L'Educateur Prolétarien n°16 - année 1936-1937

Mai 1937

L'éducateur prolétarien

N°16 : 15 mai 1937

 

Au secours des enfants d'Espagne  
Les adhérents de la Coopérative Espagnole combattants au front saluent notre coopérative  
De quelques questions urgentes C. Freinet
Pour un Nouveau Plan d'Etudes Français : Le certificat d'études C. Freinet

Les fichiers :
- Pour notre fichier scolaire coopératif
- Le fichier de sciences
- Un fichier d'étude des opérations

Y.Guet
R.Boyau
R.Lallemand
La correspondance interscolaire  
Les disques  
A travers la France :
- Freinet à Tours
- Cercle d'éducation nouvelle de Savoie
- L'imprimerie à l'école
- A Perpignan
 
Pipeau et pipeaux M.Lavieille
Le livre-carte mural  
Livres et revues  

 

FSC 575 : Le bois en Suède
FSC 576 : Les olives
FSC 577 : Les noix
FSC 578 : L'arachide

Pour un Nouveau Plan d'Etudes Français : Le certificat d'études

Mai 1937
« Nous apportons aujourd’hui notre contribution au projet de réorganisation du Certificat d’Etudes. Nous demandons à nos lecteurs de nous adresser sans retard leurs critiques. Nous les joindrons au dossier Hulin pour la mise au point définitive d’un projet qui paraîtra en numéro spécial commun de Pour l’Ere Nouvelle, L’Ecole Nouvelle, L’Éducateur Prolétarien, sous la responsabilité commun du Groupe Français d’Éducation Nouvelle, du Groupe du Nord de l’École Nouvelle et de l’Imprimerie à l’École.
Nous regrettons de ne pouvoir donner des documents plus nombreux. Nous pourrions en communiquer copie à ceux qui nous le demanderont.
«  AVERTISSEMENT
 
Lorsqu’on parle d’un examen on doit considérer trois choses :
1. Le passé dont il doit contrôler travail et rendement.
2. Le présent : la matière elle-même. Les enfants et ce qu’on doit normalement et humainement en attendre.
3. Le futur. L’utilisation scolaire et sociale qui sera faite du diplôme donné.
Pour préciser le n° 1 il serait, pensons-nous, plus normal de préciser les points 3 et 2 d’abord, ce qui nous aidera à établir le programme lui-même du C.E.P.E.
1. Utilisation scolaire et sociale du C.E.P.E.
Jusqu’à ce jour l’utilisation scolaire du C.E.P.E. était à peu près nulle. Le nouveau projet tend à en faire un examen de passage du 1er au 2e degré.
La possession du C.E.P.E. sera obligatoire pour tous ceux qui voudront pénétrer au 2e degré.
Cette finalité est cependant tempérée par la création d’un cycle d’orientation au bout duquel les enfants munis du C.E.P.E. seront plus spécialement fondés quant aux branches vers lesquelles ils doivent être dirigés.
Le C.E.P.E. ne sera donc pas un concours de passage, mais seulement une sorte d’examen de base. Les enfants seront contrôlés au cours de leurs années d’orientation.
Mais l’utilisation du C.E.P.E. tend par contre à être renforcée.
Disons tout de suite qu’il est normal qu’on exige des candidats à certaines fonctions un minimum d’acquisition et de technique.
Il suffit maintenant de s’entendre sur ce minimum.
De ce court examen, il résulte :
1. Que le C.E.P.E. n’est pas un concours d’entrée au second degré, mais le contrôle de base avant d’entrer dans le cycle d’orientation.
2. Que le C.E.P.E. sera simplement une attestation que celui qui le possède a suivi régulièrement les cours d’enseignement primaire, qu’il a acquis les connaissances et les techniques dont la possession paraît nécessaire et indispensable dans la vie à 12-13 ans.
S’il en est ainsi, si l’École remplit bien son rôle, le C.E.P.E. devrait être pratiquement donné à tous les enfants.
L’échec au C.E.P.E. montrerait seulement que le candidat n’a pas suffisamment, pour diverses raisons, sociales, individuelles ou scolaires profité de l’enseignement primaire. Des cours spéciaux devraient être institués pour leur permettre d’acquérir ce minimum indispensable.
A notre avis, il faudrait bien s’entendre sur les bases et faire admettre les principes essentiels.
1. Tout enfant doit posséder le C.E.P.E.
2. L’enfant qui n’a pas le C.E.P.E. redouble des classes dans des cours spéciaux de récupération qui lui permettent d’obtenir le C.E.P.E.
 
CE QU’ON DOIT ATTENDRE DES CANDIDATS
 
S’il en était ainsi, il faudrait se mettre parfaitement d’accord sur l’acquisition et les techniques dont le C.E.P.E. doit exiger la possession.
Si les bases ci-dessous sont admises, on ne cherchera plus à hausser inconsidérément le niveau afin que seuls y accèdent ceux qui sont le mieux doués et qui y ont été spécialement préparés. Au contraire, il faudra que ce niveau soit psychologiquement et scientifiquement établi comme fin naturelle de l’enseignement du 1er degré.
Si les épreuves étaient imprégnées de ce nouvel esprit, il n’y aurait pas grand’ chose à changer à notre examen actuel, pour en faire le contrôle raisonnable que nous désirons.
Lire, écrire et compter reste à la base de cet examen ; nous en ferons l’essentiel aussi :
Lire, écrire et compter restent à la base de lecture, qui n’existent pas du tout. Car il ne faut pas considérer seulement la lecture à haute voix d’un texte, mais aussi et surtout la lecture muette par la compréhension et l’utilisation d’un texte du niveau des enfants (technique indispensable, puisque l’enfant n’aura jamais ou presque jamais plus tard à lire à haute voix, il aura par contre à lire des yeux et à comprendre ce qu’il lit).
Il serait facile d’établir des épreuves intelligentes de lecture et d’utilisation de ces lectures. Il suffirait de présenter aux enfants des fiches imprimées, contenant des textes de leur niveau. Ils auraient un certain temps pour les lire et auraient ensuite un court résumé à donner ou bien ils répondraient à des questions qui y auraient été incluses, questions simples, compréhensibles, sans rébus, qui s’éloigneraient au maximum de l’épreuve à colle pour en venir à l’épreuve de lecture intelligente.
Il y a des combinaisons infinies dans ce domaine, depuis l’histoire à raconter, jusqu’aux questions dont on attend une réponse intelligible.
écrire : Il y a deux considérations qui pour le psychologue se tiennent parfaitement, mais qu’on peut cependant pour la commodité du contrôle, séparer : la rédaction et l’orthographe.
a) Rédaction. – Un grand progrès a déjà été réalisé : les sujets sont devenus intelligents. On n’a qu’à accentuer cette évolution, dont nous nous félicitons. La meilleure preuve que cette épreuve est presque parfaitement adaptée, c’est que nos enfants, habitués à la rédaction libre, sont en général ceux qui réussissent le mieux cette épreuve au C.E.P.E.
b) Dictée. – Elle est une bonne épreuve de contrôle à condition qu’on cesse presque totalement de présenter les colles qu’évitent seulement ceux qui ont subi un entraînement méthodique et abrutissant.
Les dictées ne devraient contenir que des mots du langage enfantin. Des tolérances très larges seraient acordées pour les mots non du langage enfantin.
Il n’y aurait pas de note éliminatrice en dictée.
L’épreuve de dictée en question serait couplée avec celle de rédaction : 5/10 pour la rédaction, 2,5 /10 pour la dictée, 2,5/10 pour les questions.
Aussi l’épreuve écrite serait à la vraie place.
Compter : Le contrôle du C.E.P.E. devrait se borner aux techniques de base : addition, soustraction, multiplication, division, fraction, règle de trois, règle d’intérêt, etc.
L’épreuve de calcul actuelle entraîne un bourrage épuisant et très insuffisamment éducatif. Un problème, s’il n’est pas dans la vie, s’il n’est pas d’une compréhension pratique pour les enfants, reste une sorte de rébus, sans véritable portée éducative.
Nous demandons que l’épreuve de calcul comprenne un exercice ou une série d’exercices techniques sur les opérations essentielles du programme : addition, soustraction, multiplication, division, opérations diverses, fractions, intérêts, etc., 5 points sur 10.
2. Un problème à opérations multiples mais de compréhension facile, adapté le plus possible aux réalités quotidiennes, 5 points sur 10.
Nous estimons, en effet, qu’un enfant qui est maître de toute la technique du calcul, saura, s’il n’a pas été déformé par la scolastique résoudre ultérieurement les problèmes pratiques qui se présenteront à lui.
Lire, écrire, compter restent donc les acquisitions essentielles qu’on doit exiger de notre enseignement primaire. Quiconque les possède même si son savoir n’est pas d’autre part rigoureusement encyclopédique, est suffisamment lesté pour acquérir par la suite les notions et les techniques que la vie demandera de lui.
L’examen doit cependant tenir compte des connaissances accessoires secondaires, dont l’acquisition maximum reste cependant souhaitable.
Mais une trop grande place donnée à ces acquisitions risque de substituer à l’école à un savoir expérimental et pratique un savoir de mots sans valeur formative.
On pourrait, soit :
Avoir à l’écrit une épreuve spéciale, cotée sur 10, pour l’ensemble, et portant sur : géographie, 3,3 ; sciences, 3,3 ; histoire, 3,3 (en une ou plusieurs questions de chaque) ; ou bien, ce qui serait préférable, reporter à l’oral l’interrogation sur ces matières en même temps que les épreuves de musique, de chant, de diction et de gymnastique.
La part aussi réduite, faite aux épreuves de contrôle d’acquisitions générales éviterait les risques du bourrage verbal qui se pratique à l’école.

ÉCRIT

Une épreuve de lecture de compréhension muette ou écrite, cotée sur 10.

Une épreuve de langue avec rédaction simple, 5/10 ; dictée normale, 2,5/10 ; et questions, 2,5/10.

Une épreuve de calcul avec questions multiples, 5/10.
Opérations techniques, un problème compréhensible, 5/10.
Une épreuve de dessin libre ou non, ou coté au choix, 5/10.
  

ORAL

 Interrogation. – Lecture expressive, histoire, géographie, sciences, musique, chant, diction, gymnastique.

Au cas où les interrogations orales révèleraient des faiblesses susceptibles de motiver l’échec à l’examen, il sera tenu le plus large compte du carnet de scolarité et de l’opinion de l’instituteur pour la décision finale. L’essentiel de l’examen restant l’écrit, qui seul détermine souverainement la réussite ou l’échec.
Pour ceux qui croiraient que nous ne réservons pas à ces matières que nous repoussons à un oral décisif une place suffisante, nous répondrons que l’enfant de 12-13 ans aura encore le temps largement, d’apprendre dans les années à venir de sa scolarité, les notions d’histoire, les notions pratiques de géographie et de sciences. Ce n’est pas le plus ou moins grand bagage qui doit séparer les enfants de cet âge.
Nous devons nous en tenir aux acquisitions principales, qui ont toujours été le domaine de l’école primaire et réduire pratiquement à ces matières le contrôle opéré.
Il ne s’agit pas d’avoir avec les enfants de cet âge des ambitions démesurées. Nous avons appris à nos élèves à lire couramment et intelligemment, à rédiger correctement et sans faute, à calculer rapidement et sans erreur, nous les auront bien lestés par les travaux ultérieurs.
C’est ce que devra marquer le nouveau C.E.P.E.

 

Relations avec le Syndicat National

Mai 1937

« Le Congrès, qui a discuté de la question, aurait sans doute émis un vœu, peut-être esquissé des directives. Mais un souci légitime nous en a fait abstenir. Nous avons craint que des gens mal intentionnés profitent de cette occasion pour arguer que nous nous immisçons dans le mouvement syndical, que nous noyautons le S.N. au profit de je ne sais quelle tendance politique ou syndicale.

Nous serons plus à l’aise alors pour nous en expliquer dans cette page ;
Que nous le voulions ou non, notre mouvement est maintenant parti vers la divulgation de plus en plus grande de nos techniques ; la conséquence de cette divulgation est la nécessité où nous sommes placés d’élargir malgré nous notre mouvement pour répondre aux besoins pédagogiques de ceux qui nous rejoignent. Nous cessons – nous avons cessé – d’être un petit groupe d’expérimentateurs pour devenir un grand mouvement pédagogique, le seul mouvement pédagogique de France, dont l’action sur l’évolution de l’école publique est et sera considérable. On a souvent comparé ce mouvement au mouvement Decroly en Belgique, dont le nouveau Plan d’Études belge est en grande partie le glorieux aboutissement. S’il nous manque peut-être, pour l’instant, certaines possibilités d’expérimentation scientifiques qui ont largement servi le Dr Decroly, nous avons par contre, dans notre groupe, un dynamisme dont on chercherait en vain le pendant dans d’autres essais français ou étrangers.
Pour la première fois en France et peut-être dans le monde (URSS excepté), ce n’est plus une personnalité exclusivement qui lance un mouvement ; ce ne sont plus des groupes restreints d’officiels ou de chefs qui le dirigent ou l’exploitent. Ce sont les éducateurs eux-mêmes qui prennent en main, avec une conscience et un enthousiasme émouvants, la réadaptation aux nécessités actuelles de leur école et de leur pédagogie.
Nous ne pouvons pas trahir tous ses espoirs, réprimer ces élans. Au contraire, par la collaboration active de centaines de camarades, nous allons plus pratiquement et plus effectivement que jamais donner corps de plus en plus à ce qui sera la pédagogie populaire de demain.
Cette action, on le voit, se développe parallèlement au mouvement syndical qui veut lui aussi, et doit vivre et se développer par l’action incessante des larges masses d’éducateurs. Il serait même normal et souhaitable que, à défaut d’une intégration de notre action dans le mouvement syndical, il y ait collaboration permanente entre notre Coopérative et le Syndicat National.
C’est une chose naturelle, souhaitable. Nous ne l’esquissons pas par calcul, mais parce que nous la croyons être une nécessité historique de la conjonction de forces qui devraient être unifiées. Nous pouvons beaucoup pour le mouvement syndical en apportant aux éducateurs, aux jeunes surtout, le goût de l’action pédagogique, le goût du travail professionnel bien fait, ciment nouveau et indispensable pour des syndicats d’instituteurs. Le Syndicat nous aiderait aussi parce qu’il peut, seul, nous offrir la possibilité permanente d’entrer en contact avec les masses d’éducateurs que nous devons toucher.
 Cette collaboration, ce travail parallèle, fusionné, sont nécessaires. Nous les souhaitons, nous les préparons, loyalement, sans aucune arrière-pensée. Et aucun geste dans le passé ni dans le présent ne doit laisser aucune suspicion d’aucune sorte dans l’esprit des camarades, nul ne peut dire que nous n’ayons pas offert, en toute camaraderie, en toutes occasions, à quelques tendances qui l’aient sollicité, – notre collaboration pédagogique absolument désintéressée.

 On ne  nous a pas toujours compris. Ceux qui ont toujours fait leur tâche avec dégoût, pour gagner – ou pour toucher leur mois en attendant la retraite, n’ont pas compris que nous offrions aux éducateurs un autre but et une autre dignité. Alors ils ont vu dans le prosélytisme de nos adhérents comme une menace dont ils ne mesuraient exactement ni les intentions, ni les buts, mais dont ils voulaient se prémunir.

L’ère de cette incompréhension n’est pas close. Nous espérons du moins que, après cette courte explication, les responsables syndicaux accepteront loyalement comme nous l’offrons, notre collaboration permanente.
Il y a d’ailleurs des précédents qu’on ne saurait négliger : dans certains départements, nos camarades imprimeurs sont les responsables de la commission pédagogique du Syndicat ; partout où des conférences et expositions ont été organisées par nos groupes – avec ou sans ma participation – c’est le Syndicat qui en a accepté la responsabilité ; la Section des Alpes-Mmes enfin a patronné officiellement notre Congrès de Nice.
Il faut que cette collaboration permanente se généralise. Dans tous les départements, nos adhérents, qui sont en général les éducateurs les plus actifs pédagogiquement, doivent entrer dans les Commissions pédagogiques du Syndicat, en prendre même la responsabilité totale si possible, rédiger la partie pédagogique du bulletin, prendre l’initiative des manifestations pédagogiques. Par leur action sincère et totale au sein des syndicats, ils assureront indirectement mais de la façon la plus efficace et la plus souhaitable cette collaboration que nous avons reconnue indispensable.
Nous ferons mieux ensuite : les grandes questions que l’actualité nous force à mettre à l’ordre du jour, celle du Nouveau Plan d’Études par exemple, celle du Certificat d’Études, doivent être mises à l’étude par nos camarades au sein des syndicats ; nos questionnaires, nos appels doivent être diffusés dans la presse syndicale. Les problèmes qui le méritent devront être même soumis à l’étude des Congrès nationaux.
S’il est bien admis que nous ne saurions être soupçonnés d’un quelconque noyautage, que nous ne visons que la réalisation, par l’appui indispensable de forces syndicales, des revendications pédagogiques de groupes toujours plus importants d’éducateurs ; si on est persuadé, dans les milieux syndicaux, que cette action – sous le contrôle permanent des syndicats d’ailleurs – ne saurait que servir l’action syndicale elle-même, prenons toutes dispositions pour l’efficacité maximum de notre action commune.
Le Congrès a nommé des camarades et des Commissions responsables de quelques-unes de nos activités principales. Pratiquons de même sur le Plan pédagogique-syndical. Nommons une Commission avec son responsable, choisi parmi les camarades qui ont su déjà pratiquer cette collaboration que nous voudrions généraliser et harmoniser. Cette commission aura mission de s’occuper de tout ce qui concerne nos rapports avec les syndicats : action pédagogique départementale et nationale, sections pédagogiques, collaboration officielle de nos filiales, action à mener pour la défense au sein des syndicats des revendications formulées dans les Congrès du S.N., etc.
Camarades secrétaires départementaux, Camarades de la direction du S.N., sommes-nous d’accord ?
Si oui, au travail ! Vous pouvez compter sur notre dévouement entièrement désintéressé. »