L'Educateur Prolétarien n°17 - année 1936-1937

Juin 1937

L'éducateur prolétarien

N°17 : 10 juin 1937

 

Une colonie de petits réfugiés espagnols à l'Ecole Freinet  
Paco Itir : Antonio Benaiges (Trad.) LALLEMAND
Les lignes générales d'un nouveau Plan d'Etudes Français C.FREINET
A propos du C.E.P.E. H.WALLON
Appréciations officielles  
Pour vos fêtes scolaires Y.PAGES
Le silence C.DELAUNAY
A propos de la fusion Gerbe - Copain Cop BELLIOT et FREINET
Ecole espérantiste d'été 1937  
Pour les possesseurs de Cinéma 9m/m5 C.FREINET
Radio Scolaire Y. et A.PAGES
A travers la France : Le Puy - Mende C.FREINET
Vers un naturisme matérialiste E. et C. Freinet
Les pipeaux GACHELIN
Revues - Livres - Livres pour enfants et pour Bibliothèque de Travail  

 

FSC 579 : La vigne à Bellenaves (Allier)
FSC 580 : Fabrication du Champagne
FSC 581 : Mesure de la capacité d'un tonneau
FSC 582 : Les raisins de Corinthe

Les lignes générales d’un Nouveau Plan d’Études Français

Juin 1937
« Depuis un an, nous menons l’action pour ce que nous avons appelé Nouveau Plan d’Études Français.
Les Instructions Ministérielles de 1923, dont M. Lapie avait été le principal rédacteur, avaient marqué déjà une orientation, qui dans la pratique, a été trop souvent méconnue.
Avant même que soit publié le projet de réorganisation de l’enseignement primaire, nous avons fait connaître dans cette revue l’essentiel du Nouveau Plan d’Études belge ; nous avons montré ce que, en pleine crise, veut réaliser la Catalogne. Nous avons lancé un questionnaire aux enfants, aux parents, aux employeurs. Des centaines de ces questionnaires nous ont été retournés remplis d’une écriture et dans une langue qui en disent plus long souvent que le contenu sur la faillite de l’école.
Entre temps, le gouvernement de Front Populaire a manifesté le désir de remettre un peu d’ordre dans la maison universitaire. Réorganisation nécessaire, certes. Mais nous ne saurions oublier, nous éducateurs, qu’il n’y aura pas grand-chose de changé si les cadres seuls sont réadaptés et modernisés, si un sang nouveau ne circule pas à l’intérieur de ce grand corps, et à un rythme digne des espoirs de la jeunesse ouvrière et paysanne.
Selon quels principes devrait-on et pourrait-on revigorer l’École Française ?
Nous nous permettons de présenter ici quelques suggestions en souhaitant que ceux qui ont charge de préparer les projets annoncés, veuillent bien s’en inspirer. Nous résumons et condensons ces suggestions sous une forme que nous voudrions incisive et frappante dans l’espoir que de nombreux camarades les reprennent – même sans mention d’origine – au cours des discussions et motions souhaitables.
***
1. – La culture nouvelle n’est pas seulement intellectuelle – ou intellectualiste. Elle doit imprégner l’individu tout entier, dans ses grandes fonctions personnelles et sociales.
Au siècle du sport, du camping, au siècle de l’organisation syndicale et des vastes mouvements de masses agitées par un idéal, on ne comprendrait plus une école qui se contenterait de ressasser les vieilles formules.
L’Éducation physique, le chant, la formation communautaire, le sens des responsabilités deviennent des éléments indispensables au même titre que la langue, les mathématiques, la philosophie, de la nouvelle culture.
2. – Il en découle que, au premier degré surtout, l’école ne saurait plus se contenter des vieilles techniques verbales que l’école perpétue entre ses quatre murs.
La civilisation actuelle a brisé les cadres matériels de la vie ; l’école doit briser aussi ses cadres, après avoir forgé les techniques nouvelles susceptibles de régler son travail à venir.
3. – La France n’a qu’à chercher dans son passé, lointain ou récent, dans les œuvres de ses grands animateurs pédagogiques, les lignes directives de ces techniques nouvelles. Elle doit hardiment réadapter techniquement l’école du peuple aux nécessités modernes de l’évolution et de la vie.
4. –L’École est comme ces vieux chemins de Fer qui circulaient encore, il n’y a pas longtemps sur les voies secondaires d’intérêt économique et qui paraissaient ridicules tellement elles étaient peu en harmonie avec le rythme de la vie ambiante.
Des michelines les ont remplacés, ou les autobus s’y sont pratiquement substitués.
L’École doit, elle aussi, changer hardiment la conception et l’installation de ses locaux, la forme et l’usage des bancs-pupitres centenaires ; le matériel scolaire doit être modernisé ; les manuels scolaires qu’on distribue en début d’année identiques pour tous les enfants d’une classe, doivent faire place à de riches bibliothèques de travail, à de belles encyclopédies, à des fichiers bien garnis qui, utilisés méthodiquement, permettront à l’École un rendement décuplé.
Les outils nouveaux doivent être employés au maximum pour la nouvelle formation : cinéma, radio, disques, imprimerie, machine à écrire, etc.
5. – Le succès de l’École ne saurait être indépendant de la santé de la race. Disparition des taudis, colonies de vacances, cantines, patronages, camping, gymnastique bien comprise doivent contribuer à former l’homme nouveau, cellule d’une société évoluée et différenciée.
6. – Les méthodes d’autorité brutale sont unanimement réprouvées dans les sociétés modernes. Elles ne sauraient plus être de mise à l’École.
Partout l’association, le syndicat, la collaboration visent à mettre dans les rapports humains un maximum de justice et de liberté. Il faut que l’École soit à l’image de ce grand effort de libération.
Ce n’est pas du désordre que nous voulons, ni de la licence. Désordre et licence sont trop souvent le fait d’une autorité affaiblie là où on a donné à cette autorité un pouvoir souverain.
Mais il faut que l’École à tous les degrés devienne une communauté organisée dont les éducateurs seront les guides et non les maîtres et où s’exerceront et se formeront les personnalités agissantes de demain.
7. – Toutes ces possibilités sont latentes dans notre école française. Des expériences nombreuses, des réalisations déjà très poussées rendent aujourd’hui possible cette modernisation pourvu que les pouvoirs publics veuillent bien épauler les forces novatrices.
8. – Mais cet effort de modernisation ne saurait être effectif que si on cesse de considérer l’enfant comme un incapable et un impuissant qu’on doit forger de toutes pièces et diriger sans cesse.
L’effort de l’homme est incapable de faire jaillir du néant la beauté et la puissance de la vie. C’est à la VIE seule qu’il faut demander son miracle. S’appuyer totalement, en éducation, sur la vie et les possibilités enfantines est le seul moyen d’éviter les erreurs qui on mené à la faillite un siècle d’efforts scolastiques.
Au moment où le monde ouvrier prend conscience de ses possibilités et de sa dignité, on comprendra que nous revendiquions hautement, pour les enfants, le droit aussi de construire leur vie selon les lignes de leurs besoins et de leurs intérêts. Il est du devoir des aînés de les aider sans réserve dans cette besogne émouvante de création et de vie.
9. – En aucun cas, les examens ne devraient gêner cette évolution et cette création.
Un contrôle est nécessaire et souhaitable. Il peut s’opérer aujourd’hui selon des techniques qui restent dans le cadre des nécessités nouvelles et qui éviteront totalement le bourrage intensif qui se pratique à tous les degrés en vue des examens, au détriment, tout le monde le sait, de la formation véritable.
Les examens ne sauraient être un but. Il faut que l’organisation nouvelle – pour le C.E.P.E. notamment – libère l’école primaire d’une hantise qui n’a fait déjà que trop de dégâts.
10. – La poursuite effrénée des succès aux examens aura vécu le jour où la société sera en mesure de mettre chaque individu à la place de travail et d’action qui lui convient.
Dès aujourd’hui, et en attendant cette réorganisation dont nous n’ignorons pas les difficultés, nous saluons dans le projet des classes d’orientation l’aube d’une compréhension nouvelles. Et nous demandons que ces classes d’orientation soient développées et multipliées. Mieux que les examens, elles seront en mesure de démêler, en cours d’années, les aptitudes et les possibilités des enfants qui arrivent au seuil de la production. Les examens auront tendance alors à devenir ce qu’ils devraient rester : des épreuves de contrôle, de valeur non définitive, mais servant seulement de base à la sélection à intervenir.
Épreuves de contrôle, classes d’orientation : une tendance nette se dessine aujourd’hui vers cette double réalisation.
***
Il ne s’agit pas de renverser révolutionnairement un ordre scolaire que nous estimons désuet, mais de faire comprendre pourquoi il est désuet et de préparer les voies d’adaptation et de rénovation, dans le cadre normal de nos lois, de nos institutions, avec le personnel actuellement en exercice et dont nul ne peut nier le dévouement.
Que tous nos camarades fassent connaître autour d’eux, qu’ils portent au sein de leurs organisations ce projet de Plan d’Études Français.
Nous ne prétendons pas qu’on l’admette tel quel. Mais nous avons suffisamment d’expérience au sein de notre Groupe de l’Imprimerie à l’École pour affirmer que ce sont des bases sages, modérées, possibles pour l’action de rénovation dont le peuple entier sent aujourd’hui la nécessité. »

ANTONIO BENAIGES

Juin 1937

Assassiné ! C’est bien ce que j’ai lu sur ce papier envoyé d’Arcentales, par Demetrio Saez (de Banuelos) de Bureba (Burgea). Il y écrit textuellement : « Votre ancien professeur Don Antonio Benaiges Neges a été assassiné par les terroristes fascistes, le 25 Juillet 1936. J’ai pu me sauver des lignes fascistes où je me trouvais à Bilbao.

Il est enterré dans les montagnes Villa Franco de Oca. »

Ce ne fut pourtant pas un choc que je reçus, ni un coup de massue, ni seulement une secousse, ni même un ébranlement, puisque je recevais, hélas ! une confirmation froide et sûre, sans la moindre possibilité de réagir, d’espérer que la conviction intuitive pût être démentie par les faits.

Que sais-tu de Benaiges? m’avaient demandé des amis et des camarades. Et je répondais invariablement :

— Les fascistes l’ont fusillé. Il devait faire une conférence à Burgos sur « Notre Technique » (1) le 19 Juillet. Nous voici au début d’août. On ne sait rien de lui, nulle part... les fascistes l’auront fusillé.

Et puis, non ! ils ne l’auront pas fusillé; ils le retiennent prisonnier; et, qui sait ?... nous le reverrons, arrivant à l'improviste par ici, dans la rue, au prochain congrès pédagogique, à l’assemblée du syndicat, les bras grands ouverts pour nous étreindre, et prêt à se laisser envelopper par les nôtres, solidement.

Mais maintenant, notre étincelle d’espoir est éteinte, refoulée, ravalée amèrement, enfouie au plus profond de notre être. La lettre de Demetrio Sanz l’a achevée. Pire : elle a apporté la terrifiante précision : « Il a été assassiné.»

Nous disions habituellement : « les fascistes l’ont fusillé », sans nous rendre compte que les fascistes ne fusillent pas ; ils ne savent, ne peuvent pas fusiller : ils assassinent. Comme Demetrio dit naturellement et crûment cette aveuglante vérité : « Il a été assassiné par les terroristes fascistes » !

C’est vrai : Antonio BENAIGES n’a pas eu la bonne fortune de tomber le visage en avant, tenace et illuminé, dans la lutte acharnée qu’il soutenait contre la servitude du monde bourgeois, mille fois cruel...

Même pas cela ! Assassiné ! Et cela se passait la nuit, à la faveur de l’obscurité intense, en l’absence même des étoiles, car ses yeux scintillants auraient pu river leur regard à celui des assassins, et peser devant leur conscience l’accusation de leur félonie crapuleuse. Ils n’ont pas eu la hardiesse de le déchirer au grand midi, face à la pleine lumière du soleil, ou seulement pendant les heures claires de la nuit, quand la lune transforme en argent la face de la terre, parce que ses yeux vitreux, avant de se fermer, auraient fait du dernier reflet de soleil ou de lune une flèche aiguë, un dard adroitement dirigé dans leur âme de brigands, de telle sorte qu’elle soit consumée par le tison rouge du remords, peu à peu, lentement, comme à plaisir, à la façon du rongeur, et pressurée comme un linge humide.

Quelle balle, dis, BENAIGES, ou quel poignard a mis fin à tes jours ? Quelle balle, quel poignard a transpercé ton cœur, ton cerveau ? Peut-être ni l’un ni l’autre, après tout : plutôt quelque couteau à égorger les chèvres, quelque lame foncièrement fasciste, puisqu’autrement elle n’aurait pas mis fin à tes jours. Car, déjà, les choses elles-mêmes sont foncièrement fascistes ou antifascistes. Et l’arme meurtrière ne pouvait être que foncièrement fasciste comme eux, puisqu’ils n’oubliaient aucun détail, ne négligeaient aucun raffinement dans l’exécution de leur mauvais coup.

Et tout cela s’est produit le 25 Juillet. Juste une année auparavant, une enveloppe, recouverte d’une écriture Script magnifique, m’était remise par la porte de ma cellule de la 5e galerie de la Prison Modèle de Barcelone. Elle contenait une lettre si belle et si précieuse que je l’ai lue et relue bien des fois, que je l’ai même récitée comme une oraison, et dans laquelle on pouvait lire :

« Une année s’est passée sans le revoir ; je ne retournerai pas à Barcelone sans être passé chez lui, parce que je ne peux pas me faire à l’idée qu'il puisse s’écouler encore un an, une deuxième année entière sans que nous puissions nous rencontrer, nous parler, nous embrasser. Et plus d’une année s’est écoulée ! »....

Hélas ! « Quand le mouvement cessera », comme dit Demetrio, ton école s’ouvrira à la lumière et, en lettres de feu, vives comme des œillets rouges, tracées avec le sang de la victoire, se dressera un nom ; l’école s’appellera : « ECOLE BENAIGES ».

Si ceux qui doivent le faire oublient ce devoir, j’irai graver au-dessus de la porte ce nom ineffaçable. Et dans mon école, celle d’aujourd’hui ou celle d’alors, sur le fronton d’une salle restera toujours fixé un rectangle rouge avec ce nom : « BENAIGES »... le nom de la classe. Et puis, dans la galerie des maîtres — certainement : celle des MAITRES ton portrait sera reproduit comme celui de l’un des plus distingués et des plus valeureux que compte l’Enseignement.

Enfin, nous chercherons, dans les Montagnes de Oca l’endroit où ils ont jeté ton corps transpercé. Nous l’en arracherons et placerons près de lui une boîte contenant une presse métallique FREINET, une «police maternelle» future, un exemplaire de « La Mer » (2) et la lettre qui m’annonce la nouvelle du meurtre. Si nous ne retrouvons pas l’endroit précis, nous choisirons la cime, le sommet le plus haut de ces monts, plantant comme un étendard la pierre éternelle qui signifie : « Cette terre n’est pas de la terre, mais bien le sang et la chair du Maître ». Que passent les années et les siècles, et les hommes à venir pourront trouver là-haut un exemple toujours vivant, une personnalité toujours dressée, un homme toujours debout, le front dégagé, le visage ouvert, un Maître : le premier qui ait brandi sur ces terres embrasées de soleil ou pénétrées de froid, mais toujours opprimées et maintenues dans l’ignorance, la première flamme de la liberté, qu’il savait si bien propager...

Salut donc, BENAIGES.

PACO ITIR.

(Trad. de Eacola Proletaria, Barcelone, par R. LALLEMAND).

(1) Sur l'Imprimerie à l'Ecole.

(2) Il s'agit de la presse métallique destinée à l'imprimerie à l'école, de la police spéciale de caractères pour écoles maternelles et d'un journal imprimé par les enfants.