d’acquisition peut être prévu comme norme aux différents âges, il faut qu’il soit bien entendu que ce minimum ne devra jamais être le résultat passager et nuisible d’une acquisition formelle, d’un bourrage de crâne extérieur, mais bien la conséquence normale d’une vie riche dans un milieu éducatif.
Des règlements spéciaux fixeront, après étude documentée, méthodique et scientifique, ce minimum d’acquisition résultant de la vie.
Devront donc être exclus de l’école, les procédés, les méthodes, le matériel, les livres qui ont pour but cette acquisition formelle. Des commissions compétentes étudieront et publieront quelles sont les techniques et les matériaux à recommander pour l’adaptation nouvelle aux besoins et aux nécessités éducatives de l’école.
 
Le certificat d’Études Primaires
 
La réglementation préconisée ci-dessus sera impossible tant qu’un examen d’acquisitions systématiques et encyclopédiques viendra sanctionner les études primaires. Si, avec l’école belge, nous sommes persuadés de l’inutilité et de la malfaisance de cette instruction intensive, il est nécessaire de modifier en conséquence l’examen du certificat d’études primaires.
C’est actuellement le C.E.P. qui, plus puissant que toutes les réglementations officielles, motive en fait toute l’activité néfaste et épuisante de la grande masse des éducateurs. Le C.E.P. est comme le couronnement des études primaires. Quiconque le possède n’a plus à fréquenter l’école, comme s’il était vraiment lesté pour la vie. Mais qui échoue aussi subit un affront qui le rejette parmi les incapables. L’affront passé d’ailleurs, la vie se charge ensuite de corriger les graves erreurs résultant de l’école et de ses mesures.
Mais il est un fait certain, indéniable : l’instituteur est obligé de travailler, non pour ses élèves mais pour l’examen ; il doit solidement endoctriner pour emporter des succès. Et, pendant des mois et des mois, la véritable œuvre constructive est rejetée à l’arrière-plan, parfois même jamais amorcée.
Naguère encore, nous étudiions la possibilité d’améliorer cet examen, d’en transformer les épreuves de façon à juger plus équitablement la formation plus que l’acquisition : besogne excessivement délicate, tant qu’une technique définitive des tests n’aura pas été précisée et divulguée.
Mais des événements nouveaux sont venus modifier notre position vis-à-vis du problème. Le gouvernement de Front Populaire vient de prolonger la scolarité jusqu’à 14 ans. Du coup le C.E.P. cesse d’être la sanction normale de l’école primaire. L’enfant qui le possède n’en devra pas moins fréquenter l’école et si on désire vraiment une sanction aux études, il faudrait envisager un examen nouveau pour les enfants de 14 ans qui vont quitter l’école – ce que nous croyons d’ailleurs superflu.
Quoi qu’il en soit, il est un fait certain, c’est que le C.E.P. à 12-13 ans ne sera désormais qu’un examen intérieur, ne signifiant nullement qu’on a terminé la scolarité, une sorte d’examen de passage pour accéder à l’enseignement semi-professionnel qui devra être donné entre 13-14 ans.
Nous demandons alors la suppression pure et simple du Certificat d’Études primaires, qui pourra être remplacé dans certaines écoles par des examens de passage tel qu’il en existe déjà pour les divers degrés.
Un examen épreuve d’orientation terminera la scolarité à 14 ans, non pas pour délivrer un parchemin aux uns et le refuser aux autres, mais pour indiquer à chacun, selon les observations faites au cours de la scolarité et consignées dans un Carnet permanent de scolarité, quelle est l’activité dans laquelle il est le plus apte à réussir pour le plus grand bien individuel et la meilleure harmonie sociale.
Nous répondrons d’avance à deux objections qu’on formule couramment contre cette suppression :
1) Les instituteurs ne travailleront pas comme il faut, s’ils n’ont pas l’obligation et le stimulant du C.E.P.
Oui, les instituteurs se fatigueront moins parce qu’ils seront déchargés d’une besogne aride, rebutante, sans intérêts, inutile et immorale même. Supposer que, du fait de cette suppression, ils travailleront moins, c’est formuler contre le corps des instituteurs une suspicion gratuite et regrettable. Il est facile d’ailleurs de prévoir un contrôle permanent mieux organisé qui permettra d’exiger des quelques inconscients l’accomplissement de cette tâche.
Il nous suffira de rappeler, pour donner l’assurance que les instituteurs sauront faire leur devoir sans la hantise de l’examen, que les écoles maternelles n’ont aucun examen, qu’on a déjà réalisé pour ces écoles le tournant pédagogique que nous préconisons pour l’enseignement primaire, qu’on exige d’elles l’éducation avant l’acquisition, et que, pourtant, les éducatrices maternelles sont incontestablement en France celles qui travaillent le plus, avec le plus de goût, avec le maximum de souci pédagogique, et que c’est à leur dévouement que nous devons en France un enseignement maternel qui, sans être parfait, nous fait honneur.
2) Les parents y tiennent.
Cela est vrai. On y tient comme à la première communion parce que c’est une sorte d’exaltation de l’orgueil des parents.
Mais comme nous ne croyons pas qu’il y ait la moindre difficulté de ce côté à la suppression du C.E.P., surtout si, d’une part le gouvernement renforce le souci d’organisation et de contrôle, si, d’autre part, de grandes fêtes scolaires locales, régionales, cantonales – comme la pratique s’en institue d’ailleurs – viennent donner aux parents d’élèves ce besoin d’exaltation que satisfaisait dans une certaine mesure le C.E.P.
Nous proposons alors le texte suivant :
L’examen du C.E.P.E. est supprimé.
Des examens de passage pourront être institués dans les écoles.
Un examen détaillé d’orientation professionnelle, basé sur les renseignements du Carnet permanent de scolarité terminera la scolarité primaire à 14 ans.
 
L’Inspection Scolaire
 
Les inspecteurs primaires actuels ne sont que des fonctionnaires administratifs. Accablés par les besognes diverses d’administration, ils sont contraints de négliger ce qui devrait être leur vraie tâche : la collaboration à l’œuvre pédagogique des éducateurs.
Les inspecteurs primaires devraient être secondés par un employé technique qui les libèrerait de toutes les tâches qui ne sont pas de leur ressort. Ils pourraient alors non pas faire des visites en coup de vent dans les écoles, mais apporter aux éducateurs un appui véritable tant pour l’orientation des études que pour les divers examens prévus par la nouvelle législation.
Nous proposons :
Les Inspecteurs primaires seront désormais assistés d’un personnel technique susceptible de régler toutes les besognes extra-pédagogiques.
Les Inspecteurs primaires deviendront alors les collaborateurs pédagogiques des instituteurs : ils les aideront dans leur travail, dans leur recherche ; ils assisteront aux examens de passage ainsi qu’à l’examen d’orientation professionnelle de la fin de scolarité.
Cette collaboration suppose que MM. Les I.P. n’iront pas dans les écoles en chefs redoutés mais en conseillers attendus et désirés. Des instructions précises seront données à cet effet.
 
Organisation matérielle de l’École
 
Nous attachons, on le sait, à cette organisation matérielle, une importance primordiale.
1) Tant que l’école est scandaleusement chargée, si l’instituteur doit se faire le gendarme au milieu d’une troupe hétérogène de 50, 60, 70, 80 enfants, il est superflu d’édicter des plans nouveaux et des recommandations pédagogiques à grand effet.
Il faut absolument qu’on en revienne sur ce point aux instructions ministérielles antérieures, qu’on fixe après enquête quel est le chiffre maximum au-delà duquel un instituteur ne peut plus faire de la bonne besogne pédagogique. Ce chiffre est variable selon le degré des enfants et notamment selon le degré d’homogénéité des classes. Il pourra être plus élevé dans les écoles à 8 ou 10 classes que dans les écoles à classe unique ou à deux classes.
L’essentiel est qu’on établisse expérimentalement, en collaboration avec les organisations pédagogiques, le plafond pédagogique de l’effectif et qu’on le respecte.
Proposition
La quantité d’élèves par classe ne devra jamais dépasser le nombre maximum au-delà duquel les nécessités disciplinaires rendent impossible tout travail pédagogique.
Le plafond pédagogique de l’effectif sera établi, pour les diverses classes, par une commission nationale à laquelle collaboreront les associations pédagogiques.
Des classes nouvelles devront être automatiquement créées dès que ce plafond sera dépassé.
 
2) Il est, de même impossible de faire du travail pédagogique sérieux dans des locaux insuffisants comme éclairage, comme surface et comme cube d’air.
La réparation et la construction d’écoles devra être une des préoccupations essentielles du gouvernement.
Proposition
Les locaux scolaires devront répondre aux nécessités d’hygiène, d’aération, d’éclairages prévues par une commission qui travaillera en collaboration avec les éducateurs et qui supprimera ce que la réglementation actuelle a de trop formel pour considérer le problème dans sa complexité vivante.
Des améliorations ou des constructions nouvelles devront être entreprises sans retard où ce sera nécessaire.
 
3) Le matériel pédagogique enfin a une importance de tout premier plan, qu’on a toujours sous-estimée. Une réglementation nouvelle doit nécessairement intervenir pour l’achat, l’enrichissement, la conservation et l’usage de tous les outils nouveaux à usage communautaire de plus en plus nombreux : matériel d’expérimentation physique, chimique, fichiers scolaires, cinémas, radio, disques, imprimerie à l’école.
Proposition
De plus en plus, l’école, milieu communautaire, possède un matériel impersonnel, à usage communautaire : matériel d’expérimentation physique, chimique, fichiers scolaires de documentation, cinémas, radio, disques, imprimerie à l’école.
L’État encouragera l’achat, la conservation, le perfectionnement et l’usage de ce matériel par des subventions importantes dont la modalité sera réglée par décisions spéciales.
 
Collaborations
L’œuvre scolaire nouvelle ne saurait être menée sans une intime collaboration à tous les degrés : collaboration au sein de l’école entre éducateurs d’un canton, collaboration entre éducateurs et inspecteurs, collaboration à l’échelle nationale entre organismes d’État et associations d’éducateurs.
L’État devra recommander cette collaboration, créer les organismes susceptibles de la rendre effective pour le plus grand bien de l’école et de ses maîtres.
Des réunions pédagogiques du personnel seront appelées à discuter toutes questions de techniques ou de méthodes proposées pour les écoles primaires.
 
Projets de création d’Écoles expérimentales en France
 
L’évolution économique, industrielle et sociale marche à pas de géants. En dix ans, les moyens de communication se trouvent bouleversés, bouleversant également le mode de vie ; le cinéma parlant naît, et, en quelques années détrône le cinéma muet ; la radio, inexistante au début du siècle, est un des éléments les plus dynamiques de la vie contemporaine ; l’extension impressionnante des automobiles faisant disparaître jusque dans les plus petits villages, les voitures à chevaux, modifient totalement les relations locales, régionales et nationales.
L’école, élément de cette nouvelle vie, cellule incessamment adaptée au milieu social contemporain, ne doit-elle pas suivre le mouvement, utiliser aussi les outils nouveaux que la science met à sa disposition ? Cela ne fait aucun doute.
Cependant l’école est encore régie par la loi organique de 1886 à peine améliorée par les instructions hardies dans une certaine mesure de 1923. La génération de la radio, du cinéma, de l’auto, de l’avion, du sport, génération d’un Front Populaire qui mobilise des masses de 500 000 hommes, subit encore dans les écoles des programmes et des méthodes d’il y a 50 ans.
Une adaptation s’impose de toute urgence.
Cette adaptation, il est vrai, s’opère lentement. Dans leurs classes, dans les classes de villages ou de bourgs notamment, là où les instituteurs sont moins tenus par l’administration et par les réglements, des expériences se poursuivent, dont quelques-unes, hardies, trouvent dans la pédagogie internationale des échos sympathiques.
Mais ces expériences :
1) Sont en général plus ou moins anarchiques. Les mêmes tentatives sont rééditées par des centaines d’éducateurs dévoués qui ignorent ce que d’autres cherchent à côté d’eux. Les mêmes erreurs se rééditent, hélas ! les mêmes enthousiasmes s’usent devant l’indifférence et l’incompréhension.
Elles sont à la merci des chefs : là où inspecteurs et directeurs sont compréhensifs et hardis, les instituteurs sont, sinon encouragés, du moins autorisés tacitement à poursuivre leurs expériences. Mais que de chercheurs ont été rebutés et découragés par des chefs à cheval sur le règlement et qui n’acceptaient pas qu’on essaie de sortir des chemins battus.
Il faut aujourd’hui regarder la situation en face et agir.
L’école doit s’adapter à la société actuelle.
Cette adaptation doit être organisée, méthodique, permanente, de façon qu’il soit tiré le meilleur parti possible des efforts dévoués de tous les chercheurs.
Ces recherches doivent être graduées afin que les générations actuelles ne souffrent pas des tâtonnements indispensables.
C’est en vue de cette organisation que nous proposons que soient créées en France des écoles expérimentales, jouissant de certaines libertés dans l’adaptation des méthodes, autorisées, sous le contrôle d’un bureau d’éducation, à faire des recherches, à essayer des méthodes, à préparer des techniques et à se livrer à tous travaux susceptibles de faire avancer la pédagogie sans nuire à la préparation des enfants eux-mêmes.
Proposition
Article premier. – Il sera créé en France un réseau d’écoles expérimentales destinées à travailler méthodiquement à l’adaptation des techniques nouvelles à l’école publique, sans nuire à l’éducation et à l’instruction des enfants.
Article 2. – Seront reconnues comme écoles expérimentales, toutes les écoles publiques et privées qui s’engagent à poursuivre des recherches méthodiques sous le contrôle du Bureau d’Éducation qui fonctionnera comme il est dit à l’art. 7.
Article 3. – Les écoles expérimentales pourront procéder à telles recherches de leur choix pourvu que soient respectés dans leur ensemble les réglements et les programmes en vigueur. Quelques dérogations pourront être accordées par le Bureau d’Éducation, notamment pour ce qui concerne les horaires et les examens.
Article 4. – Sur demande spéciale, autorisée après enquête du Bureau d’Éducation, des subventions pourront être accordées aux écoles expérimentales pour achat d’appareils et de matériel ou pour toutes autres dépenses nécessitées par les recherches entreprises.
Article 5. – Les stagiaires de l’Enseignement, les élèves-maîtres et les éducateurs eux-mêmes seront appelés à faire des stages dans les écoles expérimentales afin que les recherches de ces écoles puissent servir à tous.
Article 6. – Les écoles expérimentales seront placées directement sous le contrôle pédagogique du Bureau d’Éducation, les services d’inspection n’intervenant que pour ce qui concerne l’administration.
Article 7. – Il est créé un Bureau d’Éducation comprenant des pédagogues éprouvés de l’enseignement maternel, de l’enseignement primaire, de l’enseignement primaire supérieur et technique, de l’enseignement secondaire et supérieur, des délégués des associations d’instituteurs et des associations ouvrières représentant les parents d’élèves.
Ces pédagogues se constituent en commissions pour l’étude des questions de leur ressort.
Ils mettent en relations tous les éducateurs des écoles expérimentales, leur apportent leur appui technique, surveillent et contrôlent les expériences et étudient l’application dans les écoles publiques des techniques élaborées dans les écoles expérimentales.
Ce Bureau d’Éducation sera en même temps un bureau de recherches et de liaison pour tout ce qui concerne l’adaptation de l’école aux modes nouveaux de vie et de travail.
Article 8. – Des règlements spéciaux préciseront les attributions et les moyens d’action de ce bureau et les modalités de contrôle qu’il opèrera sur les écoles expérimentales.
 
Conclusion
 
Les propositions de loi ci-dessus ne sont pas nécessairement définitives. Elles sont des suggestions actives que nous soumettons aux parlementaires du Front Populaire, aux associations d’instituteurs, aux organisations pédagogiques et que nous formulons en propositions de lois pour bien marquer qu’elles doivent au plus tôt devenir des réalités.
Nous n’avons pas tout examiné, certes. La loi ne doit pas nécessairement entrer dans tous les détails : elle doit indiquer les lignes essentielles d’action, en laissant aux circulaires qui les commentent le soin de les compléter dans l’esprit des législateurs – esprit qui admirablement indiqué dans les extraits que nous nous avons donnés du Nouveau Plan d’Études belge.
La Coopérative de l’Enseignement Laïc et le Groupe de l’Imprimerie à l’École, qui groupent un millier d’éducateurs parmi les plus actifs et les plus dévoués à l’œuvre pédagogique ont tenu à établir en commun ces projets de propositions qui peuvent servir de base solide à une large discussion que nous sollicitons et qui devrait aboutir au vote rapide de dispositions législatives susceptibles de diriger l’école primaire française vers la voie d’avant-garde qui est, en ces temps troublés, sa place historique.
 
 
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 2, 15 octobre 1936
 

 

Pour une profonde action de pédagogie nouvelle en France, 1er novembre 1936

Un appel de Freinet aux adhérents pour participer activement au Groupe Français d’Éducation Nouvelle.

En rejoignant les chantiers de recherche sur des grands principes de pédagogie nouvelle.
En créant des groupes locaux pour intéresser les enseignants à l’Éducation nouvelle et à devenir, si ce n’est adhérents, au moins sympathisant à l’Imprimerie à l’École.

Dans ce numéro, propositions d’action d’un militant, Pouget, pour sensibiliser les parents à l’Éducation nouvelle.

 

 

 
La réorganisation sur des bases actives du Groupe Français d’Éducation Nouvelle
 
A l’occasion de mon voyage à Oslo, à l’aller, et deux semaines après, au retour, il m’a été possible d’assister à deux importantes réunions du Groupe Français d’Éducation Nouvelle.
La première avait pour but de demander au Comité d’action de se prononcer sur la nouvelle organisation proposée à Cheltenham et qui a été approuvée.
A l’avenir, le Groupe Français d’Éducation Nouvelle sera donc administré par :
– un Bureau parisien, chargé de la direction ;
– un Comité élargi comprenant les diverses personnalités pédagogiques qui, aux divers degrés et pour les divers enseignements, s’intéressent à la pédagogie nouvelle et aux réalisations du Groupe. Ce comité a voix délibérative.
– des représentants de toutes les organisations s’intéressant à l’Éducation nouvelle seront invités à titre consultatif aux réunions du Groupe.
Une grande campagne de propagande sera entreprise pour la constitution, à travers la France, de groupes locaux et départementaux d’Éducation Nouvelle, et pour l’adhésion au Groupe de tous ceux qui, à quelque titre que ce soit, s’intéressent à l’Éducation nouvelle. Le prix de la cotisation est de 5 fr. par an et donnera droit à un bulletin mensuel du Groupe dont le premier numéro sortira incessamment.
La deuxième réunion à laquelle assistaient plusieurs de nos amis a travaillé à mettre effectivement en marche l’organisme nouveau. Elle a tout spécialement étudié la possibilité de mettre immédiatement en chantier les recherches et les discussions sur les sujets susceptibles de passionner actuellement les éducateurs : suppression du C.E.P., éducation des anormaux, les journaux d’enfants, la liaison entre les divers degrés d’Enseignement, l’organisation des études entre 13 et 14 ans, les bibliothèques publiques, etc.
Le bulletin du Groupe donnera la liste complète des sujets d’étude préconisés avec les noms des responsables pour quelques-uns de ces titres. Il fera appel à tous les camarades que la question intéresse pour diriger l’étude de ces problèmes essentiels. Des questionnaires seront adressés aux journaux et organisations, des articles publiés dans les revues. Le rapport général et définitif sera enfin publié dans une collection des Brochures de l’Éducation Nouvelle auxquelles une grande diffusion sera assurée.
 
***
Le succès de notre mouvement est profondément lié à l’élargissement de cette action.
Nous avons constaté bien des fois que nous ne tenons pas à voir s’accroître à une allure accélérée le nombre des adhérents de l’Imprimerie à l’École. Nous sommes donc une organisation peut-être unique puisque notre préoccupation essentielle n’est pas le recrutement mais le travail pédagogique effectif.
Pour ce travail, nous sentons cependant la nécessité de créer une atmosphère favorable, de susciter des cercles amis, d’aider au mouvement d’Éducation nouvelle dont nous sommes une des branches les plus vivantes. Le Groupe d’Éducation Nouvelle créera cette atmosphère, ce climat favorable.
C’est pourquoi nous demandons tout spécialement à nos adhérents d’être partout dans leurs départements les meilleurs artisans de l’organisation nouvelle du Groupe. Adhérez tous, personnellement au Groupe français. Ce n’est pas la cotisation minime qui pourrait vous arrêter. Constituez ensuite dans votre ville, dans votre arrondissement, dans votre département, des Groupes d’Éducation Nouvelle adhérents au Groupe de Paris. Des instructions à ce sujet vous seront données sous peu.
Il vous suffira d’ailleurs d’imiter l’activité de nos filiales d’Eure-et-Loir et des Vosges dont nous avons parlé : par des expositions, des conférences, par l’organisation de cinémathèques et de discothèques, vous intéresserez à l’Éducation nouvelle des masses toujours plus grandes d’éducateurs. Et alors, si même les adhésions à l’Imprimerie ne sont pas nombreuses, nous sentirons au moins sympathie et appui.
Organisez des conférences. Je rappelle l’offre que j’ai faite de répondre à la demande que, pourraient me faire plusieurs villes ou même plusieurs départements pour l’organisation tous les mois ou tous les deux mois de tournées de conférences. Je reste à votre disposition.
Célestin Freinet
 
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Pour l’Éducation Nouvelle, obstacles à briser
 
Pour que nous puissions travailler dans de bonnes conditions, il faut que le milieu soit moins ignorant et moins hostile à l’application des méthodes nouvelles.
Nous savons tous que, vis-à-vis de l’école, les parents ont encore, dans leur très grosse majorité, l’esprit farci de préjugés rétrogrades. Ils désirent qu’on enseigne leurs enfants comme ils ont été enseignés eux-mêmes. Ce qu’on fait à l’encontre du vieux système les hérisse.
Par l’intermédiaire des sociétés post-scolaires, nous ne pourrons atteindre qu’un nombre restreint d’entre eux. Et ce que nous pouvons faire quelquefois, occasionnellement, sur le terrain de l’action individuelle risque de ne pas être très fructueux.
Actuellement, nous assistons à une « mue » de l’esprit public. Les mouvements ouvriers de juin ont provoqué une fermentation, un bouillonnement d’idées qu’on n’a certes pas vu depuis longtemps.
Ne pourrait-on pas profiter de ce moment pour organiser une offensive de grand style dans les journaux acquis au Front populaire ? : Peuple, Humanité, Populaire, L’œuvre, etc. D’octobre à décembre prochain, par exemple, nous demanderions à ces journaux de publier une quinzaine d’articles. En principe un par semaine. En très bonne place. Avec titres attirants : « Tu me feras 50 lignes », « A bas le premier », pour critiquer par exemple, les punitions scolaires et les classements stupides. « Quand tu sortiras de classe, enferme-toi, assieds-toi e ne bouge plus », pour taper sur l’abominable chancre des devoirs à la maison.
Freinet grouperait dans un dossier, communiqué à ceux qui mèneraient la campagne, les témoignages des parents qui ont déjà été conquis, afin que ces témoignages enchâssés, soulignés, commentés obtiennent la plus large publicité.
Il faudrait naturellement obtenir l’assentiment préalable et l’appui actif d’une très grosse organisation : Ligue de l’Enseignement par exemple. Et aussi celui des journaux qui confieraient cette rubrique à des rédacteurs qualifiés.
Insertion de lettres critiquant ou approuvant, répliques des rédacteurs, tout cela entretiendrait bien l’intérêt des lecteurs pendant 9 mois.
Au bout de ce temps, on aurait certainement désarmé des hostilités… et nous pourrions occuper et organiser le terrain conquis.
Pouget
 

 

L’Éducateur Prolétarien, n° 3, 1er novembre 1936

 

Conférences à Oslo, déclencheurs politiques, 1er novembre 1936

Freinet rentre d’un voyage en Norvège : conférence à l’Université d’Oslo ainsi qu’un cours tous les soirs pour initier les enseignants à la technique de l’imprimerie.

C’est dans le bateau qui le ramène qu’il rédige les notes pour l’article « La diffusion mondiale de notre technique » dont un extrait est reproduit ci-dessous.  

Ce cours a obtenu un grand succès : « C’est que ce cours diffère essentiellement des conférences théoriques que des professeurs plus ou moins éminents sont parfois appelés à donner Non pas que notre technique, et surtout nos réalisations, n’autorisent actuellement de longues controverses psychologiques et pédagogiques. Nous aurons bientôt fort à faire dans ces domaines. Mais nos nouvelles conceptions pédagogiques ne doivent point sortir toutes faites de spéculations théoriques ; elles doivent être la résultante d’une technique de travail qui, en changeant les rapporte entre milieu social, milieu scolaire, enfants et éducateurs, bouleverse les enseignements de vingt siècles de scolastique. C’est cette technique de travail, c’est la nécessité subséquente de ces rapports nouveaux que nous nous appliquons plus spécialement à susciter, dans la pratique de nos classes populaires. »

Dès le lendemain de l’arrivée de Freinet, scandale à Oslo ! La réaction fait paraître un article dans un journal fasciste. Une soi-disant interview – réalisée avec des « copier-coller » d’articles de l’Éducateur Prolétarien – le mouvement affirme faire de la politique à l’école et préparer par sa pédagogie  la révolution.
Freinet réaffirme alors les visées d’une pédagogie populaire et libératrice, respectueuse des enfants en refusant tout enseignement dogmatique et idéologique.
Les instituteurs sont des citoyens, et c’est de leur responsabilité d’être parmi les plus clairvoyants, surtout dans une période sombre.

 
Mais partout la réaction veille.
Le bateau n’était pas encore amarré au port d’Oslo que surgissent reporters et photographes, les uns sympathiques, les autres – nous le saurons demain – ennemis de nos progrès, et sans doute d’ailleurs renseignés et prévenus sur la portée libératrice de nos techniques.
Toujours est-il que le lendemain, grand scandale à Oslo. Le journal fasciste « Tidens Tegn » publiait une longue et prétendue interview intitulée : La politique est mauvaise mais le pédagogue est bon.
Dans cet article savamment tiré de nos publications, découpées et commentées à la mode fasciste que nous connaissons, le reporter peu scrupuleux nous faisait affirmer que nous faisons de la politique à l’école et que, par notre pédagogie nous préparons directement l’ère révolutionnaire.
Il a suffi, pour ma défense, de citer la fin de mon article leader du n° 1 de « E.P. », dans lequel je précisais d’avance la position de notre mouvement en face des questions sociales et politiques urgentes – nullement contrarié d’ailleurs de voir un journal fasciste dénoncer l’influence libératrice de nos techniques.
L’événement serait peut-être passé inaperçu en période normale. Mais le lundi suivant les électeurs norvégiens étaient appelés à nommer leurs députés. Comme dans tous les pays, socialistes et communistes mènent là-bas une lutte active pour essayer de conquérir la majorité au Parlement. Et les fascistes ne restent pas inactifs. Rien n’est si dangereux et si délicat en de telles périodes que la position de ceux qui, comme les dirigeants du Groupe d’Éducation Nouvelle, voudraient rester au-dessus de la mêlée.
Nous avons quant à nous, et sans aucune restriction, affirmé notre position de toujours : nous sommes contre tout bourrage de crânes à l’École ; nous pensons que notre besoin d’aller vers la vie ne doit pas nous faire redouter les discussions sincères sur les questions politiques et sociales, mais nous nous en voudrions de pousser nos enfants, par un enseignement dogmatique, vers une orthodoxie de quelque couleur qu’elle soit. Nous nous élevons au nom des mêmes principes sur l’obligation qu’on fait actuellement à l’école publique de servir passivement – et hypocritement – la morale et l’idéologie d’une classe au pouvoir. Le seul fait de prétendre former des hommes – et d’y parvenir dans une certaine mesure – postule aussi que nous préparons nos enfants à prendre demain leur place dans la grande armée de ceux qui réclament et qui luttent pour le triomphe de la démocratie prolétarienne.
Ceci concerne l’école et notre position pédagogique avec les enfants.
Mais, en dehors de l’école, les instituteurs restent des citoyens. Dans les graves conjonctures présentes, ils doivent être parmi les plus clairvoyants des citoyens. Nos amis Norvégiens, paisiblement passionnés à des luttes électorales hors de l’atmosphère tragique qu’est la nôtre, s’étaient quelque peu émus de notre formule « Vaincre ou mourir ». Il nous a fallu leur expliquer que l’avènement du fascisme serait notre mort physique et la fin de notre œuvre et que, face à cette alternative, il nous était impossible, en tant que citoyens, de ne pas prendre position et de ne pas affirmer, même hors de France, la nécessité pédagogique et humaine de la lutte antifasciste.
Nos amis, tout en regrettant que nous, paisibles et constructeurs, en soyons réduits à d’aussi regrettables extrémités, ont compris du moins la rectitude de notre attitude et n’en apprécieront sans doute que mieux la portée générale de notre technique.
Qui dit École nouvelle d’ailleurs ne dit-il pas pédagogie tournée vers le progrès, vers la démocratie, vers la libération sociale, préparation définitive de la libération intellectuelle et morale ? Il y a là un aspect de la pédagogie nouvelle que nous devons, partout et toujours, mettre en lumière. Les pays fascistes, destructeurs impitoyables de toute tentative de libération pédagogique, nous montrent d’ailleurs la nécessité, pour l’Éducation nouvelle, de choisir son milieu et de prendre socialement position.
J’ai dit librement ces choses, tant à l’occasion de mes cours que durant une causerie faite à l’Université à des étudiants norvégiens étudiant le Français sous la direction de M. Gunnar Host. Que les éducateurs qui auraient pu être quelque peu inquiets de cette attitude en fassent responsables les implacables événements dont nous subissons plus qu’eux les dures conséquences.
 
Célestin Freinet
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 3, 1er novembre 1936

 

 
 

 

Il faut sortir de l’impasse, 15 novembre 1936

Une introduction de Freinet à deux articles du numéro sur la radio scolaire et l’éducation physique à l’école.  

Déjà ce constat : la contradiction entre intérêts des professeurs pour les savoirs encyclopédiques et résistance de la jeunesse en proie au surmenage scolaire. Le temps d’apprendre sans hâte est révolu, les manuels scolaires sont de plus en plus copieux et encombrants pour suivre des programmes élargis de nouvelles matières.
La première victime est l’enfant qui travaille sans lever le nez, à la chaîne. 
S’instruire, se former ne s’arrêtent pas à la fin de la scolarité, on apprend tout au long de la vie, mais si l’enfant a appris les techniques essentielles dans le temps de sa scolarité. 
La société a changé, les moyens de diffusion aussi. Freinet demande au gouvernement populaire de moderniser l’organisation et les techniques de l’école populaire qui datent d’un siècle. C’est urgent, car le danger d’une réorganisation de l’école avec des techniques militaristes pour évincer les principes émancipateurs de l’école populaire n’est pas écarté… 
Le nouveau Plan d’Études français s’impose ! Pour contribuer à la « régénération » de l’école populaire, le mouvement doit diffuser ses « idées-forces » pour « remuer le monde ».
 
Nous publions ci-dessous deux communications caractéristiques et dont nous voudrions qu’on saisisse toute la portée à l’heure présente : l’une de Pagès réclamant l’organisation de la Radio scolaire, et une autre de notre camarade Gauthier concernant l’organisation de l’éducation physique à l’école.
Il ressort de ces études que le gouvernement, que les responsables et les animateurs de l’Éducation nationale sentent la nécessité de donner une place importante dans les programmes à l’éducation physique et à la radio. Mais on n’en trouve plus la place tellement ces programmes sont déjà exagérément chargés. Alors, comme on l’a déjà fait, on établit des horaires qui, pratiquement, ne peuvent pas être suivis, ou bien on tente de faire déborder les disciplines scolaires et cet essai malheureux d’administrateurs impuissants méritait d’être dénoncé comme l’a fait Pagès.
Nous ne sommes pas de stériles critiqueurs ; nous tenons par-dessus tout à continuer notre besogne constructive et c’est pourquoi nous tenons ici à montrer la seule voie où peut s’engager l’éducation nationale si elle veut sortir de l’impasse où la poussent d’une part les désirs encyclopédiques des maîtres de la jeunesse, et d’autre part la résistance de cette jeunesse et des parents eux-mêmes émus par les tragiques effets du surmenage scolaire.
 
***
Il fut un temps – et nous l’avons encore connu au début du siècle, – où l’école poursuivait sereinement et sans hâte ce qu’elle croyait être sa grande mission éducatrice. Elle honorait certes l’instruction, l’acquisition, dont elle attendait le renouveau démocratique et républicain. Mais on en était malgré tout encore au temps de l’humilité primaire et de la simplicité. Nous n’avions que un ou deux manuels : ils étaient moins précis, moins illustrés, plus pauvres, mais ils étaient aussi moins encombrants, moins obsédants. Nous apprenions des résumés, mais il nous restait du temps encore pour aller à notre pas car les examens eux-mêmes étaient moins exigeants.
Depuis une vingtaine d’années, c’est la course à l’acquisition, la course au « bourrage de crânes », et les manuels – ou plutôt leurs auteurs – y ont leur large part de responsabilité. On a sans cesse élargi les programmes, ajouté de nouvelles matières, apporté de nouveaux développements ; toute classe qui se respecte possède aujourd’hui une bonne demi-douzaine au moins de manuels scolaires copieux, développés et complets ; les examens ont exagéré chaque année cet encyclopédisme qui devient comme une hantise mortelle pour l’école.
En même temps que se poursuivait cette course à l’encyclopédisme, la vie avec ses exigences, et l’action tenace des éducateurs poussaient à la nécessité d’introduire des activités nouvelles : la musique et le chant autrefois trop négligés, l’éducation physique dont on comprend aujourd’hui l’urgente nécessité, les promenades scolaires, la puériculture, le cinéma, la radio, le phonographe, l’imprimerie, techniques nouvelles qui bouleverseront sous peu l’école comme elles ont bouleversé les sociétés lors de leur apparition pratique.
Mais c’est là alors que réside le drame : pour enseigner et utiliser tout cela dans l’esprit encyclopédique de l’école actuelle, ce n’est pas trente heures par semaine qu’il faudrait, mais soixante, et bien remplies ; ce n’est pas d’allègement qu’il faudrait parler, mais de surcharge nouvelle jusqu’au jour où l’on comprenne vraiment qu’il y a une victime incontestable de cette tendance : c’est l’enfant attelé à un véritable travail de chaîne et qui n’aurait plus un instant pour vivre sa vie précieuse et débordante s’il ne savait, ancestralement, déjouer le complot des pédagogues et remédier par la paresse, la distraction, la désobéissance, à une emprise destructrice de toutes personnalités.
Et là aussi réside le secret de l’insuccès flagrant de l’école actuelle ; quand on exploite les forces des individus, qu’ils soient adultes ou enfants, il faut bien que ceux-ci réagissent pour se défendre : la paresse, le dégoût du travail, la mauvaise volonté, le sabotage conscient ou non ne sont que les manifestations normales de cette réaction. Elles persisteront à l’école tant que nous n’aurons pas normalisé et humanisé notre éducation et notre enseignement.
L’instituteur d’ailleurs serait peut-être le seul à n’être point dupe. Il sait bien que l’horaire actuellement imposé ne peut jamais être respecté, qu’il faut sacrifier certaines techniques si l’on veut enseigner d’autres de façon normale et que les examens encyclopédiques sont parmi les inventions les plus inhumaines de notre civilisation : on a beau nous dire qu’ils sont une nécessité – ce que nous ne croyons pas – il n’en reste pas moins qu’ils sont les responsables des tortures morales qu’endurent les enfants et qui conduisent trop souvent hélas ! aux graves déchéances qui marquent la jeunesse estudiantine.
 
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Le problème ne saurait être résolu que si on a le courage de l’examiner dans son ensemble et de prendre les mesures profondes et radicales qui s’imposent.
Il faut procéder sans parti-pris, en examinant loyalement, hors du cadre scolaire, les problèmes éducatifs, à une nouvelle hiérarchie des valeurs aux différents âges des enfants. Les recherches concluantes de pédagogie nouvelle, l’expérience belge elle-même, nous permettent de jeter aujourd’hui les bases sûres de cette révision :
1) L’acquisition encyclopédique telle qu’elle a été pratiquée jusqu’à ce jour est une erreur psychologique et pédagogique avec des enfants de 12-13 ans. Jusqu’à cet âge l’enseignement doit être essentiellement synthétique et vivant, avec un minimum de leçons formelles et un maximum de techniques susceptibles d’enrichir et d’harmoniser les individus.
2) Cela ne signifie point d’ailleurs que l’enfant, d’après ces directives, sera nécessairement un ignorant. Loin de là. Nous pouvons même affirmer qu’il connaîtra bien plus de choses que l’écolier parqué dans nos classes modernes ; il connaîtra peu de définitions peut-être, mais, pratiquement, dans la vie, il aura maîtrisé des techniques d’activité qui lui permettront de réagir en face des événements, cette tonalité constructive étant un des éléments essentiels de la pédagogie nouvelle, face à la passivité légendaire des enfants formés par les leçons encyclopédiques.
3) La pédagogie contemporaine a été faussée par cette conception essentiellement réactionnaire que la période d’instruction finit avec la scolarité et que l’enfant ne saura jamais ce qu’on ne lui aura pas appris avant qu’il n’entre dans l’enfer abrutissant de la production.
Les mesures nouvelles qui ont réduit à un minimum normal les heurs de travail des ouvriers, l’expérience soviétique surtout montrent l’énormité de l’erreur commise par l’école. C’est vers 12-13 ans que devrait commencer l’instruction formelle qui se poursuivrait toute la vie. Jusqu’à 13 ans, l’enfant aurait fait une provision de vie, de hardiesse et d’audace, il se serait saisi, sans fatigue, des techniques essentielles qui permettraient alors des progrès excessivement rapides.
 
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Si l’on tient compte de ces considérations, une refonte de l’éducation primaire française s’impose. Il faut sabrer impitoyablement dans le maquis encyclopédique, préconiser des normes nouvelles de travail scolaire basées sur ces techniques modernes qu’on essaye justement d’acclimater à l’école et qui apparaissent toujours comme des intruses ; il faut, d’accord avec les grandes consciences de la culture française, remettre en honneur cette activité, cette originalité, cette vie indomptable qui ont permis jadis de dresser les cathédrales ; il est nécessaire de doser minutieusement l’instruction formelle dans ce renouveau de somptueuse acquisition synthétique ; il faudra mettre au pas auteurs et marchands de manuels et convaincre les uns et les autres que la vie d’une part, les moyens modernes de diffusion d’autre part, rendent scandaleusement surannés les livres scolaires et qu’une adaptation de toute l’éducation doit être faite sans tarder aux nécessités sociales et aux moyens nouveaux de la science.
Nous avons montré la voie ; et, dans notre école prolétarienne encore, nous tâchons de prouver expérimentalement qu’éducation harmonieuse et acquisition ne sont point opposées comme on a voulu le faire croire. Il ne s’agit point de préconiser l’ignorance à une époque où il y a tant à apprendre. Nous dénonçons justement la besogne retardataire d’une école qui instruit selon des procédés vieux d’un siècle alors que la vie contemporaine est là, puissante et éducatrice et nous demandons aux éducateurs, nous demandons au gouvernement populaire de moderniser sans retard, et avec hardiesse, l’organisation et les techniques de l’école populaire.
L’école actuelle est tragiquement embouteillée, à tel point qu’on ne peut y faire entrer ce moyen d’instruction qu’est la radio. On ne peut plus aller de l’avant si on ne réorganise pas d’urgence. Et on ne peut réorganiser que dans le sens que nous venons d’indiquer.
Ou bien alors, prenons garde : d’autres réorganiseront un jour notre école, mais ce sera pour supprimer radicalement tout ce qui pourrait aider à l’émancipation prolétarienne, et pour mettre l’exercice militaire et le fusil à la place des techniques d’expression libre et de libération que nous préconisons.
Plus que jamais un nouveau Plan d’Études français s’impose.  A nous d’en populariser l’idée, d’en imposer la réalisation. Nous le pouvons si nous sommes bien convaincus de la ligne nouvelle de notre effort et si nous savons prouver par notre exemple et notre travail la possibilité et l’utilité de cette rénovation.
Courage, camarades ! Le bon grain que nous avons semé lève. Des masses toujours plus importantes d’éducateurs s’intéressent à notre activité et comprennent l’urgence des campagnes que nous menons. De nombreux inspecteurs viennent à nous et se rallient ostensiblement, officiellement à l’idée nouvelle que nous défendons. Nous nous en réjouissons et nous les rassurons de notre collaboration totale et désintéressée. Car notre but n’est point de mettre en vedette tels individus ou tels groupements, mais de contribuer à la régénération de notre école populaire et à la diffusion d’idées-forces qui ne sauraient être des forces que si elles sont dépouillées de toute individualité pour aspirer à cette généralité, à cette humilité, à cette simplicité qui les font aptes alors à remuer le monde.
Célestin Freinet
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 4, 15 novembre 1936

 

L’École Freinet doit devenir l’Institut des nouveaux Éducateurs Prolétariens, 30 novembre 1936

Une vision globale de l’éducation qui sort largement des murs de l’école. Ici, l’éducateur se préoccupe de tous les  temps hors famille de l’enfant : son éducation, son alimentation, ses loisirs, ses vacances… L’éducateur professionnel, mais aussi le travailleur se retrouvent  et œuvrent ensemble dans ces activités en dehors des heures de classe.

Une vision globale de la formation également avec un lieu unique pour toutes ces différentes activités éducatives.
Une utopie toujours à réaliser !
 
 
« Nous avons l’avantage – qui est payé, croyez-le, par de bien durs sacrifices – de pouvoir considérer le problème de l’éducation dans toute sa complexité globale.
Nous montrons, par notre réalisation, que l’action individuelle et sociale de l’école proprement dite est bien plus réduite que’on ne croit communément, que la salle de classe ne devrait être que le complément naturel d’une vie harmonieusement organisée, et que l’école proprement dite ne saurait être séparée ni de la vie des adultes, donc des réactions sociales et politiques, ni de la formation physiologique des individus, c'est-à-dire de tout le problème initial de la santé et de la vie.
Cette conception totalitaire de l’éducation a une importance primordiale dont se persuadent peu à peu – grâce à l’action persévérante des pionniers de l’éducation nouvelle – tous ceux qui ont charge de l’enfance.
C’est parce qu’ils l’ont comprisse que nos camarades administrateurs des municipalités ouvrières ne se contentent pas seulement d’améliorer les locaux scolaires, mais pensent en même temps – et parfois avant – à organiser des cantines, des écoles d’anormaux, des patronages, des terrains de jeux, des colonies de vacances.
Le problème éducatif a délibérément débordé l’école. Et il est encourageant que ce soient des administrateurs ouvriers qui aient les premiers admis et réalisé ce fait aujourd’hui incontestable dont devront bien peu à peu se persuader les pédagogues à œillères et les exploiteurs conscients ou inconscients de l’école prolétarienne.
Il n’en reste pas moins que cette conception nouvelle de l’éducation pose un certain nombre de problèmes et de tâches dont la technique pédagogique actuelle n’a point étudié la solution et dont l’urgence pourtant ne fait plus de doute :
– Comment sera réglée l’alimentation dans les cantines ?
– Comment seront conçus et organisés les terrains de jeux ?
– Comment préparer les responsabilités des patronages ? Selon quels principes ? Avec quelles directives ?
– Quelle sera la pédagogie dans les écoles d’anormaux ? Où seront formés ces éducateurs d’enfants délinquants que le Ministre voudrait maintenant recruter pour humaniser ces établissements tant décriés ?
– Quelles activités offrir aux enfants, dans les camps et colonies de vacances, dans les organisations d’enfants ? Selon quels principes ?
A toutes ces questions pourtant essentielles, nul organisme à ce jour n’est en mesure, pratiquement de répondre. Les éducateurs eux-mêmes qui se dévouent pour œuvrer, en dehors des heures de classe, soit dans les patronages, soit dans les diverses colonies de vacances, sont désorientés par la nouveauté des besognes qui s’offrent à eux et auxquelles il ne leur a jamais été donné de réfléchir. Quant aux camarades ouvriers qui, plus méritoires encore, ne craignent pas de s’improviser éducateurs – ou mieux : entraîneurs – ils sont capables d’initiatives de génie, certes ; mais ils useront une énergie précieuse à redécouvrir – avec des tâtonnements dangereux et de graves risques d’erreurs – ce que notre expérience pourrait aujourd’hui leur offrir.
Dans le chaos complexe de ce réseau d’initiatives extra-officielles, nous pouvons affirmer sans fausse modestie, que nous sommes les seuls à pouvoir apporter quelque clarté. Mieux : il faut que ce soient nos idées qui triomphent dans l’organisation naissante si l’on ne veut pas que l’orthodoxie et la routine reprennent leurs droits pour étouffer à leur naissance tant d’initiatives généreuses et enthousiastes.
Outre notre effort de dix ans dans le domaine de l’éducation nouvelle, nous menons ici, depuis un an, une expérience qui est, à tous points de vue, du plus haut intérêt. Ce que n’enseignent pas les écoles officielles, cet élan nouveau vers la vie et l’éducation synthétique, cet effort d’organisation harmonieuse de l’activité enfantine dans tous les domaines, nous sommes maintenant en mesure de les présenter à tous les éducateurs ainsi qu’aux camarades ouvriers qui désirent s’occuper de l’enfance.
C’est à leur intention que nous allons faire de notre école l’INSTITUT DES NOUVEAUX ÉDUCATEURS PROLÉTARIENS, où tous ceux qui s’intéressent à l’enfance viendront puiser directives et conseils.
Nous continuerons, certes, par nos publications, à divulguer notre œuvre. Mais rien ne vaut, pour s’imprégner d’un idéal et d’une technique, la vie, ne serait-ce que quelques semaines, dans une communauté de recherche et de travail telle que la nôtre.
Nous sommes donc en mesure de recevoir dans notre École Institut tous les camarades éducateurs professionnels ou non qui veulent se perfectionner dans une des branches que nous avons indiquées ci-dessus. Outre le spectacle édifiant de nos réalisations, il sera organisé des cours théoriques qui complèteront la leçon efficace des faits et de la vie.
Dès que les engagements seront assez nombreux, nous prendrons des mesures pour offrir à nos grands élèves des conditions de séjour certainement compatibles avec les possibilités économiques des associations et municipalités désireuses de préparer méthodiquement des entraîneurs expérimentés pour les œuvres vitales dont ils prennent l’initiative. »
Célestin Freinet

L’Éducateur Prolétarien, n°5, 30 novembre 1936
 
L’article dans son intégralité

 

Préparons pratiquement le nouveau Plan d’Études Français !, 15 décembre 1936

Le travail de pionnier réalisé depuis dix ans est à poursuivre et à développer pour susciter l’engagement de l’immense masse des éducateurs et entraîner toute l’École française qui doit devenir efficiente, plus adaptée à la société contemporaine et les techniques expérimentées le permettent.

Il est important que le mouvement se présente comme celui qui peut aider les enseignants en volonté de changement pédagogique pour éviter qu’ils n’abandonnent définitivement devant les premiers obstacles.
Freinet rappelle que le problème de l’acquisition n’est pas sous-estimé, mais les procédures mises en œuvre ne permettent pas aux connaissances de s’accrocher à l’individu et donc s’évaporent très rapidement.
L’établissement d’un « Plan de Travail » s’avère indispensable avec pour l’élaborer une grande consultation auprès des anciens élèves et des parents, sans oublier les acteurs de la société (grands groupes humains, syndicats, coopératives, entrepreneurs…).
Pour articuler les intérêts, les plans de travail individuel des enfants et ce qui est essentiel à savoir, des plans de travail annuels par discipline et par degré d’enseignement seront élaborés. Ils guideront les élèves et les instituteurs dans leurs cheminements personnels.
C’est aussi un appel au travail, car ce Plan d’Études doit être une œuvre collective.
 
 Notre numéro spécial n° 2, consacré au nouveau Plan d’Études, a obtenu un succès sans précédent, non seulement en Belgique, – chose assez naturelle – mais en France aussi, et tant en province qu’à Paris. Preuve certaine que la masse des éducateurs, la masse des jeunes surtout, rebutée parfois par les principes vaporeux de l’éducation nouvelle, sent puissamment la nécessité d’une action pour la rénovation pratique de notre enseignement.
Nous l’avons dit bien des fois : sans sous-estimer l’importance historique des théories nouvelles ou anciennes, nous nous attachons surtout à être des praticiens plus que des théoriciens. Nous savons par expérience que les prêches, les exhortations, les beaux articles enthousiasmants, s’ils ne sont pas, comme chez nous, la conséquence d’une action pratique, risquent de contrarier plus que de servir la cause de l’éducation nouvelle.
Rares sont, en effet, les éducateurs qui ont les possibilités, la force, et le temps, de renverser tout un édifice scolaire pour partir à l’aventure dans les champs prometteurs mais encore trop en friche, de l’éducation nouvelle.
Susciter un enthousiasme qui risque de s’évanouir devant des obstacles pratiquement insurmontables, c’est rebuter dangereusement, et parfois irrémédiablement, toutes les bonnes volontés qui comprennent les avantages et la nécessité de l’éducation nouvelle et qui ne restent dans la ligne traditionnelle que parce que nul ne les aide à en sortir.
A tous ces camarades qui sentent – ne serait-ce que quelques velléités d’émancipation pédagogique – notre mouvement se présente comme le seul susceptible de les diriger et de les aider.
 
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Cette tendance est bien marquée dans notre numéro sur le Plan d’Études français.
Nous ne demandons au gouvernement aucun verbiage : il y en a suffisamment dans les instructions et les programmes actuels. Il nous faut des actes qui nous permettent de faire passer dans la réalité quotidienne les idées généreuses inscrites dans les instructions ministérielles de 1923. Nous avons mis en lumière quelques-uns de ces actes dont nous demandons à nos camarades du Front populaire de prendre l’initiative : suppression des manuels scolaires, suppression du C.E.P.E., réorganisation de l’Inspection Primaire, organisation nouvelle de l’École avec décharge des classes, création d’Écoles expérimentales.
Si ces améliorations matérielles et techniques étaient réalisées, automatiquement les méthodes nouvelles pourraient se développer dans des Écoles où ne peut pénétrer pour l’instant que l’impuissant verbiage de l’Éducation nouvelle.
On nous rendra cet hommage que nous n’avons jamais attendu béatement que les gouvernements apportent toutes faites dans nos écoles les améliorations et les transformations que nous souhaitons. Bon pour ceux qui, solidement assis dans le désordre présent, craignent le progrès que nous appelons et que nous préparons, et qui ne se leurrent d’ailleurs pas sur la puissance réalisatrice de leurs revendications verbales.
Être à l’avant-garde, ce n’est pas partir en tête, drapeau déployé, en hurlant et en chantant, sans se soucier de ceux qui suivent… ou qui restent. C’est, comme nous le faisons, remplir un rôle de Pionniers : préparer généreusement les chemins et les ponts, couper hardiment les amarres des traditions et des égoïsmes, afin que, sans efforts héroïques, mais avec sûreté, l’immense masse des éducateurs s’engage enfin dans une voie dont elle comprend l’utilité et sur laquelle elle est certaine de réussir.
Cette besogne de Pionniers, nous la menons depuis plus de dix ans, contre vents et marées… et il y en a eu de puissamment dangereux, n’est-ce pas, camarades ? Mais nous avons la satisfaction maintenant d’avoir établi la voie sur laquelle des centaines d’éducateurs nous suivent. Mais cette voie est encore étroite et difficile. Nous devons l’élargir et l’aplanir pour que s’y engage toute l’école française.
 
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On a cru – et nous y revenons – que nous étions partisans d’une école où l’enfant ne fait que ce qui lui plaît, en négligeant parfois des acquisitions que la société juge à bon droit essentielles.
Nous voulons, au contraire, une école plus efficiente que l’école traditionnelle où tant d’efforts se dépensent en vain. L’École actuelle n’est adaptée ni aux moyens que nous offre la civilisation actuelle, ni au mode de vie contemporain, ni aux buts sociaux qui évoluent à un rythme accéléré.
Il faut réorganiser l’enseignement sur des bases plus rationnelles.
C’est le but de notre technique.
Il fut un temps où l’École n’était pas exigeante : les notions à acquérir étaient réduites et ne risquaient pas de déborder la capacité d’un cerveau d’enfant.
On a tellement accumulé depuis quelques décades que nous sommes aujourd’hui dans cette impasse dont nous parlions dans un récent numéro. Il nous faut organiser et rationaliser l’éducation et l’enseignement.
Mais rationaliser l’acquisition, ce n’est pas, comme le pratiquent certains charlatans de la pédagogie, trouver le moyen de bourrer toujours davantage le cerveau des enfants. Ce serait procéder comme un État qui produirait des millions d’automobiles qui, ne trouvant pas d’acheteurs, encombreraient le marché et immobiliseraient inutilement des forces vives. Le problème de l’acquisition ne saurait être séparé de celui de l’enrichissement et de l’harmonisation des personnalités, harmonisation qui doit être le résultat d’une organisation technique rationnelle adaptée aux exigences sociales de l’heure.
Nous ne sous-estimons pas le problème de l’acquisition : mais nous disons d’une part, que cette acquisition est conduite de nos jours selon des procédés qui ne donnent qu’un bien minime rendement. D’autre part, l’instruction, dans l’École actuelle, n’est jamais sérieusement accrochée aux individus ; elle ne fait pas partie d’eux-mêmes ; elle s’en sépare donc facilement. Et c’est ce qui explique l’ignorance incroyable de recrues pourtant instruites pendant 5 et 6 ans dans nos écoles primaires.
On pratique actuellement comme des dirigeants de la production automobile d’un pays qui produiraient de façon intensive les pièces détachées de leurs machines, mais qui les entasseraient dans leurs entrepôts, n’ayant pas trouvé le moyen de les agencer harmonieusement, rationnellement, scientifiquement, pour leur donner vie et utilité.
Il nous faut des matériaux, et d’excellente qualité, que nous devons apprendre à produire dans les meilleures conditions. Il nous faut aussi les utiliser pour créer et enrichir la vie.
C’est ce double problème qu’il nous faut mener de front, et selon les mêmes principes scientifiques et humains.
 
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On voit alors l’importance conditionnée que nous accordons à l’acquisition.
Tenant compte de ces considérations, il faudrait nous mettre d’accord sur la qualité et la quantité de ces acquisitions.
L’École actuelle procède comme si ce même directeur de production automobile fabriquait intensivement des pièces quelconques qui s’entasseraient ensuite sur la machine, sans savoir lesquelles sont utiles, lesquelles inutiles, lesquelles nuisibles. Le chef de rayon des carburateurs a exagéré la production, mais les pistons sont mal ajustés et on manque de caoutchouc ou d’essence pour donner vie à la machine – chacun ayant exagéré sa spécialité sans se soucier de l’ensemble, de la synthèse dont son effort n’est qu’un élément.
Il en est ainsi à l’École, hélas ! Chaque manuel accentue les exigences du programme ; chacun voudrait faire rendre au maximum sa spécialité ; le C.E.P.E. contrôle la production de chacune de ces spécialités. Mais lorsque, sitôt l’examen passé, on essaye d’utiliser l’acquis de l’école, on s’aperçoit que nous avons enseigné beaucoup de notions inutiles, que nous avons ainsi usé en vain les rouages indispensables et que nous avons oublié l’essentiel qui est la synthèse de vie de la machine humaine. Alor, il faut tout redémonter, éliminer les malfaçons ou les pièces inutiles, forger patiemment ce qui manque. Rares sont hélas ! ceux qui en viennent à bout !
Si nous procédions plus rationnellement ! Si nous essayions d’abord de savoir quelles pièces sont nécessaires pour que la machine marche harmonieusement, nous pourrions établir avec sûreté ensuite la besogne de tous les spécialistes et le développement normal des disciplines qui doivent concourir à la synthèse vivante et profitable.
Autrement dit, il nous faut prévoir des Plans.
Nous n’avons pas de Plan de travail maintenant parce que nous sommes dans un régime où seuls ont un Plan ceux qui organisent l’Économie mondiale pour la plus grande somme de bénéfices ou de dividendes. Nous sommes dans la société qui produit des automobiles que les usagers éventuels ne peuvent acheter, des fruits qu’il faut jeter, du vin qu’il faut brûler, du blé qu’on doit donner au bétail.
A l’école actuelle, même activité désordonnée et inconsidérée : on passe de longues heures à enseigner – selon des techniques vieilles de cent ans parfois – l’histoire, le calcul, la géographie, les sciences compliquées et livresques. Et puis, à l’usage, on s’aperçoit qu’il y a eu maldonne, que la vie à d’autres exigences et qu’il faut, à nos risques et périls, remonter la machine.
Pour sortir de la crise, les gouvernements ont dressé des Plans rigoureux d’activité.
Si nous voulons travailler méthodiquement, effectivement, productivement dans nos écoles, il nous faut de même notre Plan de Travail.
Mais ce Plan de Travail il faut l’établir.
On pourrait nous objecter qu’il existe bien à ce jour des Plans de Travail qui sont les programmes officiels, détaillés et élargis dans les manuels scolaires. Mais ce sont des Plans de travail capitalistes, nés de la fantaisie ou de l’intérêt de leurs initiateurs. Ils n’ont rien à voir socialement et humainement parlant, aves les Plans de Travail méthodiquement établis que nous préconisons.
Ces plans de travail ne peuvent être l’œuvre des seuls spécialistes. Il faut d’abord connaître quelles sont les notions, qui, de l’avis des usagers eux-mêmes, sont nécessaires à l’enfant aux différents âges et plus spécialement à l’enfant qui quitte l’école à 13-14 ans.
Il nous faut, par une vaste enquête, interroger nos anciens élèves et leurs parents, leur demander quelles sont, parmi les notions que nous leur avons enseignées, celles qu’ils ont reconnues indispensables, celles dont ils n’ont aucune utilisation et qu’ils ont laissé tomber. Il faut qu’ils nous signalent les trous, les insuffisances qui se sont révélées à l’épreuve de la vie.
Le résultat de cette enquête sera un élément pratique essentiel, car l’École est faite pour préparer l’individu social ; son rôle véritable doit être d’aider l’enfant à s’intégrer à la société pour y tenir utilement son rôle. Tout doit être subordonné à cette fin que nous tâcherons d’ailleurs de mieux connaître et de préciser.
Nous interrogerons ensuite les dirigeants des grands groupes humains de défense et de travail, les militants de syndicats et de coopératives, les petits artisans et aussi les chefs d’entreprise sympathiques en tenant compte cependant que ceux-ci jugent la formation des individus en fonction des frais d’exploitation qui sont leur seule raison d’être.
Nous aurons là le point de vue de la société qui attend du travail de l’homme une utilisation effective et profitable.
Tenant compte de ces deux ordres d’éléments, les spécialistes que sont les instituteurs et les inspecteurs établiront alors les plans de travail définitifs.
Ils pourront éliminer tout ce qui, dans notre enseignement, est inopérant et inutile, tout ce qui devra être acquis plus tard mais qu’on tenterait en vain d’inculquer prématurément aux enfants. Il y aura des élagages – et sérieux – à faire en histoire, en géographie, en sciences. Nous trouverons alors le temps de travailler pratiquement pour les choses essentielles ; nous aurons le temps de faire de la gymnastique, de chanter, d’utiliser radio et phono, et de nous mêler à la vie sans être obsédés par cette acquisition intensive, aux fins d’examen, que nous savons, nous, éphémère et nuisible.
 
***
Munis de ces plans, nous pourrons alors aller plus avant dans le sens de nos techniques.
Techniques de travail libre des enfants, avons-nous dit. Mais encore faut-il savoir dans quel sens exercer cette libre activité.
Il faut que l’enfant travaillant librement sache où il va, qu’il ait conscience des acquisitions souhaitables, qu’il voie l’ensemble, qu’il sente que son effort intègre à un Plan au service de la communauté. L’idéal serait que l’enfant dresse lui-même son plan d’activité qui stimulera, régularisera et harmonisera son effort quotidien.
Ce Plan de travail, nous l’avons dit, existe actuellement. C’est celui des manuels où l’effort demandé est débité en tranches très marquées par mois et par trimestre. Mais ce plan, outre qu’il n’a rien de rationnel, est imposé aux enfants qui se contentent de s’y conformer sans le vivre pour se l’assimiler.
A temps nouveaux, techniques nouvelles, Plan de travail plus efficients.
Nos techniques – et le Plan d’Études belge s’oriente également dans ce sens – font une place essentielle à l’intérêt spontané, accidentel ou permanent des enfants, aux activités déterminées par le milieu, par les saisons, par les péripéties de la vie ambiante. Mais à suivre ainsi exclusivement le fait personnel on risque – et nous le sentons tous – de négliger des acquisitions indispensables ou de tourner parfois dangereusement autour des mêmes préoccupations, sans considérer la synthèse sociale et humaine qui nous impose ses lois.
Nous établirons alors, en nous basant sur nos Plans Généraux de travail dont nous préparons la réalisation, des Plans annuels de travail pour chaque discipline et pour les divers degrés d’enseignement. Sur ces plans, les élèves – et les éducateurs aussi, – marqueront de façon visible à mesure qu’ils les étudient librement, les divers points mentionnés. Ils auront ainsi constamment sous les yeux un tableau des activités possibles et souhaitables ; ils connaîtront les trous et les insuffisances et pourront éventuellement y parer.
Ces plans seront donc des guides et des stimulants. Avec eux, nous réaliserons des normes nouvelles d’acquisition et d’éducation parce que nous ferons appel à des éléments nouveaux d’activités susceptibles de remplacer avantageusement la discipline aveugle des manuels, liberté dans le choix et l’exécution selon l’intérêt et les besoins du moment, tableaux de travail, normes d’activité qui stimulent l’effort et la compétitions, guides méthodiques qui donnent à l’enfant l’impression qu’il sait où il va, ce qui lui manque et quel effort il doit fournir.
L’expérience commencée dans notre école nous a montré que nous sommes là à l’aube d’une activité nouvelle qui pourrait bien nous apporter la clé de techniques de travail vivant et pourtant ordonné et méthodique. Nous en continuons la mise au point. Nous avons voulu seulement aujourd’hui en signaler l’essentiel pour bien faire comprendre toute l’importance technique que nous attachons aux Plans d’Études dont nous préconisons la mise au point.
 
***
Et maintenant à l’œuvre !
Nous disons de ce Plan d’Études ce que nous disions jadis du Fichier Scolaire Coopératif : il sera une œuvre collective ou il ne sera pas.
Il faut qu’il soit !
Cette œuvre collective, nous seuls en France sommes en mesure de la mener à bien. Et nous y pourvoirons. Nous prouverons ainsi que nous continuons notre tradition d’un mouvement pédagogique coopératif capable d’enthousiasmer des centaines de camarades à la préparation de voies nouvelles que les théoriciens avaient parfois entrevues et que nous sommes les premiers à réaliser.
Célestin Freinet
 
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 6, 15 décembre 1936

 

Trois questionnaires, pour un nouveau Plan d’Études Français, 1er février 1937

Après le questionnaire proposé aux adhérents, aux diverses organisations de l’enseignement, aux revues pédagogiques, aux journaux amis et aux syndicats en mai 1936, Freinet propose dans ce numéro de l’Éducateur Prolétarien trois questionnaires : un aux enfants qui ont quitté l’école, un deuxième aux parents et le troisième aux employeurs et dirigeants.

 

POUR LES ENFANTS 

1. L’École vous a-t-elle appris à vous exprimer comme vous le désirer ? en public ? en privé ?
2. L’École vous a-t-elle appris à vous débrouiller dans les diverses circonstances de la vie ? Sauriez-vous accomplir un voyage assez long, téléphoner, expédier un mandat ? Sauriez-vous bêcher, maçonner, menuiser, établir des plans ?
3. Quelles sont les exercices qui, à l’école, vous paraissent les plus utiles pour parvenir à ces connaissances ? A votre avis, que devrait faire l’école pour mieux réussir dans cette préparation ?
4. Savez-vous rédiger couramment et correctement un rapport, une lettre à un ami, à un fournisseur, etc. ?
Si oui, l’École vous a-t-elle aidé à y parvenir et par quels exercices ?
Sinon, quels sont les travaux scolaires qui, à votre avis, vous y auraient mieux préparé ?
5. Lisez-vous couramment ? Quels livres de préférence ? Lisez-vous les journaux ? Quels articles de préférence ? Qu’aurait dû faire l’École pour vous aider à mieux lire ?
6. L’École vous a fait faire beaucoup de calcul. Savez-vous faire les 4 opérations ? évaluer une distance ? déterminer la surface du terrain ? sa valeur ? le volume d’un récipient de forme régulière ? d’un tas de bois ? Dans votre vie actuelle, quelles sont les connaissances mathématiques qui vous sont le plus utiles ? Quelles sont celles qui vous manquent ?
7. On vous a enseigné de l’histoire ? Quels sont les faits, les dates dont vous vous souvenez le mieux ? A votre avis, sur quels points d’histoire, l’École devrait-elle insister ?
8. On vous a enseigné de la géographie. En avez-vous beaucoup retenu ? A quoi cela vous sert-il ? Connaissez-vous votre région ? Les autres régions de France ? Sauriez-vous établir l’itinéraire d’un voyage ? Qu’aurait dû faire l’École pour mieux vous enseigner tout cela ?
9. Que vous rappelez-vous des sciences enseignées à l’École ? Cet enseignement vous a-t-il aidé pour votre métier ? Qu’aurait dû faire l’École pour que vous en profitiez davantage ?
10. Pour les enseignements accessoires : dessin, musique, chant, gymnastique, travail manuel, pensez-vous que l’École vous a fait faire assez d’exercices ?
A votre avis, quels sont ceux qui devraient tenir plus de place ?
11. Le Certificat d’Études vous a-t-il servi ? Que pensez-vous de cet examen ?
12. Si vous aviez à faire un Plan de Travail pour des enfants au-dessous de 13-14 ans, que supprimeriez-vous ? Qu’ajouteriez-vous ? Comment organiseriez-vous le travail ?
13. Quels sont, en général, les souvenirs les plus précis que vous gardez de votre passage à l’École ?
14. Après avoir quitté l’École, quelles ont été vos occupations, vos amusements préférés ? Que faudrait-il faire pour que vous puissiez continuer à vous instruire ? 
 
POUR LES PARENTS
 
Examinez le questionnaire ci-dessous. Répondez pour ce qui vous concerne.
Notez séparément :
a) Les notions ou activités que l’École devrait offrir aux enfants et qui sont actuellement négligées ;
b) Les activités qui, à votre avis, ne sont pas indispensables pour la vie et le travail.
Si vous à faire un Plan de Travail, qu’ajouteriez-vous ? Que supprimeriez-vous ?
 
1. L’École vous a-t-elle appris à vous exprimer comme vous le désirer ? en public ? en privé ?
2. L’École vous a-t-elle appris à vous débrouiller dans les diverses circonstances de la vie ? Sauriez-vous accomplir un voyage assez long, téléphoner, expédier un mandat ? Sauriez-vous bêcher, maçonner, menuiser, établir des plans ?
3. Quelles sont les exercices qui, à l’école, vous paraissent les plus utiles pour parvenir à ces connaissances ? A votre avis, que devrait faire l’école pour mieux réussir dans cette préparation ?
4. Savez-vous rédiger couramment et correctement un rapport, une lettre à un ami, à un fournisseur, etc. ?
Si oui, l’École vous a-t-elle aidé à y parvenir et par quels exercices ?
Sinon, quels sont les travaux scolaires qui, à votre avis, vous y auraient mieux préparé ?
5. Lisez-vous couramment ? Quels livres de préférence ? Lisez-vous les journaux ? Quels articles de préférence ? Qu’aurait dû faire l’École pour vous aider à mieux lire ?
6. L’École vous a fait faire beaucoup de calcul. Savez-vous faire les 4 opérations ? évaluer une distance ? déterminer la surface du terrain ? sa valeur ? le volume d’un récipient de forme régulière ? d’un tas de bois ? Dans votre vie actuelle, quelles sont les connaissances mathématiques qui vous sont le plus utiles ? Quelles sont celles qui vous manquent ?
7. On vous a enseigné de l’histoire ? Quels sont les faits, les dates dont vous vous souvenez le mieux ? A votre avis, sur quels points d’histoire, l’École devrait-elle insister ?
8. On vous a enseigné de la géographie. En avez-vous beaucoup retenu ? A quoi cela vous sert-il ? Connaissez-vous votre région ? Les autres régions de France ? Sauriez-vous établir l’itinéraire d’un voyage ? Qu’aurait dû faire l’École pour mieux vous enseigner tout cela ?
9. Que vous rappelez-vous des sciences enseignées à l’École ? Cet enseignement vous a-t-il aidé pour votre métier ? Qu’aurait dû faire l’École pour que vous en profitiez davantage ?
10. Pour les enseignements accessoires : dessin, musique, chant, gymnastique, travail manuel, pensez-vous que l’École vous a fait faire assez d’exercices ?
A votre avis, quels sont ceux qui devraient tenir plus de place ?
11. Le Certificat d’Études vous a-t-il servi ? Que pensez-vous de cet examen ?
12. Quels sont, en général, les souvenirs les plus précis que vous gardez de votre passage à l’École ?
13. Après avoir quitté l’École, quelles ont été vos occupations, vos amusements préférés ? Que faudrait-il faire pour que vous puissiez continuer à vous instruire ?  
 
POUR  EMPLOYEURS ET DIRIGEANTS
 
Examinez le questionnaire ci-dessous. Répondez pour ce qui vous concerne.
Notez séparément :
a) Les notions ou activités que l’École devrait offrir aux enfants et qui sont actuellement négligées ;
b) Les activités qui, à votre avis, ne sont pas indispensables pour la vie et le travail.
Si vous à faire un Plan de Travail, qu’ajouteriez-vous ? Que supprimeriez-vous ?
 
1. L’École vous a-t-elle appris à vous exprimer comme vous le désirer ? en public ? en privé ?
2. L’École vous a-t-elle appris à vous débrouiller dans les diverses circonstances de la vie ? Sauriez-vous accomplir un voyage assez long, téléphoner, expédier un mandat ? Sauriez-vous bêcher, maçonner, menuiser, établir des plans ?
3. Quelles sont les exercices qui, à l’école, vous paraissent les plus utiles pour parvenir à ces connaissances ? A votre avis, que devrait faire l’école pour mieux réussir dans cette préparation ?
4. Savez-vous rédiger couramment et correctement un rapport, une lettre à un ami, à un fournisseur, etc. ?
Si oui, l’École vous a-t-elle aidé à y parvenir et par quels exercices ?
Sinon, quels sont les travaux scolaires qui, à votre avis, vous y auraient mieux préparé ?
5. Lisez-vous couramment ? Quels livres de préférence ? Lisez-vous les journaux ? Quels articles de préférence ? Qu’aurait dû faire l’École pour vous aider à mieux lire ?
6. L’École vous a fait faire beaucoup de calcul. Savez-vous faire les 4 opérations ? évaluer une distance ? déterminer la surface du terrain ? sa valeur ? le volume d’un récipient de forme régulière ? d’un tas de bois ? Dans votre vie actuelle, quelles sont les connaissances mathématiques qui vous sont le plus utiles ? Quelles sont celles qui vous manquent ?
7. On vous a enseigné de l’histoire ? Quels sont les faits, les dates dont vous vous souvenez le mieux ? A votre avis, sur quels points d’histoire, l’École devrait-elle insister ?
8. On vous a enseigné de la géographie. En avez-vous beaucoup retenu ? A quoi cela vous sert-il ? Connaissez-vous votre région ? Les autres régions de France ? Sauriez-vous établir l’itinéraire d’un voyage ? Qu’aurait dû faire l’École pour mieux vous enseigner tout cela ?
9. Que vous rappelez-vous des sciences enseignées à l’École ? Cet enseignement vous a-t-il aidé pour votre métier ? Qu’aurait dû faire l’École pour que vous en profitiez davantage ?
10. Pour les enseignements accessoires : dessin, musique, chant, gymnastique, travail manuel, pensez-vous que l’École vous a fait faire assez d’exercices ?
A votre avis, quels sont ceux qui devraient tenir plus de place ?
11. Le Certificat d’Études vous a-t-il servi ? Que pensez-vous de cet examen ?
12. Quels sont, en général, les souvenirs les plus précis que vous gardez de votre passage à l’École ?
13. Après avoir quitté l’École, quelles ont été vos occupations, vos amusements préférés ? Que faudrait-il faire pour que vous puissiez continuer à vous instruire ?  
 
 
Prière de retourner les réponses : C. FREINET, Vence (A.-M.) 
(Si la place n’est pas suffisante veuillez répondre sur feuille séparée).
Célestin Freinet

 

L’Éducateur Prolétarien, n° 9, 1er février 1937 dans son intégralité

 

Techniques et Méthodes, 15 février 1937

Réflexion au-delà du seul domaine scolaire ; le terme « méthode » peut servir des visées politiques, économiques et sociales.
La méthode, c’est le but, la direction et les techniques sont les moyens d’action. Une lecture de l’œuvre de quelques pédagogues contemporains à travers cette définition s’avère utile.

Quant aux écrivains pédagogiques, inspecteurs, professeurs ils préfèrent enrober leurs propos d’une enveloppe savante plutôt que de s’occuper d’organisation pédagogique.

La spécificité du mouvement tout en étant partie prenante de la masse des instituteurs, c’est d’expérimenter et d’élaborer les chemins – les techniques – pour guider ceux qui le souhaitent à réaliser une partie de leur idéal pédagogique.

Un appel à poursuivre les expérimentations et les réalisations pour améliorer la visée d’éducation libératrice que porte le mouvement.

 
Nos anciens adhérents se souviennent sans doute des articles que nous avions écrits à ce sujet au début de notre mouvement et dans lesquels, distinguant techniques et méthodes, nous tentions une sorte de reclassement des valeurs et des recherches pédagogiques.
L’idée a heureusement marché et l’appellation de techniques est aujourd’hui assez communément employée en pédagogie et en éducation. A contrecœur parfois car, sous la plume de ceux qui sacrifient parfois aux besoins nouveaux, le mot technique garde quelque chose de roturier, de matérialiste en face des grands vocables idéalistes et philosophiques qui rehaussent si généreusement les articles pédagogiques.
Une nouvelle mise au point, enrichie d’ailleurs par nos expériences récentes, ne nous paraît donc pas inutile.
Qui dit méthode, en effet, dit vaste conception générale du devenir humain, basée sur des principes qu’on suppose à peu près sûrs et immuables. La méthode suppose une conception vaste et profonde de la vie et déborde donc considérablement l’étroit domaine scolaire.
Une méthode est nécessaire à qui prétend s’orienter et orienter les autres dans des voies pas toujours précisées scientifiquement et philosophiquement. Nous pouvons parler de méthode libératrice si nous considérons sans  apriorisme les diverses forces qui agitent actuellement l’évolution sociale, si nous prenons conscience des rapports étroits qui existent entre le programme et le travail scolaire et les réalités économiques, sociales et politiques.
Nous comprenons alors que nous trouvions en face de nous la méthode fasciste qui, partant d’une autre conception du monde, comprenant différemment la trame des devenirs sociaux, retourne à une théorie trop grégaire de l’asservissement et de la discipline.
On voit aussi l’ampleur nouvelle que nous donnons au vocable de méthode et avec quelle circonspection on devrait dorénavant l’employer.
 
***
Pour quoi ne pas préciser davantage et ce mot de méthode et ses contenus possibles ? Parce que, on le comprend, tant d’éléments vivants et génétiques y participent que la méthode pédagogique ne saurait sans danger être définie et figée : elle est une direction plus qu’un cadre, une ligne d’action, un chemin dans lequel nous pensons devoir nous engager. Il suffit que nous ayons une sûre orientation générale, car nul ne pourra sans prétention en délimiter les détails tant que les sciences pédagogiques, économiques et sociales n’auront pas apporté dans ce domaine une plus grande lueur de certitude.
Dans le cadre général de cette méthode d’éducation libératrice, il nous faut prévoir maintenant les moyens par lesquels nous avancerons avec le plus de sûreté et de succès, avec le moins de déperdition des forces dont nous disposons.
 

Ce sont les techniques pédagogiques qui vont nous permettre cette marche en avant dans la direction prévue par notre méthode. Celle-ci est donc le but, la direction, la ligne ; les techniques sont les moyens d’action.

 

Nous avons autrefois appliqué cette distinction essentielle à l’œuvre de plusieurs pédagogues contemporains et il ne nous paraît pas inutile d’y revenir rapidement pour préciser définitivement notre point de vue.
Le Dr Decroly avait, comme nous, une méthode d’éducation, ligne générale d’activité qui orientait et motivait ses recherches et ses essais. Mais l’ensemble de ces essais, les procédés d’enseignement, l’organisation éducative qu’il a prévus, mobiles d’ailleurs dans le temps et l’espace, modifiables selon les individus et les contingences, tout cela constitue, dans le cadre de sa méthode pédagogique, une technique de travail.
Même considération pour la pédagogie Montessorienne. Mme Montessori a bien conscience d’une méthode d’éducation d’ailleurs différente de la nôtre, mais c’est surtout par sa technique pédagogique, par l’organisation nouvelle de travail scolaire, par sa conception d’un matériel mieux adapté aux enfants qu’elle a fait faire à l’éducation maternelle d’aussi décisifs progrès.
Ce qui montrerait plus encore la justesse de la distinction que nous faisons entre méthode et techniques serait précisément la possibilité d’utiliser éventuellement les techniques pour des méthodes différentes d’éducation. Les techniques pédagogiques sont dans une certaine mesure interchangeables, tandis qu’il n’y a qu’une direction juste ou supposée juste pour la méthode préconisée.
Le Dr Decroly avait très loyalement reconnu la valeur et l’utilité de notre distinction. Nous ignorons ce qu’en a pensé Mme Montessori. Nous supposons qu’elle a été prise d’une sainte colère, tout comme M. R. Cousinet qui nous répondit hautainement qu’il ne pouvait rabaisser au rang de technique de travail sa « méthode personnelle et originale ».
L’Imprimerie à l’École est naturellement une technique. Non pas, comme l’ont prétendu certains écrivains pédagogiques, parce qu’elle suppose une manipulation matérielle, mais parce qu’elle prétend organiser plus rationnellement le travail scolaire, dans le cadre d’une méthode éducative qui a fait ses preuves puisqu’elle nous a permis d’adapter harmonieusement aux nécessités humaines et sociales les diverses activités pédagogiques.
 
***
Nous avons créé en France la technique scolaire.
Avant nous, les écrivains pédagogiques, les inspecteurs et les professeurs avaient une sorte de dédain instinctif pour ces questions si terre à terre d’organisation scolaire. Lorsqu’accidentellement, ils en parlaient dans leurs livres, ils auraient cru déchoir s’ils n’avaient pas enrobé leurs considérations d’une enveloppe savante étiquetée méthode. Tout comme ces bourgeois et ces écrivains d’autrefois, qui spéculaient à perte de vue sur le progrès, sans aider jamais matériellement les ouvriers dans une organisation plus efficiente et plus humaine de leur travail.
Par notre distinction que nous considérons essentielle entre méthode et technique, nous avons rappelé que si l’instituteur n’est pas indifférent à l’orientation économique et sociale de son éducation, s’il sent la nécessité d’une méthode, il oublie encore moins que les difficultés matérielles et techniques l’ont toujours empêché de réaliser son idéal.
Que lui importe en définitive une méthode aussi savante, aussi scientifique, aussi idéale soit-elle, si, pratiquement, il ne peut en approcher ?
Et que peut-il alors sinon maudire ceux qui, de loin, lui montrent bien la rive à atteindre mais qui, orgueilleux et distants, s’en voudraient de leur jeter une branche pour les aider à vaincre le courant.
Nous, nous avons montré la rive. Mais, éléments nous-mêmes de cette masse désabusée par les théories des clercs, nous avons patiemment, expérimentalement, établi les chemins et les gués par lesquels tous les instituteurs avec nous peuvent enfin réaliser une part de leur idéal.
Nous disons Technique, et nous nous enorgueillissons.
Technique de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture aux tout-petits, qui, d’oppressive et scolastique qu’elle était devient naturelle, formative et libératrice.
Technique de l’apprentissage de la langue par l’expression libre, l’Imprimerie à l’École, les échanges. Et les progrès effectifs obtenus, la libération psychique, la libération consciente qui en sont la conséquence disent assez l’utilité de notre effort.
Technique de calcul pour délivrer enfin l’éducateur plus encore que les élèves d’une pratique épuisante et remettre un peu de vie et de joie dans un des enseignements qui devraient le plus être liés au puissant devenir humain.
Technique de musique par nos Disques C.E.L. Technique de dessin…
Nous n’avons pas fait de grands mots. Mais conscients des buts que nous indiquait notre méthode pédagogique, nous nous sommes attachés tout spécialement à l’organisation technique de nos classes populaires. Les succès obtenus montrent assez la nécessité d’une telle action et les jeunes surtout qui n’ont pas encore – heureusement ! – trouvé dans la routine scolastique les assises techniques qui leur permettraient de gagner la retraite, les jeunes donc sentent l’urgence de la tâche que nous avons entreprise.
Et peu à peu notre distinction s’impose à tous les professionnels du journalisme pédagogique. Les plus férus de phrases ronflantes et de considérations principielles sentent monter de la masse cet appel à l’organisation technique. Ils vont vers cette organisation, mais à contre-cœur, avec grand renfort de verbiage, comme si tous ces jeunes qui, par leurs cahiers roulants, par leurs publications professionnelles, par leur collaboration à notre mouvement, améliorent progressivement leur technique de travail ne servaient pas plus utilement leur idéal que ceux qui ont cru, depuis toujours, au pouvoir magicien des mots dans un monde où l’organisation technique s’impose dans bien des domaines.
Et nous continuerons :
Nous garderons, d’une part, la plus nette possible, notre conception d’ailleurs provisoire et perfectible, d’une méthode d’éducation libératrice. Mais nous donnerons surtout le meilleur de notre effort à l’amélioration de l’effort pédagogique des enfants et des éducateurs. Qu’importe que les ouvriers d’une usine aient une haute conception de l’idéal et du devenir humain si les machines imparfaites, si la désorganisation matérielle de cette usine ne permettent pas aux ouvriers de progresser vers cet idéal. Notre école est cette usine imparfaite où les prêches ont, jusqu’à ce jour, tenu lieu de machines modernes et de techniques de travail. Nous voulons que cesse ce dangereux gaspillage d’énergie, nous voulons que les enfants n’usent plus leurs jeunes enthousiasmes à des besognes sans but ; que les éducateurs ne s’épuisent plus en rabâchages impuissants. Tout reste à faire dans ce domaine. Mais nous avons jeté sérieusement les bases de ce que sera vraiment l’école nouvelle populaire d’où sera exclu l’inutile verbiage, mais où éducateurs et enfants de prépareront effectivement et pratiquement aux tâches nouvelles que demandent la vie et la conquête méthodique de notre idéal.
 
[…]
 
On voit alors les grandes lignes de notre technique telle que nous la mettons au point dans notre école :
1) Organisation de l’effort communautaire, apprentissage technique du travail sous toutes ses formes.
2) Acquisition, par nos techniques pédagogiques, du sens profond et synthétique des diverses disciplines.
3) Acquisition formelle par les fiches auto-correctives.
C’est dans ce cadre que nous continuons et continuerons nos réalisations, en dénonçant impitoyablement tous les procédés qui nous paraissent gaspiller l’effort des éducateurs et des enfants et nuire à leur puissante harmonie constructive, mais en restant attachés avant tout à une école qui soit susceptible, dans le cadre actuel de notre société et de notre administration, de permettre le rendement maximum pédagogique et humain.
C’est à cette besogne incommensurablement vaste, nous le savons, que nous convions tous les éducateurs, tous les parents, et plus particulièrement les jeunes qui n’ont pas encore oublié toutes les limitations regrettables dont la scolastique a opprimé leur enfance, qui se sentent aussi au seuil d’un monde nouveau qui ne permettra plus qu’on tourne en rond autour de quelques pratiques désuètes mais qui exigera l’effort intelligent et organisé de tous les producteurs socialistes.
Répandez nos questionnaires, recueillez les réponses, réfléchissez à nos conceptions hardies mais impitoyablement justes, et tous ensemble, sans verbiage, pratiquement, à même nos classes, nous améliorerons notre technique pédagogique pour le triomphe de notre méthode libératrice.
Célestin Freinet
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 10, 15 février 1937

 

A propos du projet de réforme de l’enseignement, 15 mars 1937

Un appel à réflexion de Freinet sur le Certificat d’Études Primaires Élémentaires (C.E.P.E ) qui devrait devenir un examen d’entrée dans le second degré. Réflexion qui se continuera au Congrès de Nice et donnera lieu à des décisions.

 
« Un événement important d’ailleurs nécessite de notre part une mise au point rapide : il s’agit du projet de réforme de l’enseignement dont on a lu le texte dans divers journaux.
Ce projet de loi est, à notre avis, une réorganisation utile et nécessaire du système scolaire français. Il tend certainement à harmoniser et à démocratiser les diverses branches d’enseignement. Au chaos de jadis, il substitue un système plus rationnel, dans lequel joueront moins toutes les compétitions ou privilèges de classe.
Ne nous faisons cependant aucune illusion : le cadre est changé dans lequel un gouvernement prolétarien pourrait organiser véritablement l’ordre nouveau. Mais il faudra d’autres mesures, d’ordre économique et financier notamment, qui permettront au prolétaire de ne pas rester une fois encore au seuil de la terre promise.
Nous voudrions plus spécialement ici dire quelques mots des problèmes nouveaux que ce projet, une fois voté, poserait à notre enseignement primaire.
L’enseignement primaire devient le premier degré scolaire, le premier échelon de l’édifice, ce qui est normal et souhaitable.
Le C.E.P.E. – et c’est là le fait nouveau d’une importance qu’on n’a pas suffisamment souligné, – cesse d’être une sorte de diplôme de fin d’études pour devenir un examen de passage du premier au 2e degré.
Nous nous plaignions jusqu’à ce jour, du bourrage intensif que nécessitait la regrettable course au C.E.P.E. Que sera-ce quand cet examen ouvrira les portes du second degré, les portes de l’université ! La course en deviendra affolante : tous les parents voudront pour leur fils le C.E.P.E. ; ils comprendront l’importance nouvelle qu’on lui accorde et ils seront prêts à tout y sacrifier, la liberté, l’intelligence et même la santé de leurs enfants.
Il faudra que notre Congrès s’occupe de cette question et dénonce avec vigueur ce danger ; qu’il propose en même temps les remèdes : un examen de passage est nécessaire ; nous ne voyons aucun inconvénient à ce que le C.E.P.E. soit cet examen. Mais un examen qui doit déceler si l’écolier est susceptible d’aller plus avant dans les divers degrés d’enseignement, doit nécessairement cesser de contrôler l’acquisition obtenue pour s’attacher davantage aux POSSIBILITÉS d’acquisition.
Autrement dit : la transformation du C.E.P.E., examen contrôlant l’acquisition en examen de passage décelant les aptitudes au travail et à l’acquisition s’avère indispensable.
A nous à montrer la voie. Nous proposons qu’une séance spéciale discute de la question pour que nous soyons en mesure de faire des propositions pratiques.
Aux camarades compétents d’y réfléchir. »
Célestin Freinet
 
L’article dans son intégralité
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 12, 15 mars 1937
 

 

Le C.E.P.E. et la réforme de l’enseignement au Congrès de Nice, 1er mai 1937

Première journée, compte-rendu, séance de nuit troisième et dernier point.
 
Freinet dégage tout de suite le sens de la discussion qui va s’ouvrir. D’après ce qu’on a déjà pu lire dans les revues pédagogiques. Il reste que, si certaines questions importantes font actuellement l’objet d’un débat, on n’a pas encore étudié une question qui nous intéresse puissamment, à savoir la question des programmes. On ne s’est pas encore rendu assez nettement compte sans doute que, l’enfant n’est pas une outre qu’il faut remplir, mais bien un individu qu’il faut former.
Pour le C.E.P.E., la question est encore bien plus importante. Le bourrage est nécessaire actuellement, parce que le C.E.P.E. sanctionne ce bourrage. Avec la nouvelle formule, il faut agir plus que jamais, et mener campagne pour orienter le nouvel examen vers une conception nouvelle ; la C.E.L., les jeunes se doivent d’agir sans tarder, afin d’aboutir à une reconsidération du problème qui ouvrirait la voie à une amélioration sérieuse du C.E.P.E. de manière à laisser au travail libérateur le plus de place possible.
Le camarade LOB, professeur au Lycée de Nice, apporte alors quelques réflexions personnelles. Il tient à souligner très justement que, si nous n’y prenons pas garde, malgré la réforme envisagée actuellement, il n’y aura pas beaucoup d’améliorations. Le fond des choses restera le même avec des étiquettes différentes.
En somme, la question primordiale réside dans le passage du 1er au 2e degré en limitant cet accès aux gens du peuple. La soudure entre les deux degrés est excessivement difficile à faire : il faut que le 1er degré aille plus loin que le point où le 2e degré prendra les enfants, sinon le 2e degré sera comprimé à l’excès, si non ne change rien dans l’enseignement supérieur ; de là naîtra une hostilité certaine contre la réforme par la suite. On prétendra qu’on a saboté le 2e degré, etc.
Il faudrait que l’école primaire soit ouverte jusqu’à 16 ans, quelque démagogique que puisse paraître cette proposition. Le certificat serait scindé en deux parties. Cela vaudrait beaucoup mieux que la réglementation nouvelle proposant deux séries pour l’obtention du C.E.P.E. Il ne faut pas qu’il y ait deux catégories de ce genre : ceux qui feront et ceux qui ne feront pas le 2e degré.
Il est, pense Lob, encore bien temps d’agir dans ce sens pour obtenir en définitive de nouvelles réglementations et une nouvelle orientation.
BOYAU se défend de vouloir prolonger le débat, vu l’heure très tardive. Il tient cependant à apporter quelques suggestions. Il est tout à fait d’avis que, plus la sélection sera retardée, moins les possibilités d’orientation seront affectées. Il faudra que le C.E.P.E. cesse d’être un examen décelant avant tout la perfection plus ou moins grande dans le bourrage de crâne, mais devienne l’examen décelant des aptitudes. Dans l’état actuel des choses, il semble impossible de songer à une suppression du C.E.P.E.
Il est près de minuit. Freinet propose d’arrêter là la discussion pour ce soir, pour reprendre dans les semaines qui suivront dans L’Éducateur Prolétarien, et fait voter l’ordre du jour suivant :
 
ORDRE DU JOUR
Le Congrès de l’Imprimerie à l’École,
Prend acte des projets de réorganisation de l’enseignement actuellement en discussion ;
Rappelle que si ces projets sont susceptibles d’harmoniser l’édifice scolaire, ils ne sauraient atteindre profondément l’édifice pédagogique lui-même que si sont étudiées dans un sens adapté aux besoins sociaux et humains les grandes questions des programmes scolaires et des examens ;
Demande que soit mise à l’étude immédiatement, dans toutes les organisations pédagogiques et syndicales, la question d’un nouveau Plan d’études Français susceptible de favoriser une éducation efficiente et libératrice ;
Demande également que soit étudiée par ces mêmes organisations et par l’administration une conception nouvelle de la technique du Certificat d’études, contrôlant non pas la seule acquisition, mais aussi le développement intellectuel et les progrès culturels afin que cesse la course au bourrage qui est une des plaies actuelles de notre enseignement ;
S’engage à poursuivre très activement l’étude de ces questions afin de soumettre aux organisations syndicales et à l’administration de l’éducation nationale des projets précis pouvant servir de base de discussion et de réalisation.
 
Première journée 28 mars 1937,  séance de nuit, pages 268 et 269
L’Éducateur Prolétarien, n° 15, 1er mai 1937
 

 

Le Certificat d’Études, 15 mai 1937

Comme annoncé lors du Congrès de Nice, la discussion continue dans l’Éducateur Prolétarien.

Une réflexion sur les objectifs d’un examen, sur les connaissances minimales à acquérir par tous les enfants, sur ce qui est vraiment utile pour comprendre son environnement et trouver sa place dans la société, sur ce que représente  « lire », « écrire », « compter » et sur ce que l’école peut en faire (par exemple, un appel à la lecture « muette » et à la compréhension au lieu de la lecture à voix haute) .

Une réflexion toujours actuelle où l’on questionne le socle commun, le brevet des collèges, le bac…
 
 
« Nous apportons aujourd’hui notre contribution au projet de réorganisation du Certificat d’Etudes. Nous demandons à nos lecteurs de nous adresser sans retard leurs critiques. Nous les joindrons au dossier Hulin pour la mise au point définitive d’un projet qui paraîtra en numéro spécial commun de Pour l’Ere Nouvelle, L’Ecole Nouvelle, L’Éducateur Prolétarien, sous la responsabilité commun du Groupe Français d’Éducation Nouvelle, du Groupe du Nord de l’École Nouvelle et de l’Imprimerie à l’École.
Nous regrettons de ne pouvoir donner des documents plus nombreux. Nous pourrions en communiquer copie à ceux qui nous le demanderont.
«  AVERTISSEMENT
 
Lorsqu’on parle d’un examen on doit considérer trois choses :
1. Le passé dont il doit contrôler travail et rendement.
2. Le présent : la matière elle-même. Les enfants et ce qu’on doit normalement et humainement en attendre.
3. Le futur. L’utilisation scolaire et sociale qui sera faite du diplôme donné.
Pour préciser le n° 1 il serait, pensons-nous, plus normal de préciser les points 3 et 2 d’abord, ce qui nous aidera à établir le programme lui-même du C.E.P.E.
1. Utilisation scolaire et sociale du C.E.P.E.
Jusqu’à ce jour l’utilisation scolaire du C.E.P.E. était à peu près nulle. Le nouveau projet tend à en faire un examen de passage du 1er au 2e degré.
La possession du C.E.P.E. sera obligatoire pour tous ceux qui voudront pénétrer au 2e degré.
Cette finalité est cependant tempérée par la création d’un cycle d’orientation au bout duquel les enfants munis du C.E.P.E. seront plus spécialement fondés quant aux branches vers lesquelles ils doivent être dirigés.
Le C.E.P.E. ne sera donc pas un concours de passage, mais seulement une sorte d’examen de base. Les enfants seront contrôlés au cours de leurs années d’orientation.
Mais l’utilisation du C.E.P.E. tend par contre à être renforcée.
Disons tout de suite qu’il est normal qu’on exige des candidats à certaines fonctions un minimum d’acquisition et de technique.
Il suffit maintenant de s’entendre sur ce minimum.
De ce court examen, il résulte :
1. Que le C.E.P.E. n’est pas un concours d’entrée au second degré, mais le contrôle de base avant d’entrer dans le cycle d’orientation.
2. Que le C.E.P.E. sera simplement une attestation que celui qui le possède a suivi régulièrement les cours d’enseignement primaire, qu’il a acquis les connaissances et les techniques dont la possession paraît nécessaire et indispensable dans la vie à 12-13 ans.
S’il en est ainsi, si l’École remplit bien son rôle, le C.E.P.E. devrait être pratiquement donné à tous les enfants.
L’échec au C.E.P.E. montrerait seulement que le candidat n’a pas suffisamment, pour diverses raisons, sociales, individuelles ou scolaires profité de l’enseignement primaire. Des cours spéciaux devraient être institués pour leur permettre d’acquérir ce minimum indispensable.
A notre avis, il faudrait bien s’entendre sur les bases et faire admettre les principes essentiels.
1. Tout enfant doit posséder le C.E.P.E.
2. L’enfant qui n’a pas le C.E.P.E. redouble des classes dans des cours spéciaux de récupération qui lui permettent d’obtenir le C.E.P.E.
 
CE QU’ON DOIT ATTENDRE DES CANDIDATS
 
S’il en était ainsi, il faudrait se mettre parfaitement d’accord sur l’acquisition et les techniques dont le C.E.P.E. doit exiger la possession.
Si les bases ci-dessous sont admises, on ne cherchera plus à hausser inconsidérément le niveau afin que seuls y accèdent ceux qui sont le mieux doués et qui y ont été spécialement préparés. Au contraire, il faudra que ce niveau soit psychologiquement et scientifiquement établi comme fin naturelle de l’enseignement du 1er degré.
Si les épreuves étaient imprégnées de ce nouvel esprit, il n’y aurait pas grand’ chose à changer à notre examen actuel, pour en faire le contrôle raisonnable que nous désirons.
Lire, écrire et compter reste à la base de cet examen ; nous en ferons l’essentiel aussi :
Lire, écrire et compter restent à la base de lecture, qui n’existent pas du tout. Car il ne faut pas considérer seulement la lecture à haute voix d’un texte, mais aussi et surtout la lecture muette par la compréhension et l’utilisation d’un texte du niveau des enfants (technique indispensable, puisque l’enfant n’aura jamais ou presque jamais plus tard à lire à haute voix, il aura par contre à lire des yeux et à comprendre ce qu’il lit).
Il serait facile d’établir des épreuves intelligentes de lecture et d’utilisation de ces lectures. Il suffirait de présenter aux enfants des fiches imprimées, contenant des textes de leur niveau. Ils auraient un certain temps pour les lire et auraient ensuite un court résumé à donner ou bien ils répondraient à des questions qui y auraient été incluses, questions simples, compréhensibles, sans rébus, qui s’éloigneraient au maximum de l’épreuve à colle pour en venir à l’épreuve de lecture intelligente.
Il y a des combinaisons infinies dans ce domaine, depuis l’histoire à raconter, jusqu’aux questions dont on attend une réponse intelligible.
écrire : Il y a deux considérations qui pour le psychologue se tiennent parfaitement, mais qu’on peut cependant pour la commodité du contrôle, séparer : la rédaction et l’orthographe.
a) Rédaction. – Un grand progrès a déjà été réalisé : les sujets sont devenus intelligents. On n’a qu’à accentuer cette évolution, dont nous nous félicitons. La meilleure preuve que cette épreuve est presque parfaitement adaptée, c’est que nos enfants, habitués à la rédaction libre, sont en général ceux qui réussissent le mieux cette épreuve au C.E.P.E.
b) Dictée. – Elle est une bonne épreuve de contrôle à condition qu’on cesse presque totalement de présenter les colles qu’évitent seulement ceux qui ont subi un entraînement méthodique et abrutissant.
Les dictées ne devraient contenir que des mots du langage enfantin. Des tolérances très larges seraient acordées pour les mots non du langage enfantin.
Il n’y aurait pas de note éliminatrice en dictée.
L’épreuve de dictée en question serait couplée avec celle de rédaction : 5/10 pour la rédaction, 2,5 /10 pour la dictée, 2,5/10 pour les questions.
Aussi l’épreuve écrite serait à la vraie place.
Compter : Le contrôle du C.E.P.E. devrait se borner aux techniques de base : addition, soustraction, multiplication, division, fraction, règle de trois, règle d’intérêt, etc.
L’épreuve de calcul actuelle entraîne un bourrage épuisant et très insuffisamment éducatif. Un problème, s’il n’est pas dans la vie, s’il n’est pas d’une compréhension pratique pour les enfants, reste une sorte de rébus, sans véritable portée éducative.
Nous demandons que l’épreuve de calcul comprenne un exercice ou une série d’exercices techniques sur les opérations essentielles du programme : addition, soustraction, multiplication, division, opérations diverses, fractions, intérêts, etc., 5 points sur 10.
2. Un problème à opérations multiples mais de compréhension facile, adapté le plus possible aux réalités quotidiennes, 5 points sur 10.
Nous estimons, en effet, qu’un enfant qui est maître de toute la technique du calcul, saura, s’il n’a pas été déformé par la scolastique résoudre ultérieurement les problèmes pratiques qui se présenteront à lui.
Lire, écrire, compter restent donc les acquisitions essentielles qu’on doit exiger de notre enseignement primaire. Quiconque les possède même si son savoir n’est pas d’autre part rigoureusement encyclopédique, est suffisamment lesté pour acquérir par la suite les notions et les techniques que la vie demandera de lui.
L’examen doit cependant tenir compte des connaissances accessoires secondaires, dont l’acquisition maximum reste cependant souhaitable.
Mais une trop grande place donnée à ces acquisitions risque de substituer à l’école à un savoir expérimental et pratique un savoir de mots sans valeur formative.
On pourrait, soit :
Avoir à l’écrit une épreuve spéciale, cotée sur 10, pour l’ensemble, et portant sur : géographie, 3,3 ; sciences, 3,3 ; histoire, 3,3 (en une ou plusieurs questions de chaque) ; ou bien, ce qui serait préférable, reporter à l’oral l’interrogation sur ces matières en même temps que les épreuves de musique, de chant, de diction et de gymnastique.
La part aussi réduite, faite aux épreuves de contrôle d’acquisitions générales éviterait les risques du bourrage verbal qui se pratique à l’école.

ÉCRIT

Une épreuve de lecture de compréhension muette ou écrite, cotée sur 10.

Une épreuve de langue avec rédaction simple, 5/10 ; dictée normale, 2,5/10 ; et questions, 2,5/10.

Une épreuve de calcul avec questions multiples, 5/10.
Opérations techniques, un problème compréhensible, 5/10.
Une épreuve de dessin libre ou non, ou coté au choix, 5/10.
  

ORAL

 Interrogation. – Lecture expressive, histoire, géographie, sciences, musique, chant, diction, gymnastique.

Au cas où les interrogations orales révèleraient des faiblesses susceptibles de motiver l’échec à l’examen, il sera tenu le plus large compte du carnet de scolarité et de l’opinion de l’instituteur pour la décision finale. L’essentiel de l’examen restant l’écrit, qui seul détermine souverainement la réussite ou l’échec.
Pour ceux qui croiraient que nous ne réservons pas à ces matières que nous repoussons à un oral décisif une place suffisante, nous répondrons que l’enfant de 12-13 ans aura encore le temps largement, d’apprendre dans les années à venir de sa scolarité, les notions d’histoire, les notions pratiques de géographie et de sciences. Ce n’est pas le plus ou moins grand bagage qui doit séparer les enfants de cet âge.
Nous devons nous en tenir aux acquisitions principales, qui ont toujours été le domaine de l’école primaire et réduire pratiquement à ces matières le contrôle opéré.
Il ne s’agit pas d’avoir avec les enfants de cet âge des ambitions démesurées. Nous avons appris à nos élèves à lire couramment et intelligemment, à rédiger correctement et sans faute, à calculer rapidement et sans erreur, nous les auront bien lestés par les travaux ultérieurs.
C’est ce que devra marquer le nouveau C.E.P.E.
Célestin Freinet
 
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 16, 15 mai 1937dans son intégralité
 
 
 

 

Relations avec le Syndicat National, 15 mai 1937

Le mouvement n’est plus un petit groupe d’expérimentateurs, mais il est devenu un grand mouvement pédagogique. Un véritable mouvement et non pas un petit groupe mené par une personnalité ou un dirigeant, ce sont tous ses militants éducateurs qui prennent en main le changement de l’école et de sa pédagogie.
Freinet appelle à une collaboration permanente avec le Syndicat National pour réunir les forces. C’est aussi une possibilité pour le mouvement d’entrer en contact avec de nombreux instituteurs.
Un appel également aux adhérents à entrer dans les commissions pédagogiques du Syndicat et même à en devenir responsables. Et au sein du mouvement à constituer une commission spécifique de travail avec les syndicats.
Une vision optimiste du monde enseignant qui serait prêt dans sa grande majorité à s’engager pour une pédagogie populaire, impensable aujourd'hui  !

« Le Congrès, qui a discuté de la question, aurait sans doute émis un vœu, peut-être esquissé des directives. Mais un souci légitime nous en a fait abstenir. Nous avons craint que des gens mal intentionnés profitent de cette occasion pour arguer que nous nous immisçons dans le mouvement syndical, que nous noyautons le S.N. au profit de je ne sais quelle tendance politique ou syndicale.

Nous serons plus à l’aise alors pour nous en expliquer dans cette page ;
Que nous le voulions ou non, notre mouvement est maintenant parti vers la divulgation de plus en plus grande de nos techniques ; la conséquence de cette divulgation est la nécessité où nous sommes placés d’élargir malgré nous notre mouvement pour répondre aux besoins pédagogiques de ceux qui nous rejoignent. Nous cessons – nous avons cessé – d’être un petit groupe d’expérimentateurs pour devenir un grand mouvement pédagogique, le seul mouvement pédagogique de France, dont l’action sur l’évolution de l’école publique est et sera considérable. On a souvent comparé ce mouvement au mouvement Decroly en Belgique, dont le nouveau Plan d’Études belge est en grande partie le glorieux aboutissement. S’il nous manque peut-être, pour l’instant, certaines possibilités d’expérimentation scientifiques qui ont largement servi le Dr Decroly, nous avons par contre, dans notre groupe, un dynamisme dont on chercherait en vain le pendant dans d’autres essais français ou étrangers.
Pour la première fois en France et peut-être dans le monde (URSS excepté), ce n’est plus une personnalité exclusivement qui lance un mouvement ; ce ne sont plus des groupes restreints d’officiels ou de chefs qui le dirigent ou l’exploitent. Ce sont les éducateurs eux-mêmes qui prennent en main, avec une conscience et un enthousiasme émouvants, la réadaptation aux nécessités actuelles de leur école et de leur pédagogie.
Nous ne pouvons pas trahir tous ses espoirs, réprimer ces élans. Au contraire, par la collaboration active de centaines de camarades, nous allons plus pratiquement et plus effectivement que jamais donner corps de plus en plus à ce qui sera la pédagogie populaire de demain.
Cette action, on le voit, se développe parallèlement au mouvement syndical qui veut lui aussi, et doit vivre et se développer par l’action incessante des larges masses d’éducateurs. Il serait même normal et souhaitable que, à défaut d’une intégration de notre action dans le mouvement syndical, il y ait collaboration permanente entre notre Coopérative et le Syndicat National.
C’est une chose naturelle, souhaitable. Nous ne l’esquissons pas par calcul, mais parce que nous la croyons être une nécessité historique de la conjonction de forces qui devraient être unifiées. Nous pouvons beaucoup pour le mouvement syndical en apportant aux éducateurs, aux jeunes surtout, le goût de l’action pédagogique, le goût du travail professionnel bien fait, ciment nouveau et indispensable pour des syndicats d’instituteurs. Le Syndicat nous aiderait aussi parce qu’il peut, seul, nous offrir la possibilité permanente d’entrer en contact avec les masses d’éducateurs que nous devons toucher.
 Cette collaboration, ce travail parallèle, fusionné, sont nécessaires. Nous les souhaitons, nous les préparons, loyalement, sans aucune arrière-pensée. Et aucun geste dans le passé ni dans le présent ne doit laisser aucune suspicion d’aucune sorte dans l’esprit des camarades, nul ne peut dire que nous n’ayons pas offert, en toute camaraderie, en toutes occasions, à quelques tendances qui l’aient sollicité, – notre collaboration pédagogique absolument désintéressée.

 On ne  nous a pas toujours compris. Ceux qui ont toujours fait leur tâche avec dégoût, pour gagner – ou pour toucher leur mois en attendant la retraite, n’ont pas compris que nous offrions aux éducateurs un autre but et une autre dignité. Alors ils ont vu dans le prosélytisme de nos adhérents comme une menace dont ils ne mesuraient exactement ni les intentions, ni les buts, mais dont ils voulaient se prémunir.

L’ère de cette incompréhension n’est pas close. Nous espérons du moins que, après cette courte explication, les responsables syndicaux accepteront loyalement comme nous l’offrons, notre collaboration permanente.
Il y a d’ailleurs des précédents qu’on ne saurait négliger : dans certains départements, nos camarades imprimeurs sont les responsables de la commission pédagogique du Syndicat ; partout où des conférences et expositions ont été organisées par nos groupes – avec ou sans ma participation – c’est le Syndicat qui en a accepté la responsabilité ; la Section des Alpes-Mmes enfin a patronné officiellement notre Congrès de Nice.
Il faut que cette collaboration permanente se généralise. Dans tous les départements, nos adhérents, qui sont en général les éducateurs les plus actifs pédagogiquement, doivent entrer dans les Commissions pédagogiques du Syndicat, en prendre même la responsabilité totale si possible, rédiger la partie pédagogique du bulletin, prendre l’initiative des manifestations pédagogiques. Par leur action sincère et totale au sein des syndicats, ils assureront indirectement mais de la façon la plus efficace et la plus souhaitable cette collaboration que nous avons reconnue indispensable.
Nous ferons mieux ensuite : les grandes questions que l’actualité nous force à mettre à l’ordre du jour, celle du Nouveau Plan d’Études par exemple, celle du Certificat d’Études, doivent être mises à l’étude par nos camarades au sein des syndicats ; nos questionnaires, nos appels doivent être diffusés dans la presse syndicale. Les problèmes qui le méritent devront être même soumis à l’étude des Congrès nationaux.
S’il est bien admis que nous ne saurions être soupçonnés d’un quelconque noyautage, que nous ne visons que la réalisation, par l’appui indispensable de forces syndicales, des revendications pédagogiques de groupes toujours plus importants d’éducateurs ; si on est persuadé, dans les milieux syndicaux, que cette action – sous le contrôle permanent des syndicats d’ailleurs – ne saurait que servir l’action syndicale elle-même, prenons toutes dispositions pour l’efficacité maximum de notre action commune.
Le Congrès a nommé des camarades et des Commissions responsables de quelques-unes de nos activités principales. Pratiquons de même sur le Plan pédagogique-syndical. Nommons une Commission avec son responsable, choisi parmi les camarades qui ont su déjà pratiquer cette collaboration que nous voudrions généraliser et harmoniser. Cette commission aura mission de s’occuper de tout ce qui concerne nos rapports avec les syndicats : action pédagogique départementale et nationale, sections pédagogiques, collaboration officielle de nos filiales, action à mener pour la défense au sein des syndicats des revendications formulées dans les Congrès du S.N., etc.
Camarades secrétaires départementaux, Camarades de la direction du S.N., sommes-nous d’accord ?
Si oui, au travail ! Vous pouvez compter sur notre dévouement entièrement désintéressé. »
Célestin Freinet
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 16, 15 mai 1937dans son intégralité
 
 

 

 

Coup d’œil de fin d’année et tâches à venir, 15 juillet 1937

Un bilan de l’année que Freinet juge très satisfaisant. Le mouvement a dépassé pour la majorité des enseignants, les seuls objectifs d’utilisation de l’imprimerie dans les classes,  il est devenu un acteur reconnu de la rénovation de l’École pour qu’elle réponde aux besoins des enfants certes, mais aussi aux nécessités de la société moderne. Les réalisations quotidiennes des techniques de l’Imprimerie à l’École sont de plus en plus connues et suivies et permettent de rêver l’école populaire et l’École nouvelle.

Freinet porte beaucoup d’espoir dans la jeunesse enseignante qu’il trouve très sensible aux propositions du mouvement. Il faut continuer la double action : créer et améliorer le matériel au sein de l’Imprimerie à l’École tout en visant l’agrandissement du cercle pédagogique qui de développe autour.
Pour l’avenir, Freinet énonce quelques pistes dont la création d’une nouvelle collection, les Brochures d’Éducation Nouvelle Populaire, qui seront à petit prix pour permettre à un grand nombre d’enseignants de se les procurer et ainsi d’étudier les principes essentiels de la pédagogie populaire.
 
« L’année a été marquée, ont souligné quelques camarades, par une sorte de changement de font de l’Imprimerie, qui prend conscience de sa rapide évolution vers une action de masse.
Nous sentons, d’une part, la nécessité de nous lier davantage encore entre camarades conscients, possédant l’esprit Imprimerie à l’école et de freiner plutôt que d’accentuer la divulgation commerciale de notre matériel qui doit toujours rester au service de notre idéal et des buts pédagogiques que nous poursuivons.
Nous l’avons déjà déclaré fermement à Nice : ce qui nous importe, ce n’est pas de vendre des milliers de presse, mais de donner vie, activité et puissance à un groupement de camarades qui, sachant tout ce que nos techniques apportent de nouveau et de libérateur, sont décidés à collaborer fraternellement, à apporter leur travail et leur effort à notre entreprise de rénovation et d’adaptation de l’école populaire française.
Mais, d’autre part, les idées que nous défendons depuis dix ans, font aujourd’hui rapidement leur chemin dans la masse des éducateurs. Rares sont maintenant les instituteurs ou professeurs qui ne connaissent pas l’Imprimerie à l’Ecole ; l’idée de l’expression libre de l’enfant a désormais triomphé dans le domaine pédagogique et est sur le point de bouleverser tout notre enseignement.
Pour cette masse d’éducateurs prêts à nous suivre, mais hésitants devant les perspectives de transformation rationnelle de l’enseignement il nous fallait faire un dernier effort. C’est pour les diriger et pour les aider que nous avons mené une action profonde qui a eu un grand retentissement.
Nous avons publié, en cours d’année, sous forme de numéros spéciaux de l’Éducateur Prolétarien, des documents de toute première valeur dont l’influence sera certaine sur l’évolution de notre pédagogie populaire : numéros sur le Nouveau Plan d’Études Français, sur l’École Nouvelle Unifiée de Catalogne, sur la Réforme du Certificat d’Études.
Nous avons gagné à cette action une compréhension plus large et plus sympathique de nos réalisations. On avait tendance à croire que notre mouvement pédagogique n’était que l’Imprimerie à l’École et que, de ce fait, il ne pouvait intéresser tous ceux – et ils sont nombreux – qui ne se sentent pas encore en état d’introduire l’imprimerie dans leur classe. Nous avons montré que nous avions des objectifs autrement profonds et importants, basés certes sur l’expression libre par l’Imprimerie à l’École, mais qui débordent considérablement le simple emploi de notre matériel.
Nous avons élevé cette année notre mouvement pédagogique jusqu’à en faire le seul effort français de réadaptation de l’École, non seulement aux besoins actuels des enfants, mais aussi aux nécessités matérielles et sociales qu’impose l’évolution moderne.
Il nous a été facile de prouver, dans ce domaine que nos réalisations matérielles et techniques rationnelles orientent de façon décisive et plus que les meilleurs discours, notre école populaire vers l’École nouvelle de nos rêves. Les éducateurs nous comprennent et nous suivent. Avec notre vieille garde d’imprimeurs, avec les milliers d’éducateurs qui nous approuvent, nous irons plus hardiment encore, plus témérairement de l’avant.
 
***
Dans cette action nouvelle, nous nous sommes trouvés en contact plus spécialement avec les jeunes instituteurs qui sentent plus profondément que vous autres les tares que nous dénonçons. Notre Congrès de Nice a été très significatifs à ce sujet : il a été un exemple émouvant de l’enthousiasme que notre effort est susceptible d’éveiller au sein des masses enseignantes.
Il nous faut continuer cette double action, qui se confond d’ailleurs durant un bon bout de chemin puisque la mise au point incessante que nous faisons au sein de notre groupe, le matériel que nous ne cessons de créer ou d’améliorer seront la plateforme qui attirera tout particulièrement les éducateurs.
Nous verrons plus loin nos projets de travail pour notre groupe. Disons tout de suite ici l’action à envisager pour agrandir encore autour de nous, le cercle pédagogique qui se développe autour de l’Imprimerie à l’École et qui, telles les ondes à la surface de l’eau, va s’élargissant toujours.
Si nous voulons progresser, il faut :
1) Que nous fassions connaître notre matériel : Imprimerie à l’École, correspondance, fichiers, bibliothèque de travail, disques, etc.
2) Que nous donnions des indications très précises sur la conception, la préparation coopérative, la fabrication, l’édition et la vente de ce matériel, et sur la technique de son application dans les diverses classes, même si elles ne possèdent pas l’imprimerie.
3) Que nous donnions notre réponse aux grandes questions d’École Nouvelle qui nous sont si souvent posées.
Que nous le voulions ou non, en effet, nous sommes, en France, pratiquement, le seul mouvement actif d’éducation nouvelle. C’est vers nous que se tournent et que se tourneront de plus en plus tous ceux qui sentent la nécessité de marcher de l’avant.
Il nous faut répondre à leurs besoins.
Et s’avère alors la nécessité d’une littérature simple, compréhensible, pratique et bon marché, qui sera diffusée largement en France.
Nus voilà justement à un tournant : nos éditions diverses sont épuisées. Il nous faut, bon gré mal gré recréer celles au moins qui sont indispensables à la vie de notre mouvement. Mais c’est un gros livre qu’il faudrait maintenant, donc un livre cher, qu’hésiteraient à acquérir ceux justement qui seront nos meilleurs adhérents.
Nous avons pensé à une autre formule, celle des brochures bon marché, éditées par souscription d’abord et largement diffusées ensuite dans le personnel enseignant.
Nous allons lancer une collection de Brochures d’Éducation Nouvelle Populaire que nous livrerons à 1 fr. l’une et qui seront consacrées chacune à l’étude approfondie d’une question essentielle :
            1. L’Imprimerie à l’École
            2. Le calcul nouveau
            3. Les sciences pratiques
            4. La grammaire en 4 pages par l’Imprimerie à l’École
            5. Rédaction libre et textes d’enfants
            6. Principes d’alimentation naturiste
            7. Les plans de travail scolaire
            8. Le Fichier Scolaire coopératif
            9. Le Phono et les Disques
       10. La Bibliothèque de Travail
Nous avons fixé la souscription à la première série de ces brochures au prix modique de 9 fr. Mais il nous faut un nombre important d’adhésions pour que nous puissions commencer l’édition dès octobre. Si les camarades le veulent bien, c’est par milliers que doivent se vendre aujourd’hui ces Brochures d’Éducation Nouvelle Populaire.
Nous continuerons, d’ailleurs, à partir d’octobre prochain, les tournées de propagande qui ont eu un tel succès et une telle portée cette année. Nos camarades aussi, riches du matériel nouveau que nous allons préparer, pourront multiplier les conférences et les expositions pour que notre mouvement prenne, en France, une irrésistible ampleur. »

Célestin Freinet
 
Suite de l’article page 258 à 261
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 20, 15 juillet 1937 dans son intégralité
 
 

 

La réforme du certificat d’Études, le « bachot des gueux », 1er juillet 1937

Ce numéro spécial de l’Éducateur Prolétarien présente le projet de rapport qui sera envoyé aux auteurs de la réforme.

Un contrôle des connaissances avec l’aptitude à les utiliser pour tous les enfants et un examen des aptitudes à poursuivre au second degré. Des classes d’orientation permettraient de préparer cet examen.
On trouve dans ce rapport des propositions de modalités de l’examen, la réécriture de l’arrêté, le contenu des épreuves, l’organisation pratique….
Le tout pensé en lien direct avec la réforme des programmes qui est en projet également.
 
 
Avertissement
 
Ce rapport n’est pas le travail d’un homme. Un tel travail ne saurait présenter quelque valeur que s’il est l’œuvre de nombreux collaborateurs.
C’est bien ce que nous avons tâché de réaliser.
A la demande du Groupe Français d’Éducation Nouvelle, le Groupe du Nord des Amis de l’École Nouvelle et l’Éducateur Prolétarien ont ouvert une vaste enquête. Un questionnaire a été publié dans toutes les revues pédagogiques.
Une centaine de rapports ont été recueillis et minutieusement dépouillés.
Un premier rapport a été communiqué et discuté au Congrès de la Coopérative de l’Enseignement laïc le 28 mars.
A la suite d’un échange de vues entre les principaux artisans de cette enquête, après l’avis de diverses personnalités du mouvement pédagogique moderne : M. le Professeur Wallon, Mlle Flayol, MM. Vérel, Freinet, Guet, Hulin et autres, le présent rapport a pu être établi.
Simple projet susceptible d’être modifié et que nous offrons aux auteurs de la prochaine réforme en vue de les aider à améliorer dans toute la mesure du possible notre « bachot des gueux ».
 
Contrôle des connaissances et examen d’aptitudes
 
La réforme du Certificat d’Études Primaires, depuis longtemps souhaitée par l’ensemble des Éducateurs, devient d’une impérieuse nécessité – conséquence de la Réforme de l’Enseignement annoncée par le projet de loi Jean Zay.
Si ce projet Zay n’était, semble-t-l, un premier schème général de la réforme, on pourrait s’étonner que la modification du C.E.P., n’y soit déjà annoncée.
L’exposé des motifs du projet stipule pourtant : « Nous proposons de rendre obligatoire la possession du C.E.P. et d’exiger ainsi, de la part des futurs élèves de nos lycées, collèges, Écoles primaires supérieures et techniques un minimum de connaissances et d’aptitudes. »
Les termes « connaissances » et « aptitudes » semblent indiquer qu’on se propose de demander au C.E.P. d’être à la fois la sanction d’études terminées et un moyen de déceler les aptitudes à profiter des études à venir.
D’où une question préalable de première importance !
 
Le nouveau Certificat d’Études
 
Doit-il – ou peut-il – être à la fois
un examen de contrôle des connaissances et un examen d’aptitudes ?
 
L’examen, dans sa forme actuelle, peut bien tendre à estimer la possession de certaines connaissances et de certaines aptitudes, mais son manque absolu d’objectivité conduit à des résultats tellement confus qu’il n’est pas possible de persister dans cette voie. Donc, une réforme s’impose – et elle s’imposerait, même si la réforme de l’enseignement n’était pas envisagée.
Une troisième exigence se marque de plus en plus parmi les Instituteurs qui voudraient un examen dit de fon d’études du premier degré, accessible non plus comme l’examen actuel à 55 % des écoliers, mais à tous les enfants normaux.
En vue de résoudre la difficulté au mieux pour chacun, nous proposons deux solutions :
1re Solution. – Que le C.E.P. devienne – il ne l’est pas – un examen de contrôle de connaissances accessible à tous les enfants normaux dont la scolarité aurait été régulière.
- Que la possession du C.E.P. permette l’entrée dans une classe d’orientation où serait organisée d’une manière beaucoup plus sérieuse et durant une année, la première orientation.
- Un examen spécial serait peut-être organisé à la fin de cette année d’orientation en vue de désigner – compte tenu du travail scolaire – les élèves susceptibles de profiter de l’enseignement du second degré.
2e  Solution. – Si cette 1re solution – la meilleure nous semble-t-il – ne pouvait être retenue, nous proposerons l’institution d’un examen (A.B) comportant :
a) des épreuves A en vue du contrôle des connaissances et l’aptitude à les utiliser. Cette partie A resterait accessible à tous les élèves normaux.
b) une épreuve ou des questions B, d’un caractère différent, contrôle d’aptitudes :
Le succès aux épreuves A conférerait le Certificat d’Études.
Le succès aux épreuves A.B permettrait l’accès aux classes d’orientation là où elles seront créées et, ailleurs, l’accès en 6e.
 
Régime du Nouveau Certificat d’Études
 
Pour plus de clarté et à seule fin de marquer la différence entre le nouvel examen et l’ancien, nous donnons ci-dessous un texte destiné à servir de base à l’arrêté qui remplacera l’arrêté du 1er février 1924.
1. Les candidats au C.E.P. élémentaire doivent avoir atteint 12 ans révolus au 31 décembre de l’année où ils se présentent.
Une dispense d’un an sera accordée aux élèves susceptibles d’entrer dans l’enseignement du 2e degré (art. 6 du projet J. Zay).
Tous les enfants qui fréquentent les écoles primaires devront être présentés au moins une fois avant la fin de leur scolarité et les élèves retardés devront être présentés pour la première fois au plus tard dans leur 13e année.
2. L’inscription des candidats se fera comme par le passé, mais les parents qui désirent que leur enfant profite de l’enseignement du 2e degré devront produire une demande écrite. Aucun candidat ne doit figurer sur la liste avec la mention : « présenté par la famille ».
3. On instituera autant de commissions qu’il sera nécessaire pour éviter aux enfants des déplacements trop fatigants. (La correction des épreuves étant reportée à plus tard, la présence de l’Inspecteur n’est pas absolument indispensable et la responsabilité de la présidence pourrait être assumée par un directeur ou un professeur d’E.P.S. ou d’École Normale.)
4. Seuls les membres de l’Enseignement public en exercice peuvent faire partie des commissions.
5. La durée totale de l’examen n’excèdera pas 6 heures : 4 heures le matin ; 2 heures l’après-midi.
Diverses mesures sont à envisager pour réduire au maximum la fatigue des enfants (alternance de certaines épreuves par ex.)
6. Épreuves. (En raison de son importance, cette question est traitée à part). Voir plus loin.
7. Toutes les épreuves ont lieu à huis clos.
8. Les épreuves orales seront ou supprimées ou organisées sérieusement (voir plus loin).
On n’établira aucune distinction entre les épreuves dites autrefois de 1re et de 2e série.
9. La correction des épreuves sera effectuée la semaine suivante, soit au chef-lieu de canton, soit dans une autre ville.
C’est le seul moyen d’assurer :
- un contrôle vigilant des épreuves et d’organiser un oral sérieux si on le maintient ;
- une correction moins hâtive des copies d’après des barêmes soigneusement établis et uniformes.
Peut-être serait-ce là encore un moyen d’épargner aux enfants échoués le retour humiliant au village au milieu des camarades « triomphants ».
Les maîtres qui présentent des candidats seront présents au centre de correction et se tiendront à la disposition de la commission, porteurs des carnets de scolarité, à seule fin de donner leur avis en cas d’échec immérité de tel ou tel candidat.
10. La note zéro ne sera éliminatoire que si l’élève n’obtient pas un nombre de points supérieur de 5 unités au total général exigible.
Toutefois pour maintenir la valeur de l’épreuve d’orthographe, peut-être pourrait-on, en outre, convenir qu’au dessus de 5 fautes, le total général subirait un décompte progressif ; ex :
                                           6 fautes : ½ point
                                           7    ‘’      : 1 point
                                           8    ‘’       : 1p. ½
                                           9    ‘’      : 2 points
                                           10 ‘’      : 2 p. ½
           Au-dessus de 10 fautes : 2p. par faute
11. Les mentions sont supprimées.
12. Le succès au C.E.P. ne sera effectif et le diplôme ne sera remis aux lauréats qu’à la fin de la scolarité primaire et à la condition que l’élève continue à donner satisfaction au point de vue de la fréquentation du travail et de la conduite.
13. Tout en maintenant à l’examen son caractère essentiel de contrôle des connaissances, des mesures sont à envisager pour éviter que ces connaissances restent comme par le passé, le plus souvent verbales.
La forme et la nature des questions à poser doivent le permettre.
 
Épreuves
 
Le choix des épreuves est subordonné à la solution de plusieurs difficultés à résoudre préalablement. Nous en voyons quatre :
 
1. – La Réforme des programmes ne doit-elle précéder celle de l’examen ?
Ce serait, en effet, la première réforme à considérer et nous sommes les premiers à le demander. Seulement, depuis 14 ans que les programmes de 1923 sont soi-disant « appliqués », le Certificat d’Études qui devrait être le couronnement de ces programmes semble avoir évolué à part.
« Plus d’air, plus d’aisance, plus de lumière, plus de joie et, partant, plus de travail ». C’était le ferme désir du regretté P. Lapie et c’est dans la conclusion de la circulaire du 20 juin 1923 qu’il demandait tout cela. Ce qu’on a vu ? Les auteurs de manuels, tous rédigés, lit-on, « conformes aux programmes de 1923 », nous ont produit des ouvrages volumineux où les conseils de P. Lapie – sinon méconnus – ont été bien mal interprétés. Ah ! les manuels scolaires !!
Et le C.E.P., reflet de ces erreurs, a pris une forme de contrôle encyclopédique vraiment déraisonnable – on peut dire intolérable. De sorte que les Instituteurs se sont vus obligés de négliger les Instructions officielles et de préparer leurs élèves au C.E.P., de les entraîner à passer et en dernière heure de souhaiter qu’ils réussissent au C.E.P. ; véritable jeu de hasard pour les élèves moyens.
Dans ces conditions, tous ceux qui ont suivi avec une réelle amertume la mort des Instructions officielles en sont venus à penser que l’examen étant devenu le véritable régulateur des études, c’est d’abord l’examen qu’il faut réformer.
Tel examen, tel travail scolaire et nous ne pourrons guère avancer tant que le C.E.P. restera une revue-fatras de connaissances non assimilées, tant qu’on n’y fera pas la chasse au verbalisme, au « par coeurisme » vide, tant qu’il faudra « bachoter » pour y réussir.
Il va de soi que l’aménagement des programmes s’impose en même temps et ici nous ne saurions mieux faire que dire toute notre admiration pour le nouveau Plan d’Études Belge qui pourrait, à bien des égards – mutatis mutandis – nous servir d’exemple[1].
Beaucoup d’Instituteurs réclament des programmes limitatifs, notamment pour Histoire, Géographie, Sciences, où serait fixé d’une manière très précise, disent-ils, ce qu’un enfant de 12 ans doit savoir.
 
2. Nature des épreuves : tests ou épreuves habituelles
Les épreuves ordinaires ne sont plus très en faveur dans les milieux qui se réclament de l’Éducation Nouvelle. On assure que ces moyens de contrôle ont « fit leur temps » et non « leurs preuves ». On préfèrerait le TEST moyen de contrôle beaucoup plus scientifique.
Sans entrer dans les détails de cette importante question, et tout en marquent notre préférence pour les TESTS, convenons que le moment n’est pas encore tout à fait venu de les utiliser à l’exclusion des autres épreuves : personnel non préparé, manque d’un organisme central chargé d’élaborer ces tests, etc. Et puis, rappelons-nous avec Franklin que « la Vérité entre si difficilement dans la cervelle humaine qu’on peut la comparer à un clou qu’il faudrait enfoncer, non par la pointe, mais par la tête ». Bornons-nous donc à ceci :
1) Application à l’examen de certains procédés mis en lumière par les tests[2].
2) Fournir à chaque élève une copie des questions.
3) Préparer les questions avec soin ; ne poser aucune question ambiguë pour éviter la divergence des réponses, les établir de telle sorte qu’une seule réponse correcte soit possible.
4) Donner aux élèves des instructions précises sur le travail qu’ils ont à exécuter.
5) Apprécier objectivement d’après des règles bien définies.
6) Déterminer la durée des épreuves si cette durée est significative.
7) Utilisation, si possible, d’un test pour l’épreuve B.
 
3. L’Oral sera-t-il supprimé ?
C’est un vœu presque unanime du personnel.
S’il en est ainsi, supprimera-t-on toutes les épreuves qui constituaient la 2e série : lecture expressive, récitation et chant, calcul mental, éducation physique et demandera-t-on aux Inspecteurs d’assurer le contrôle de ces matières dans les classes ?
Certains demandent le maintien de la lecture expressive. D’autres pensent que l’épreuve de lecture silencieuse serait beaucoup plus probante.
On demande aussi que l’Éducation physique fasse l’objet d’un examen séparé, sorte de brevet physique scolaire.
On souhaite encore que l’épreuve de calcul mental soit écrite. D’autres estiment qu’il faudrait tenir compte du temps, donc procéder oralement.
Exigences difficiles à satisfaire toutes ensemble.
A seule fin d’indiquer comment nous souhaiterions que les épreuves orales soient organisées, nous supposerons qu’elles seront maintenues.
 
4. Deux examens A et B ou un seul examen (A.B.)
Provisoirement on peut prévoir un seul examen (A.B.), il suffirait :
1) Soit d’organiser la correction séparée des épreuves écrites de ceux qui déclarent vouloir suivre l’enseignement du 2e degré.
2) Soit d’ajouter certaines questions à quelques épreuves essentielles (à l’épreuve de lecture silencieuse, à l’épreuve d’arithmétique). (Voir plus loin).
3) D’instituer une épreuve B spécialement destinée à révéler les aptitudes. (Voir plus loin).
4) Pour plus de sécurité, les 3 mesures précédentes pourraient être prises à la fois.
Voici à titre d’exemple, quelle pourrait être la physionomie de l’examen complet. On notera ces 2 préoccupations dominantes :
1) Organiser un examen sérieux quoique simple.
2) Réduire le plus possible la fatigue des candidats par une alternance convenable des épreuves, par la suppression de toute attente inutile (pas de banquet interminable), par une organisation matérielle parfaite.
D’un mot :
Un examen sérieux, quoique simplifié et allégé qui ne sera plus ni une loterie, pour les candidats moyens, ni une simple formalité par aucun de ses aspects, ni une épreuve d’endurance pour les candidats, ni enfin, une foire aux médailles quelque peu ridicule.
 

Organisation pratique de l'Examen
 
Épreuve spéciale B - Test
 
L’Éducateur Prolétarien, n°18-19, 1er juillet 1937 dans son intégralité.
 
 
 
 
 


[1] Lire le numéro spécial de L’Éducateur Prolétarien, n°2.
[2] Voir Dottrens : Le Problème de l’Inspection, p. 174.

 

Pour la rénovation de l’École : les lignes générales d’un Nouveau Plan d’Études Français, 10 juin 1937

Freinet souhaite que le gouvernement entreprenne rapidement des réformes scolaires et que le mouvement y prenne part activement. Dans cet article, il propose les bases de ce que pourrait être cette réforme en dix suggestions.

Des techniques nouvelles, des outils nouveaux doivent entrer dans les classes et les mouvements pédagogiques en sont créateurs. Ils doivent également pénétrer la nouvelle formation.
L’École comme construction d’un citoyen en capacité d’agir dans la société est réaffirmée.
 
« Depuis un an, nous menons l’action pour ce que nous avons appelé Nouveau Plan d’Études Français.
Les Instructions Ministérielles de 1923, dont M. Lapie avait été le principal rédacteur, avaient marqué déjà une orientation, qui dans la pratique, a été trop souvent méconnue.
Avant même que soit publié le projet de réorganisation de l’enseignement primaire, nous avons fait connaître dans cette revue l’essentiel du Nouveau Plan d’Études belge ; nous avons montré ce que, en pleine crise, veut réaliser la Catalogne. Nous avons lancé un questionnaire aux enfants, aux parents, aux employeurs. Des centaines de ces questionnaires nous ont été retournés remplis d’une écriture et dans une langue qui en disent plus long souvent que le contenu sur la faillite de l’école.
Entre temps, le gouvernement de Front Populaire a manifesté le désir de remettre un peu d’ordre dans la maison universitaire. Réorganisation nécessaire, certes. Mais nous ne saurions oublier, nous éducateurs, qu’il n’y aura pas grand-chose de changé si les cadres seuls sont réadaptés et modernisés, si un sang nouveau ne circule pas à l’intérieur de ce grand corps, et à un rythme digne des espoirs de la jeunesse ouvrière et paysanne.
Selon quels principes devrait-on et pourrait-on revigorer l’École Française ?
Nous nous permettons de présenter ici quelques suggestions en souhaitant que ceux qui ont charge de préparer les projets annoncés, veuillent bien s’en inspirer. Nous résumons et condensons ces suggestions sous une forme que nous voudrions incisive et frappante dans l’espoir que de nombreux camarades les reprennent – même sans mention d’origine – au cours des discussions et motions souhaitables.
***
1. – La culture nouvelle n’est pas seulement intellectuelle – ou intellectualiste. Elle doit imprégner l’individu tout entier, dans ses grandes fonctions personnelles et sociales.
Au siècle du sport, du camping, au siècle de l’organisation syndicale et des vastes mouvements de masses agitées par un idéal, on ne comprendrait plus une école qui se contenterait de ressasser les vieilles formules.
L’Éducation physique, le chant, la formation communautaire, le sens des responsabilités deviennent des éléments indispensables au même titre que la langue, les mathématiques, la philosophie, de la nouvelle culture.
2. – Il en découle que, au premier degré surtout, l’école ne saurait plus se contenter des vieilles techniques verbales que l’école perpétue entre ses quatre murs.
La civilisation actuelle a brisé les cadres matériels de la vie ; l’école doit briser aussi ses cadres, après avoir forgé les techniques nouvelles susceptibles de régler son travail à venir.
3. – La France n’a qu’à chercher dans son passé, lointain ou récent, dans les œuvres de ses grands animateurs pédagogiques, les lignes directives de ces techniques nouvelles. Elle doit hardiment réadapter techniquement l’école du peuple aux nécessités modernes de l’évolution et de la vie.
4. –L’École est comme ces vieux chemins de Fer qui circulaient encore, il n’y a pas longtemps sur les voies secondaires d’intérêt économique et qui paraissaient ridicules tellement elles étaient peu en harmonie avec le rythme de la vie ambiante.
Des michelines les ont remplacés, ou les autobus s’y sont pratiquement substitués.
L’École doit, elle aussi, changer hardiment la conception et l’installation de ses locaux, la forme et l’usage des bancs-pupitres centenaires ; le matériel scolaire doit être modernisé ; les manuels scolaires qu’on distribue en début d’année identiques pour tous les enfants d’une classe, doivent faire place à de riches bibliothèques de travail, à de belles encyclopédies, à des fichiers bien garnis qui, utilisés méthodiquement, permettront à l’École un rendement décuplé.
Les outils nouveaux doivent être employés au maximum pour la nouvelle formation : cinéma, radio, disques, imprimerie, machine à écrire, etc.
5. – Le succès de l’École ne saurait être indépendant de la santé de la race. Disparition des taudis, colonies de vacances, cantines, patronages, camping, gymnastique bien comprise doivent contribuer à former l’homme nouveau, cellule d’une société évoluée et différenciée.
6. – Les méthodes d’autorité brutale sont unanimement réprouvées dans les sociétés modernes. Elles ne sauraient plus être de mise à l’École.
Partout l’association, le syndicat, la collaboration visent à mettre dans les rapports humains un maximum de justice et de liberté. Il faut que l’École soit à l’image de ce grand effort de libération.
Ce n’est pas du désordre que nous voulons, ni de la licence. Désordre et licence sont trop souvent le fait d’une autorité affaiblie là où on a donné à cette autorité un pouvoir souverain.
Mais il faut que l’École à tous les degrés devienne une communauté organisée dont les éducateurs seront les guides et non les maîtres et où s’exerceront et se formeront les personnalités agissantes de demain.
7. – Toutes ces possibilités sont latentes dans notre école française. Des expériences nombreuses, des réalisations déjà très poussées rendent aujourd’hui possible cette modernisation pourvu que les pouvoirs publics veuillent bien épauler les forces novatrices.
8. – Mais cet effort de modernisation ne saurait être effectif que si on cesse de considérer l’enfant comme un incapable et un impuissant qu’on doit forger de toutes pièces et diriger sans cesse.
L’effort de l’homme est incapable de faire jaillir du néant la beauté et la puissance de la vie. C’est à la VIE seule qu’il faut demander son miracle. S’appuyer totalement, en éducation, sur la vie et les possibilités enfantines est le seul moyen d’éviter les erreurs qui on mené à la faillite un siècle d’efforts scolastiques.
Au moment où le monde ouvrier prend conscience de ses possibilités et de sa dignité, on comprendra que nous revendiquions hautement, pour les enfants, le droit aussi de construire leur vie selon les lignes de leurs besoins et de leurs intérêts. Il est du devoir des aînés de les aider sans réserve dans cette besogne émouvante de création et de vie.
9. – En aucun cas, les examens ne devraient gêner cette évolution et cette création.
Un contrôle est nécessaire et souhaitable. Il peut s’opérer aujourd’hui selon des techniques qui restent dans le cadre des nécessités nouvelles et qui éviteront totalement le bourrage intensif qui se pratique à tous les degrés en vue des examens, au détriment, tout le monde le sait, de la formation véritable.
Les examens ne sauraient être un but. Il faut que l’organisation nouvelle – pour le C.E.P.E. notamment – libère l’école primaire d’une hantise qui n’a fait déjà que trop de dégâts.
10. – La poursuite effrénée des succès aux examens aura vécu le jour où la société sera en mesure de mettre chaque individu à la place de travail et d’action qui lui convient.
Dès aujourd’hui, et en attendant cette réorganisation dont nous n’ignorons pas les difficultés, nous saluons dans le projet des classes d’orientation l’aube d’une compréhension nouvelles. Et nous demandons que ces classes d’orientation soient développées et multipliées. Mieux que les examens, elles seront en mesure de démêler, en cours d’années, les aptitudes et les possibilités des enfants qui arrivent au seuil de la production. Les examens auront tendance alors à devenir ce qu’ils devraient rester : des épreuves de contrôle, de valeur non définitive, mais servant seulement de base à la sélection à intervenir.
Épreuves de contrôle, classes d’orientation : une tendance nette se dessine aujourd’hui vers cette double réalisation.
***
Il ne s’agit pas de renverser révolutionnairement un ordre scolaire que nous estimons désuet, mais de faire comprendre pourquoi il est désuet et de préparer les voies d’adaptation et de rénovation, dans le cadre normal de nos lois, de nos institutions, avec le personnel actuellement en exercice et dont nul ne peut nier le dévouement.
Que tous nos camarades fassent connaître autour d’eux, qu’ils portent au sein de leurs organisations ce projet de Plan d’Études Français.
Nous ne prétendons pas qu’on l’admette tel quel. Mais nous avons suffisamment d’expérience au sein de notre Groupe de l’Imprimerie à l’École pour affirmer que ce sont des bases sages, modérées, possibles pour l’action de rénovation dont le peuple entier sent aujourd’hui la nécessité. »
 
Célestin Freinet
 
L’Éducateur Prolétarien, 17, 10 juin 1937 dans son intégralité.