La réforme du certificat d’Études, le « bachot des gueux », 1er juillet 1937

Ce numéro spécial de l’Éducateur Prolétarien présente le projet de rapport qui sera envoyé aux auteurs de la réforme.

Un contrôle des connaissances avec l’aptitude à les utiliser pour tous les enfants et un examen des aptitudes à poursuivre au second degré. Des classes d’orientation permettraient de préparer cet examen.
On trouve dans ce rapport des propositions de modalités de l’examen, la réécriture de l’arrêté, le contenu des épreuves, l’organisation pratique….
Le tout pensé en lien direct avec la réforme des programmes qui est en projet également.
 
 
Avertissement
 
Ce rapport n’est pas le travail d’un homme. Un tel travail ne saurait présenter quelque valeur que s’il est l’œuvre de nombreux collaborateurs.
C’est bien ce que nous avons tâché de réaliser.
A la demande du Groupe Français d’Éducation Nouvelle, le Groupe du Nord des Amis de l’École Nouvelle et l’Éducateur Prolétarien ont ouvert une vaste enquête. Un questionnaire a été publié dans toutes les revues pédagogiques.
Une centaine de rapports ont été recueillis et minutieusement dépouillés.
Un premier rapport a été communiqué et discuté au Congrès de la Coopérative de l’Enseignement laïc le 28 mars.
A la suite d’un échange de vues entre les principaux artisans de cette enquête, après l’avis de diverses personnalités du mouvement pédagogique moderne : M. le Professeur Wallon, Mlle Flayol, MM. Vérel, Freinet, Guet, Hulin et autres, le présent rapport a pu être établi.
Simple projet susceptible d’être modifié et que nous offrons aux auteurs de la prochaine réforme en vue de les aider à améliorer dans toute la mesure du possible notre « bachot des gueux ».
 
Contrôle des connaissances et examen d’aptitudes
 
La réforme du Certificat d’Études Primaires, depuis longtemps souhaitée par l’ensemble des Éducateurs, devient d’une impérieuse nécessité – conséquence de la Réforme de l’Enseignement annoncée par le projet de loi Jean Zay.
Si ce projet Zay n’était, semble-t-l, un premier schème général de la réforme, on pourrait s’étonner que la modification du C.E.P., n’y soit déjà annoncée.
L’exposé des motifs du projet stipule pourtant : « Nous proposons de rendre obligatoire la possession du C.E.P. et d’exiger ainsi, de la part des futurs élèves de nos lycées, collèges, Écoles primaires supérieures et techniques un minimum de connaissances et d’aptitudes. »
Les termes « connaissances » et « aptitudes » semblent indiquer qu’on se propose de demander au C.E.P. d’être à la fois la sanction d’études terminées et un moyen de déceler les aptitudes à profiter des études à venir.
D’où une question préalable de première importance !
 
Le nouveau Certificat d’Études
 
Doit-il – ou peut-il – être à la fois
un examen de contrôle des connaissances et un examen d’aptitudes ?
 
L’examen, dans sa forme actuelle, peut bien tendre à estimer la possession de certaines connaissances et de certaines aptitudes, mais son manque absolu d’objectivité conduit à des résultats tellement confus qu’il n’est pas possible de persister dans cette voie. Donc, une réforme s’impose – et elle s’imposerait, même si la réforme de l’enseignement n’était pas envisagée.
Une troisième exigence se marque de plus en plus parmi les Instituteurs qui voudraient un examen dit de fon d’études du premier degré, accessible non plus comme l’examen actuel à 55 % des écoliers, mais à tous les enfants normaux.
En vue de résoudre la difficulté au mieux pour chacun, nous proposons deux solutions :
1re Solution. – Que le C.E.P. devienne – il ne l’est pas – un examen de contrôle de connaissances accessible à tous les enfants normaux dont la scolarité aurait été régulière.
- Que la possession du C.E.P. permette l’entrée dans une classe d’orientation où serait organisée d’une manière beaucoup plus sérieuse et durant une année, la première orientation.
- Un examen spécial serait peut-être organisé à la fin de cette année d’orientation en vue de désigner – compte tenu du travail scolaire – les élèves susceptibles de profiter de l’enseignement du second degré.
2e  Solution. – Si cette 1re solution – la meilleure nous semble-t-il – ne pouvait être retenue, nous proposerons l’institution d’un examen (A.B) comportant :
a) des épreuves A en vue du contrôle des connaissances et l’aptitude à les utiliser. Cette partie A resterait accessible à tous les élèves normaux.
b) une épreuve ou des questions B, d’un caractère différent, contrôle d’aptitudes :
Le succès aux épreuves A conférerait le Certificat d’Études.
Le succès aux épreuves A.B permettrait l’accès aux classes d’orientation là où elles seront créées et, ailleurs, l’accès en 6e.
 
Régime du Nouveau Certificat d’Études
 
Pour plus de clarté et à seule fin de marquer la différence entre le nouvel examen et l’ancien, nous donnons ci-dessous un texte destiné à servir de base à l’arrêté qui remplacera l’arrêté du 1er février 1924.
1. Les candidats au C.E.P. élémentaire doivent avoir atteint 12 ans révolus au 31 décembre de l’année où ils se présentent.
Une dispense d’un an sera accordée aux élèves susceptibles d’entrer dans l’enseignement du 2e degré (art. 6 du projet J. Zay).
Tous les enfants qui fréquentent les écoles primaires devront être présentés au moins une fois avant la fin de leur scolarité et les élèves retardés devront être présentés pour la première fois au plus tard dans leur 13e année.
2. L’inscription des candidats se fera comme par le passé, mais les parents qui désirent que leur enfant profite de l’enseignement du 2e degré devront produire une demande écrite. Aucun candidat ne doit figurer sur la liste avec la mention : « présenté par la famille ».
3. On instituera autant de commissions qu’il sera nécessaire pour éviter aux enfants des déplacements trop fatigants. (La correction des épreuves étant reportée à plus tard, la présence de l’Inspecteur n’est pas absolument indispensable et la responsabilité de la présidence pourrait être assumée par un directeur ou un professeur d’E.P.S. ou d’École Normale.)
4. Seuls les membres de l’Enseignement public en exercice peuvent faire partie des commissions.
5. La durée totale de l’examen n’excèdera pas 6 heures : 4 heures le matin ; 2 heures l’après-midi.
Diverses mesures sont à envisager pour réduire au maximum la fatigue des enfants (alternance de certaines épreuves par ex.)
6. Épreuves. (En raison de son importance, cette question est traitée à part). Voir plus loin.
7. Toutes les épreuves ont lieu à huis clos.
8. Les épreuves orales seront ou supprimées ou organisées sérieusement (voir plus loin).
On n’établira aucune distinction entre les épreuves dites autrefois de 1re et de 2e série.
9. La correction des épreuves sera effectuée la semaine suivante, soit au chef-lieu de canton, soit dans une autre ville.
C’est le seul moyen d’assurer :
- un contrôle vigilant des épreuves et d’organiser un oral sérieux si on le maintient ;
- une correction moins hâtive des copies d’après des barêmes soigneusement établis et uniformes.
Peut-être serait-ce là encore un moyen d’épargner aux enfants échoués le retour humiliant au village au milieu des camarades « triomphants ».
Les maîtres qui présentent des candidats seront présents au centre de correction et se tiendront à la disposition de la commission, porteurs des carnets de scolarité, à seule fin de donner leur avis en cas d’échec immérité de tel ou tel candidat.
10. La note zéro ne sera éliminatoire que si l’élève n’obtient pas un nombre de points supérieur de 5 unités au total général exigible.
Toutefois pour maintenir la valeur de l’épreuve d’orthographe, peut-être pourrait-on, en outre, convenir qu’au dessus de 5 fautes, le total général subirait un décompte progressif ; ex :
                                           6 fautes : ½ point
                                           7    ‘’      : 1 point
                                           8    ‘’       : 1p. ½
                                           9    ‘’      : 2 points
                                           10 ‘’      : 2 p. ½
           Au-dessus de 10 fautes : 2p. par faute
11. Les mentions sont supprimées.
12. Le succès au C.E.P. ne sera effectif et le diplôme ne sera remis aux lauréats qu’à la fin de la scolarité primaire et à la condition que l’élève continue à donner satisfaction au point de vue de la fréquentation du travail et de la conduite.
13. Tout en maintenant à l’examen son caractère essentiel de contrôle des connaissances, des mesures sont à envisager pour éviter que ces connaissances restent comme par le passé, le plus souvent verbales.
La forme et la nature des questions à poser doivent le permettre.
 
Épreuves
 
Le choix des épreuves est subordonné à la solution de plusieurs difficultés à résoudre préalablement. Nous en voyons quatre :
 
1. – La Réforme des programmes ne doit-elle précéder celle de l’examen ?
Ce serait, en effet, la première réforme à considérer et nous sommes les premiers à le demander. Seulement, depuis 14 ans que les programmes de 1923 sont soi-disant « appliqués », le Certificat d’Études qui devrait être le couronnement de ces programmes semble avoir évolué à part.
« Plus d’air, plus d’aisance, plus de lumière, plus de joie et, partant, plus de travail ». C’était le ferme désir du regretté P. Lapie et c’est dans la conclusion de la circulaire du 20 juin 1923 qu’il demandait tout cela. Ce qu’on a vu ? Les auteurs de manuels, tous rédigés, lit-on, « conformes aux programmes de 1923 », nous ont produit des ouvrages volumineux où les conseils de P. Lapie – sinon méconnus – ont été bien mal interprétés. Ah ! les manuels scolaires !!
Et le C.E.P., reflet de ces erreurs, a pris une forme de contrôle encyclopédique vraiment déraisonnable – on peut dire intolérable. De sorte que les Instituteurs se sont vus obligés de négliger les Instructions officielles et de préparer leurs élèves au C.E.P., de les entraîner à passer et en dernière heure de souhaiter qu’ils réussissent au C.E.P. ; véritable jeu de hasard pour les élèves moyens.
Dans ces conditions, tous ceux qui ont suivi avec une réelle amertume la mort des Instructions officielles en sont venus à penser que l’examen étant devenu le véritable régulateur des études, c’est d’abord l’examen qu’il faut réformer.
Tel examen, tel travail scolaire et nous ne pourrons guère avancer tant que le C.E.P. restera une revue-fatras de connaissances non assimilées, tant qu’on n’y fera pas la chasse au verbalisme, au « par coeurisme » vide, tant qu’il faudra « bachoter » pour y réussir.
Il va de soi que l’aménagement des programmes s’impose en même temps et ici nous ne saurions mieux faire que dire toute notre admiration pour le nouveau Plan d’Études Belge qui pourrait, à bien des égards – mutatis mutandis – nous servir d’exemple[1].
Beaucoup d’Instituteurs réclament des programmes limitatifs, notamment pour Histoire, Géographie, Sciences, où serait fixé d’une manière très précise, disent-ils, ce qu’un enfant de 12 ans doit savoir.
 
2. Nature des épreuves : tests ou épreuves habituelles
Les épreuves ordinaires ne sont plus très en faveur dans les milieux qui se réclament de l’Éducation Nouvelle. On assure que ces moyens de contrôle ont « fit leur temps » et non « leurs preuves ». On préfèrerait le TEST moyen de contrôle beaucoup plus scientifique.
Sans entrer dans les détails de cette importante question, et tout en marquent notre préférence pour les TESTS, convenons que le moment n’est pas encore tout à fait venu de les utiliser à l’exclusion des autres épreuves : personnel non préparé, manque d’un organisme central chargé d’élaborer ces tests, etc. Et puis, rappelons-nous avec Franklin que « la Vérité entre si difficilement dans la cervelle humaine qu’on peut la comparer à un clou qu’il faudrait enfoncer, non par la pointe, mais par la tête ». Bornons-nous donc à ceci :
1) Application à l’examen de certains procédés mis en lumière par les tests[2].
2) Fournir à chaque élève une copie des questions.
3) Préparer les questions avec soin ; ne poser aucune question ambiguë pour éviter la divergence des réponses, les établir de telle sorte qu’une seule réponse correcte soit possible.
4) Donner aux élèves des instructions précises sur le travail qu’ils ont à exécuter.
5) Apprécier objectivement d’après des règles bien définies.
6) Déterminer la durée des épreuves si cette durée est significative.
7) Utilisation, si possible, d’un test pour l’épreuve B.
 
3. L’Oral sera-t-il supprimé ?
C’est un vœu presque unanime du personnel.
S’il en est ainsi, supprimera-t-on toutes les épreuves qui constituaient la 2e série : lecture expressive, récitation et chant, calcul mental, éducation physique et demandera-t-on aux Inspecteurs d’assurer le contrôle de ces matières dans les classes ?
Certains demandent le maintien de la lecture expressive. D’autres pensent que l’épreuve de lecture silencieuse serait beaucoup plus probante.
On demande aussi que l’Éducation physique fasse l’objet d’un examen séparé, sorte de brevet physique scolaire.
On souhaite encore que l’épreuve de calcul mental soit écrite. D’autres estiment qu’il faudrait tenir compte du temps, donc procéder oralement.
Exigences difficiles à satisfaire toutes ensemble.
A seule fin d’indiquer comment nous souhaiterions que les épreuves orales soient organisées, nous supposerons qu’elles seront maintenues.
 
4. Deux examens A et B ou un seul examen (A.B.)
Provisoirement on peut prévoir un seul examen (A.B.), il suffirait :
1) Soit d’organiser la correction séparée des épreuves écrites de ceux qui déclarent vouloir suivre l’enseignement du 2e degré.
2) Soit d’ajouter certaines questions à quelques épreuves essentielles (à l’épreuve de lecture silencieuse, à l’épreuve d’arithmétique). (Voir plus loin).
3) D’instituer une épreuve B spécialement destinée à révéler les aptitudes. (Voir plus loin).
4) Pour plus de sécurité, les 3 mesures précédentes pourraient être prises à la fois.
Voici à titre d’exemple, quelle pourrait être la physionomie de l’examen complet. On notera ces 2 préoccupations dominantes :
1) Organiser un examen sérieux quoique simple.
2) Réduire le plus possible la fatigue des candidats par une alternance convenable des épreuves, par la suppression de toute attente inutile (pas de banquet interminable), par une organisation matérielle parfaite.
D’un mot :
Un examen sérieux, quoique simplifié et allégé qui ne sera plus ni une loterie, pour les candidats moyens, ni une simple formalité par aucun de ses aspects, ni une épreuve d’endurance pour les candidats, ni enfin, une foire aux médailles quelque peu ridicule.
 

Organisation pratique de l'Examen
 
Épreuve spéciale B - Test
 
L’Éducateur Prolétarien, n°18-19, 1er juillet 1937 dans son intégralité.
 
 
 
 
 


[1] Lire le numéro spécial de L’Éducateur Prolétarien, n°2.
[2] Voir Dottrens : Le Problème de l’Inspection, p. 174.