1936, 1966 et 2016 - Tome 2

Pourquoi ces dates ?
C'est simple : l'année 2016 verra les 80 ans de la victoire électorale du Front populaire (le 3 mai 1936) et le cinquantenaire de la mort de Célestin Freinet (le 8 octobre 1966).
Je souhaite donc rendre hommage à Célestin Freinet en m'arrêtant sur ses écrits en lien avec cette période particulière du Front populaire (1935-1938). Dès 1935, on y perçoit les espoirs de changement avec l'alliance politique du Front populaire en cours (Parti Socialiste, Parti Communiste et Parti Radical-socialiste) .

Tout au long de l'année 2015/2016, je proposerai  sur ce blog à la lecture quelques textes de Freinet.

Ceci est le deuxième tome, le premier est ici : 1936, 1966 et 2016

Un pas décisif, 1er octobre 1937

 Comptes rendus de Freinet de ses participations aux congrès de l’été.
Des congrès bien différents, le premier où l’enfant et les collectifs sont au centre avec des réflexions de sociologues, le deuxième où ce sont plutôt les problèmes d’éducation que rencontrent les éducateurs et les pédagogues, moment essentiel pour la divulgation des techniques du mouvement, le troisième celui de l’Imprimerie à l’École belge aux présentations et préoccupations communes avec le groupe français et le dernier, celui des jeunes instituteurs, groupe déjà intéressé par la Coopérative.  

 Avant de repartir pour l’année de travail efficient qui commence, il est bon que nous donnions, aux camarades qui n’ont pu assister aux diverses manifestations auxquelles nous avons participé, un peu du réconfortant optimisme que nous y avons gagné.

Rarement période d’été aura été si utilement remplie. Il faut dire aussi que l’occasion était vraiment unique, car l’exposition internationale a été l’occasion d’un rassemblement de philosophes, de psychologues et de pédagogues peut-être unique dans l’histoire. Et ce sera sans doute une des caractéristiques essentielles de cette exposition qu’elle a été merveilleusement doublée par une infinité de manifestations du plus haut intérêt qui n’ont pas été parmi les moindres attraits de Paris cet été.

 
 
CONGRÈS DE SOCIOLOGIE DE L’ENFANT
J’ai assisté d’abord, au début de Juillet, au 1er Congrès de Sociologie de l’Enfant, organisé par Mme Lahy-Hollebecque. Le thème général de ce Congrès était l’étude des sociétés d’enfants.
Pas de bien grandes nouveautés, car la plupart des sociologues vivent trop sur le passé sans mener, d’une façon originale, des expériences susceptibles d’éclairer ce passé par l’étude approfondie et véridique du présent. J’ai noté cependant : une expérience intéressante présentée par le camarade qui dirige l’Orphelinat ouvrier de la Villèlte-aux-Aulnes, sur la discipline scolaire par l’influence d’un groupe secret d’enfant, puissamment organisé, mais avec l’approbation et même le concours des dirigeants. C’est l’application du principe de la minorité dirigeante qui a, en éducation, ses avantages et ses inconvénients. Nous y reviendrons. Une émouvante évocation des comptines nivernaises par un camarade superbement artiste et qui a su les faire revivre et les expliquer d’une façon extraordinairement profonde.
J’ai personnellement pu faire une première communication sur « TRANSFORMONS L’ECOLE EN UNE SOCIETE D’ENFANTS PAR L’IMPRIMERIE A L’ECOLE », communication dont l’intérêt et la portée étaient encore amplifiées par l’importante exposition d’Imprimerie à l’École et de nos diverses réalisations dans une salle attenante où nos travaux furent très visités.
J’ai fait le lendemain une communication plus originale sur : « POINTS DE VUE NOUVEAUX SUR LE CONTE, SES POSSIBILITES ACTUELLES, SON AVENIR. »
Ce travail est pour ainsi dire une explication préalable de la tournure nouvelle que nous voudrions donner dans LA GERBE à nos CONTES MODERNES. C’est pourquoi nous publierons ici même ce rapport qui peut inciter quelques-uns de nos camarades à faire un effort original dans ce domaine.
Cette communication a été fort appréciée parce qu’elle apportait du nouveau, qu’elle ouvrait des horizons féconds, qu’elle montrait aux psychologues la possibilité d’aller plus avant et hardiment, loin des chemins traditionnels. Le monde, donc le milieu social, se transforment à une allure incroyable. Il s’agit de suivre cette évolution, d’examiner enfin avec quelque à-propos la véritable sociologie, non pas de l’enfant d’il y a cent ans, mais de l’enfant de notre époque chaotique et fiévreuse, mais si enthousiasmante aussi.
Nous sommes, nous, en plein dans cette vie, et c’est pourquoi nous jetons, dans toutes les directions, les bases nécessaires des futures recherches pédagogiques et sociologiques.
 
LE CONGRÈS INTERNATIONAL DE L’ÉDUCATION POPULAIRE
Il a été le rendez-vous de ceux que passionnent les problèmes d’éducation, de ceux qui sentent l’indigence des méthodes actuelles et qui, même non initiés, offrent un terrain propice à la divulgation de notre effort.
Et nécessairement, tous les participants de ce Congrès connaissent, de nom au moins, nos réalisations; ils éprouvaient un ardent désir de se documenter. Ils sentaient que nous apportons, à l'angoisse des pédagogues, autre chose que (les mots ou d'aristocratiques essais. Et tous voulaient connaître.
C’est ce désir presque unanime – unanime dirais-je, – qui a créé dans ce Congrès une atmosphère de si chaude et de si réconfortante sympathie autour de nos réalisations.
Et une telle sélection de préoccupations, à une si vaste échelle, est suffisamment rare pour que nous la signalions aussi. Nous l'avons mieux appréciée encore lorsque, le 2 août, nous avons installé notre exposition dans le hall du Congrès du Syndicat National. Là, ce n'étaient plus les pédagogues, les éducateurs, qui se réunissaient ; c’étaient les instituteurs-fonctionnaires. Ils passaient, préoccupés et absents, devant notre stand, comme s’ils n’avaient pas été du métier.
Et certainement, de nombreux délégués n’ont pas vu fonctionner nos presses.
On nous dira peut-être que l’action revendicative a aussi son urgence. Ce n’est certes pas moi qui le nierai. Je soutiens seulement qu’elle peut aller de pair avec la préoccupation pédagogique, mieux : qu'elle sera renforcée par elle le jour où nous aurons redonné de d’harmonie à la vie et à la lutte de l'instituteur-fonctionnaire-pédagogue.
Cette diversion peut donner une idée de l’atmosphère vraiment exceptionnelle du Congrès de l’Enseignement Populaire.
Une autre constatation aussi, qui est toute à l’honneur des éducateurs français : J’ai assisté à de nombreux Congrès Internationaux ; j’en connais les difficultés et je ne leur croyais pratiquement qu’un grand avantage : celui d’être de grandes rencontres au cours desquelles fraternisent des travailleurs qui ont les mêmes préoccupations de foi en le progrès humain et de dévouement à l’enfance.
Mais je connais aussi l’habitude de ces Congrès : une grande affluence à la séance d’ouverture, puis toute l’assistance s’envole et ne restent que quelques groupes de passionnés qui suivent minutieusement conférences et discussions.
Le même fait se serait produit à Paris, j'en aurais été moins étonné encore puisqu'il y avait l’Exposition à visiter, si attirante.
Non ! Le Palais de la Mutualité a connu pendant une semaine une animation très soutenue et on a jugé de l’éducation pédagogique de ces éducateurs en voyant avec quel instinct, ou quelle sagesse, ils se portaient vers les salles où se traitaient les questions vitales, délaissant sans pitié le grand amphithéâtre où les officiels péroraient devant un haut-parleur qui répercutait les paroles dans une salle vide.
Et cela aussi était un vigoureux enseignement.
Notre exposition, réduite et concentrée certes, .n’en a pas moins grandement contribue à asseoir ce puissant intérêt qu’on sentait porté vers nos techniques. Des centaines et des centaines d’éducateurs français et étrangers se sont renseignés, ont vu fonctionner notre matériel, se sont enthousiasmés devant nos réalisations. Ils se sont pénétrés aussi de l’importance et de la cohésion de notre groupe. Ce n’était pas Freinet qui participait au Congrès et qui exposait, mais la Coopérative de l’Imprimerie à l’École. Boyau, en une intervention originale sur le cinéma, venait accentuer l’opinion des auditeurs sur la malfaisance pédagogique des bonzes exploiteurs et profiteurs de cette technique ; Davau, remplaçant Pagès, faisait sur les Disques C.E.L. une conférence du plus haut intérêt et que nous publions ; tous les camarades présents participaient aux démonstrations et à la vente. Et nous voyions parfois, dans un coin de la salle, autour du stand, un de nos adhérents, un Cazanave, un Tessier, et tant d’autres, expliquer à des instituteurs passionnés ce qu’ils réalisent dans leur classe.
Une atmosphère merveilleuse était créée pour le succès de la Conférence que je devais faire le mardi sur notre technique. A cette atmosphère, les organisateurs eux-mêmes y ont été sensibles, puisque, avec une bonne grâce et une amabilité auxquelles je suis heureux de rendre ainsi hommage, après nous avoir, en toutes occasions, facilité notre travail, ils se sont ingéniés pour nous affecter une grande salle à la place de la salle réduite où je devais prendre la parole.
Heureuse idée d’ailleurs. Car c’est devant une assistance très nombreuse que j’ai pu commencer mon exposé. Et preuve de l’attrait de mon exposé, les auditeurs, abandonnant d’autres salles et d’autres conférences, n’ont pas cessé d’affluer au cours des deux heures de mon exposé. Et une attention soutenue, un silence religieux, fréquemment coupé d’applaudissements enthousiastes. Une salle splendide comme disent les habitués des réunions publiques.
Et là, débordant l’abrégé que j’avais préparé et que je devais lire en trente minutes, j’ai pu traiter à fond le problème complet de notre technique nouvelle, devant plus d’un millier d'éducateurs de toutes les régions de France, un millier d’éducateurs qui seront sous peu nos adhérents.
Et ce succès — j’ai tenu à le marquer et je veux le répéter ici — il ne saurait être dû à mon éloquence plus que relative, mais bien aux réalisations pratiques dont je faisais l’exposé et dont les auditeurs avaient eu au préalable une idée pratique à l’examen de nos travaux. Ils comprenaient alors que cet exposé n’était pas, comme tant d’autres, que du verbiage, mais la relation de possibilités pratiques nouvelles, la promesse immédiatement réalisable d’un véritable renouveau dans l’enseignement populaire, le sentiment que la pédagogie changeait véritablement de sens et que nous allions enfin moderniser notre enseignement, pour l’adapter aux réalisations et à la vie contemporaine, pour le rendre aussi tout à la fois, plus efficient, plus humain et plus libérateur.
Le succès complet et total de cette conférence devrait avoir une heureuse répercussion sur le développement, au cours de l’année qui commence, de notre technique et de nos réalisations.
 
CONGRÈS DE BRUXELLES
Entre temps, j’avais fait une courte apparition à Bruxelles, où notre ami Mawet avait organisé, pour le 25 Juillet, le premier Congrès de l’Imprimerie à l’École belge.
La veille au soir, je parlais à l’École de Paudure, devant les parents d’élèves auxquels s’étaient joints quelques éducateurs ou personnalités des environs. Dans cette même salle de l’école où j’avais parlé deux ans auparavant, j’étais présenté à nouveau par notre ami Fernand Dubois. Inspecteur Principal, qui sut, en quelques observations frappantes, faire comprendre ce que nos techniques apportent de nouveau dans nos classes. Après que les élèves de Mawet aient donné une petite séance de danse et rythmique avec les disques C.E.L., j’ai donc parlé aux parents assemblés. Je leur ai montré la nécessité de moderniser notre enseignement pour lui donner intérêt et efficience. Et ces parents, non habitués aux spéculations intellectuelles, ont pu suivre pendant deux heures, l’exposé de nos réalisations.
Le lendemain donc, Congrès de l’Imprimerie à l’École belge dans une grande salle aimablement mise à notre disposition par Mlle Wauthier.
Caractéristique de ce Congrès : il y a là les déjà anciens adhérents de l’Imprimerie à l’École, mais il y a aussi, à côté de M. Fernand Dubois, plusieurs autres Inspecteurs qui sont depuis longtemps de fervents adhérents de notre mouvement. Un de ces Inspecteurs pense même avoir une imprimerie dans chaque école de son canton à la rentrée prochaine.
L’intérêt que les Inspecteurs belges portent à notre technique n’est pas anormal d’ailleurs dans un pays qui applique maintenant le Nouveau Plan d’Études, et où les idées semées par Decroly poussent aujourd’hui en une si belle floraison.
Le matériel et les nombreuses réalisations exposées d’ailleurs dans la salle du Congrès donnaient une idée réconfortante du développement que notre technique prend en Belgique.
Après Fernand Dubois, après mon exposé, Mawet, puis Lallemand, qui était venu des Ardennes, parlèrent l’un de l’organisation des échanges, l’autre du fichier. Puis, Mme Mawet exposa longuement la pratique de la lecture par l’Imprimerie à l’École dans les Écoles Maternelles et Enfantines.
Nos disques, qui intéressent à un si haut point nos amis belges, furent aussi auditionnés.
Voilà une manifestation réconfortante qui pose à notre camarade Mawet des problèmes nouveaux d’organisation et de réalisations. Pour y faire face, ils lancent une petite revue mensuelle L’IMPRIMERIE A L’ECOLE, qui servira de lien indispensable entre les adeptes belges de nos techniques.
Cela n’empêchera pas d’ailleurs — au contraire — la diffusion de nos revues L'EDUCATEUR PROLETARIEN et LA GERBE surtout qui, nous l’espérons, seront de plus en plus lus en Belgique.
Nous continuerons à collaborer, dans tous les domaines, matériel et pédagogique, avec notre Coopérative sœur de Belgique pour notre plus grand avantage commun.
 
CONGRÈS DES JEUNES INSTITUTEURS
Il se tenait à Gentilly, et, naturellement, nous y avons exposé notre matériel et nos réalisations qui ont profondément intéressé nos jeunes camarades.
J’ai aussi salué le Congrès au nom de notre coopérative afin de sceller solidement cette Union entre Groupe de jeunes Instituteurs et Coopérative, union qui a déjà donné d’excellents résultats.
Puis, par les soins d’excellents camarades parmi lesquels notre dévoué Joachim, le même matériel était transporté à Issy-les-Moulineaux, où se tenait le Congrès de l’Internationale de l’Enseignement.
Célestin Freinet
 
L’Educateur Prolétarien, n°1, 1er octobre 1937 dans son intégralité
 
 
 
 
 
 
 

 

Plus que jamais, travail coopératif, 15 octobre 1937

Lors d’une réunion du Groupe Français d’Éducation Nouvelle à Paris, Freinet et ses camarades présents sont déçus de la forme qui reste académique avec une organisation bureaucratique qui ne sollicite pas les militants de province qui pourtant ont réalisé un énorme travail pour la création de sections départementales. 

Freinet va exprimer ses critiques tout en souhaitant le développement du G.F.E.N. une nécessité pour l’éducation nouvelle. S’’il ce dernier n’en devient pas l’organisateur où tous coopèrent, il piétinera et mourra.

Ce discours franc a été entendu par le G.F.E.N. et le travail repart sur de nouvelles bases.
 
L’Exposition Internationale de Paris a été l’occasion d’une sorte de grande rencontre des éducateurs. Il était naturel que tous ceux qui s’intéressent à l’éducation nouvelle en profitent pour discuter fraternellement de l’évolution de ce mouvement.
Le Groupe Français d’Éducation Nouvelle, en la personne de Mlle Flayol, avait convoqué une journée d’éducation nouvelle le 1er août, à l’Ecole Nouvelle de Bellevue, aimablement mise à notre disposition par Mme Roubakine. Cela nous aura été une occasion d’ailleurs pour admirer un site incomparable avec son parc, ses grands arbres, ses jardins, ses frondaisons, et pour visiter l’école de Mme Roubakine où nous avons noté bon nombre d’initiatives qui mériteraient d’être mieux connues.
Nos camarades étaient venus nombreux à cette réunion parce qu’ils avaient l’espoir d’y voir discuter et éclaircir la position et l’action du Groupe Français d’Éducation Nouvelle pour lequel nous avons mené, au cours de l’année, une active propagande. Nous étions bien décidés, nous aussi, à ne pas nous contenter d’une rencontre académique et protocolaire. En prolétaires que nous sommes, nous avons appris, hélas ! à nous méfier des discours creux et condescendants à souhait ; nous ne voulons plus qu’on nous amuse avec de belles paroles ; en éducation plus qu’ailleurs encore, nous désirons la clarté la plus complète et la virilité dans l’action. C’est à cette seule conditions que nous sommes prêts à apporter à toute œuvre généreuse notre plus ardente et notre plus totale collaboration.
Nous reconnaissons volontiers que l’assemblée ainsi convoquée n’était pas autorisée à discuter statutairement de la vie du Groupe. Mais quelle assemblée, mieux que celle-ci, pouvait à ce jour, parler avec autorité du mouvement d’éducation nouvelle ? Il y avait là des camarades de nombreux départements qui ont fondé chez eux des sections du Groupe et qui sentent la nécessité d’agir s’ils ne veulent point avoir fait œuvre vaine ; d’autres camarades se proposaient à la rentrée, de créer leurs groupes. Le vent nous était favorable, mais il fallait à tout prix montrer que nous étions décidés à agir. Le piétinement dans des formes impuissantes et usées, la faillite de toutes nos promesses auraient été la mort définitive du mouvement d’éducation nouvelle existant.
Nous ne l’avons pas voulu, et, avec quelque âpreté peut-être, âpreté qui s’explique par la part de responsabilité que nous avons aujourd’hui dans l’évolution de ce mouvement, j’ai, pendant toute la journée, défendu la nécessité de faire, du Groupe Français d’Éducation Nouvelle, l’organisateur de toute l’action à mener en France sur le plan scolaire et social de l’éducation nouvelle.
J’ai eu – et je regrette d’y avoir été contraint – à lutter pour cela contre toute l’organisation actuelle du groupe Français, trop exclusivement parisienne, donc trop bureaucratique, qui sous-estime la valeur et les possibilités des nombreux camarades de province et qui n’a rien su faire jusqu’à ce jour pour les faire travailler. Je l’ai affirmé avec la dernière énergie : ou bien le Groupe Français tiendra le plus grand compte de ces enthousiastes énergies en se décentralisant et en donnant à la province LA PART DE DIRECTION ET D’ACTION qui lui revient, ou bien nos camarades se désintéresseront d’un groupement quine leur est point propre, dont ils ne se sentent pas les ouvriers essentiels, et cette fois le Groupe Français ne ressuscitera pas.
On a cru que je posais un ultimatum et des personnalités que nous savons totalement dévouées et à qui nous ne cesserons de rendre hommage – je pense tout spécialement à Mlle Flayol, l’âme du groupement, et au professeur Wallon – ont protesté contre cette façon brutale de poser le problème. Mais ce n’est pas nous qui posons le problème : le problème est posé par les événements ; nous ne pouvons pas, quant à nous, esquiver la solution. Il y a dans nos sections un malaise latent né du fait qu’on sent la direction parisienne trop timide dans l’action. Nous ne pouvons piétiner. Pour un mouvement d’éducation nouvelle, piétiner c’est reculer et sombrer ; l’avant-garde doit sans cesse, malgré les obstacles, pousser hardiment, même s’il faut pour cela dénoncer quelques protocoles ou nous séparer de certains éléments qui se faisaient une autre idée du mouvement d’éducation nouvelle.
Nous le répétons ici franchement : LE GROUPE FRANÇAIS NE SAURAIT ÊTRE POUR NOUS UN SIMPLE PARAVENT. OU BIEN IL EST L’ORGANISATEUR ATTENDU DU MOUVEMENT, OU BIEN NOUS LE LAISSERONS MOURIR POUR CHERCHER AILLEURS UNE NOUVELLE FORME POSSIBLE D’ORGANISATION NATIONALE.
C’est pour que le Groupe Français vive, c’est pour qu’il devienne vraiment l’animateur de tout le mouvement d’éducation nouvelle en France que nous avons apporté à la réunion des propositions concrètes de collaboration et d’action.
Il faut travailler surtout ; et il faut organiser ce travail. Là réside le vrai problème car, pour y réussir il faut, outre la tâche d’organisation que nous savons très prenante, une direction incessante, énergique et parfois même quelque peu dictatoriale ; il faut aider les camarades à travailler chacun dans le sens pour lequel il se sent aptitudes et possibilités ; il faut encourager les indécis, coordonner les velléités, faire éclore les œuvres et les utiliser.
Nous ne saurions reprocher à la direction actuelle du groupe de n’avoir pu réussir une semblable action, œuvre de longue haleine, œuvre d’équipe pour laquelle il faut recruter d’urgence les équipiers.
Nous sommes prêts à apporter notre pierre, dans le domaine qui nous est propre : celui de l’éducation populaire au premier degré, persuadé que des collaborations similaires pourront se faire jour dans les autres degrés d’enseignement.
Chose paradoxale : c’est cette collaboration qu’on sait totale et effective qui effraye quelque peu les dirigeants du Groupe, et nous ne sous-estimons pas leurs raisons.
On est aujourd’hui obligé de se rendre à l’évidence : quand on parle éducation nouvelle populaire, en toutes occasions, dans tous les départements, le Groupe de l’Imprimerie à l’École se présente comme seul réalisateur ; quand il faut organiser des tournées de réunions nos adhérents sont les seuls à offrir leur bonne volonté ; quand il s’agit de réaliser, seuls les membres de la C.E.L. encore restent sur la brèche.
Alors, le Groupe Français redoute avec quelque raison que, en utilisant à fond nos bonnes volontés, il apparaisse trop, pour le premier degré du moins, comme animé par un Groupe d’éducateurs susceptibles parfois d’effrayer certains adhérents.
Nous regrettons aussi, très sincèrement, cette alternative. Ou plutôt, nous pensons que, quels que soient nos désirs, nous sommes en face de certaines réalités et qu’il s’agit de réagir au mieux à ces réalités.
Il est trop tard pour se lamenter sur l’apathie des éducateurs hors de notre Groupe. Le dilemme est grave : ou bien le Groupe Français vit et travaille, même avec notre totale collaboration ; ou bien il piétine et meurt et nous ne saurions le suivre dans son suicide.
Nous avons voulu résumer ici, pour nos lecteurs, l’essentiel de la longue et passionnante discussion qui se prolongea tout l’après-midi du 1er août. Nous avons essayé de vous faire sentir le tragique de la situation telle qu’elle se présentait pour que vous ayez l’assurance que nous n’avons pas craint de parler clairement et fermement pour dissiper un équivoque qui nous paralysait.
Nous avons obtenu satisfaction :
1) Nous sommes mandatés par le Groupe Français d’Éducation Nouvelle pour nous occuper, au sein du Groupe, de toutes les questions qui nécessitent discussion et pour lesquelles nous faisons appel aux bonnes volontés et aux compétences :
L’Éducation nouvelle à l’école du premier degré ;
La scolarité prolongée ;
Les examens ;
L’éducation physique
La pédagogique de la post-école : patronages, loisirs, colonies de vacances, etc. ;
Le matérialisme scolaire : locaux et matériels.
Dans un de nos prochains numéros ainsi que dans la revue du Groupe « Pour l’Ère Nouvelle », nous publierons un questionnaire préparatoire pour l’organisation des équipes de  travail.
Il faut aujourd’hui que l’éducation nouvelle élargisse son rayon, qu’elle ne se cantonne plus dans la seule pédagogie scolaire mais qu’elle fasse comprendre aux masses populaires et à leurs dirigeants la nécessité des principes que nous préconisons.
Nous devons – et l’assemblée a été de cet avis – aller résolument vers les masses, sans sectarisme certes, mais sans crainte aussi de certains abandons. La Nouvelle Éducation de Mme Guérite groupe de plus en plus en France tous ceux qu’effrayent les progrès populaires. Les positions sont prises désormais.  Le Groupe d’éducation nouvelle doit travailler hardiment au sein du Front populaire et pour le succès éducatif de ce Front populaire.
2) La direction du groupe sera, dès cette année, réorganisée au mieux, avec la plus large collaboration possible des éducateurs susceptibles d’y travailler. Nous faisons confiance à Mlle Flayol pour cette réorganisation.
3) Il sera convoqué, en août prochain, un Congrès du Groupe Français d’Éducation Nouvelle, Congrès dont les délégués seront régulièrement mandatés par les sections départementales et qui sera en mesure de donner au Groupe une organisation et une vie définitives.
 
***
Nous n’ajouterons qu’un mot.
Notre action au sein du Groupe a toujours été loyale et franche. Nous avons reconnu publiquement la nécessité de le faire vivre et de le développer car il est susceptible d’agréger de nombreuses bonnes volontés qui ne sauraient pour l’instant venir à notre Coopérative, atelier de travail. Si nous créons des sections dans les départements, si nous voulons réorganiser le Groupe Français, ce n’est point pour nous en rendre les maîtres exclusifs. Nous essayons au contraire de susciter de nouvelles bonnes volontés, qui, à côté de nous, en liaison avec nous, travailleront sur un plan légèrement différent au succès de l’éducation nouvelle.
Ces sections du Groupe et le Groupe Français peuvent faire beaucoup pour l’élargissement et l’épanouissement de notre action ; ils seront comme un milieu de résonnance harmonique à cette action. Nous continuerons à y apporter notre collaboration totale, sans aucune manœuvre d’aucune sorte, persuadés que nous sommes que tout effort qui va dans le sens de l’éducation nouvelle populaire ne saurait que nous être favorable.
C’est dans cet esprit que nous demandons à tous nos camarades :
D’animer les sections aujourd’hui existantes, d’y travailler effectivement et d’y organiser si possible le travail avec des éléments étrangers à notre Coopérative ;
De créer ou de pousser à la création de sections partout où il n’en existe pas encore. Nos camarades ne doivent être à la direction de ces sections que lorsqu’ils n’y a vraiment pas d’autre possibilité de travail. Entrer pour cela en relation avec Mlle Flayol.
Il faut que, en août prochain, chaque département, chaque circonscription importante aient leur section du G.F.E.N. et que nous nous rencontrions nombreux à Paris pour y mettre définitivement debout l’organisation qui fera faire à l’éducation nouvelle en France un pas décisif.
Célestin Freinet
 
 
 
 
L’Éducateur Prolétarien, n°2, 15 octobre 1937 dans son intégralité

 

Vers un nouveau Plan d’Études Français, 31 octobre 1937

 

La réforme avance ; la concertation et l’expérimentation sur le terrain semblent préoccuper le ministère. Les éducateurs, les inspecteurs se tournent vers l’Imprimerie à l’école, mais plus largement, c’est la Technique Freinet qui doit enrichir les expériences en cours.

Les camarades sont invités à réaliser coopérativement la mise au point des techniques dans leurs classes, puis d’envoyer leurs communications pour la revue, en particulier celles qui se rapportent à la scolarité prolongée et aux horaires réduits. Il est important de participer à cette « œuvre commune » d’école populaire.
Le débat à l’intérieur du mouvement est indispensable, c’est de la confrontation d’idées que pourront sortir les préconisations à adresser aux éducateurs et au ministère.
Dans ce numéro, il sera traité de la scolarité prolongée.
 
L’an dernier, avant même que s’amorcent les réformes scolaires dont nous sentions l’urgence, nous donnions en exemple les réalisations belges et nous indiquions le sens dans lequel devaient s’opérer ces réformes.
Nous n’avions point la prétention de présenter un Plan précis et définitif. Nous apportions des idées, nous suggérions des possibilités, persuadés que, le moment venu, directement ou non, notre action porterait ses fruits.
Un nouveau Plan d’Études Français se prépare, et, ma foi, fort méthodiquement. Aux camarades qui pourraient être impatients de la lenteur avec laquelle s’opère la transformation, nous dirons que nous redoutions justement le contraire. Nous craignions qu’un projet définitif et général sorte un jour des bureaux ministériels, projet hâtif, insuffisamment étudié par les techniciens eux-mêmes, et qu’il nous aurait fallu pourtant adopter tant bien que mal.
Nous ne saurions trop louer la prudence et l’intérêt de la tactique ministérielle qui paraît accorder une très grande importance à l’expérimentation à la base, et attend des résultats de cette expérimentation les directives pour la coordination indispensable. Tactique qui est la nôtre et dont nous ne saurions donc que nous féliciter : A nous de travailler, de pénétrer de nos techniques l’expérience en cours afin que le résultat définitif soit à la mesure de nos espérances.
 
***
Deux grandes expériences, deux amples enquêtes sont en cours et sont susceptibles, si les éducateurs intéressés savent y contribuer, de changer la figure désuète de notre enseignement : la scolarité prolongée, la réduction des horaires dans les écoles primaires.
A l’occasion de ces expériences, les éducateurs sentent eux-mêmes la nécessité de briser les vieux cadres et de rénover des méthodes sur l’efficacité desquelles on commence à douter. Les éditeurs eux-mêmes se réservent et se demandent quels livres ils vont lancer pour continuer, au sein de ces expériences, une technique qui leur a valu et qui leur vaut tant de beaux bénéfices.
Alors les camarades et les Inspecteurs eux-mêmes se tournent vers nous. A défaut d’autres innovations, ils sentent que l’Imprimerie à l’École avec les échanges qu’elle permet d’organiser, est une des rares activités actuellement techniquement possible et qui intéressent et instruisent les enfants. Ils ont raison. Mais l’Imprimerie à l’École n’est pas tout et nous pensons que la Technique Freinet, telle que nous l’avons aujourd’hui définie et mise au point, est susceptible de donner un sens nouveau aux expériences en cours.
Nous allons étudier successivement les possibilités que nos techniques offrent, dans les deux cas, aux camarades qui sont chargés d’appliquer des instructions ministérielles que nous estimons larges et compréhensives.
Selon notre habitude, nous n’apportons pas une technique absolument prête pour tous les cas. Ce sont des possibilités nouvelles de travail que nous vous offrons, une façon plus efficiente de prévoir l’organisation de l’effort scolaire dans les divers cas. Il appartient aux camarades mêlés directement à l’expérience de travailler eux-mêmes, coopérativement, à la mise au point définitive de nos techniques dans leurs classes. Et, dès aujourd’hui, nous publierons volontiers toutes les communications se rapportant soit à la scolarité prolongée, soit aux horaires réduits.
C’est de la confrontation de nos idées que doivent surgir les directives nouvelles que nous suggérerons à tous les éducateurs et aux pouvoirs publics. La Coopérative de l’Enseignement Laïc, l’Imprimerie à l’Écolepratiquent depuis douze ans cette coopération effective. Nous mettons notre organisation, notre publication au service total de ceux qui veulent apporter leur pierre à l’œuvre commune.
Il n’y a, à l’Éducateur Prolétarien, aucun crédo, si ce n’est celui du dévouement coopératif au service de notre école populaire.
 
 

L’ANNÉE DE SCOLARITÉ PROLONGÉE

 

Tout reste à faire dans ce domaine, et il y a beaucoup à faire.
Les camarades, les parents d’élèves, les administrateurs eux-mêmes, sentent bien que cette année de scolarité prolongée ne peut pas continuer avec les normes habituelles. Et ce sentiment est une preuve que les techniques traditionnelles ont fait leur temps et que, pour peu que nous y aidions, une transformation radicale peut s’opérer dans tout notre enseignement.
On sent donc qu’on ne peut pas, avec des enfants qui seront, dans quelques mois, intégrés à la production et à la vie sociale, continuer à faire des leçons traditionnelles, à donner des devoirs, à perfectionner le verbiage scolastique. « L’année de scolarité prolongée doit être employée, dit A. Richand, dans le Journal des Instituteurs, à organiser le savoir antérieurement acquis et à préparer les enfants à l’action clairvoyante et réfléchie dans le domaine professionnel et dans le domaine social. »
Je crois que nous pouvons affirmer sans nous vanter que nous seuls avons d’avance réfléchi au problème et apportons des réalisations cohérentes et longuement étudiées qu’il sera facile d’adapter dans les classes de scolarité prolongée.
C’est cette technique que nous allons indiquer.
 
***
Il faut cesser, avec ces enfants, tout inutile verbiage et étudier : d’une part, les bases matérielles et matérialistes de leur enseignement ; d’autre part, leur intégration la plus rapide possible à la vie sociale et professionnelle.
Nous avons une technique qui convient parfaitement à la deuxième exigence et qui est en même temps une des plus passionnantes réalisations matérielles : L’IMPRIMERIE A L’ÉCOLE.
Il ne devrait pas y avoir de classes de scolarité prolongée sans matériel d’imprimerie à l’École et accessoires (limographe, géline, nardigraphe, machine à écrire).
Lorsque, conformément aux Instructions Ministérielles, ces enfants seront allés sur place, dans la production même, faire quelques judicieuses enquêtes, il faut qu’ils puissent en rédiger et en imprimer le compte-rendu, qu’ils puissent illustrer ce compte-rendu de plans et de dessins (limographe, géline et nardigraphe) ; il faut qu’ils aient la possibilité de joindre à leur documentation permanente des pages polycopiées (pour plusieurs élèves à la fois) propres et pratiques (machine à écrire). Il faut que vos enfants sentent que leur effort sert la petite et la grande communauté, que leurs recherches seront appréciées par d’autres enfants qui, à des centaines de kilomètres, travaillent selon les mêmes normes et pour des buts identiques. (Échanges interscolaires).
Nous plaçons ces techniques à la base de l’effort nouveau. Partout où elles seront introduites dans les classes de scolarité prolongée, la vie sera heureusement bouleversée. L’enseignement y changera de forme; les livres et les devoirs évolueront comme dans nos classes vers l’activité voulue et dirigée seulement par le maître.
Après les nombreuses expériences déjà faites et toutes concluantes, il faut que nous posions comme principe essentiel à la vie et à l'activité efficiente dans les classes de scolarité prolongée, l’achat :
– au moins d’une Imprimerie à l’École avec un Limographe C.E.L.,
– et, si possible, d’une machine à écrire.
Munies de ce matériel, ces écoles pourront rédiger et tirer un journal scolaire et documenté dont les pages constitueront pour chaque élève le plus merveilleux et le plus utile des livres de classe.
Il faut ensuite organiser la DOCUMENTATION.
Documentation ! Avant nous, ce mot était inconnu dans nos classes. Les manuels scolaires n’apportaient-ils pas, méthodiquement classée, la documentation nécessaire et suffisante ?
Pour ces enfants qui, demain, n’auront plus, pour les guider, aucun manuel valable dans les diverses circonstances de la vie, il faut préparer une technique qui les habitue au travail individuel et vivant. C’est cette technique qui trouve son expression dans notre Documentation.
LE FICHIER SCOLAIRE COOPÉRATIF sera un des instruments essentiels pour le nouvel effort d’élaboration et d’acquisition. Le Fichier de base que nous avons édité peut rendre de grands services, surtout parce qu’il est un embryon tout prêt qu’il suffit de développer et d’enrichir.
Mais cet achat n’est même pas indispensable.
Prenez du carton fort 13,5x21 (nous en livrons de deux sortes, du blanc, plus cher, et du dossier couleur, plus abordable) et du carton format double 21 x27. Collez là-dessus tous les documents que vous possédez. Demandez surtout aux enfants de participer à la confection de ce Fichier en apportant eux-mêmes tous les documents qu’ils peuvent se procurer, en écrivant à leurs correspondants, en demandant des documents aux Sociétés diverses, aux Agences de tourisme, etc. La recherche de ces documents est, par elle-même, profondément éducatrice.
Lorsque les élèves auront eux-mêmes fait un travail intéressant pour leurs camarades et c’est là le but à rechercher ils en tireront également une fiche qui restera dans le Fichier.
De même que le journal scolaire fixe et matérialise pour ainsi dire les pensées intimes des enfants, le FICHIER SCOLAIRE COOPÉRATIF en fixera et en matérialisera les connaissances et les acquisitions. Il sera une sorte d’encyclopédie vivante et perfectible qui est en même temps un modèle de travail moderne, une réalisation qui décharge l’esprit, ordonne les connaissances, enrichit véritablement les individus qui apprendront ainsi à reposer leur mémoire par l'ORGANISATION. (Ces documents sont judicieusement classés selon une classification décimale dont nous avons publié en détail tous les éléments dans notre brochure : « Pour tout classer ».)
Mais le Fichier Scolaire ne peut pas contenir tous les documents. De nombreux livres, pourtant indispensables, ne peuvent pas être mis en pièces. Nous les réunissons dans notre BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL et nous supprimons totalement et résolument tous les manuels d’étude.
Nous avons dit : à ce degré pas de leçons, pas de devoirs traditionnels ! Il ne faut pas craindre de heurter la tradition. Et au lieu de donner à chacun de nos élèves, une dizaine de livres nouveaux individuels, nous constituerons une BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL coopérative, qui, ne contenant aucun élément en double, pourra être d’une extrême richesse.
Fichier scolaire et Bibliothèque de Travail seront les piliers essentiels du travail nouveau. La Bibliothèque de Travail surtout devrait être très riche et adaptée à l’enseignement que nous désirons donner. Là, réside la principale difficulté, car il n’y a pas eu jusqu’à ce jour de technique pour l’édition d’une Bibliothèque de Travail pour enfants. Nous avons entrepris cette édition et, si le nombre de nos adhérents allait rapidement croissant, nous trouverions certainement un éditeur équipé pour pousser à fond cette réalisation. En attendant, vous ferez comme nous : vous tâcherez de vous procurer un ou plusieurs dictionnaires (il en existe certainement dans le commerce qui seront très utiles à ce degré); les manuels de classe pourront y figurer pour leur nouvelle utilisation; d’autres livres documentaires ou techniques seraient trouvables dans le commerce. Si les camarades travaillant dans ces classes le veulent bien, nous pourrons, avec leur collaboration permanente, poser cette question de la Bibliothèque de Travail pour classes de scolarité prolongée.
Et maintenant, plus de leçons, plus de devoirs, mais une activité voulue, qui a un but, pour laquelle on se donne pleinement.
Mais il ne s’agit pas de dire : les enfants vont où bon leur semble, vers les activités qui paraissent les intéresser. Si cela pourrait être vrai avec des enfants habitués de toujours à travailler librement et qui savent ce qu’est le travail spontané, il ne saurait être de même avec des enfants qui ont subi pendant huit ans la discipline scolastique. A ces enfants, il faut une règle, une technique de travail.
La technique des manuels, des leçons et des devoirs est une technique. Nous la croyons désuète et impuissante. Nous préconisons une autre technique, celle des Plans de Travail et des Conférences.
Nous donnons le détail de cette technique dans la brochure n° 3 d’Éducation Nouvelle qui va paraître. Nous en donnerons aujourd’hui seulement les caractéristiques essentielles. L’École doit être comme une usine moderne bien organisée où nul ne fait du travail inutile et où chacun s’applique à la besogne qui lui convient le mieux et pour laquelle il a le plus d’aptitudes.
Les Plans quinquennaux en U.R.S.S. ont été décisifs pour le relèvement économique du pays. Nous dressons, nous aussi, nos plans annuels pour les diverses disciplines du programme : nous marquons tous les sujets à traiter en spécifiant au mieux la question précise qui peut être traitée. Chaque enfant traitera un point. Mais le même point ne sera jamais traité deux fois si ce n’est pour le compléter.
En partant de ces plans de travail annuel, les enfants établissent tous les lundis leur plan de travail de la semaine. En collaboration avec l’éducateur, ils délimitent ce qu’ils désirent faire. C’est là un stimulant extraordinaire de l’activité scolaire.
Tous les matins enfin, nous établissons notre plan de travail pour les besognes coopératives communes qui ne peuvent pas figurer sur les plans individuels.
A l’usage, nous avons constaté que ces plans étaient très aimés des enfants, qu’ils étaient un stimulant incroyable et qu’ils méritaient d’être le pivot de la nouvelle organisation du travail.
Pour qui fait-on ce travail ?
Il faut éviter que les besognes redeviennent des devoirs soumis à la seule critique du maitre. Certaines de nos activités (rédaction, dessin, documentation) sont motivées par nos correspondances et notre Fichier. Mais pour les autres tout restait à faire.
Voici ce que nous proposons :
En fin de journée, les élèves se réunissent pour les deux besognes suivantes :
1° Chaque élève, qui a étudié un des sujets de son plan, vient en rendre compte succinctement, au besoin avec documents à l’appui, de façon que le travail des uns serve au travail des autres. Ces travaux, d’ailleurs, rédigés de préférence sur feuilles agrafées en brochures, sont à la disposition de tous les enfants ;
2° Chaque soir, selon un tour établi d’avance, chaque élève vient faire une grande conférence sur un sujet librement choisi par lui, et qu’il a longuement préparé. C’est à l’occasion de ces conférences que les enfants font le travail profond qui est si totalement éducatif : rédaction soignée, cartes, recherches de documents, soit dans les journaux, soit en écrivant un peu partout, soit dans le fichier.
Car il faut que cette conférence intéresse et, donc, instruise supérieurement les enfants. La chose n’était guère possible tant que nos élèves n’avaient à leur disposition que leurs monotones livres de classes. Mais avec les sorties recommandées par les instructions, par les correspondances, par le Fichier et la Bibliothèque de Travail, des possibilités nouvelles de travail efficient sont à notre disposition et nous pouvons assurer que les éducateurs qui tenteront l’expérience n’y trouveront qu’intérêt et profit.
Ainsi motivé, ainsi compris, tout le travail scolaire change alors de sens : ce n’est pas l’instituteur qui, à l’heure fixe, fait sa leçon préparée d’avance. Ce sont les élèves qui ont leur travail, un travail organisé, pratique, intéressant. Le rôle de l’éducateur consiste à les aider pratiquement dans ce travail :
– en prévoyant et en achetant si nécessaire le matériel indispensable ;
– en les guidant pour la recherche de la documentation ;
– par des explications tantôt individuelles et tantôt collectives, mais qui sont données quand l’enfant en a besoin.
Et ce sera la forme nouvelle des leçons : lorsque, au cours du travail, des insuffisances collectives se seront révélées, nous tâcherons de combler le vide par des leçons ou même des exercices collectifs mais leçons et exercices qui auront alors leur plein effet parce que désirés par les enfants et cela dans tous les domaines d’activité.
Pour ce qui concerne les acquisitions pour ainsi dire mécaniques à acquérir, notamment en calcul, en géométrie et en algèbre, nous ne saurions trop recommander le système de fiches auto-correctives établies d’avance par les éducateurs et que les élèves vont prendre lorsqu’ils le désirent, sans l’intervention du maître.
 
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Et alors toutes les activités suggérées par les circulaires ministérielles s’encastrent merveilleusement dans cette nouvelle technique : les visites d’entreprises, d’ateliers, d’usines, dont on fera naturellement des comptes-rendus pour les correspondants et sur lesquels peut-être des conférences seront prévues ; le travail scientifique ou physique en liaison avec le préapprentissage lui-même, les fêtes, les jeux, tout prendra un nouveau sens dans cette ATMOSPHÈRE DE TRAVAIL ORGANISÉ ET MOTIVÉ !
On l’a dit bien des fois : à ce degré comme autrefois dans les défunts cours d’adultes, l’enfant ne veut plus être soumis à une méthode de travail dont il a trop pâti ; il ne veut plus entendre de leçons; il ne veut plus faire de devoirs. Et il a raison.
Nous offrons une technique qui supprime devoirs et leçons en organisant le travail sur de nouveaux éléments, avec des motifs d’intérêts efficaces. Et,ce qui est tout aussi important, nous préparons directement les enfants à l’activité sociale qui sera la leur demain. Nous leur apprenons à lire, à rédiger, à discuter, à critiquer ; nous les entraînons à choisir leur tâche et à aller dans le sens où les poussent leurs intérêts, ce qui nous permettra de discerner leurs tendances essentielles par l’orientation que, bon gré mal gré, il nous faudra amorcer.
Et tout cela, nous le faisons non pas dans le désordre anarchique qu’on suppose devoir dominer partout où ne règne pas la discipline scolastique. Nous n’organisons pas la discipline; nous organisons le travail, et, avec de grands enfants comme avec les tout-petits, le problème disciplinaire est résolu dès qu’est solutionné le problème essentiel de l’organisation du travail.
Camarades qui avez la responsabilité d’une classe de scolarité prolongée, ne craignez pas de vous orienter vers cette technique; vous lirez notre brochure n° 3 et vous verrez ce qu’elle peut donner ; vous introduirez dans votre classe le matériel dont je viens de vous indiquer la nécessité ; vous préparerez votre fichier ; vous sillonnerez la France de vos échanges, et surtout vous collaborerez fraternellement au sein de notre coopérative pour la mise au point de cette technique. Il faudra que chacun apporte sa pierre afin que, en fin d’année, nous soyons en mesure, nous aussi, d’établir un rapport d’activité qui, porté à la connaissance de nos Inspecteurs, qui sont aujourd'hui très sympathiques à nos efforts, et du Ministère, nous contribuions à rénover et à adapter l’enseignement dans les classes de scolarité prolongée.
Dans notre prochain numéro, nous parlerons plus spécialement de la réduction des horaires dans un certain nombre de départements ; nous publierons de larges extraits de la circulaire ministérielle s’y rapportant et nous dirons, comme nous l’avons fait aujourd’hui, pourquoi et comment l'adoption de nos techniques est indispensable pour sortir de l’ornière scolastique et harmoniser l’effort des enfants selon des normes nouvelles adaptées aux nécessités qu’impose une société bouleversée par les récentes conquêtes sociales.
D’ores et déjà nous demandons à nos camarades travaillant dans les écoles à horaire réduit, à ceux qui étaient l’an dernier dans la première zone d’expérience, d’apporter ici leurs réflexions afin que, dans ce domaine aussi, de notre effort commun sorte la technique attendue par les éducateurs du peuple.
Célestin Freinet
L’Éducateur Prolétarien, n°3, 31 octobre 1937
 
 

 

La réduction des horaires dans les Écoles primaires, 30 novembre 1937

Une école plus performante, sans toucher aux visées d’éducation et à la vie des enfants, c’est possible !

Jean Zay, le ministre de l’Éducation nationale du Front populaire, plutôt qu’une circulaire, préfère tenter des expériences dans des départements différents où les éducateurs sont libres dans leurs réalisations. Freinet s’en félicite.
Une nouvelle organisation du temps : 30 heures d'éducation, dont vingt-quatre d’enseignement proprement dit, 3 heures d’éducation physique et 3 heures de loisirs dirigés avec les classes promenades. Ainsi, l’apport de la vie et du milieu environnant entrent à l’école et les techniques de l’Imprimerie à l’École en seront les outils essentiels.
Le mouvement doit participer pleinement à ces expérimentations et les faire connaître.
Freinet met en garde, même les meilleures circulaires, telles celle de 1923, peuvent être détournées de leur but, donc il faut rester vigilants et tirer le maximum des prescriptions ministérielles.
 
 La réduction des horaires ne peut se solutionner que par l’introduction à l’école de techniques nouvelles
Il y a, depuis une vingtaine d’années, dans l’école française, une crise permanente des horaires. A mesure que progresse la science, que s’accumulent les réalisations techniques, que se complique le monde où nous vivons, on a sans cesse aggravé et surchargé les programmes scolaires jusqu’à en faire des monstres dangereux pour les enfants, et dont l’opinion publique a concurrence capitaliste a contraint d’accélérer sans cesse leur production. Si mêmes qui sont à incriminer que leurs commentateurs, les manuels scolaires et leur contrôle par des examens encyclopédiques dont le moins que nous puissions dire est qu’ils sont aujourd’hui mortels pour l’enfance studieuse.
La corde était tendue au maximum : on ne pouvait plus aller longtemps dans cette voie. Une réorganisation s’imposait d’urgence.
L’École était dans la situation de ces fabriques primitives qui, à l’aurore du machinisme, travaillaient dans une sorte de quiétude artisanale et que la concurrence capitaliste a contraint d’accélérer sans cesse leur production. Si elles ont su adapter progressivement leur installation, leur organisation et leurs techniques de travail aux nécessités et aux possibilités contemporaines. La vie aura pu continuer avec quelque harmonie, sans déséquilibre dangereux entre les nécessités sociales et les possibilités humaines.
Mais si le propriétaire, farouchement traditionnaliste, n’a rien voulu modifier à ses méthodes, force lui sera de surcharger sans cesse ses ouvriers, de les pousser à l’extrême limite, sans pour cela éviter la faillite normale et fatale.
On connaît notre position face au problème délicat de l’acquisition scolaire. Nous ne disons pas qu’il faut réduire massivement la production de l’usine pour redonner une vie humaine aux ouvriers, car cette production est elle-même une condition du bien-être social. Nous disons qu’on doit adapter et moderniser le matériel, réorganiser le travail afin que les ouvriers, sans surcharge anormale, élèvent la production au niveau souhaitable.
Nous ne pensons pas que les enfants qui sortent de nos écoles connaissent trop de choses : ils n’en connaissent pas assez, ou si, du moins, ils ont quelques connaissances, ils sont comme des infirmes de l’esprit que la maladresse scolastique a scandaleusement mutilés.
Nous-avons pour notre école publique d’autres exigences ; nous voulons une plus totale efficience et un rendement plus dynamique, mais sans que soit menacée l’éducation et la vie même des enfants. Et cela nos expériences récentes nous permettent de l’affirmer : il est aujourd’hui possible, par des techniques nouvelles mieux adaptées aux besoins de l’école, de poursuivre l’éducation et la formation des enfants, tout en parvenant à des acquisitions satisfaisantes. Nous disons mieux : les procédés scolastiques chargent la mémoire pour un jour, le jour de l’examen ; mais les acquisitions sans base vitale, se dispersent et s’effacent avec une extrême rapidité.
Nous avons la prétention de parvenir par nos techniques à une acquisition maximum, sentie et voulue par les enfants, comprise par eux, base solide pour les acquisitions futures que l’école aura préparées.
 
***
Nous ne voyons donc pas seulement, dans l’expérience de la réduction des horaires et des loisirs dirigés, un frein officiel à la folie croissante de la surcharge des programmes et des examens. Le Ministre suggère déjà, prudemment certes, mais incontestablement, la solution à ce grave problème, solution qui ne peut être que dans le sens de l’éducation nouvelle.
Nous ne voudrions pas avoir l’air d’encenser un Ministre Front Populaire, mais nous devons affirmer cependant notre satisfaction presque totale à la lecture de la circulaire dont nous croyons nécessaire de donner de larges extraits.
Je le disais récemment à la réunion du Groupe Français d’éducation nouvelle : l’administration de l’éducation nationale aurait bien pu, comme elle l’a toujours fait, édicter une circulaire péremptoire préconisant telle et telle solution obligatoire. Au lieu de cela, le Ministre tente une vaste expérience dans des départements variés et nombreux. Je sais bien que l’expérience est menée sans technique scientifique, qu’on n’a pas fait appel aux spécialistes de la mesure pédagogique et psychologique, qu’on n’a pas fait d’avance le point afin de délimiter avec quelque précision avantages et inconvénients des procédés appliqués. Mais, même sans ces précautions préliminaires, l’expérience en cours doit et peut avoir une grande portée : l’instituteur sent bien dans sa classe si telle et telle technique est avantageuse pour l’éducation et l’acquisition de ses enfants; l’Inspecteur qui visite une école en sent vite aussi l’atmosphère. Les uns et les autres sont en mesure de donner des appréciations à peu près exactes puisque le Ministre n’a pas indiqué d’avance dans quel sens devait être poursuivis les essais, mieux : qu’il laisse entendre que quelque hardiesse ne lui déplaira pas et que les éducateurs seront laissés totalement libres dans leurs réalisations.
Je ne sais pas si cette façon de procéder a quelque précédent dans les autres pays. Nous constatons avec satisfaction qu’elle est, en l’état actuel de notre administration scolaire la méthode presque idéale pour préparer l’évolution et l’adaptation de notre école publique.
Nous nous en félicitons totalement pour nos techniques. Nous n’avons jamais espéré, ni même souhaité qu’un ministre décide un jour l’introduction de l’Imprimerie dans les écoles. Mais qu'on favorise nos expériences, qu’on en surveille officiellement la marche, qu'on en consigne les résultats, qu’on recommande ensuite l’application progressive de nos techniques, nous ne saurions que nous en réjouir, car nous ne craignons pas l’épreuve que nous savons toujours favorable à nos réalisations.
 
Quels sont les avantages que nous réserve l’expérience française ? Il est bon pour cela de donner ici les passages essentiels de la circulaire qui l’organise :
Cependant, si les trois territoires choisis correspondent sensiblement à l'État Moyen du territoire fronçais, ils n'en expriment pas toute la diversité et, avant d'édicter des règles générales, il convient de rechercher les réactions de régions très variées. On doit tenir compte des conditions orographiques susceptibles de mettre un obstacle aux transports, des conditions climatiques qui empêchent parfois de quitter le local clos, des conditions de peuplement, des conditions financières qui permettent ou ne permettent pas d'escompter un gros effort des communes, de la vocation économique particulière, de chaque contrée sur laquelle on doit plus ou moins régler l'emploi des loisirs, de fadeurs psychologiques enfin, C’est pourquoi cette expérience, en même temps qu'elle se continuera dans les trois départements où on consolidera les résultats acquis, sera mis en train dans les départements suivants.
On remarque qu'une partie des départements choisis renferment les plus grandes villes de France, que d'autres sont purement ruraux, que certains présentent un territoire d'une grande homogénéité, mais que, par contraste, de grandes circonscriptions administratives, comme le Pas-de-Calais, les Pyrénées Orientales, offrent, suivant les districts, des conditions très variées. L'expérience doit donc donner tous les résultats définitifs qu'on attend. On prendra garde que le texte même de l'arrêté laisse à MM. les inspecteurs d'Académie la plus grande latitude. Si, dans la grande majorité des cas, il sera bon de faire une expérience d'ensemble sur tout un département, on conçoit très bien qu'ici ou là des témoins soient réservés afin que les observations puissent prendre toute leur valeur de comparaison. Ce dernier procédé si recommandable n'aura d'ailleurs d'intérêt que si l'expérience peut être entourée de toutes les garanties de contrôle nécessaires et en particulier d'un contrôle médical assez sérieux, autorisant à juger les résultats en même temps que les méthodes.
Résultats et méthodes, ce sont les deux points sur lesquels devront porter les rapports d'enquête des Inspecteurs d'Académie. Toutes les initiatives y seront mentionnées. Ils devront parvenir au Ministère pour le 15 Mai 1938. Sans doute, l'expérience sera-t-elle en cours à celte date, mais déjà assez de faits auront pu être recueillis pour que des conduisions soient apportées.
 
Nous avons dit que cette circulaire ne cachait pas le désir du ministre de voir l’éducation nouvelle animer et vivifier les essais. Par les sages instructions qu’elle contient, elle continue en effet, et avec bonheur, la tradition française des instructions ministérielles de 1928, que nous avons saluées en leur temps comme un des meilleurs écrits d’éducation nouvelle :
Quelques principes généraux doivent être rappelés. Réduire la durée de renseignement ne signifie pas qu'on diminue le temps pendant lequel l'enfant est soumis à l'action de l'école, nous entendons que les heures dont parle l’arrêté soient, bien des heures effectives d’éducation. La formule nouvelle de nos horaires pourrait être la suivante : 30 heures d'éducation, dont vingt-quatre d’enseignement proprement dit. Il ne saurait y avoir aucune équivoque sur ce point.
Mais on se propose d'aérer notre système d'enseignement et, tout en faisant à l'Éducation du corps la place qui lui convient, de multiplier les contacts avec la nature et avec la vie, de donner une part plus grande à la spontanéité de l'enfant et, dans une mesure raisonnable, à son libre choix. Ces préoccupations s'accordent avec l'esprit des systèmes préconisés par les plus modernes éducateurs, et fondés sur une connaissance plus poussée sur la psychologie de l'enfant. Mais on tient à dire qu'elles ont été familières à tous ceux qui ont établi notre école publique et rédigé les instructions antérieures. Les modifications aujourd'hui proposées, s'insèrent naturellement dans l'évolution pédagogique française.
 
Que pourrions-nous dire de mieux au sujet de l’éducation physique, des classes promenades qui s’insèrent officiellement dans l’éducation française, la pénétration de l’école par le milieu ambiant, pénétration pour laquelle l’Imprimerie à l’École sera l’outil merveilleux qui établira cette profonde liaison culturelle entre l’activité scolaire et le travail des enfants, les résonnances de la nature, l’explosion synthétique au sein même de la vie :
Mais il faut très soigneusement veiller à ne pas laisser se développer cet esprit de compétition qui exerce de si fâcheux ravages dans la pratique courante du sport. Nous avons souci du développement physique harmonieux de l'enfant et à un égal degré de sa culture morale. Est-il besoin de souligner quel bénéfice une surveillance attentive de l'enfant aux heures où il se livre tout entier sans souci de plaire, en dehors de toute convention scolaire, apporte à un maître désireux de mieux connaître ses élèves.
La classe promenade était prévue d'une manière expresse dans les instructions ; elle est déjà entrée dans la pratique en quelques endroits. L'heure est venue d'en généraliser l'usage.
Si les trois heures de loisirs dirigés sont utilisés par un maître diligent, elles doivent fournir les acquisitions les plus solides qui serviront de fondement à un enseignement, moins formel et plus proche de la vie. L'ingéniosité des maîtres est appelée à se donner libre cours et l’on peut concevoir une infinité de modalités dans l'organisation de ces loisirs et dans l'utilisation des ressources du milieu local. C'est la promenade au cours de laquelle la conversation est orientée vers l'analyse du paysage. Leçon de géographie, de botanique, d'agriculture ? Non, certes, mais un appel à l'observation directe, où la formule trouvée parfois, d'autres fois suggérée, vient à son heure, et comme d'elle-même, la formule qui sera reprise plus tard en classe. C'est la visite d'un monument historique devant lequel s'éveille le sens du passé. L'éloquente leçon des vieilles pierres ne suscitera peut-être pas beaucoup de vocations historiques, comme celle de Michelet, mais son langage peut trouver un écho dans toutes les âmes enfantines. Ce sont des visites de chantiers ou d'usines moins orientées vers la connaissance d'une technique changeante que destinées à donner à l'enfant le sens de la grandeur et de la noblesse de l'effort, humain.
A l'école même et dans les environs immédiats, c'est une longue séance au jardin où le développement de l'habileté manuelle, l'observation minutieuse du sol, de la plante, des animaux, de leur croissance et de leurs transformations devient possible. C'est peut-être aussi une séance de projections ou de cinéma avec commentaires — commentaires spontanés de la classe, mais disciplinés et adroitement orientés par le maître.
 
Pour ce qui concerne le programme nécessaire à tout travail scolaire, nous avons maintes fois donné notre point de vue et on lira dans notre brochure N° 3 d’E.N.P. : PLUS DE LEÇONS, ce que nous pensons. On verra que nous nous sommes orientés, même dans notre école, vers un programme annuel et hebdomadaire, que nous pensons, en effet, que toute éducation est suggestion et liberté ordonnée, mais il y a la manière. Et on verra comment nous solutionnons la question par nos techniques nouvelles de travail : Plans de travail et conférences.
L'objection est que nous allons imposer un programme à ces exercices et que nous serons assez loin des formules qui font tout, reposer sur le libre choix de l'enfant. Elle n'est pas nouvelle et les premiers critiques de l'Émile l'ont déjà faite. Mais toute éducation est suggestion et liberté ordonnée.
Toute éducation doit aussi être joie. Pour cette raison, nous attachons un grand prix aux fêtes scolaires dans les conditions actuelles. La préparation de ces dernières, ou bien impose un surcroît de travail aux maîtres, une charge dont ils s'acquittent avec dévouement mais non sans fatigue, ou bien se concilie mal avec la pratique des horaires en vigueur. Désormais elle pourra se repartir sur le cours de l'année et s'insérer sans difficulté dans l’utilisation de six heures hebdomadaires.
 
Si nous voulons que notre expérience se propage dans l’enseignement public, nous ne devons justement pas laisser croire que nos classes peuvent être entièrement fondées sur la spontanéité enfantine. Dans certaines conditions idéales peut-être. Dans le milieu difficile où nous évoluons, non.
Nous ne nous insurgerons donc pas contre ce désir d’organisation du Ministre. Au contraire : il faudra que nous montrions comment, pratiquement, l’introduction de nos nouvelles techniques suppose et nécessite l’ordre, non plus un ordre superficiel, certes, des bras croisés, mais l’ordre indispensable qui résulte de l’organisation plus rationnelle des diverses activités, l’ordre de la ruche au travail, avec des va-et-vient peut-être, des paroles et parfois même des chants, mais sur laquelle on sent planer mieux qu’une discipline, la NECESSITE DE L’ORGANISATION.
Les mailres et maîtresses pourraient être arrêtés par la crainte légitime des responsabilités légales en cas d'accident. On répétera ici ce qui a été dit dans une circulaire antérieure émanant de la direction de l’Enseignement du second degré.
Je vous prie de rappeler aux administrateurs ainsi, qu'aux membres du personnel, qu'en matière d'accidents, la loi du 5 avril 1937 substitue la responsabilité de l'État à celle des membres de l’Enseignement public. La loi prescrit que ceux-ci ne pourront jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants. Il en sera ainsi toutes les fois que, pendant la scolarité, dans un but d'éducation morale ou physique non interdit par les règlements, les enfants ou jeunes gens confiés ainsi aux membres de l'enseignement public se trouveront sous la surveillance de ces derniers.
 
C’est l’autorisation pour les éducateurs de se livrer à certaines formes hardies du travail nouveau, à laisser mieux l’enfant travailler et s’organiser seul, à ne plus redouter les risques que peut encourir l’enfant qui, pendant les heures de classe, s’en va seul avec un camarade, faire une rapide enquête dans un chantier voisin. On ne craindra plus les promenades.
Nous nous en réjouissons sans réserve.
 
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Nous n’avons pas trop parlé jusqu’à présent de l’organisation pratique des trois heures consacrées à des travaux éducatifs parce que l’instituteur qui pratique nos techniques ne sera jamais embarrassé pour leur affectation.
Les promenades scolaires : nous en avons toujours dit la nécessité. Mieux : Nous avons montré comment par l’Imprimerie à l’École et les échanges, ces sorties s’insèrent merveilleusement dans les activités vitales de la classe. On ne sort pas sans but et sans méthode : nos correspondants attendent la description des usines, des chantiers de notre village ; ils veulent connaître, au cours des saisons, l’aspect vivant de nos champs et de nos vallons; ils veulent connaître notre village. Et quand nous rentrons de promenade, ce n’est pas un morceau de vie nouvelle qui finit pour faire place à la mortelle scolastique : c’est la vie nouvelle de l’école qui se continue avec notre sortie comme base et comme sujet : on rédige, on dessine, on imprime, on calcule. Et ainsi se réalise cette unité entre les prescriptions d’éducation nouvelle et l’école officielle, dont le ministre a eu, à juste titre, le souci.
L’observation de la vie autour de soi, la préparation du matériel d'études : la nécessité où nous sommes d’informer nos camarades, l’enrichissement permanent de notre FICHIER SCOLAIRE en sont la meilleure et la plus efficace des motivations.
N’avons-nous pas dit ici même, sur le cinéma, les disques, l’organisation des fêtes, les choses essentielles ?
Les instituteurs qui pratiquent nos techniques n’auront rien à changer à l’activité de leur classe : ils auront seulement dans la circulaire ministérielle l’autorisation officielle de poursuivre plus librement leurs essais. Et ils éviteront encore le danger de morcellement que redoute sans doute aussi le ministre. Il n’y aura pas d’un côté 3 heures d’activité libres, tendance éducation nouvelle, parfois peut-être trop anarchiques, insuffisamment organisées, et d’autre part 24 heures d’enseignement traditionnel, mortel pour l’âme enfantine.
Il faut que l’école reste un tout et que l’esprit qui, selon les conseils du Ministre, doit imprégner les trois heures d’activité libre gagne peu à peu tout l’enseignement. C’est dans ce sens surtout que l’expérience en cours a une portée considérable : elle est comme un coin d’éducation nouvelle enfoncé en plein cœur de l’école.
Et nous avons confiance dans les résultats : les instituteurs qui auront vu et senti vivre leurs enfants pendant quelques heures par semaine, comprendront mieux ce qu’a d’inhumain et d’anormal l’enseignement traditionnel pratiqué en classe. Naturellement ils éprouveront le désir d’animer de l’esprit nouveau tout l’effort scolaire. Et à ce moment-là ils se tourneront nécessairement vers nous parce que nous sommes les seuls en France à avoir organisé pratiquement l’école selon les nouvelles techniques suggérées par le Ministre. Alors on comprendra plus facilement l’utilité, la nécessité de l’Imprimerie à l’École, la nécessité du Fichier Scolaire Coopératif, de la Bibliothèque de Travail, du Phono et du Cinéma.
Nous savons que les meilleures circulaires, telles celle de 1923, peuvent être détournées de leur but par les marchands de la scolastique. A nous d’y veiller et de tirer le maximum des prescriptions ministérielles.
Que tous nos camarades pratiquant dans les écoles des départements soumis à l’expérience s’appliquent tout spécialement à l’organisation de leur classe selon nos techniques : qu’ils fassent vivre l’Imprimerie à l’École, qu’ils organisent leur fichier, qu’ils préparent pratiquement les activités libres des enfants.
Les rapports qui seront faits de ces activités ne pourront que nous être favorables et les instructions ministérielles qui suivront cet essai risquent fort alors d’être imprégnées de nos tendances et de s’orienter, prudemment mais sûrement, vers nos nouvelles techniques.
 
Le nouveau Plan d’Études français est en marche. A l’œuvre tous, non seulement dans vos classes mais dans le département : organisez des conférences, des expositions, groupez les adhérents et les sympathisants dans des sections du Groupe Français d’Éducation Nouvelle, collaborez à l’E.P. ou nous ouvrons une rubrique permanente pour la scolarité prolongée, la réduction des horaires, les loisirs dirigés et les classes d’orientation. Aidez sans réserve à la marche normale d’une expérience dont nous ne saurions encore une fois que louer tout à la fois la prudence et la hardiesse.
Travaillons tous méthodiquement pour la réalisation du nouveau Plan d'Études Français.
Célestin Freinet
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 5, 30 novembre 1937 dans son intégralité.                
 
 

 

Groupe Français d’Éducation Nouvelle, 30 novembre 1937

 

Une réunion de travail du Comité d’action du GFEN, le sujet de réflexion n’est ni la réduction des horaires, ni la prolongation de la scolarité pourtant au cœur de la réflexion du moment, mais les classes d’orientation.

Des divergences apparaissent et il est décidé de poursuivre la réflexion dans les sections départementales du GFEN. 

 
Le 1er novembre a eu lieu, à Paris, une réunion du Comité d’Action du Groupe Français d’Éducation Nouvelle.
Il s'agissait de voir plus spécialement qu’elle allait être l’activité pratique du Groupe en face des urgents problèmes de l’heure. Et on sait que ce désir de pousser le Groupe vers l’action pratique en faveur de l’École Nouvelle est, depuis, l’an dernier, une de nos principales préoccupations.
Nous savons, en effet, que, pour que nos sections vivent, et se développent, il faut qu’on sente que le Groupe Français n’est pas seulement une association théorique, mais un Groupe d’action.
Quelques-uns de nos camarades des environs de Paris, spécialement convoqués, étaient présents.
Nous aurions voulu que puissent être examinées les questions si importantes pour notre enseignement et que nous avons traitées dans l’E.P. : la scolarité prolongée et la réduction des horaires, mais la discussion se cantonna et se passionna sur les classes d'orientation.
Un certain nombre d’expériences ont été tentées pour ces classes d’orientation: les uns en disent grand bien, d’autres crient au sabotage organisé.
Certes, le problème est complexe et cette complexité fut soulignée surtout, par les représentants du secondaire dont nous ne cacherons pas le scepticisme.
A l’occasion de cette discussion, quelques divergences de vues se firent jour sur nos propositions pour le nouveau certificat d’Études. La plupart des représentants du secondaire et du supérieur trouvent que placer le début de l’orientation après le certificat d’Études, soit à 12 ans environ, est beaucoup trop tard. C’est pourquoi ils demandent : soit qu’on devance le C.E.P. — solution que nous rejetons et nous avons nos raisons — soit qu’on institue un examen spécial pour les enfants qui doivent entrer dans le secondaire en reportant à la fin de la scolarité prolongée le nouveau certificat d’Études. Nous nous sommes élevés également contre cette conception.
Nous continuons à penser que si on veut s’orienter vers un enseignement démocratique, si l’école primaire a été quelque peu réorganisée, il n’est pas trop tard pour les enfants doués d’entrer vers 12 ans dans les classes d’orientation dont nous attendrions beaucoup.
L’enseignement secondaire, comme le supérieur, se fait certainement illusion sur les résultats de ce forçage prématuré et foncièrement aristocratique. Nous connaissons le travail du lycée : nous savons ce que sont les classes de latin ou autres dans les petites classes de lycée et nous prétendons qu'on peut fort bien envisager un enseignement plus démocratique et ainsi conçu : enseignement primaire jusqu’au C.E.P. à 12 ans ; classe d’orientation pour les bien doués, puis E.P.S., lycée ou collège — scolarité prolongée pour les autres après le C.E.P.E.
Nous serions heureux qu’une discussion s’institue à ce sujet dès maintenant soit dans « Pour l’Ère Nouvelle », soit ici même, afin que le Conseil Supérieur qui se réunira dans quelques mois ne soit pas regrettablement influencé par des opinions hâtives et partiales.
Le G.F.E.N. a décidé d’étudier pratiquement les classes d’orientation. Les tâches ont été réparties et nous y participons, dans l'espoir que cette collaboration sera un heureux prélude à la collaboration plus élargie que nous souhaitons.
Nous demandons à nos camarades de créer dans leur département des Sections du G.F.E.N., d’entrer en rapports avec les professeurs du secondaire, du technique, du supérieur, d’organiser des expositions, des réunions, afin de nous aider flans la tâche urgente entreprise.
Nous donnerons prochainement des explications détaillées sur la façon dont, on doit procéder pour créer des Sections du G.F.E.N.
 

 

Célestin Freinet

L’Éducateur Prolétarien, n° 5, 30 novembre 1937 dans son intégralité.                
 



 

 

Optimisme raisonné, 15 décembre 1937

Une circulaire donne la formule nouvelle des horaires : les 30 heures d’enseignement deviendront 30 heures d’éducation dont 24 heures d’enseignement, 3 heures pour les « Loisirs dirigés » – classes promenades pour la découverte de la vie et de la nature –, et 3 heures d’éducation physique.
Freinet se réjouit de cette réduction des horaires (L'E.P. n° 5) et de l’influence de l’Éducation nouvelle dans les instructions du ministre de l’Éducation du Front populaire, Jean Zay. 
Mais certains enseignants veulent compenser cette réduction des heures d’enseignement par des devoirs et des leçons à la maison. Le temps de travail journalier de l’écolier augmenterait alors que celui de l’ouvrier diminue !
Un adhérent s’inquiète.
Freinet pense que le mouvement doit s’emparer du problème, mais avec son rôle d’éducateur populaire en convainquant la « masse » des enseignants, pour transformer et harmoniser la grande majorité des écoles populaires. Il montre une grande compréhension envers ceux qui restent traditionnels et conserve tout son optimisme pour leur venue vers les techniques du mouvement.
 

 
Nos précédents articles nous ont valu de nombreuses lettres qui nécessitent quelques mises au point en cette période décisive de notre mouvement.
Nous recevons d’un de nos fidèles adhérents la lettre suivante :
 L’optimisme à petite dose est une chose excellente. Mais il me semble que, dans ton dernier article (n°5 de l’E.P., 30 nov. 37) tu t’en verses un peu trop.
Certes, nos adhérents vont avoir, dans leurs classes, les coudées un peu plus franches ; et je m’en réjouis. Mais comme ils sont encore loin de représenter la masse, il est nécessaire de scruter aussi, soigneusement, les réactions de la majorité des collègues, et d’essayer de parer les chocs en retour.
Le nombre des « Nestor Hallan-Crerouge » (voir un récent numéro de l’École Libératrice) n’est pas encore, malheureusement, négligeable. Tous ces Nestors (des deux sexes) sont très occupés en ce moment. Ils s’exercent au tour d’acrobatie pédagogique qui consiste à résumer les résumés et à faire ingurgiter par leurs patients, en 24 heures, ce qu’ils leur distribuaient en 30 heures jusqu’à ce jour. Ne t’y trompe pas. Ces gens-là sont les « bons maîtres ». Ils occupent les postes importants. Ils battent les records pour les mentions au C.E.P. Ils influeront beaucoup sur les rapports des Inspecteurs d’Académie concernant les « Loisirs Dirigés ».
En général, nos Nestors ont déjà gonflé à bloc leurs 30 heures (problèmes, dictées, résumés de sciences, d’histoire, etc.). Ils ont ensuite débordé (devoirs du soir). Pourquoi ne leur viendrait-il pas tout naturellement à l’idée de faire « rattraper » à la maison les 6 heures « perdues » en classe ?
Et voici l’objet précis de cette note. Puisqu’on lit l’Éducateur Prolétarien dans les hautes sphères, je te demande de rendre publique la proposition suivante :
– Une note ministérielle interdira de façon absolue la pratique des « devoirs à faire et des leçons à apprendre à la maison. »
– Les contrevenants seront passibles des peines suivantes : a) avertissement ; b) réprimande ; c) censure ; d) révocation.
Il est inhumain, et d’ailleurs parfaitement stupide, d’allonger, ou même de ne pas raccourcir la journée de travail de l’écolier alors qu’on réduit les heures de travail de l’adulte.
Pour ceux qui seraient étonnés ou même scandalisés d’une telle proposition, je n’hésite pas à affirmer qu’ils ignorent la profondeur du mal. Les Nestors d’ailleurs ne comprendront que ce langage. Et les autres se croient obligés de les suivre.
Mais je te demande aussi la permission de faire cette proposition sous le couvert de l’anonymat. On me lapiderait et je suis suffisamment abimé pour hésiter à courir ce risque.
Voilà qui nous place au cœur difficile du problème, là justement où nous voulons aller. Car c’est cette masse que nous voulons toucher et convaincre ; c’est cette masse dont nous prétendons transformer les techniques.
Et ce n’est pas d’aujourd’hui que nous entendons ce langage désabusé qui semble nous dire : ne nous mêlons pas de ces gens-là ! Faisons notre petit travail, tranquilles !
Oui, nous savons qu’il serait plus simple de créer et de mener un bon petit mouvement d’éducation nouvelle où n’entreraient que ceux qui auraient montré patte blanche d’éducateur libéré. Cela pourrait être une expérience intéressante. Mais nous ne désirons pas faire une expérience : l’expérience a été faite et répétée, et elle est concluante. Nous voulons, par nos techniques, réadapter et harmoniser la grande majorité des écoles populaires. Il s’agit là d’une entreprise donc nul à ce jour ne peut dire qu’elle soit présomptueuse.
C’est cette conception hardie de notre rôle possible qui fait que nous ne parlerons pas le même langage que notre correspondant anonyme. Il n’y a pas, pour nous, d’un côté notre expérience et nos techniques avec nos adhérents, et de l’autre la masse rétive du personnel. Nous sommes en plein dans notre élément d’éducation populaire et il nous faut bien ou suivre le courant ou réagir.
Nous réagissons.
Et nous conservons notre optimisme parce que nous avons appris à considérer, par delà les personnalités que nous côtoyons, d’autres questions essentielles de milieu et d’organisation qui suscitent toujours une très grande indulgence.
Nous connaissons le danger que signale notre camarade ; nous savons que les méthodes traditionnelles ont encore d’innombrables fervents et que, quelle que soit l’ampleur prise par notre mouvement, presque tout reste à faire. Mais avons-nous pensé jamais que, sous l’effet d’une quelconque baguette magique, l’école ancienne allait disparaître, et avons-nous vraiment tort de considérer que le cercle que nous avons tracé va s’élargissant à un rythme et avec une sûreté et un enthousiasme qui nous donnent pleine satisfaction ?
Quant aux autres, à ceux qui n’ont pas encore compris, nous ne leur jetons pas la pierre.
Sommes-nous d’ailleurs bien sûrs qu’ils n’aient pas compris ? Et n’avons-nous pas d’excellents camarades que les conditions déplorables de l’école retiennent contre leur gré dans une voie dont ils sentent la malfaisance ? N’avons-nous pas même des adhérents qui, après avoir respiré l’air libre de nos techniques ont dû retourner à la mort des pratiques traditionnelles et qui ne trouvent parfois pas d’autre remède que de fuir un jour, à nouveau, un milieu impossible pour planter leur tente dans un village où on travaille enfin !
Oui, nous osons dire que, dans cette masse que stigmatise notre camarade, il y a une immense majorité d’éducateurs qui subissent le carcan, qui ont conscience du renouveau que nous annonçons et qui viendront à nous dès que les circonstances le leur permettront.
Mais le problème est plus complexe et nous nous trompons, et nous trompons nos camarades si, pour des commodités de raisonnement, nous le simplifions arbitrairement.
Il y a l’atmosphère de la caserne dans les grandes villes, il y avait les programmes – pour lesquels un pas vient d’être fait ; il y a le certificat d’Études que nous œuvrons à rendre le moins malfaisant possible. Il y a aussi les parents qui ne comprennent pas toujours, qui ont été tellement déformés par l’école qu’ils ne voient que l’acquisition et sont prêts à tout lui sacrifier, même la santé de leurs enfants.
Il ne faut pas dire qu’on peut, dans tous les milieux, transformer sa classe. Cela n’est pas vrai. Il faut travailler avec méthode et persévérance, et dans tous les domaines d’activité, à transformer les conditions qui sont faites à cette école afin que nos techniques puissent accomplir leur mission : locaux scolaires, décharge des classes, éducation des parents, etc.
Incriminons-nous les éducateurs qui tentent cette impossibilité de condenser en 24 heures ce qu’ils avaient déjà condensé en 30 ?
Mais leur avait-on proposé une technique qui rende inutile cette condensation ? Depuis des années l’école concentre sans cesse des acquisitions ; un dernier acte vient de se jouer : on ampute l’horaire, mais on n’a point dit aux éducateurs par quel moyen il était possible de solutionner ce problème insoluble : la société, les parents, réclament toujours une meilleure formation, toujours de plus solides connaissances. Ils ont raison ? A nous les professionnels de trouver les moyens d’y parvenir sans danger mortel pour les enfants.
Or, ce serait faire injure au corps enseignant que de supposer que, dans la presque unanimité, il ne se rend pas parfaitement compte des tares de l’école. Il voit bien que le bourrage épuise maîtres et élèves, et sans grand profit. Mais quel autre chemin ! Ces éducateurs sont comme de pauvres soldats engagés dans un boyau : obus et mort en avant, impossible de reculer, impossible d’en sortir. Alors on continue : nous connaissons l’atmosphère et de meilleurs que nous sont allés ainsi, pendant des années, où ils ne voulaient point finir…
Que nous disions à ces éducateurs :
« Vos enfants vont à leur travail sans enthousiasme et sans espoir, comme le soldat dans son boyau. Mais il existe d’autres techniques de travail qui permettent le même rendement et parfois un rendement supérieur et qui donnent aux enfants confiance et enthousiasme. Vous pourrez alors réduire les leçons et les devoirs, réduire l’horaire. Nul ne sera lésé. »
L’instituteur dressera l’oreille. Et s’il est sûr de ce que nous avançons ; si un voisin qui a tenté l’expérience, lui affirme que cela est possible, neuf fois sur dix il quittera progressivement la tradition pour nous suivre.
Mais il faut travailler encore davantage à mettre définitivement au point nos techniques ; il faut mettre à la portée de tous le matériel nouveau. Il en est de même de toutes les inventions : tant que l’auto présente trop d’inconvénients, on garde la voiture avec son cheval. Le jour où l’auto est moins chère, plus facile à manier, moins dangereuse et plus pratique que la voiture à cheval, tout le monde abandonne la tradition. Combien en voyez-vous qui dans ce domaine, restent fidèles à la tradition parce que c’est la tradition ?
Les éducateurs restent fidèles à la tradition, parce qu’ils ne peuvent pas, pour l’instant, faire autrement. Le jour où nos techniques auront vraiment conquis leur place à l’école, les leçons, les devoirs, les manuels auront vécu.
Et d’entrevoir la réalisation possible, même lointaine, de ce rêve libérateur, nous est un très grand réconfort.
Célestin Freinet
 

L’Éducateur Prolétarien, n° 6, 15 décembre 1937 dans son intégralité

Les « Trente heures », pour la dignité de l’enfant, 15 décembre 1937

Freinet appelle à défendre l’enfant de l’abrutissement quotidien des devoirs et des leçons et à diffuser une motion à mettre au vote de la Chambre des députés qui interdit de donner des devoirs hors des trente heures légales de cours.

Une défense de l’enfant qui augure avec force celles qui suivront quelques décennies plus tard portées par les militants des Droits de l’enfant !  
 
Le gouvernement de Front populaire a libéré l’ouvrier du travail abrutissant et l’institution des 40 heures et des congés payés est considérée comme une des grandes révolutions de notre époque.
Cette même révolution n’a pas encore été réalisée pour les enfants et le père qui fait ses huit heures admet fort bien que ses fils travaillent encore le soir tard, alors qu’il lit paisiblement son journal ou soigne ses choux.
Il y a là une mesure urgente à prendre et il est excellent que ce soit nous qui en ayons l’initiative.
C’est, en effet, nous qui avons le plus réalisé qu’on réapprenne à considérer la dignité de l’enfant. Cet être qu’on croyait à peine apte à être commandé, nous avons montré ce qu’il était capable de réaliser quand il pouvait agir librement dans le sens de ses besoins.
Il faut que nous le défendions aujourd’hui contre l’abrutissement permanent des devoirs et des leçons.
Un principe doit être admis : l’enfant qui a besoin de jouer, de courir, de respirer, de dormir longuement, doit faire une semaine plus courte que les adultes. Trente heures par semaine sont suffisantes.
Nous demandons donc à nos camarades des départements de diffuser, et à nos amis de la Chambre de faire voter la motion suivante :
« La semaine de travail imposé ne doit pas dépasser, dans l’enseignement primaire, trente heures par semaine.
En conséquence, il est interdit aux éducateurs de donner, hors des trente heures régulières de cours, des devoirs supplémentaires qui seraient considérés comme une infraction à la loi. »
Nous allons rédiger à ce sujet une proposition de loi que nous demanderons à nos camarades de défendre à la Chambre.
 
***
Comment faire en trente heures ce qui en demandait 40 ou 50 crieront certains.
Nous avons entendu les mêmes protestations quand les ouvriers ont arraché les quarante heures. Nous ferons la même réponse qu’ils ont faite à leurs patrons : modernisez les installations, utilisez les usines, employez avec méthode l’effort humain, redonnez aux individus une dignité et une personnalité et le problème sera résolu.
Quant à nous, il nous est facile de dire à nos camarades :
– Vous comprenez les raisons d’humanité qui nous poussent à défendre l’enfant. Mais organisez nos classes selon nos techniques, adaptez le matériel nouveau, redonnez la joie et l’enthousiasme. Les trente heures alors seront suffisantes pour les besognes d’acquisition et d’éducation qu’on attend de notre école populaire. Et alors, par nécessité, s’accomplira une des plus grandes révolutions pédagogiques : ce sera l’aube d’une éducation basée sur l’effort libre et voulu des enfants, sur la conception libératrice de notre belle tâche.
Célestin Freinet
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 6, 15 décembre 1937 dans son intégralité

 

Pour nos enfants : la semaine de trente heures ?, 1er janvier 1938

Un plaidoyer de Freinet pour le respect du temps de l’enfant où la santé, le repos et les loisirs, droits essentiels sont à prendre en compte. Comme l’adulte avec les 40 heures et les congés payés, l’enfant doit également bénéficier d’un temps raisonnable de travail et suffisamment de repos et de loisirs.  

La suppression des leçons et devoirs en dehors du temps scolaire, ce travail forcé clandestin,  devient donc indispensable. Ce qui n’empêche pas le travail personnel libre de l’enfant passionné par un travail au-delà des trente heures d’enseignement. Tout est affaire de pédagogie !   

 
Depuis le début du siècle notamment, sous l’action énergique, cohérente et persévérante des organisations ouvrières, le travail des hommes s’est considérablement humanisé : les 14 heures sont devenues les 12 heures, puis les 10. Puis un mot d’ordre est venu comme une revendication extrême des masses ouvrières : la journée de huit heures. Et on disait alors : huit heures de travail, huit heures de repos, huit heures de loisir.

Ce n’était pas assez encore : l’ouvrier restait rivé à sa tâche 6 jours sur 7 et 12 mois sur 12 ou toute sa vie. Les journées de juin 1936 ont valu à la classe ouvrière la semaine de quarante heures et les congés payés.
Les ouvriers ont quelques raisons d’être heureux et fiers de leurs conquêtes.
 
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Mais qui pense aux enfants dans cette humanisation de l’effort des hommes ?
Paradoxe de notre époque : les conditions de travail des enfants n’ont fait qu’empirer depuis le début du siècle, suivant la courbe exactement opposée à celle de la libération ouvrière.
Au début du siècle, le certificat d’études ne nécessitait point une acquisition encyclopédique présomptueuse. On pouvait y parvenir sans fatigue exagérée ; les livres étaient peu nombreux à l’école et la gamme des devoirs n’avait pas encore atteint la démoniaque perfection actuelle. Le Brevet Élémentaire, le Concours d’entrée à l’École Normale, pour ne parler que des examens primaires, se préparaient encore dans la paix des petites écoles de villages alors qu’il y faut maintenant l’usine scolaire de la ville et des piles de livres à ingurgiter et des théories infinies de devoirs et d’exercices.
Aussi devient-il banal de dire que l’enfant, à partir de 10-11 ans surtout, est constamment surmené. On a dénoncé âprement parfois les dangers de ce surmenage qui continue cependant parce qu’on n’en a point supprimé les causes : l’encyclopédisme croissant des examens.
Toujours est-il que, au moment même où les ouvriers voient réduire considérablement leur semaine de travail, les écoliers voient s’accumuler au contraire les obligations. Lorsqu’il a fait ses trente heures de classe, l’enfant a encore autant parfois d’heures supplémentaires pour faire ses devoirs et étudier ses leçons. Pendant que le père va faire sa partie de manille ou jardiner au soleil, l’enfant accomplit sa tâche de forçat. Et nul ne trouve anormal ce contraste : un enfant jeune encore, qui aurait besoin de long repos, de jeu au grand air, de rêverie, de promenades instructives, qui travaille de longues heures le soir et les jours de congé, tandis que l’adulte qui est en possession de toute sa puissance de travail, qui serait en mesure de produire au maximum, se repose, se distrait, s’humanise.
Et on se plaindra ensuite de la pâleur des enfants, de leur déséquilibre précoce, du vieillissement prématuré de leur visage, de leur manque d’entrain.
Suprême inconscience : il se trouvera même des ouvriers qui ont lutté âprement pour les quarante heures pour imposer, dans leur foyer, à leurs enfants, les longues heures de travail supplémentaire contre lesquelles ils ont tant lutté eux-mêmes.
 
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Il ne fait aucun doute que, humainement parlant, la semaine de travail de l’enfant doit être plus courte que celle des adultes.
LES ADULTES ONT LES QUARANTE HEURES.
LES ENFANTS RECLAMENT LES TRENTE HEURES PAR SEMAINE.
Ils ont, plus que les adultes, besoin de sommeil et de repos constructif ; l’exercice et le jeu sont pour eux des nécessités physiologiques, l’effort intellectuel prématuré, qu’on sait être le plus épuisant des travaux, les désorganise et les déséquilibre.
Si on envisage la santé des enfants, leur harmonie constructive, le sens de leur vie, trente heures d’efforts par semaine sont largement suffisants.
 
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Mais alors, dira-t-on, et les examens, et l’acquisition, et la préparation à la vie !
Autant de sophismes qu’il nous faut démolir, et ce sera facile.
L’acquisition pour laquelle on torture incessamment les enfants n’est jamais considérée pour ses fins vraiment humaines. On lance les enfants dans une sorte d’affolante compétition : il faut savoir toujours davantage, et le plus tôt possible, pour réussir aux examens, pour conquérir des places, pour essayer de monter dans la hiérarchie bourgeoise ou petite bourgeoise. A cette soif de conquête, à ce faux besoin de s’élever et de s'enfler, les parents, hélas I sacrifient tout, jusqu’à la santé et au bonheur de leurs enfants.
Mais n’avons-nous pas connu la même compétition dans le domaine social et ouvrier ? Est-il si loin qu’on l’ait totalement oublié le temps où la vie ouvrière n’était que compétition aussi pour un plus fort salaire ? Au lieu de s’entendre pour exiger de leurs patrons ou de la société des conditions plus humaines de travail, chacun prétendait se débrouiller pour arriver : et c’était à qui ferait le plus grand nombre d’heures de travail, à qui consentirait le maximum d’heures complémentaires.
L’organisation ouvrière est venue changer tout cela et substituer à l’ère de la concurrence, celle de la justice dans la répartition du travail.
Tolérerons-nous alors que seuls les enfants restent lancés à fond de train dans cette compétition épuisante, et ceux qui n’ont pas craint de verser leur sang pour supprimer les journées exagérément longues et les heures supplémentaires, n’affronteront-ils donc jamais l’humanisation du travail scolaire des enfants ?
 
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Nous nous souvenons que, au temps où les ouvriers bataillaient pour les huit heures, des expériences et des statistiques tendaient à prouver que les ouvriers rendaient autant en huit heures de travail qu’en dix heures. Et on en conçoit la possibilité, car quiconque n’est pas surmené travaille harmonieusement : ses gestes sont plus sûrs, plus vifs, plus rapides, donc plus efficients.
La chose est plus frappante encore dans le domaine intellectuel et scolaire : le repos, la santé, l’harmonie physiologique sont absolument indispensables à un travail normal. De sorte qu’il n’est pas très osé d’affirmer que l’enfant rendra plus en trente heures de bon travail par semaine qu’en cinquante heures d’études au ralenti.
Et puis, il y a, comme dans l’industrie, une réorganisation qui s’impose.
Nos écoles travaillent encore selon les techniques usitées il y a 50 à 80 ans, au temps où le papier et l’encre étaient rares, les communications difficiles, les journaux populaires inexistants. Il faut que l’école soit adaptée aux possibilités nouvelles qu’apportent l’imprimerie en général et en particulier la presse sous ses formules les plus populaires, le cinéma, la radio, les disques, la poste, les trains rapides, le télégraphe et le téléphone. Par cette adaptation, il est possible de stimuler d’une façon fantastique l’acquisition et l’éducation à l’école et de supprimer notamment tous ces devoirs et ces leçons qui sont comme les ramifications honteuses et clandestines de l’école.
 
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Est-ce à dire que nous proscrirons toute éducation hors des trente heures prévues ?
L’ouvrier cesse-t-il obligatoirement tout travail après ses 46 heures de présence effective et ne sait-il pas, avec persévérance, à ses heures de liberté, faire le bûcheron, le maçon ou le jardinier?
L’enfant surmené en classe et à la maison se dégoûte de tout travail intellectuel et le fuit dès qu’il en a le loisir. Tout comme l’ouvrier exténué fuit l’effort physique dès sa sortie de l’usine. Mais l’ouvrier, mais l’enfant chez qui on a harmonisé et réduit raisonnablement l’effort imposé sentent au contraire le besoin de travailler à leur enrichissement matériel, social ou spirituel selon les lignes de leurs besoins fonctionnels.
Hors des heures de classe l’enfant doit et peut travailler, mais librement, à des tâches qui le passionnent, et il appartient justement à la pédagogie, scolaire ou familiale, de trouver, de définir et de rendre possible ces tâches.
Et c’est à cette besogne que s’emploient les éducateurs du Groupe de l’Imprimerie à l’École.
Si vos enfants stimulés par l’Imprimerie à l’École veulent écrire des textes le soir à la veillée, s’ils veulent matérialiser le chant et la poésie qui vibrent en eux, s’il leur plait de graver du linoléum, de faire de la photographie, si on sait les entraîner à des excursions salutaires et instructives, si on peut leur offrir du bon cinéma, pratiquement, l’enfant travaillera effectivement, hors de l’école, plus et avec plus de profit qu’aujourd’hui. Mais l’effort ainsi fourni, au lieu d’être destructif et fatiguant, s’insérera dans le processus normal de vie et d’incessante acquisition qui est le propre des enfants.
 
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Si nous réalisons cette deuxième partie d’un programme d’éducation, s’ils voient leurs enfants intéressés et occupés à des besognes dont ils sentiront eux-mêmes l’attrait et le profit, les parents cesseront de réclamer le travail à la maison et ils s'orienteront avec nous vers cette pédagogie active et libératrice.
La formation, l’acquisition profonde gagneront considérablement à cette conception nouvelle de la vie des enfants. Mais l’acquisition verbale superficielle, ce qu’on continue à appeler d’un mot expressif : le bourrage de crânes, souffriront certes de cette réduction de la journée de travail. Apprendre par cœur des résumés, ressasser des leçons, copier des textes interminables et sans intérêt, cela nécessite des heures de travail. C’est pour y parvenir qu’on imposait le travail à la maison comme complément nécessaire de l’activité scolaire.
La suppression du travail forcé à ta maison obligera les éducateurs à réviser leurs techniques de travail.
Elle obligera les administrateurs aussi à modifier la conception et la technique des examens qui, à ce jour, contrôlent exclusivement cette acquisition livresque et sont, de ce fait, les principaux responsables de l’état aigu actuel de la scolastique. Si, dans aucune école, aucun enfant ne peut, hors de la classe, continuer le bourrage traditionnel, il faudra bien que toute l’école se mette au pas et que, tenant compte des nécessités nouvelles, on bouleverse la technique des examens.
C’est pourquoi nous considérons comme primordial l’acte essentiel qui est la réduction de la journée obligatoire de travail de l’enfant.
Nous résumons donc ci-dessous l’essentiel de nos propositions à ce sujet, propositions que nous demanderons à nos élus de présenter au Parlement.
Primo :
A l’ère de la semaine de quarante heures et des congés payés doit corresponde une réduction parallèle du temps de travail obligatoire des enfants.
La semaine de travail imposé ne doit pas dépasser, dans l’enseignement, trente heures par semaine.
En conséquence, il est interdit aux éducateurs de donner, hors des trente heures régulières de cours, des devoirs supplémentaires qui seraient considérés comme une infraction à la loi.
Secondo :
La réduction du temps de travail imposé va rendre nécessaire la réadaptation et la modernisation des techniques de formation et d’acquisition de l’école.
Le Gouvernement sera invité à orienter la pédagogie dans le sens de cette réadaptation.
La formule des examens qui ont été jusqu’à ce jour les principaux instigateurs du travail interscolaire devra être adaptée aux nouvelles techniques scolaires et mesurer scientifiquement l’acquisition profonde et la formation personnelle des enfants.
Tercio :
L’École ainsi comprise ne saurait remplir son rôle de préparation maximum des enfants que si son action est renforcée par une organisation souple mais efficace de l’activité libre des enfants. Toute une pédagogie théorique et pratique, inconnue jusqu’à ce jour, est à étudier et à mettre en action : c’est celle de l’organisation du travail libre des enfants hors de l’école : travaux manuels ou intellectuels, salles de lecture et de réunion, pédagogie et technique de journaux d’enfants moraux et éducatifs, nouvelle pédagogie du cinéma, du disque, de la radio, du théâtre pour enfants.
Le Gouvernement serait invité à considérer que l’organisation de cette pédagogie lui incombe au même titre que la pédagogie scolaire, que des éducateurs doivent y être préparés et désignés ensuite pour y travailler, que des fonds doivent être prévus pour l'activité libre para-scolaire des enfants.
 
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Réduction à 30 heures de la journée de travail imposé des enfants.
Réorganisation pédagogique et technique du travail scolaire et des examens qui sera nécessitée par la réduction du temps de travail obligatoire.
Prise en charge morale et matérielle par l’État de l’éducation extrascolaire des enfants.
Telles nous paraissent être les trois étapes indispensables à la modernisation de notre enseignement et à l’humanisation de nos techniques.
 
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Il faut que, dans tes milieux d’enseignement, dans les milieux ouvriers on fasse sentir l’inconséquence d’une société qui ne veut pas donner aux enfants les garanties essentielles arrachées par les adultes ; il faut qu’on reprenne et qu’on intensifie la propagande naguère amorcée contre le surmenage scolaire ; il faut que nous dressions, face aux conceptions rétrogrades de la pédagogie traditionnelle, les revendications majeures de l’enfant, de l’adolescent qui protestent, consciemment ou non, contre l’injustice dont ils sont victimes.
Il faut que notre mot d’ordre :
LA SEMAINE DE TRENTE HEURES POUR NOS ENFANTS
gagne tous les milieux afin qu’elle devienne sous peu une réalité.
Il n’y a à cette réalisation aucun obstacle insurmontable, nous l’avons montré. Une société, un gouvernement qui ont  organisé la semaine ouvrière de quarante heures et les congés payés doivent être en mesure de prévoir pour nos enfants une vie humaine leur permettant de travailler avec profit dans la santé et la joie.
Célestin Freinet
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 7, 1er janvier 1938 dans son intégralité
 

 

La réforme du C.E.P.E., 1er janvier 1938

Freinet rappelle les propositions du mouvement pour un accès au second degré pour tous ceux qui ont suivi l’enseignement du premier degré. Le second degré deviendrait ainsi la suite naturelle du premier degré. 

Et améliorer cet examen pour éviter le bachotage et le bourrage de crâne.  

 

Le Conseil supérieur et le ministre devant se prononcer à ce sujet au cours des premiers mois de 1938, les diverses associations et personnalités s'agitent et présentent des suggestions.

Le rapport que nous avons établi en commun avec le Groupe du Nord et le Groupe Français a été un des éléments les plus sérieux qui a été en bien des ras la base de toutes discussions. Nous avons fait certainement, en l’occurrence, besogne utile et profitable.
Trois tendances se font jour actuellement :
1) Les secondaires, en général partisans d’une culture qui pour être la culture doit, selon l’avis de M. Piéron lui-même, commencer très tôt, sont opposés à un certificat d’études unique donnant accès au secondaire, parce que cet examen ne pourrait pas, pratiquement, intervenir avant la 12e année. On préconise alors soit un examen spécial (c’est ce qui existait), soit un C.E.P.E. en deux parties, l’une très tôt, donnant accès au secondaire, l’autre à la fin de la scolarité, comme fin d’études.
Le mal serait, à notre avis, doublement aggravé.
2)  Il existe dans l'enseignement primaire même un courant créé par les fabricants de certificats d'études en série, et pour lesquels il ne saurait exister de travail effectif et d’éducation qu’en fonction de cet examen. On propose alors dans ces cercles de reporter le C.E.P.E. à la fin de la scolarité.
3) D’autres enfin, et nous souhaitons qu’ils soient écoutés, maintiennent les conditions générales de notre rapport de juillet. Ils rappellent que si l’on veut un 2e degré comme suite naturelle du premier degré il faut que tous ceux qui ont satisfait à l’enseignement du premier degré puissent y avoir accès. Un examen spécial, même si c’est sous la forme d’une première partie du C.E.P.E. ne fait qu’opérer un triage prématuré et rejette aussitôt la grande masse hors de cet enseignement qu’on voudrait démocratique.
Et surtout que le C.E.P.E. ne soit pas reporté à la fin de la scolarité, sinon ce sera, qu’on le veuille ou non, le bachotage qui étendra ses ravages à la scolarité prolongée qui semblait s’en dégager et s’orientait résolument, de ce fait, vers les techniques nouvelles.
Nous choisissons naturellement pour le moindre mal et demandons un examen unique, amélioré pour réduire les causes de bourrage, donnant accès aux classes d’orientation et laissant l’instituteur libre pour les dernières années de la scolarité.
Les examens tels qu’ils sont conçus et organisés aujourd'hui sont un mal pour quiconque envisage la formation des enfants et les conditions de travail des éducateurs. Nous sommes d’avance partisans de toutes solutions qui réduisent ce mal nu minimum. De toutes façons ce n’est pas l’organisation des examens en elle-même qui régénérera l’enseignement, mais les possibilités que cette organisation laisse aux enfants et aux éducateurs pour les véritables tâches d’éducation dans le sens des techniques nouvelles.
 
Célestin Freinet
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 7, 1er janvier 1938 dans son intégralité

 

 

A propos des coopératives scolaires, 1er janvier 1938

 

Une mise au point de Freinet, après la réception d’un courrier de Barthélémy Profit 

 

  Nous n’avons pas toujours été d’accord avec M. Profit, l’initiateur des Coopératives scolaires, mais nous n’avons cessé de déclarer que la coopération scolaire était une des formes originales de l’école nouvelle en France et que, en en lançant l’idée, M. Profit avait fait œuvre de grand pédagogue.

Nous avons constamment engagé nos camarades à constituer des Coopératives dans leurs classes, et dans l’esprit pédagogique défini et défendu par M. Profit et en opposition avec l’esprit mercantile et retardataire de ceux qui ont vu dans l’idée de la Coopération un moyen pratique de faire payer les usagers.
Dans l’E.P. n° 5, à propos d’un article de M. Profit paru dans le Manuel Général, nous avons indiqué pourquoi nous ne partirions pas en guerre avec M. Profit contre l’Office des Coopératives. Notre point de vue, exprimé avec quelque brièveté, ne méritait cependant pas, croyons-nous, la lettre suivante de M. Profit, que nous croyons utile de verser au dossier de la Coopération scolaire pour que nos camarades puissent décider sainement la route à suivre.

16 décembre 1937 
Mon cher Monsieur Freinet,
Mes sentiments à votre égard n'ayant jamais varié, je cherche les raisons possibles de votre parti-pris à l'égard de nos coopératives.
Vos tentatives pour en créer de semblables n’ont pas réussi. Si vous en avez connu quelque dépit, je n'y suis pour rien : nul ne vous demandait de vous borner à « glaner chez nous ». Vous avez sollicité ensuite de vos adhérents des critiques à leur sujet et vos enquêtes n'ont pas abouti. Aussi, c'est d'un ton assez désinvolte que vous annoncez la mort de nos associations. Tout beau, cher Monsieur, les Coopératives que vous tuez se portent assez bien. Un peu de patience, s'il vous plait.
Surtout, ne vous laissez pas prendre au bluff de l’Office qui, depuis dix ans, promet des subventions mirifiques et qui, en 1936, à ses sections départementales (dont les coopératives ne sont qu’une partie dans le plan) alloue royalement 38.000 fr. dans toute la France ; de l’Office qui annonce l’embrigadement de 4.000 coopératives alors qu'il n'en compte que 2.000 dont beaucoup ne « paient pas ». Je sais bien que nous avons affaire depuis 1933 à forte partie, depuis que quelques chefs, agissant sans instructions, essaient de livrer à une organisation extra-scolaire, ce qui ne leur appartient pas, des associations qu’ils ont, au contraire, mission de protéger. Patience ! Attendez ! A moins que vous ne soyez pressé de voir, comme en Russie, l’école inspectée par les gérants des coopératives d’adultes.
Peut-être bien, voyez-vous dans l’Office, malgré les expériences que vous avez faites ailleurs, un allié possible. Auprès de tous ces alliés que vous recherchez pour le développement de vos techniques, vous serez toujours — avec quelques autres — aussi sympathique que ce voyageur dont parle J. Payot, qui a pénétré à minuit dans un compartiment où tous sont étalés à leur aise. Et bien sincèrement, c’est ce que je vous souhaite. Soyez longtemps ce voyageur pour le progrès de l’école que nous aimons tous deux, en me permettant toutefois d’inscrire cette autre expérience touchant un homme qui pouvait avoir plus de compréhension et plus de sympathie pour des associations qui ont contribué assez largement au développement de l’Imprimerie à l’École.
Un mot encore : vous dites que je n’ai pas su ou pu en rester l’animateur. Vous me permettrez de penser que c’est là ne rien entendre à l’œuvre de liberté que nous avons voulu créer, et dites-vous bien que je ne l'ai pas voulu. C’est parce qu’elle est une œuvre de liberté qu’elle ne comporte pas d’animateur unique et si je combats l’Office, c’est parce que son entreprise vise précisément comme à l’exploitation des petits déjà suffisamment rançonnés par d’autres œuvres, à la centralisation, à la hiérarchisation, à la mécanisation de l’oeuvre créée par nos sacrifices d’argent, de temps, de peines diverses. Et c'est pour cela que nous aurons raison dans la lutte de la vérité contre l’erreur, pour l’indépendance contre la sujétion à un organisme extra-scolaire sans droit comme sans compétence. La coopération des intérêts matériels ne prévaudra pas en face de la coopération des esprits et des cœurs que nous voulons maintenir dans l'école.
Vous vous voyez déjà notre cohéritier avec l’Office. Vous ne boudez pas l’Office et sans doute espérez-vous vous accrocher à lui. Croyez bien que l’héritage n’est pas encore ouvert.
Ni surpris ni peiné, je continuerai à le défendre contre tous les intrigants et tous les arrivistes, car il s’agit ici de l’indépendance de l’école, de la liberté des maîtres comme de celle des enfants.      

Recevez, etc.

 

(signé) : Profit.
J’en suis à me demander si cette lettre m’était bien destinée ?
Ai-je manifesté quelque parti-pris vis à vis des Coopératives? Si quelqu’un de nos lecteurs a cru saisir une telle pensée je m’excuse d’une expression imparfaite de mes sentiments, car je reste à fond pour les coopératives, surtout les coopératives inspirées par l’idée pédagogique de Profit.
Quand avons-nous fait des tentatives pour créer de nouvelles coopératives? Comme si notre mouvement ne nous avait pas toujours accaparés et si nous n’avions pas été heureux de trouver dans les bonnes coopératives scolaires des alliées permanentes?
Nous avons sollicité des critiques contre les coopératives; mais c’était contre les coopératives mercantilisées, et nous croyons être là en compagnie de M. Profit. Pourquoi dès lors aurions-nous quelque dépit ?
Avons-nous annoncé la mort des Coopératives? Je serais bien attristé si j’avais un jour à faire une semblable annonce. J'ai constaté seulement que, par suite de la création en série de coopératives mercantilisées, les bonnes coopératives ont perdu du terrain comparativement aux autres, ce qui ne veut pas dire que les bonnes coopératives n’aient pas progressé. Je regrette d’ailleurs cette disproportion croissante en nombre sinon en influence véritable.
Je n’ai jamais essayé de défendre l’Office. Nous ne cherchons pas d’allié puisque nous ne craignons pas la critique des mouvements qui, tels la Coopération de Profit, sont le plus près de nous.
Je ne me fais aucune illusion sur l’appui que nous pouvons attendre de l’Office et des associations similaires et je regrette sincèrement que M. Profit se soit mépris sur mes sentiments vis-à-vis des bonnes coopératives qui ont toujours été, je le sais, les meilleures propagandistes de nos techniques et dont je recommande partout la constitution dans l'esprit défini par M. Profit dans ses livres.
Je dis cela, non pas pour essayer de plaire à M. Profit ou pour me raccrocher à quelque organisation, mais parce que c’est ce que je crois être la vérité et que je dis la vérité — meme lorsqu’elle me dessert momentanément.
II n’y a qu’un petit désaccord sur lequel je n’ai certainement pas suffisamment insisté dans ma courte chronique : je n’ai pas. vis-à-vis des coopératives adultes, la sainte horreur que manifeste M. Profit; je ne pense pas que la Coopération scolaire doive n’être que la coopération des esprits et des cœurs. Elle doit être aussi la coopération économique, 1a boîte à sou, indispensable dans notre régime; et elle s’apparente, de ce fait, aux coopératives adultes dont elle peut, donc, rechercher l’alliance.
Les Coopératives scolaires ne doivent pas être des associations mercantiles; mais ce serait masquer la réalité que de ne pas reconnaître les lourds soucis matériels qui sont à l’origine de la création de toute Coopérative.
C’est, à mon avis, cette intransigeance puritaine qui a créé le schisme dans la Coopération scolaire, schisme qui risque de frustrer la coopération scolaire de l’esprit pédagogique et social dont l'expérience Profit devait l’imprégner.
Il n’y a aucun calcul d’aucune sorte dans nos paroles favorables à l’Office. Nous pensons que les Coopératives mercantiles à l’origine — et il est regrettable qu’elles soient mercantiles — sont susceptibles cependant, si nous savons les animer, d'apporter à l’école populaire quelques précieux éléments de vie, en attendant qu’elles s’imprègnent davantage des principes idéaux de M. Profit.
Voilà la raison profonde, et la seule, qui nous pousse à ne pas bouder l’Office.
Nous ne nous accrochons à personne; nous ne recherchons aucun héritage puisque nous avons peine à gérer nos propres richesses. Et, tout comme M.. Profit, nous n’avons qu’un souci, servir l’école et ses maîtres.
 
Célestin Freinet
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 7, 1er janvier 1938 dans son intégralité
 

 

Le Groupe Français d’Éducation Nouvelle et nous, 1er janvier 1938

 En réponse à la résolution prise lors d’une réunion nationale du G.F.E.N., Freinet renouvelle ses préoccupations sur le devenir du travail avec le Groupe s’il ne devient pas plus actif et représentatif dans les sections départementales et au premier degré.  

 
Dans le n° 2 de l’E.P. nous avons cru devoir mettre nos camarades au courant des discussions poursuivies à Bellevue, durant la journée d’Éducation nouvelle du 1er août. Selon notre habitude, nous avons tenu à mettre nos lecteurs en face des problèmes sans rien masquer de leur acuité.

Au Groupe Français on s’est quelque peu ému de quelques passages de cet article et il en a été discuté dans une récente réunion à laquelle je n’ai malheureusement pas pu assister. J’avais envoyé cependant une longue lettre explicative dans laquelle je maintenais en tous points la forme et le fonds de mon court rapport en disant encore une fois la nécessité urgente pour le Groupe de travailler et de réaliser s’il voulait répondre aux aspirations des cercles toujours plus importants d’éducateurs s’intéressant à l’éducation nouvelle.
Voici la résolution publiée à ce sujet à l’issue de la réunion du 9 décembre du Groupe Français :

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   COMPTE-RENDU DE LA REUNION DU 9 DECEMBRE 1937

 A propos du compte-rendu publié dans « l’Éducateur Prolétarien » sur la réunion qui a rassemblé, à Bellevue, en juillet dernier des amis de l’Éducation nouvelle, dont plusieurs d’ailleurs n’appartenaient pas au G.F.E.N., M. Wallon croit nécessaire de relever certaines inexactitudes d’où pourraient résulter des malentendus qu’il est évidemment dans les intentions de M. Freinet lui-même d’éviter. 

Loin d’avoir, comme le dit M. Freinet, manifesté de l’inquiétude au sujet de son activité pédagogique. Mlle Flayol et M. Wallon l’en ont publiquement félicité. Mais comme il invoquait cette activité pour se faire réserver à lui et à ses amis de l’enseignement primaire les questions relatives à la pédagogie du premier degré, on lui a fait remarquer le morcellement qui en résulterait et qui est tout à fait contraire aux conceptions les plus modernes sur l’évolution de l’enfant et sur les besoins de son développement harmonieux, personnel et total. La réunion n’avait d’ailleurs pas qualité pour modifier la structure du Groupe.

 Quant à la menace dont M. Freinet avait appuyé sa demande de faire démissionner ses amis, il ne s’agissait évidemment là que d’une boutade sur laquelle il est inutile d’insister.  D’autres membres du Groupe ont dit le malaise que leur avait causé l’article de Freinet. Des explications échangées il résulte que liberté appartient à tous et à chacun de combiner à des préférences pédagogiques telles préférences politiques, philosophiques ou religieuses. Mais le Groupe Français d'Éducation Nouvelle n’est responsable que des décisions prises officiellement par lui et publiées comme telles dans le « Bulletin du Groupe Français d’Éducation Nouvelle » et dans « Pour l'Ère Nouvelle ». Tout le reste relève de la simple liberté de discussion.

Le G.F.E.N. profite de cette occasion pour rappeler son ferme propos de réunir, d’aider, de soutenir, tous ceux, individus ou groupements qui travaillent au perfectionnement ou a la propagande des méthodes d’éducation nouvelle quelles que soient leurs convictions religieuses, politiques, philosophiques, etc. et par ailleurs leurs activités au sein d’autres groupements. Il ne prononce d’exclusive pour aucune méthode, pour aucune catégorie d'enfants, pour aucun milieu. Il demande à ses membres — dont chacun travaille dans son milieu, avec sa foi ou ses espoirs, avec ses techniques — d'accepter qu'à côté d’eux d’autres travaillent dans des milieux, avec des croyances et des techniques différentes. Il n'est inféodé à aucun parti politique laissant chacun de ses membres se réjouir de voir réalisé ses vœux d'éducation nouvelle par son parti ou regretter qu’ils le soient par un autre.
L’influence et la part d’autorité de ses membres sont dues à la valeur de leur travail dans le domaine de l’éducation, non à leurs croyances ou leur parti et il est juste que les meilleurs ouvriers soient plus écoutés et plus étroitement associés à la direction, sans pourtant disposer jamais d'un monopole.

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 Je ne ferai à ce sujet que deux courtes mises au point.

1) Je n’ai jamais demandé à me faire réserver à moi et à mes amis les questions relatives à la pédagogie du premier degré. Comme si nous avions pu avoir quelque avantage à ce privilège.
J’ai simplement constaté un fait, regrettable d’ailleurs : que, lorsqu’on parle d’éducation nouvelle dans les départements, c’est toujours notre mouvement qui est là, à la besogne ; lorsque des éducateurs œuvrent pour ce mouvement, comme par hasard, ce sont toujours des fidèles de notre Groupe; lorsqu’il s’agit de mener un enquête pédagogique, d’organiser conférence ou exposition, ce sont encore des membres de notre Groupe qui s'en chargent. De ce fait l’action pour l’éducation nouvelle dans les départements risque toujours d’apparaître comme trop directement influencée par nos réalisations. Et c’est ce que craint le Groupe Français qui a raison d’ailleurs de rappeler qu’il reste largement ouvert à toutes les idéologies et à toutes les tendances.
Mais nous sommes en face d’un fait. J’ai fait moi-même appel à la collaboration : connaissez-vous quelque éducateur actif et dévoué, hors de notre Groupe, susceptible de s’occuper, non pas en dilettante, mais avec cœur et persévérance des grandes questions que le Groupe devrait mettre d'urgence à l’étude ? Et nous reposons la même question, car on aurait tort de croire que nous recherchons et que nous cultivons le redoutable monopole de l’éducation nouvelle dans l’enseignement primaire où il y a tant à faire.
Mais si, malgré nos recherches, pas plus que dans le passé, nul ne se présente pour la besogne sans brillant et sans gloire qu’il nous faut mener tout au long des jours, comme il est cependant indispensable, pour notre marche en avant, d’étudier les grandes questions connexes d’actualité, eh bien, nous serons à la tâche.
Mais nous nous demandons pourquoi cette besogne devrait être faite comme clandestinement par nous, comme s’il fallait laisser croire que d’autres que les adhérents de notre Groupe ont collaboré à notre travail lorsque cela n’est pas ? Pourquoi continuerions- nous à masquer notre activité alors que nos réalisations, aujourd’hui connues de tous les éducateurs, imprègnent directement la réorganisation en cours de l’enseignement primaire.
Nous demandions au Groupe Français de donner au Groupe de l’Imprimerie à l’École autorité pour mener en son nom toutes enquêtes concernant l’Éducation nouvelle. Notre Groupe, nos adhérents, se seraient mis alors, officiellement au service d’un mouvement pour lequel, sans rien abdiquer de leurs préoccupations, ils auraient su encore se dévouer généreusement.
Il reste bien sûr que nos camarades sont libres de donner au Groupe toute l’activité dont ils sont capables, et nous les y convions avec insistance. Mais il y a loin de là à l’action cohérente et ordonnée que nous aurions voulu mener, par notre Groupe, au nom du Groupe Français, Et il y avait tout à faire.
On a eu peur de l’influence de notre Groupe. Résultat : aucun travail d’aucune sorte n’est amorcé pour l’enseignement primaire. Et cela est grave : car, nous ne craignons pas de le répéter, un Groupe d’Éducation nouvelle ne peut vivre et prospérer que s’il travaille, s’il réalise dans le sens de l'éducation nouvelle.
2) Je n’ai pas menacé de faire démissionner mes amis. Ceux-ci sont absolument libres de leurs actes et je n’ai aucune autorité pour les faire se séparer de telle ou telle organisation. Je ne suis jamais intervenu dans ce sens auprès d’aucun de nos camarades qui sont suffisamment éduqués pour savoir où vont leurs intérêts.
J'ai été seulement le porte-parole de centaines de camarades et j’ai dit : j’ai fait campagne au cours de l’année pour la constitution de Groupes départementaux d’éducation nouvelle. Mais nos camarades supposent naturellement que ce Groupe agira et réalisera selon leurs aspirations. Dans le cas contraire, comme je prévois les déceptions, je ne pourrais pas tromper davantage nos membres et les pousser à adhérer à une association au dynamisme insuffisant. Si le Groupe Français veut travailler, nous serons nombreux à nous dévouer pour lui. Dans le cas contraire, nous serons contraints de chercher une autre forme d’organisation nationale.
Il ne s’agit là ni d'une menace ni d’une boutade, mais simplement de l’expression évidente de ce que pensent, de ce que veulent tous les camarades qui, à notre appel, se sont lancés dans le mouvement d’éducation nouvelle. La menace ce n’est pas moi qui la brandis. Je la formule. Mais elle reste une menace de fait : les éducateurs d’avant- garde ne sauraient s’accommoder d’une organisation nationale qui pour des questions de formalisme intérieur, craindrait de se lancer dans la lutte et le travail.
Nous ne réclamons aucun privilège. Nous sommes totalement d’accord avec les paragraphes suivants de la résolution votée. Mais nous ne voudrions pas non plus que, pour ne pas déplaire à quelques éléments dont l’appui à notre mouvement est plus qu’aléatoire, on se refuse à considérer la puissance dynamique d’un Groupe qui a montré pratiquement ce qu’il était capable de réaliser.
Nous le répétons avec quelque angoisse : le Groupe Français est-il disposé à travailler dans l’enseignement primaire, même s’il doit faire appel pour cela à la collaboration avouée des adhérents de notre Groupe ? Dans ce cas-là nous sommes totalement à sa disposition, et nous ne tirerons pas la couverture à nous, car cc qui nous importe avant tout c’est la marche en avant.
Dans le cas contraire, soyez persuadés que je ne serai pas seul à faire des réserves, à proférer des menaces sérieuses, et à chercher, s'il le faut, la possibilité de réaliser nationalement, malgré toutes les défaillances, les aspirations des éducateurs populaires.
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 Nous ne voudrions pas que les dirigeants du Groupe Français puissent croire à une quelconque manœuvre de notre part; nous voudrions encore moins que nos adhérents puissent nous reprocher un jour un silence nuisible à la grande cause de l’éducation nouvelle populaire. C’est notre sort de lutter, de protester, de déplaire parfois. Nous nous y résolvons parce que nous voyons là la condition nécessaire de notre marche en avant. Que ceux qui auraient tendance peut- être à nous reprocher l’âpreté de nos critiques veuillent bien considérer qu’elles nous coûtent à nous aussi mais que seul doit compter le progrès général de l'éducation nouvelle populaire.

 

Célestin Freinet

 
L’Éducateur Prolétarien, n° 7, 1er janvier 1938 dans son intégralité

 

 
 

 

Encore un effort de compréhension, 15 février 1938

L’éducation nouvelle avec ses activités « attrayantes » est insuffisante, il faut redonner du sens au travail avec une nouvelle ressource éducative : la communauté. A l’inverse d’une éducation individualiste et autoritaire, se sentir membre d’un courant social permet de se dépasser…

Freinet récuse « L’enseignement ennuyeux » comme moyen – préconisé dans le dernier Manuel Général – pour motiver les enfants : après l’ennui, tout semblerait attrayant ! 
Ne pas habituer les enfants à la misère, à l’injustice, plutôt leur apporter bonheur, justice et enthousiasme, ils seront ainsi mieux formés pour aller de l’avant, être téméraires et défendre leurs droits. Préférer les entrainer vers la vie dont le mouvement adopte et adapte les buts et les techniques. 

 

Nous ne nous arrêtons pas trop souvent, on le sait, à la justification théorique de nos techniques.
Et c’est à dessein.
Le raisonnement le plus subtil et le plus logique apparemment est à nos yeux sans valeur s’il est contredit par les faits et par les observations que les éducateurs sont amenés à faire au jour le jour, avec leur simple bon sens.
Nous laissons à d’autres les grandes spéculations philosophiques, même si on doit cataloguer d’exagérément primaire cette attitude toute expérimentale et qui se refuse à l’explication et à la justification dialectiques.
Les pédagogues qui nagent obstinément dans les vieilles pratiques traditionnelles peuvent, pour masquer leur immobilisme, invoquer des théories désuètes. Nous, c’est au feu de l’expérience que nous les jugeons.
 
***
Et notre cause, si elle a fait des progrès considérables, est loin cependant d’être gagnée. Elfe ne le sera pas tant que la grande masse des éducateurs et des inspecteurs n’aura pas intimement compris, expérimentalement, la justesse des grands principes d’éducation nouvelle.
Or, ce sont justement ces principes essentiels qui sont l'objet dans la presse et ailleurs aussi donc de critiques obstinées contre lesquelles nous devons encore une fois nous élever.
L'axe central de nos réalisations est en effet cette grande question d’intérêt et de travail.
On a constaté, et on constate tous les jours, que l’enfant comme l’adulte d’ailleurs, ne se donne jamais que partiellement à une activité qui ne l’intéresse pas, c’est-à-dire qui ne répond pas aux besoins puissants de son être. Et l’attention accordée aux diverses besognes scolaires est directement proportionnelle à la proportion d’intérêt qu’elles éveillent. Trouvez le chemin de l’âme et de la vie des enfants : vous sentez alors que votre effort rend à 100 %. Écartez-vous de cet intérêt : vous entrez dans le domaine du mensonge, de l'activité superficielle que satisfait parfois un incurable verbalisme mais dont il ne reste rien ou si peu.
Le grand problème pédagogique reste incontestablement : par quelle organisation du travail, par quelles techniques l’École peut-elle toucher au maximum les enfants afin d'obtenir le maximum d’efficience ?
Là réside le nœud central de nos préoccupations, la ligne directrice permanente de nos recherches.
Nous n’essayerons même plus de justifier cette nécessité pédagogique qui « tombe sous les sens ». Nous demanderons seulement à nos lecteurs de penser à leur jeunesse et de juger loyalement aussi leur activité actuelle d’adulte. Ils verront que cet intérêt profond, physiologique presque, cette nécessité de faire corps avec l’activité proposée sont toujours le mobile des seules réalisations qui comptent dans la vie...
Mais il y a le passé qui pèse et l’incompréhension aussi de ceux qui ont tâtonné dans leurs recherches avant que s’étale la grande lumière.
On se souvient, en effet, que, par réaction à la triste école ennuyeuse, l’éducation nouvelle a prêché d’abord l’école attrayante. A cet enfant si totalement vidé de réactions profondes par les pratiques traditionnelles, on a offert d’abord le puissant intérêt du jeu.
Et alors, on se déclare triomphalement contre une éducation nouvelle « attrayante », uniquement basée sur le jeu.
Nous aussi nous sommes contre une telle éducation qui est tout à fait dans la ligne bourgeoise de la facilité. Nous réprouvons nous aussi ces techniques qui ont été une étape qui consistent à « attirer » l’attention de l’enfant par des procédés qui tiennent du charlatanisme. Mais nous sommes à l'aise pour cette réprobation parce que nous pouvons affirmer que le jeu n’est pas du tout l’instinct le plus puissant et le plus profondément dynamique chez l’enfant. Du moins le jeu tel qu’on le comprend communément, si spécifiquement déformé et détourné de ses buts.
Il y a, certes, un domaine où le jeu voisine étrangement avec le travail, où il s’identifie avec le travail. Et c’est là qu’il faut atteindre si on veut baser définitivement des techniques : Lorsqu’il compose ou qu’il imprime, l’enfant travaille et joue tout à la fois. A tel point qu’on a souvent nommé JEU les petites imprimeries qu'on offre dans les bazars. Joue-t-il ou travaille- t-il lorsqu’il grave du linoléum, classe des documents ou prépare spontanément une conférence ? Son activité est alors du même type que celle du petit chat qui joue avec une pelote, mais qui joue avec sérieux au point de se mettre parfois en colère, parce que ce jeu le prépare à saisir sa proie demain.
Si ce mot de jeu n’avait pas été tellement galvaudé, nous pourrions ainsi appeler JEU-TRAVAIL toutes nos activités pour bien marquer qu’elles répondent totalement aux besoins les plus profonds de la race, y compris les besoins de jeu. Et c’est pourquoi nos techniques sont si appréciées, pourquoi elles ne lassent jamais...
Réunissez dans vos classes tous ces jeux pédagogiques ou pédago- commerciaux inventés et diffusés au temps de l’école « attrayante ». Et puis apportez nos techniques : offrez aux enfants des activités profondes, socialement motivées, répondant parfaitement à leurs besoins essentiels et l’imprimerie et le fichier, les conférences aussi sont parmi celles-là, vous constaterez une désaffection rapide du jeu inutile et démoralisant au profit de notre TRAVAIL-JEU, à l’intérêt permanent.
Et si vous souhaitez être convaincus de cette différence, mais si vous n’avez pas encore l’imprimerie pour en faire la preuve éclatante, voyez simplement autour de vous : mettez entre les mains de vos enfants un de ces jeux apparemment passionnants que le commerce a imposés aux familles. Puis, à côté des enfants jouant, commencez à menuiser, à scier, à clouer... Dès la première 'surprise de la nouveauté passée, vous verrez les enfants délaisser leur jeu et s’en aller vers ces activités qui réalisent plus complètement leurs désirs ancestraux et auxquelles on revient par tous les temps et dans tous les pays.
Et malheur aux enfants qui ne les ont pas connues et qui ont été si totalement déformés par les jeux et l'éducation attrayante et qui ont perdu parfois jusqu'à l’instinct de leurs besoins vitaux !
Vous comprendrez alors cette différence essentielle que j’ai voulu marquer entre notre école vivante et l’école attrayante, entre les activités profondes répondant aux besoins essentiels des enfants jeu compris et le jeu vulgaire, déformé par la civilisation et imposé dans sa forme mineure par le mercantilisme.
Inutile de dire alors que nous sommes entièrement d’accord avec les critiques qui voient dans l’enseignement « attrayant » une des plaies de notre époque, la dévirilisation totale des enfants, leur impuissance devant les événements qui réclament plus que jamais décision et héroïsme.
 
***
INTERET ET EFFORT !
Voilà encore un thème à discours pour ceux qui n’ont pas encore entrevu la voie nouvelle.
Nous avons été tellement habitués, nous, les manants, à travailler sans joie sous le fouet du maître, à épuiser notre volonté en des besognes qui n’avaient aucun sens, que nous ne pouvons admettre parfois qu’existe un ordre social ou pédagogique qui ignore cet effort inhumain. Nous ne croyions connaître que cette sorte d’effort... Et c’est celui même que nous chargeons de toutes les vertus, comme l’esclave qui baise la main du bourreau.
Mais n’y a-t-il pas une autre sorte d'effort, plus efficient, plus normal, et plus humainement profitable, celui qu’on fait parce que, individuellement ou socialement, on en sent l’ardente nécessité.
Nous n’irons pas chercher bien loin dans le temps un exemple probant.
Croit-on que Papanine et ses compagnons qui sont partis VOLONTAIREMENT pour leur exil au pôle n’ont pas eu à fournir un effort physiologique et moral sans précédent ? Que leur calme et leur sérénité en face du danger ne nécessitent pas une lutte surhumaine entre l’instinct de vie et les forces supérieures qui les ont fait se déclarer volontaires pour une aventure aussi héroïque ?
Eh ! bien, nous ne voulons plus de l’effort des esclaves asservis à leur maitre ; nous réalisons et réaliserons l’effort héroïque et voulu qui a engendré les Papanine.
Nous avons pour cela une nouvelle ressource éducative : la communauté.
Une éducation individualiste sombre facilement vers la facilité et l’égoïsme si elle n’a pas, pour la redresser, la force oppressive qui l’oblige à « faire effort ». Mais ce n'est là qu’une nécessité née d’une grave erreur : il ne saurait y avoir d’éducation individualiste puisque l'homme vit en société et que l’influence du milieu reste déterminante dans la formation des générations.
Si nous replaçons l’individu dans son milieu normal ; si nous l’habituons à sentir et à comprendre la nécessité de ne pas suivre toujours les lignes de moindre résistance et d’égoïsme, alors prend naissance la moralité nouvelle : l’individu, spontanément, librement, s'astreint à des tâches qui nécessitent plus que de l’effort, des sacrifices parfois héroïques. Nous en avons tous des exemples probants dans nos classes où la vie communautaire se substitue peu à peu à la vieille école individualiste et autoritaire.
Nous le répétons : nous ne voulons pas de l’éducation amollissante et passive, qu’elle se présente sous l'aspect revêche de la vieille école ou avec le masque facile de l’effort « attrayant ». Il nous faut des individus habitués à réfléchir, à juger et à agir dans le sens des obligations individuelles et sociales qu’exige le monde nouveau.
Mais nous récusons, on le conçoit, le moyen offert dans le Manuel Général du 12 février par M. André Ferré, directeur d’École Normale : l'enseignement ennuyeux.
L’auteur écrit :
« L’enseignement ennuyeux, dispensé à doses modérées, a des vertus immédiates et d’autres qui sont à échéance plus lointaine. Le simple effort pour réprimer un bâillement est déjà bienfaisant, et contribue à l’apprentissage de la maîtrise de soi. Fixer son attention sur un objet sans charme et même sans intérêt, comme une liste de chiffres, de dates ou de noms propres, se résoudre à accomplir de son mieux une besogne ingrate, comme d’apprendre par coeur une telle liste, se débarrasser des difficultés non en les ignorant ou en les escamotant, mais en les attaquant avec patience, n’est-ce pas une salutaire discipline ? Et comme tout autre travail entrepris après cette petite cure d'ennui paraît plus excitant ! »
Nous connaissons l’antienne. On dira aux enfants : apprenez à faire ce qui vous déplait parce qu’il faudra faire plus tard des besognes sans intérêt pour vous, mais auxquelles vous serez astreints. On leur enseignera à souffrir et à patienter parce que souffrir et patienter sont le lot des prolétaires, et que, effectivement, des enfants habitués à la misère et à la souffrance supporteront avec plus de docilité le triste sort qui les attend.
Mais nous, nous ne vouions justement pas de cette habitude à la docilité et à la misère. Nous savons que toute souffrance injuste, toute obligation à fournir un effort dont on ne sent ni les raisons ni les buts sont des atteintes graves portées à la vie même des enfants, un amoindrissement de leurs possibilités d’épanouissement, une mutilation de leur élan.
Nos enfants auront toujours le temps de s’habituer à la misère, et peut- être même à l'oppression et à l’injustice. Donnons-leur, pour l’instant, le maximum possible de bonheur, de justice et d’enthousiasme. Ils seront mieux armés pour aller de l’avant, avec une forte volonté d’attaque, intrépides et téméraires devant le danger et l’injustice... Ils seront les lutteurs prolétariens que nous voulons.
Si maintenant, d'aucuns goûtaient insuffisamment ces considérations plus sociales que pédagogiques, nous citerons le cri humain d’un des écrivains qui ont su parler de l’enfance avec le plus de compréhensive sensibilité,  Charles-Louis Philippe[1] :
« On dit que le mauvais temps passe et qu’un enfant de douze ans, à cause de son imagination voyageuse, trouve le chemin du bonheur. Et l’on ne s’en inquiète pas dans le monde. Si nos mères nous regardent, elles voient la souffrance, mais le monde n’en tient pas compte et parle de la nécessité de la souffrance : nous avons tous passé par là... c’est la vie !
 O philosophes ! Qu’avez-vous fait des trois dernières années de mon enfance ! Vous leur avez construit un lycée que vous avez tapissé de vos principes : Mon enfant, c’est pour ton bien ! Vous avez dit : Tu sacrifies le bonheur de ton enfance, mais cela ressemble à ton père lorsqu’il place de l’argent qui lui revient un jour avec des intérêts. O Philosophes ! L'Avenir ne m’a rendu ni le capital ni les intérêts. Jamais il ne les as rendus à personne. Les joies de notre enfance ont un goût qui demeure et une substance qui nourrit les hommes. Moi qui en fus privé, me voici pâle ; or, il n’est pas de suralimentation du bonheur qui nous redonne le bonheur intégral et l’énergie que nous avons perdus ! »
« En vérité, conclut M. André Ferré, l’ennui qu’il faut combattre dans l’enseignement, ce n’est pas celui des élèves mais bien celui des maîtres. Une classe où les écoliers s’ennuient n’est pas forcément médiocre... L’enseignement ennuyeux lui-même exige, autant que l'enseignement attrayant, d’être donné avec une certaine passion. »
Nous nous demandons vraiment si de tels paradoxes ont leur place dans une revue pédagogique sérieuse. Comme si l’ennui du maitre n’était pas intimement lié à l’ennui des élèves, comme si l’école n’était pas, qu’on le veuille ou non, une communauté, même dans l’ennui, et s’il était possible de donner avec passion à moins que ce soit une passion sadique un enseignement qui réfrène toutes les forces de vie de l’individu.
Contre l'enseignement individualiste de la facilité et de l'obéissance, contre l’amollissante éducation attrayante, mais à fond aussi contre tout enseignement ennuyeux, nous allons vers la vie dont nous adoptons et adaptons les buts et les techniques.
Ce n’est, hélas ! que dans les manuels de morale ou dans les leçons officielles que s’aplanissent les difficultés que cette vie suscite sans cesse sous nos pas. Nous ne cachons plus sous un hypocrite verbiage la délicatesse des problèmes qui nous sont posés : nous faisons face !
Et cela exige une honnêteté et une ténacité dans l’effort qui ne sont pas à la mesure de l’ancienne école.
Ce n’est pas en retenant un bâillement que les Papanine s’en vont héroïquement vers le pôle. C'est parce que, sacrifiant délibérément les secondaires considérations personnelles, ils ont su replonger intégralement leur vie dans le puissant courant social auquel ils sentent la nécessité de se dévouer.
Nous resterons à l’école des Papanine !
Célestin Freinet
L’Educateur Prolétarien, n° 10, 15 février 1938 dans son intégralité
 




[1] Ch.-L. PHILIPPE : La Mère cl l'Enfant (N.R.).
 

 

La cause est gagnée, 1er mars 1938

Un « rapport d’activité » de l’Imprimerie à l’École. Un bilan qui projette l’avenir et affirme que la pédagogie Freinet n’est ni une méthode finie ni un dogme, mais bien un mouvement. Un projet ambitieux toujours en construction qui doit réunir tous les éducateurs soucieux d’efficience pédagogique certes, mais aussi d’éducation émancipatrice.
Pour Freinet, tout éducateur devra mener de front l’action pédagogique libératrice et l’action sociale et politique.
La menace du fascisme plane sur l’avenir…   


Après le beau Congrès de l’an dernier, qui avait montré la vitalité et l’allant permanent de notre mouvement, il ne faisait pas de doute que nous allions certainement commencer à nous épanouir.

Le Congrès International de l’Enseignement a été une première étape dans cette voie.

A Paris, nous avons bien senti autour de nous une grande curiosité et une ardente sympathie. Aussi notre Conférence sur nos techniques – celles de Boyau sur le Cinéma, celle de Davau sur les Disques et la mienne sur la technique Freinet – furent-elles d’incontestables succès. Des centaines d’éducateurs, parmi les plus conscients, étaient là. Ils ont pu, à ce moment-là, faire connaissance avec notre mouvement. Et, pendant toute l’année, nous sentions, jusque dans les coins les plus reculés, la répercussion heureuse de nos conférences au Congrès.
On sait aussi toute l’importance que nous accordons au milieu, au climat, pour l’épanouissement, à un moment donné, d’initiatives latentes. Les récentes mesures officielles : éducation physique, réduction d’horaires, loisirs dirigés, classes d’expérimentation, scolarité prolongée, ont sans nul doute contribué largement à créer un climat favorable à l’éclosion de nos techniques.
Nous sentons maintenant le réveil de toute une couche d’éducateurs que nous croyions insensibles et qui, brusquement, par nécessité, se sont mis au pas de l’éducation nouvelle, tacitement ou même parfois formellement encouragés dans cette voie par les autorités elles-mêmes.
Conséquence naturelle : en un an, notre chiffre d’affaires a presque doublé malgré les augmentations constantes de prix. Depuis août dernier, nous avons livré plus de cent presses, ce qui fait une centaine d’adhérents nouveaux puisque nos presses sont si solides qu’on ne les remplace jamais !...
Des camarades qui, pour des raisons accidentelles, avaient dû abandonner nos techniques, y sont revenus. Et nous sommes heureux de constater que, avec notre presse, dans la presque totalité des cas, ce n’est pas un vulgaire matériel didactique qui entre à l’école, mais bien aussi une techniques, des besoins et des possibilités nouveaux dans la ligne pédagogique que nous avons toujours préconisée et défendue.
[…]
 
*** 

Le mouvement de l’Imprimerie à l’École et les officiels
 
Nous n’avons jamais recherché les honneurs et nous ne les recherchons pas. Nous ne ferons aucun sacrifice idéologique ou pédagogique pour plaire à qui que ce soit.
Notre mouvement se présente tel qu’il est. Nous insistons seulement pour que nul n’en déforme ni la portée ni les moyens d’action.
Mouvement d’instituteurs travaillant dans leurs classes, nous nous méfions toujours quelque peu de ceux qui ont monté en grade et qui, directeurs ou inspecteurs, sont déjà, plus ou moins haut placés, des contre-maîtres ou des directeurs assez loin de la masse des instituteurs, assez loin des enfants aussi, et incapables, de fait, de mener à bien l’adaptation que nous préconisons.
Nous affichons formellement cette défiance. Ce qui ne signifie point que nous ayons a priori, d’autres parti-pris vis-à-vis des Inspecteurs notamment.
Nous savons combien leur tâche est délicate, combien elle a été délicate au temps surtout des pouvoirs réactionnaires. Alors même que les puissances ennemies cherchaient à nous abattre, nous devons à la loyauté historique de dire que, dans la presue totalité des cas, les Inspecteurs ont gardé vis-à-vis de notre mouvement une neutralité sympathique qui nous a permis de continuer notre travail en marge des règlements.
Maintenant cette cause est gagnée. Le Plan d’Études Belge, les nouvelles directives espagnoles, préconisent nos techniques. Les récentes directives officielles françaises nous sont totalement favorables. Du coup, les Inspecteurs Primaires ont la possibilité d’exprimer leurs préférences et nombreux sont ceux qui encouragent ouvertement nos adhérents ou nos futurs adhérents.
Dans nos conférences, ces mêmes Inspecteurs, en général très compréhensifs, viennent apporter aux éducateurs rassemblés le poids de leur autorité.
Nous nous en réjouissons sans réserve, disposés que nous sommes à œuvrer loyalement avec tous ceux qui comprennent la nécessité de l’action à laquelle nous avons tant sacrifié.
 
*** 

Notre mouvement et le Syndicat national 
 
Nous n’insisterons pas à ce sujet puisque nous avons donné longuement notre position dans un récent n° de l’E.P.
Nos adhérents sont parmi les meilleurs militants. Et nous ne demandons pas mieux que de nous intégrer au maximum dans la grande famille du Syndicalisme universitaire.
Notre action d’avant-garde nous place, certes, dans une position parfois difficile, pas toujours comprise de la masse : et cette incompréhension est et restera peut-être longtemps encore le plus gros obstacle à la parfaite collaboration que nous souhaiterions.
Nous sommes disposés aussi à braver cette incompréhension pour continuer notre action d’avant-garde, même si elle doit parfois nous faire suspecter par ceux qui ne comprennent pas la lutte ardente que nous avons engagée.
 
***
Notre mouvement et le Groupe Français d’Éducation Nouvelle
Pendant longtemps, nous avons essayé de rassembler autour de nos techniques tous ceux qui s’intéressent à la rénovation de l’enseignement, à ce qu’on appelle, d’un mot aujourd’hui admis : l’éducation nouvelle.
Pour ce rassemblement, la collaboration et l’appui du Groupe Français d’Éducation Nouvelle se sont révélés comme les plus efficaces. Partout où des sections de ce Groupe ont été fondées, nos camarades n’ont eu qu’à s’en féliciter : des réunions ont été organisées, des filiales prévues, une heureuse campagne pédagogique entreprise.
Nous continuons donc notre action au sein du Groupe Français.
Cela ne signifie pas que nous devons nous contenter dans cette association d’un rôle passif pour lequel, on le sait, nous sommes peu disposés. Mais nos suggestions, nos critiques, ne seront jamais des attaques et nous espérons que les dirigeants du Groupe sauront y voir ce que nous y mettons nous-mêmes : notre ardent désir de faire vivre en France un mouvement d’Éducation nouvelle capable d’impulser et d’harmoniser nos efforts communs.
Nous entendrons à Orléans les divers camarades qui, dans les départements, ont travaillé à l’organisation de sections. Nous demandons à Mlle Flayol d’assister à nos discussions.
De notre Congrès sortiront des directives qui vont, au cours de l’année à venir, nous aider à répandre encore davantage nos idées pédagogiques au sein du personnel enseignant.
 
***
Ce long exposé de notre activité répond d’avance aux critiques à courte vue de ceux qui avaient cru voir dans nos réalisations une méthode trop tôt définie et déjà dogmatique.
Nous ne sommes pas à la recherche d’une méthode. Nous sommes un « mouvement » pour la modernisation de notre école et l’amélioration pédagogique et technique de nos conditions de travail.
Ce que nous avons déjà bâti n’est rien à côté de ce qui nous reste encore à réaliser. Nous avons pleinement conscience et c’est pourquoi nous affirmons des projets grandioses pour lesquels nous travaillerons méthodiquement et avec persévérance jusqu’à ce que nous ayons atteint nos buts essentiels : introduire à l’école des outils et des techniques de travail si bien adaptées aux nécessités de l’heure que les éducateurs qui se joignent à nous puisent dans ces activités nouvelles de puissantes raisons de vivre, pour que l’école aussi acquière de ce fait un rendement et une efficience jamais égalés.
Nous avons posé le problème, jeté les bases de la solution à trouver. Tous ensemble, nous aboutirons.
 
***
Nous avons mis comme titre : La Cause est gagnée…
Et la plus avait écrit spontanément au-dessous : si…
La cause est gagnée si les conditions sociales, économiques et politiques continuent à être favorables à l’évolution de nos techniques ; si le « climat » dont nous avons parlé autorise la continuation de nos efforts.
Et il n’y a qu’une conjoncture qui pourrait changer ce climat : c’est le triomphe du fascisme.
Nos techniques libératrices ne survivraient pas à la défaite de la démocratie, à l’asservissement du peuple. L’expérience des pays qui ont sombré dans la réaction nous en donne la triste assurance. La lutte qui se poursuit en Espagne nous montre, elle aussi, où sont nos amis et nos défenseurs.
C’est pourquoi, sans vouloir aborder dans ses détails la question si délicate des luttes politiques, nous affirmons encore une fois la nécessité pour les éducateurs de mener de front et l’action pédagogique libératrice et l’action sociale et politique antifasciste. La réaction serait la mort de notre mouvement ; le triomphe progressif du gouvernement du peuple est la garantie de notre épanouissement.
Nous lutterons à fond pour le triomphe du peuple.
Célestin Freinet
 
L’Éducateur Prolétarien, n°11, 1er mars 1938 dans son intégralité

 

Nous bâtissons la Pédagogie Populaire, 15 mars 1938

Éducation nouvelle bourgeoise ou éducation nouvelle populaire ?

Freinet répond aux questionnements de l’institution. L’enfant ferait-il que ce qui lui plairait dans les classes Freinet ? L’enfant devrait-il souffrir pour apprendre ?
Enthousiasme, élan, joie, vie… sont des moteurs essentiels que ne comprend pas la scolastique. Pourtant, la compréhension de ce que l’enfant a à faire, l’organisation et le sens des activités qu’il donne au sein d’une communauté coopérative ont montré leur réussite plutôt que l’autoritarisme, l’individualisme, l’obéissance passive et l’obligation.
Les classes Freinet sont modernes par leurs techniques en cohérence avec celles qu’utilise la société.
Convaincre par des discours est insuffisant, l’expérience et l’expérimentation sont indispensables. Freinet insiste pour que les techniques de cette pédagogie populaire ne soient pas figées dans une théorie, car elles ne sont pas établies définitivement. Elles devront évoluer au fil des expériences et des réflexions vers des pratiques plus humaines et plus efficientes, un vaste chantier ! 
L’Imprimerie à l’École est un mouvement entraîné vers l’avenir par la vie.
 
A l’issue de ma conférence de Périgueux, M. l’Inspecteur d’Académie de la Dordogne a tenu à me poser quelques questions qui montrent avec quel intérêt et quelle compréhension il a suivi mon exposé, mais qui marquent aussi un doute que nous devons dissiper au risque de nous répéter quelque peu. Il disait :
Vous avez critiqué fort justement les expériences menées dans les Écoles Nouvelles bourgeoises. Mais l’éducation que vous préconisez n'est-elle pas, elle aussi, essentiellement aristocratique en ce sens qu’elle ne peut convenir à la masse des enfants, puisque vos élèves devraient aller à l’école fort tard pour parfaire leur formation selon notre idéal ?
Vos enfants font ce qui leur plaît... Comment conciliez-vous cela avec les nécessités éducatives de l’école publique ?
 
***
Il y a une première erreur sur laquelle nous vouions encore insister parce qu’elle est cause d'une grave méconnaissance de l’esprit pédagogique qui nous anime.
Nous ne disons nullement que les enfants chez nous ne doivent faire que ce qui leur plaît. C’est une déplorable école anarchisante, et dans le plus mauvais sens du terme, qui pose le problème éducatif de façon aussi théorique, et nous ne sommes nullement des anarchistes en éducation. Dans la vie, nul ne fait ce qui lui plaît : nos désirs et nos tendances sont sans cesse en butte à des nécessités économiques et sociales impérieuses avec lesquelles il serait fou de ne pas compter.
C’est justement l’ancienne école qui ignore ces nécessités : elle soumet de bonne heure les enfants, il est vrai, à l’épreuve de l’autorité et de l’asservissement, mais elle ne les prépare point à des réactions salutaires en face des problèmes de l’heure, et c'est en ce sens qu’elle est inactuelle, donc retardataire, d’où réactionnaire et néfaste.
C’est contre cet autoritarisme et cet asservissement que nous protestons. L’expérience a suffisamment prouvé que, en éducation plus encore que dans la vie, l'autoritarisme et l’obligation sont toujours un mauvais calcul. Il faut que l’enfant comprenne et sente la nécessité de faire ce qu’on lui demande, qu’il en discerne le but, qu’il organise lui-même, à son rythme autant que possible, les activités qui y mènent pour qu’il se donne 100 % à sa tâche et que tous les problèmes pédagogiques en soient bouleversés.
C’est la communauté qui réalisera ce miracle.
Éducation anarchiste et aristocratique ? Mais n’est-ce pas là les caractéristiques essentielles d’une école qui ne préconise, ne prône, ne pratique, que le travail individuel, comme si l’enfant était et devait être seul dans la vie, qui isole les individus dans un milieu factice, avec des techniques désuètes, parce que la vie est trop complexe et qu’il est toujours plus simple et apparemment plus sûr de faire en vase clos les expériences dont on veut voir sur le champ la réussite.
Nous allons au maximum vers la vie. Par l'imprimerie, par toutes nos techniques, nous introduisons le plus possible à l’école les normes de la société ambiante ; à l’école même nous ne supprimons pas les problèmes sociaux : nous restons au centre de ces problèmes en travaillant sans cesse au sein de la communauté scolaire. Et c’est cette communauté qui corrige toutes les erreurs d’éducation.
Non, l’enfant chez nous ne fait pas tout ce qui lui plait. Il fait nombre de choses qui lui demandent effort et sacrifice. Mais il sent la nécessité individuelle et sociale de ce sacrifice. Et c’est cette donnée nouvelle qui transforme radicalement l’atmosphère de nos classes et la portée de notre éducation.
Il y a chez tous les adultes et chez les éducateurs aussi une sorte de sadisme inconscient que nous avons maintes fois dénoncé : nous avons tant pâti, physiquement, intellectuellement et moralement, que nous admettons difficilement que des générations nouvelles puissent, de leur propre gré, enthousiastes et gaies, monter aussi haut que nous, aller plus loin encore que notre idéal pour réaliser un jour nos rêves. On veut à tout prix charger l’éducation et l’instruction de l’éternel péché originel qui entraîne la souffrance et la terreur de réaliser « à la sueur de son front ».
Il y a d'autres techniques : la vie et l’élan, l’enthousiasme et la joie construiront un jour ce que l’autoritarisme scolastique n’a pas su entrevoir.
 
***
Alors, on croit fermement que nos enfants ne pourront point acquérir l’instruction nécessaire si l’école n’est pas là avec ses techniques pour les obliger à toutes ces acquisitions que les pédagogues ont rendues à souhait hermétiques et rébarbatives.
Est-ce en pleurant que l’enfant apprend à parler ? Le gazouillis de bébé au berceau, si délicieusement semblable au gazouillis des oiselets au printemps, n’est-il pas l’exemple émouvant de ce que peut la vie et de la joie qui est naturellement liée à toute conquête ?
Tout notre effort tend à prouver au contraire qu’il y a des techniques de vie qui permettent un maximum d’acquisition et de formation sans obligation scolastique. Et encore une fois l'acquisition merveilleuse et mystérieuse du langage nous en est un éloquent exemple.
Le tout est de découvrir ces techniques et nous nous y sommes employés.
Parce qu’on peine tant, dans les écoles officielles, pour enseigner la rédaction, la lecture, la grammaire, le calcul ; qu’à treize ans, malgré tant d’efforts et tant de déboires, l’écolier quittant l’école n’a pas toujours maîtrisé ces techniques, on en conclue tout de suite qu’on ne fera mieux que si « on se donne plus de peine », si on pâlit davantage sur le livre, si on pleure et si l’on souffre plus encore.
Il est certes un peu humiliant pour des éducateurs d’assister à l’épreuve contraire : sans vos leçons, sans vos exercices tenaces, sans cris, sans pleurs (nous ne disons pas : sans effort), nos enfants iront bien plus loin que les vôtres et plus sûrement, aussi bien en lecture qu’en grammaire, ou qu'en rédaction. Et nous le prouvons : dans nos écoles, nous suivons les programmes et la proportion des élèves reçus du C.E.P.E. et à un rang honorable, est bien plus élevé dans les écoles travaillant selon nos techniques que dans les autres écoles.
Et cela se comprend si on raisonne non plus scolastiquement mais humainement : nous savons bien, par notre commune expérience, qu’un travail imposé est toujours fait avec quelque lassitude et à contre-cœur, même s’il présente un certain intérêt. L’obligation apporte la contre-partie défensive : la tromperie et le sabotage.
Que nous sentions au contraire la nécessité profonde d’une besogne à accomplir : nous sommes capables alors d’efforts surhumains, héroïques parfois... Nous mettons nos enfants à cette école d’héroïsme : tout le reste nous vient par surcroît.
 
***
Il est vrai que nous frisons l’aristocratisme.
Nous pensons, en effet, que la possibilité de s'éduquer au cours de toute une adolescence ne devrait pas être le privilège d’une fausse aristocratie qui n y prend que morgue et suffisance. Quatorze ans ne devrait jamais être la clôture d’une éducation mais seulement l’aurore prometteuse d’un épanouissement.
Nous voudrions qu’à cet âge, nos enfants aient acquis, plus qu’un savoir apparemment précis et définitif, la conscience de leur véritable ignorance en face de la vie. Mais nous voudrions aussi que, au seuil de cette vie, ils ne soient pas minés déjà par une mentalité de désabusés et de vaincus ou de révoltés. Nous les voudrions pleins d’allant et d’enthousiasme, intrépides à l’action, parce qu’alors, nous sommes certains qu’ils sauraient s'organiser et lutter pour accéder aux conquêtes réservées aujourd’hui à cette aristocratie.. Quelque peu aristocratique aussi notre souci de faire jaillir en chaque enfant l’étincelle d’idéal de beauté ou de génie qu’on y découvre toujours à quelque degré.
L’École traditionnelle a délibérément refoulé les possibilités enfantines pour sacrifier à ce sadisme de l’effort et de la souffrance.
Nous savons, nous, que la joie vient d un désir intime et profond, souvent inavoué, qui se réalise enfin; que la vie est stimulée et parfois portée à son paroxysme par la satisfaction normale d’un besoin. Et, délibérément, nous recherchons ces désirs et ces besoins et nous nous en servons de leviers pour élever et vivifier nos jeunes enfants.
Il se peut que, dans la société actuelle, l’effort libre et consenti, la réalisation puissante de nos destinées, l’éclosion sacrée de ce que nous portons rie meilleur en nous soient scandaleusement aristocratiques. Nous affirmons que pas nos techniques, et dans le cadre actuel de notre école et rie notre société, les enfants du peuple peuvent déjà en bénéficier.
 
***
Nous ne nous faisons cependant pas d’illusion. Il ne nous suffit pas de faire des discours, ni même de convaincre nos collègues (l’expérience seule d’ailleurs peut préparer cette conviction).
Il ne suffit pas non plus de bâtir théoriquement une technique.
Il nous serait facile, certes, de mettre aujourd’hui sur le papier une méthode définitive et brevetée peut-être et de dire comme de prétentieux inventeurs : ceci est notre méthode, nul n’a le droit de la modifier... Qui l’applique doit l'adopter intégralement, et avec notre matériel complet et breveté...  
Non, notre méthode n'est pas dans la théorie. Théoriquement, nous n’avons pas découvert grand chose. Nous n’avons peut-être même rien découvert du tout, mais nous avons certainement apporté dans la compréhension pédagogique un bon sens et une honnêteté qui auront raison un jour prochain de tous les savants verbiages.
Nous avons certes une ligne libératrice qui nous permet d’adapter de plus en plus parfaitement aux besoins enfantins nos essais et nos réalisations.
Mais notre méthode elle est avant tout dans l’organisation nouvelle de la vie de l’école et du travail des enfants et dans la réalisation toujours plus poussée du matériel qui permet cette organisation. C’est cette mise au point permanente, ce constant effort d’adaptation qui sont nos caractéristiques essentielles.
Alors, nous nous gardons, bien sûr, de dire que notre technique est enfin établie définitivement. Ce serait là un non sens. Nous avons déjà obtenu des résultats certains, mais ce que nous avons réalisé, n est rien à côté de l’immense besogne qui nous reste à faire et dont nous avons pleine conscience.
Et c’est justement parce que notre technique est avant tout pratique et matérielle qu’elle peut se réaliser par étapes et qu’elle apporte, morceaux par morceaux, jour par jour, aux éducateurs qui s’engagent dans notre mouvement, des satisfactions sans cesse accrues. On introduit l’imprimerie à l’École... Pour imprimer deux fois par semaine. Puis on imprime tous les jours... On ne pratiquera pas les échanges cette année... Et l’on s’y met immédiatement sous la poussée des enfants eux-mêmes... Le fichier : c’est trop long et trop compliqué... Et puis on se met à sa réalisation... Puis les fiches autocorrectives s'imposent... On essaye des conférences, des plans de travail... on fait de la gravure à un rythme accéléré... L’adaptation et la modernisation de l’école, timidement amorcée, prennent de l'ampleur et, sans heurt, sans « cobaye », sans anarchie ! (par l’organisation au contraire), la joie et la vie reviennent dans nos écoles populaires. Et les programmes eux-mêmes que nous trouvions autrefois exagérés et prétentieux, deviennent moins inaccessibles, une fois la délimitation faite entre les acquisitions normales et les quelques obligations antipédagogiques qui persistent, en histoire surtout....
Cette adaptation, cette montée progressive vers des pratiques plus humaines et plus efficientes, cet effort incessant pour l’amélioration de notre enseignement, avec, à la base, notre découverte expérimentale de l’importance primordiale de l’expression libre par l’Imprimerie à l’École, c’est cela notre mouvement, c’est cela notre technique. Elle est, nous l’avons dit, mouvement et avenir parce qu’elle est vie.
 
***
En présence de la faveur croissante que nos techniques rencontrent auprès du public et même auprès des autorités, nous sentons venir le moment où des ouvriers de la onzième heure, plus profiteurs que réalisateurs, essaieront de monnayer ce que nous avons créé avec tant de dévouement et de désintéressement collectifs.
Mais non, nos techniques ne pourront pas être exploitées tant que nous leur garderons ce caractère dynamique que nous avons tâché de préciser aujourd'hui encore.
Des traités théoriques ou même pratiques, d’autres pourront en écrire ; des éditeurs pourront les susciter et les diffuser. Mais ces traités eux-mêmes, comme leurs prédécesseurs, ne seront encore une fois qu’une désillusion pour les éducateurs s'ils sont une résurrection du verbiage d’éducation nouvelle
Le travail effectif de mise au point du matériel et des techniques, nous seuls pouvons le mener parce que nous sommes le seul groupe de travail œuvrant effectivement, et non théoriquement, pour l’adaptation de l’École. Et comme ce travail nécessitera encore de longues années d’efforts et de sacrifices, on nous en laissera longtemps encore l’honorable privilège.
Et on nous suivra dans la mesure où nous réaliserons; on se détachera des belles théories pédagogico-littéraires pour aborder toujours davantage la vie dans la mesure où nous saurons faire triompher les principes de bon sens, de compréhension humaine et d’effort collectif qui, seuls, assureront la rénovation de notre école populaire.
Le succès présent nous encourage certes. Il est pour nous aussi, et de ce fait, une obligation morale à continuer dans cette voie, quels que soient les sacrifices répétés qu’entraine notre conception nouvelle de la lutte pédagogique.
Célestin Freinet
 
L’Éducateur Prolétarien, n°12, 15 mars 1938 dans son intégralité

 

Camarades jeunes instituteurs, 15 mars 1938

Une participation et une mobilisation des jeunes qui réjouit Freinet et le mouvement.

 

 VENEZ AU CONGRES D’ORLEANS
Coopérative de l’Enseignement et de l’Imprimerie à l’École
 
Notre Congrès de l’an dernier avait été marqué par la participation massive de jeunes instituteurs, sous l’impulsion du Groupe des Jeunes, avec nos camarades Biscarlet et Claude comme dévoués animateurs.
Nous avions été tout à la fois étonnés et heureux de voir avec quel intérêt ces jeunes suivaient nos travaux et nous sentions dans cet attrait l’aube d’un mouvement croissant en faveur de nos techniques.
Nous n’avons pas été déçus. Depuis un an, dans tous les départements, les jeunes ont mené une ardente campagne qui a abouti à l’organisation de nombreuses journées pédagogiques et à la constitution de sections du Groupe Français d’Éducation Nouvelle.
Et nous nous en réjouissons.
Nous sommes, en effet, nous le répétons encore, un mouvement de jeunes, parce que nous sommes un mouvement d’avant-garde et d’action, que la jeunesse est action dynamisme, même, et surtout, dirais-je, lorsqu’il y a le risque. L’essentiel est qu’il y ait du nouveau à tenter, qu’on ne coule pas toujours la vie dans les mêmes moules, et qu’on ne mette pas la routine à l’origine d’une profession pour laquelle la routine est la mort.
Oui, nous secouons la routine, nous décortiquons la tradition et nous dénonçons les fausses raisons qui masquent seulement la paresse et l’égoïsme.
Mais nous ne nous contentons pas de critiquer. 11 ne nous suffit pas de vous dire généreusement : sortez des sentiers battus !
Nous préparons coopérativement les nouveaux chemins sur lesquels vous pourrez marcher avec certitude, car la jeunesse aussi se lasse des tâtonnements et des échecs, et les gens en place d’ailleurs surveillent sans cesse ces échecs pour jeter sur les téméraires la douche désespérante de l’ironie ou de la condamnation.
Nous préparons technique et matériel afin que vous puissiez prudemment, progressivement, méthodiquement, vous avancer sur les routes nouvelles, où vous sentez que vous attire la vie.
Notre Congrès d’Orléans sera une nouvelle étape dans cette voie.
Réunion fraternelle d’abord de camarades qu’anime un même idéal, qui sentent les mêmes nécessités, ont entrepris les mêmes expériences. Et les jeunes, comme à Nice, y seront idéalement à leur place.
Congrès de travail aussi, et surtout. Car c’est dans le travail que nous communions. C’ost l’effort réalisateur dans le sens de la libération pédagogique et sociale qui est le ciment entre des idéologies pas toujours très voisines, qui trouvent ici un aliment commun.
Et travail essentiellement pratique.
Vous n’entendrez pas à Orléans d’inutiles discours ou de fastidieuses considérations psychologiques ou pédagogiques. Nous continuerons à mettre au point les outils qui vous permettront d’œuvrer dans vos classes selon des techniques qui sauvegardent au maximum le développement de l’enfant au sein de la communauté sociale.
Notre réputation n’est pas à faire. Mais ce sont les jeunes qui l’ont faite. Et nous comptons toujours sur eux.
Nous savons qu’ils seront nombreux à Orléans où nos camarades leur ont préparé un programme qui les enchantera.
Dès maintenant, préparez vos délégations pour Orléans.
Célestin Freinet
 
L’Éducateur Prolétarien, n°12, 15 mars 1938 dans son intégralité
 
 

 

L’évolution favorable de la pédagogie française, 15 mai 1938

Freinet salue les dernières publications ministérielles qui donnent raison aux maîtres qui ont tenté d’autres pratiques pédagogiques. Le nouveau certificat d’Études répond aux préconisations du mouvement. Même si tout n’est pas parfait dans cet examen, les techniques du mouvement y préparent efficacement.
Les programmes du cours de fin d’études sont imprégnés de l’esprit du mouvement, ils « rompent complètement et délibérément avec la tradition scolaire et visent à rapprocher l’école de la vie » (extrait du texte institutionnel). Par ses pratiques, le mouvement est préparé, le chemin tracé ; il lui suffit de montrer son organisation, d'apporter ses conseils, ses directives,  le matériel adapté et de développer ses éditions (bibliothèque de travail, fichiers, brochures, dictionnaire).  

 
La préparation de notre important Congrès d'Orléans, puis le long compte rendu que nous avons donné de nos débats, ne nous ont pas permis de saluer comme il convenait les publications officielles consécutives à la réunion du Conseil Supérieur.
Il ne s’agit pas d’ailleurs ici de distribuer des louanges à tels ou tels personnages officiels mais de voir avec précision dans quelle mesure les décisions prises servent l’effort de rénovation et d’adaptation que nous défendons depuis tant d’années, quel appui favorable nous pouvons trouver en elles pour poursuivre notre action avec plus de vigueur encore et plus de résonnance.
Ce qui ne nous empêche pas de nous réjouir que les responsables de l’éducation française et le Ministre lui-même aient su, avec une hardiesse qu’il ne faut pas sous-estimer dans les circonstances actuelles, donner raison aux pionniers et encourager leurs efforts, et cela dans une administration hier encore si dominée par la routinière tradition et si encline à juger sévèrement toutes décisions qui rompent au profit de la vie l’apparente harmonie de l’habitude. De la pagaille, du désordre, de l’incompréhension des mesures hâtives mal préparées et parfois sabotées, objectent les sceptiques ! Ils ne voient pas à quel point cet ordre réglementaire et intérieur de l'université française était mortel pour la formation des enfants et le devenir de notre civilisation.
Ils ne comprennent pas que, dans notre monde extraordinairement dynamique, il faut marcher hardiment ou mourir. « Jamais, sans doute, un ordre du jour de la haute assemblée (le Conseil Supérieur) n’avait été aussi chargé, écrit le Manuel Général, et n’avait apporté, en ce qui concerne l’enseignement primaire élémentaire, des « nouveautés » aussi importantes, nouveautés au sens le meilleur du terme. Cette soudure entre l’école et la vie, depuis si longtemps souhaitée, réalisée partiellement par les maîtres qui n’avaient pas peur de prendre quelquefois, à leurs risques et périls, des initiatives jugées hardies et aventureuses, va devenir maintenant une réalité vivante, définie avec une parfaite clarté, précisée sous tous les aspects qu’elle peut prendre dans la vie d’un enfant, aux étapes de sa vie scolaire sans doute les plus décisives ».
 
***
Dans l'École primaire française, le Certificat d’Études a toujours été comme le baromètre de toute l’organisation pédagogique.
Tant qu’il a contrôlé plus ou moins arbitrairement le savoir livresque, le bourrage intensif a prévalu sur toutes tendances éducatives. Depuis plusieurs années, éducateurs, et administrateurs aussi, se sont évertués à amenuiser ce danger : les dictées, dans la plupart des centres, étaient mieux à la mesure de la compréhension enfantine et le barème des fautes était établi parfois avec une indulgence symptomatique; les problèmes devenaient d’année en année moins conventionnels, moins hermétiques, plus intelligents; le dessin libre pénétrait même les épreuves.
Allait-on continuer dans ce sens ou faire machine en arrière en renforçant les épreuves comme le demandaient certains éducateurs.
Nous avions, dans notre N° spécial de l’an dernier, montré la nécessité de continuer dans la première voie et de faire en sorte que cet examen dont nous n’envisageons plus la suppression ne contrarie point nos tendances éducatives et puisse être affronté avec succès par des enfants travaillant selon les techniques nouvelles.
Nous avons eu satisfaction :
1° « La rédaction portera sur un sujet simple se rapportant à la vie personnelle de l’enfant », ce oui exclue ces dissertations scolastiques, d’une morale et d’un sens plus ou moins anachroniques, qui sont aujourd’hui universellement condamnés. Et nos techniques deviennent alors la meilleure des préparations, et la plus logique, à la rédaction ainsi comprise.
2° Nous retrouvons, dans les innovations en calcul, l’application d une de nos suggestions : le contrôle d’une part de la mécanique du calcul et d’autre part de l’acquisition du sens et de la compréhension mathématique par la résolution d’un problème.
Avec un examen ainsi compris, tout enfant ayant acquis normalement la technique du calcul et initié à la compréhension mathématique selon les techniques que nous préconisons doit nécessairement et sans risques arriver à la moyenne.
3° L’épreuve de sciences, histoire, géographie a aussi, selon nous, heureusement évolué. Sur six questions, – pour peu que les administrateurs respectent l’esprit de la nouvelle organisation – tout enfant normalement préparé doit être capable de répondre de façon satisfaisante. Le tout est de simplifier aussi ce contrôle et de le mettre vraiment à la portée des enfants ce qui sera le résultat de la collaboration pratique de nos camarades à l’organisation tout entière du C.E.P.E.
4° Nous avions deux griefs graves à faire à l’épreuve de dictée : qu’elle était souvent hérissée de colles devant lesquelles les enfants moyennement doués échouaient toujours, et que les cinq fautes étaient éliminatoires.
Nous devons reconnaître que cette épreuve s’est considérablement améliorée ces dernières années, qu’on a abandonné les textes rébus au profit d'une plus grande simplicité, donc d’une plus grande compréhension.
Et voici maintenant que, conformément à notre demande, la rigueur des commissions doit être atténuée éventuellement par l’examen de l’orthographe usuelle – les cinq fautes n’étant plus éliminatoires.
Tout examen, si minutieusement et si libéralement préparé soit-il, garde toujours une certaine rigidité et sa large part d’erreurs possibles. Nous avons quelque habitude de ces dictées; nous connaissons aussi ce que valent à ce jour les divers tests en usage. Et il nous apparaît que la dictée telle qu’elle se présente actuellement dans les examens de l'enseignement primaire français est une épreuve des mieux étalonnées et dont on aurait tort, aujourd’hui, de trop médire.
D’ailleurs nos techniques préparent naturellement à l’orthographe correcte des mots qui sont du langage de l’enfant. Il nous reste à lutter, dans les syndicats, pour que tous les mots étrangers à ce langage soient exclus des dictées d’examen qui deviendront alors des tests parfaitement à la mesure de nos écoles.
5° Et enfin, conformément à nos vœux, on a supprimé les mentions.
Voici, rapidement examinées, les raisons qui nous font louer l’effort d’adaptation du C.E.P.E. aux conditions actuelles et aux nécessités de l’éducation progressive. Nous ne disons pas que tout est parfait maintenant, mais nous affirmons que, dans les circonscriptions où sera respecté l’esprit qui a présidé à l’établissement de cette réglementation, les enfants ayant travaillé normalement selon nos techniques sont en mesure de réussir à l'examen du C.E.P.E. sans bourrage systématique (ce qui ne signifie pas : sans entraînement à faire certains travaux selon une forme convenue et dans un temps prévu).
Nous avons dit bien souvent que nous ne sous-estimons point l’acquisition ni la maîtrise des techniques pour des enfants qui vont entrer dans la vie. Et les enfants eux-mêmes, s’ils sont habitués à réfléchir sur les buts de leur éducation, se rendent compte de cette nécessité.
Notre école doit être efficiente. Nos techniques l'y préparent. Qu’un examen bien compris contrôle cette efficience n’est ni pour nous étonner ni pour nous rebuter.
Et révolution présente du C.E.P.E. s’opère dans le sens des techniques nouvelles. Nous ne saurions trop nous en féliciter.
 
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Nous n’allons pas examiner en détail les innovations contenues dans les nouveaux programmes du Cours Supérieur et du Cours de Fin d’Études Primaires élémentaires.
Nous en retiendrons surtout :
que, malgré l’opinion de certains instituteurs eux-mêmes, qui demandaient qu’on reporte à la fin de la scolarité l’examen du Certificat d’Études, le Ministre a maintenu sa conception première d’un cours de scolarité prolongée dégagé de la hantise de tout examen et qu’il a voulu imprégné davantage de cet esprit nouveau que nous préconisons. Le renvoi explicatif concernant ce cours de fin d’études est trop significatif à ce sujet pour que nous ne le reproduisions pas intégralement.
« La classe de fin d’études primaires réunit les enfants de 13 à 14 ans qui vont quitter définitivement l’école.
Malgré lui-même, et malgré les efforts de son maître, l’enfant sépare profondément les connaissances qu’il acquiert en classe, de leur répercussion pourtant constante dans les faits de la vie quotidienne.
C’est pourquoi les programmes de la classe nouvelle, établis dans l’esprit des circulaires du 30 octobre 1936 et du 9 août 1937 qui ont réglé les conditions d’une expérience préalable poursuivie depuis 18 mois, et compte tenu des observations suggérées par cette expérience, ROMPENT COMPLETEMENT ET DELIBEREMENT AVEC LA TRADITION SCOLAIRE et visent à rapprocher l’école de la vie ».
Voilà nos buts, la raison même de nos techniques qui sont officiellement reconnus comme devant imprégner l’enseignement de ces cours de fin d études primaires élémentaires. L’événement est d’importance : il nous pose de nouvelles obligations mais ouvre aussi à nos possibilités de diffusion aux divers degrés des horizons nouveaux.
 
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Des maisons d’éditions vont s’évertuer pour fournir aux maîtres intéressés des outils de travail hâtivement conçus et réalisés, répondant à la lettre des nouveaux programmes plus qu’à l’esprit.
Nous n’avons pas, nous, à changer la direction de notre effort puisque nous avons pris les devants et que la masse des éducateurs est aujourd’hui invitée à s’engager dans la voie que nous avons tracée. Il nous suffit de montrer que nous sommes les mieux préparés, les plus aptes, les mieux organisés pour offrir aux éducateurs non pas seulement des conseils, des directives ou des exhortations, mais du matériel adapté aux fins nouvelles de l'éducation et permettant effectivement les activités aujourd’hui officiellement recommandées.
Forts de cet appoint, nous allons seulement intensifier notre effort, développer nos éditions, enrichir notre matériel, l’adapter aux divers degrés de notre enseignement.
Notre matériel d.’imprimerie est parfaitement au point. Nous faisons fabriquer des presses à encrage automatique (avec fonctionnement à pied ou à main) spécialement adaptées pour les Cours Complémentaires et les classes du 2° degré qui, de plus en plus nombreuses, introduisent nos techniques.
Nous sommes en mesure de fournir, de plus, à ces écoles, le matériel accessoire que nous jugeons indispensable : machine à écrire, limographe, nardigraphe, appareil de prise de vues, cinéma, phonos et disques.
Des centaines d’éducateurs connaissent et emploient notre fichier, que nous développerons méthodiquement à une allure accélérée. L’idée fait rapidement son chemin ; les revues qui nous imitent en publiant des fiches encartées se font de plus en plus nombreuses. Nous allons adapter le fichier aux classes de fins d’études, au C. C. et 2e degré, et la Commission désignée pour ces classes prépare l’édition de fiches spéciales.
La Bibliothèque de travail, implicitement recommandée par les programmes va devenir une nécessité. Aussi allons-nous reprendre immédiatement la parution de ces brochures qui ont eu, ces temps-ci, un si grand succès. Nous allons incessamment mettre en souscription une série de 5 brochures B. T. genre « Histoire des véhicules », qui sera éditée pour la rentrée d’octobre et sur laquelle nous donnerons toutes indications dans notre prochain N°.
Notre Dictionnaire est en bonne voie... Nous le réaliserons prochainement. Une nouvelle Commission se met au travail pour l’adaptation de l’Imprimerie dans les Écoles d’anormaux et les classes de perfectionnement...
Il faut maintenant qu’à cet effort sans précédent pour l’adaptation du matériel et des techniques scolaires, corresponde une propagande intense et permanente telle que nul éducateur ne puisse plus ignorer nos réalisations et que, spontanément, il éprouve le désir de s’adresser à la coopérative pour toutes les activités qui sont en quelque sorte comme notre monopole de fait.
C’est pourquoi nous avons demandé à nos camarades de profiter partout des certificats d’études pour distribuer gratuitement :
– des exemplaires de l’Éducateur Prolétarien,
– de la Gerbe,
– du Fichier,
– des spécimens d’imprimés.
Nous avons demandé à nos délégués départementaux de nous mettre en relations avec un camarade susceptible de faire consciencieusement cette distribution dans chaque centre d'examen.
Que tous nos lecteurs se mettent également à la besogne et que tous nous commandent pour eux et pour d’autres camarades des colis propagande. Nous invitons également ceux qui le peuvent à s’occuper, à ces mêmes examens, de la vente de quelques-unes de nos éditions : nos brochures d’Education Nouvelle Populaire sont d’écoulement très facile, ainsi que les brochures B. T. et les Enfantines. Le remise de 30 % en votre faveur vous couvrira des quelques frais et le produit de la vente compensera dans une certaine mesure le coût des envois.
Mais n’attendez pas davantage pour cette action. ECRIVEZ-NOUS IMMEDIATEMENT.
 
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Je continue d’ailleurs mes tournées de conférences qui ont une telle portée de propagande. Je suis le 12 à Albi, le 25 dans la Nièvre, le 19 juin dans la Charente-inférieure. Malgré les examens, d’autres conférences se préparent.
Nos cours de vacances enfin seront eux aussi une occasion de propagande d’une profondeur et d’une portée exceptionnelles. Outre le travail pratique auquel nos camarades participeront et les cours réguliers qui les initieront totalement à nos techniques, nous nous proposons, de plus, de faire de cette semaine de stage une semaine de travail coopératif du plus haut intérêt.
Nous avons ici des archives incomparables composées de plusieurs milliers de journaux scolaires d’enfants reliés sous forme de livres. Richesse unique au monde, non seulement par son originalité mais aussi par son contenu. Il y a là, nous l’avons noté maintes fois, les éléments d'une nouvelle théorie pédagogique et psychologique dont il nous faudra un jour jeter les bases.
Nous commencerons cette année un travail plus directement pratique : le dépouillement, par les participants du cours, de ces archives pour choisir les documents susceptibles de nous aider dans nos travaux en cours pour :
                            La Gerbe,
                            Le Fichier Scolaire Coopératif,
                            Le Dictionnaire.
Des séances de travail commun nous permettront ensuite de discuter profondément sur oette réalisation. Nous inviterons d’ailleurs la Commission du Dictionnaire à se réunir ici à l’occasion de ces cours de vacances afin de profiter de ces bonnes volontés pour la mise au point des travaux préparés.
Nous prônons l’activité, l’effort personnel selon de puissantes lignes d’intérêt, et le travail coopératif dans nos classes.
Ce qui réussit si bien avec nos enfants, doit réussir de même avec les éducateurs. Et l’expérience prouve que nous avons raison.
Si nos techniques attirent tant de camarades, si nos Congrès enthousiasment à tel point les participants, ce n’est pas seulement parce que nous leur présentons des méthodes originales et un travail nouveau : c’est surtout qu’ils sentent là, au sein de notre communauté, la possibilité de satisfaire enfin, coopérativement leur désir de perfectionnement pédagogique. A la passivité et à l’ennui, nous substituons dans ce domaine aussi la création et la vie.
Que d’efforts, parfois valeureux, rebutés jusqu’à ce jour parce que les natures généreuses s’étaient toujours heurtées, seules et vaincues d’avance, aux grandes forces mercantiles au service de la tradition ! Que de projets partiellement réalisés, et qui auraient fait tellement avancer la pratique pédagogique sont restés enfermés dans les tiroirs de l’école !
C’est parce que nous avons enfin trouvé le moyen de mobiliser ces bonnes volontés éparses, que nous sommes actuellement la plus importante force pédagogique de notre pays.
De plus en plus notre mouvement prend sa vraie figure : un groupe d’éducateurs travaillant coopérativement, et sans but lucratif, – en sacrifiant temps et argent – à l’adaptation définitive de notre enseignement et à la mise au point du matériel nouveau que suppose cette adaptation.
Et nous avons acquis aujourd’hui la puissance commerciale qui nous permet de réaliser nos rêves, de fabriquer du matériel, d’éditer des brochures, des fiches, de mettre debout, selon une technique jamais encore pratiquée, le véritable dictionnaire des enfants du peuple.
Nous convions à cette œuvre les milliers d’éducateurs qui s’accommodent mal de la routine traditionnelle, qui sentent la nécessité de la recherche et de l’effort, qui comprennent qu’il y a quelque chose de plus réconfortant que le profit personnel et le mortel égoïsme : la joie enthousiasmante de mêler son effort, pour des buts connus et désirés, à ceux de milliers d’autres camarades qui ont entrepris, et déjà en partie réalisé, en commun, une œuvre pédagogique à la mesure de notre grandiose et tragique destinée prolétarienne.
Célestin Freinet
 
L’Éducateur Prolétarien, n° 17, 15 mai 1938, dans son intégralité
 

 

Une organisation nouvelle de l’école, 15 juillet 1938

Dans le monde du travail, les ateliers ont changé pour s’adapter aux nouveaux outils, à l’école tout est resté à l’identique et ne correspond plus aux nouvelles activités inscrites dans les dernières instructions officielles. La transformation pédagogique en cours ne se fera qu’avec une transformation des locaux scolaires. Plus d’écoles-casernes !
Célestin Freinet donne des pistes de transformation des grandes écoles de villes.  

 Une architecture nouvelle pour une pédagogie nouvelle

 La conception, l'organisation, la forme des ateliers de travail a évolué sans cesse avec l’introduction de nouveaux outils de travail et de techniques dont le rendement était intimement lié à l’organisation matérielle des locaux eux-mêmes.

On pourrait justement, à travers la forme et la disposition de ces locaux, mesurer cette évolution : pièce unique, attenante au logement du patron, au temps de l’artisanat ; usine indépendante mais non encore différenciée à l’apparition de la grande industrie, vastes locaux, spécialement construits pour leur affectation spéciale dans la période actuelle de standardisation et de taylorisme.

L’École, elle, en est restée, pour ce qui concerne les locaux, à la conception matérielle d’il y a un siècle : grande pièce unique et géométrique, uniforme partout et sans aucune différenciation, que l’éducateur doit pouvoir surveiller en permanence, préparée pour cette surveillance et pour le travail passif des enfants, plus spécialement pour la technique – pas encore disparue, hélas ! de la leçon magistrale, de la lecture du manuel et de l’écriture individuelle : estrade pour le maître, bancs et pupitres pour rester assis, écrire ou croiser les bras, tableaux noirs, fenêtres haut placées, passages réguliers entre les rangées de bancs, tout comme à l’Église.

 Or, qu’on le veuille ou non, la pédagogie a quelque peu évolué : on condamne aujourd’hui la leçon passive, qui n’est qu’un pur verbiage, et dont on commence à mesurer le faible rendement instructif et éducatif. Les récentes instructions ministérielles font une place de plus eu plus importante à toutes ces activités, naguère si négligées par l’école et que nous avons préconisées et préparées : Imprimerie à l’École, gravure, échange interscolaire, fichiers, décoration, dessin libre, travail du bois et du fer, collections, jardinage, sorties, etc. 

Celle organisation nouvelle du travail nécessite des locaux adaptés à ce travail. Elle est impossible dans les locaux actuels, même neufs.
La transformation pédagogique en cours ne se fera pas sans une transformation parallèle des locaux scolaires permettant les nouvelles formes d’activité.

Cela est indéniable et quiconque réfléchit se rend compte de la justesse de notre raisonnement.

Il ne suffit pas d’esquiver le problème sous prétexte que ce que nous demandons est une chose apparemment impossible. Si elle est impossible, l’École nouvelle sera impossible comme le travail standardisé auraient été impossible dans les anciens locaux d’usines.
Nous avons vu, il y a quelques années, sur l’avenue centrale d'une grande ville de France, les maçons s'employer à raser tout un pâté de vieilles maisons bourgeoises, solides et confortables, avec rez-de-chaussée de magasins luxueux. A la place se sont élevées les imposantes colonnes en ciment armé des Uniprix.
Ce qu’on a osé pour la modernisation des magasins de vente, notre société sera-t-elle incapable de le tenter avec une même hardiesse pour les usines où se forme et se perfectionne le matériel humain ?

Dans quel sens agir ?

Il est un fait d’expérience qui va nous aiguiller sur la nouvelle voie : nos techniques se sont développées et. se développent presque exclusivement dans les villages. Leur expérimentation et leur extension rencontrent dans les écoles de villes des obstacles presque insurmontables.

Pourquoi les écoles de villages sont-elles exceptionnellement favorables au développement de nos techniques ? Non pas certes que les locaux scolaires y soient luxueux et même parfois confortables ; ni qu’ils puissent soutenir la comparaison, en général, avec la propreté et l'apparente beauté des écoles de villes.
Mais : 

– Elles sont au milieu de lu nature, au milieu' des champs : l’hiver, le givre blanchit à leur porte les arbres dépouillés et, dans la vallée, les derniers brins d’herbe raidis ; la corne du berger sonne sous leurs fenêtres où bêlent bientôt les bêtes attardées ; au printemps, tout frémit, et ce frémissement envahit l’école et multiplie les intérêts naturels dont il est facile de ranimer ; en été, le blé jaunit à l’horizon...

Il est facile à l’école, dans ces conditions, de lier son activité au rythme incessant et mystérieux de la nature, de faire jaillir du terroir une pédagogie vitaminée, passionnante et profitable.

– Les sorties recommandées par les récentes instructions sont, faciles et profitables. Pas de longues, exténuantes et dangereuses pérégrinations à travers les faubourgs mornes. Ici, tout de suite le bain de nature.

– Le mobilier de la classe est certes encore traditionnel. Mais il est possible d’installer dans un couloir un petit atelier d’imprimerie ou de découpage. Si on dispose par hasard d’une pièce inoccupée, voilà tout de suite l'organisation rêvée pour l’école multiple : un camarade a fait aménager en atelier, dans la cour face à sa classe, une vieille cabane inoccupée. Et, à défaut de tout cela même, en été, les enfants sortiront sous les fenêtres de l’école, à l’ombre de l’acacia, sous la surveillance encore de l’éducateur pour y poursuivie une de ces besognes qui nécessitent un certain isolement et une plus grande liberté de manœuvre et d’allure. Là, l’enfant se sent, chez lui ; il a tendance à chanter et à gazouiller comme les oiseaux et il travaille avec un autre rythme et dans un autre esprit.

Ajoutons que l'éducateur se trouve à la campagne dans une atmosphère plus familiale. Ou bien il est seul, ou bien souvent c'est un ménage qui conjugue et harmonise les travaux de toute l’école. Et même sans lien de parenté la collaboration est toujours facile à deux ou à trois.

De ce fait, l'éducateur a beaucoup plus d’initiative et de liberté. Il peut suivre les enfants qu’il a sous les yeux pendant toute la scolarité ; il est moins directement astreint à un respect servile des horaires et des programmes. II n'y a pas toujours d’horloge ou l’horloge elle-même bat la campagne et l'on sait s’attarder encore à une tâche intéressante, entrer et sortir sans ces savantes manœuvres prémilitaires qui caractérisent nos écoles de villes.

Ce sont là incontestablement, des conditions éminemment favorables à une meilleure éducation.

Pourquoi ne pourrait-on faire subir aux écoles de villes les transformations indispensables à la réalisation de semblables conditions de travail et de vie.

 Plus d’Écoles-Casernes !

On s’en rend compte : toute éducation véritable est impossible dans les écoles-casernes de villes, telles qu’elles sont conçues aujourd’hui. Nous n’examinons pas, pour l’instant, la disposition, l'aménagement et l'équipement des salles elles-mêmes, mais les groupes scolaires dans leur ensemble.

Leur situation déplorable d'abord, en plein cœur des villes, parfois dans des centres excessivement bruyants, sans espace libre autour, sans air pur, sans verdure, sans joie.

Conditions déplorables au simple point de vue eugénique.

On recommande aujourd'hui l’exercice, mais les cours sont petites et pas toujours ensoleillées : pas de larges terrains de jeux, pas de jardins — nous entendons : de véritables jardins. La multiplicité des classes occasionne dans ces écoles un va-et-vient continuel qui gêne tout travail et rend impossible la paix et le calme indispensables.

La multiplicité des classes et, du personnel oblige le directeur à une discipline qui fait de son école une caserne où l’enfant qui change d’ailleurs de classe chaque année n’est qu’un numéro, ne sent autour de lui aucune chaleur amie, aucune atmosphère sympathique et éducative, aucun milieu favorable.

Les maîtres se plaignent d’ailleurs au même titre de cette organisation qui rend impossible toute initiative vivifiante et qui transforme l’école en une stérile fabrique de cerveaux.

Mais les cerveaux ne sont pas si dociles. Ces corps peuvent être apparemment disciplinés. Pour se défendre, les individus trichent et rusent et c’est toute l'atmosphère de l’école qui en est irrémédiablement compromise. 

Que faire ?

La solution est toute trouvée pour la campagne, pour ce qui concerne remplacement et la disposition des locaux.

Pour la ville, nous demandons qu’on s’oriente à l’avenir vers la suppression des grands groupes scolaires et la création de cellules scolaires répondant au mieux à nos besoins.

Ces cellules scolaires ne devraient pas compter plus de 150 élèves répartis en 5 classes au maximum.

Chacun de ces groupes aurait une certaine autonomie pour l’organisation pédagogique scolaire et extrascolaire selon les normes que nous allons indiquer avec :

         Atelier de travail manuel ;

         Salle de cinéma ;

         Salle de fêtes ;

         Jardin scolaire ;

         Radio ;

         Terrain de jeux et de sports ;

         Cantine scolaire.

Du fait de l’organisation régulière de tels groupes, un certain nombre d’inconvénients signalés plus haut au passif des écoles-casernes disparaîtraient automatiquement.

On aurait :

– Une organisation plus harmonieuse «le l’école ;

– Une collaboration effective des maîtres ;

– Une humanisation des enfants qui seraient placés dans une nouvelle atmosphère éminemment propice à leur éducation ;

L’École deviendrait comme un grand élément de vie dont bénéficierait notre civilisation.

Les dépenses par classes seraient sensiblement les mêmes que pour les grands groupes, certains services comme piscine, discothèque, cinémathèque, musée, etc. pouvant être concentrés dans un service unique pour la ville.

Et puis, ne nous laissons pas éblouir par ces installations incomparables, privilège des grands groupes mais dont l’élève, lui, est loin de bénéficier intégralement. Ce qui conditionne l’éducation, ce ne sont pas les outils sans vie qu’on peut accumuler dans des salles splendides, mais l’activité qui anime les communautés capables de faire à l’école l'apprentissage de l’effort constructif qui dressera les cathédrales de demain.

Ces groupes réduits pour cellules scolaires seront faciles à installer dans certains quartiers. Ils s’accommodent au besoin, provisoirement, de certaines constructions existantes. Il sera souhaitable, dès que possible, de transporter ces écoles dans la périphérie des villes, au milieu de la nature, en prévoyant naturellement le transport des enfants. 

Dans les groupes scolaires vivants des ateliers de travail scolaire

Que seront les salles de classe dans ces nouvelles cellules scolaires ?

Nous pouvons donner ici l’exemple de notre École Freinet de Vence, qui a été construite pour répondre aux besoins nouveaux du travail scolaire.

Quelques grands principes mis en application :

1° L’École n’est plus un « auditorium » et un « scriptorium » mais un « atelier de travail » ;

2° Puisque ce sont les enfants qui doivent travailler, il faut éliminer tout ce qui gêne ce travail et prévoir, comme dans une usine, tout ce qui peut donner à l’effort le maximum d’utilité et de rendement ;

3° Avec des enfants régénérés par les techniques nouvelles, la surveillance immédiate, directe et permanente de l’éducateur n’est pas indispensable. Il suffit de faciliter au maître sa collaboration avec les élèves.

Nous donnons ci-dessous le plan de l’École Freinet de Vence. On remarquera un couloir central sur lequel débouchent les diverses salles atelier et qui est non seulement couloir de communication, mais élément de concentration de l’école : plans de travail, journal mural, exposition de travaux, affiches diverses, avec possibilité d’installer des tables pour le travail libre d’une dizaine d’élèves.

Débouchent sur ce couloir une salle atelier d’imprimerie, une salle de dessin, une salle de documentation, une salle de travail commun et de rédaction de textes, une salle de sciences, une salle des petits, et une salle des maîtres.

La présence de cette salle des maîtres montre bien que l’école est l’atelier de travail des enfants et que les éducateurs n’y disposent que d’un petit espace, au milieu même du groupe vivant.

Notre école a été prévue pour iO ;\ 50 enfants travaillant en présence de deux éducateurs (pas tous deux en permanence dans l’école). Mais l’idée qui a présidé à sa conception et à sa réalisation est valable pour toutes les classes à un seul maître.  

Plan de l’École  

C’est vers de telles réalisations que nous devons nous orienter.

Si on trouve l’espace trop grand pour une seule classe et cette séparation totale en ateliers parfois difficile pour la discipline transitoire dont nous savons la complexité, nous préconisons alors une solution intermédiaire que voici : 

 

Plan d’une salle de classe de travail scolaire    

La nouvelle salle de classe comprendra un espace de 8 x 9 environ destiné à servir de salle de réunion et de travail en commun. Cette destination spéciale nécessite la disparition des bancs-pupitres lourds et encombrants et l’ameublement avec un matériel pliant si possible et surtout facilement transportable. A défaut de mieux, les bancs sur tréteaux peuvent très bien convenir. Nous préférons cependant des tables légères et stables de 1 m sur 0,60 m où peuvent travailler facilement 4 enfants et qui, accolées bout à bout, permettent toutes les combinaisons.
Le siège le plus pratique est la chaise ou le tabouret.
  Des casiers au mur remplacent les casiers des pupitres.

Pas d’estrade ni de place spéciale pour l’éducateur. Une table au niveau des enfants, dans n’importe quel coin suffit. Tableaux muraux ou sur chevalets (le plus possible), panneaux d’exposition, etc.

Débouchant sur cette salle de travail commun, des ateliers spéciaux de 3 x 3 environ, genre de box bien éclairés dont chacun est consacré à une activité spéciale : atelier d’imprimerie, atelier de dessin et gravure, atelier de travail manuel réduit (le travail manuel à. grande échelle devant être pratiqué dans une salle spéciale indépendante, commune à toute l’école, par exemple), salle de documentation (avec fichiers, cartes, dictionnaires, livres de documentation), une salle d’observation, animaux, plantes, petites expériences ; les collections définitives et importantes étant dans un atelier spécial de l’école ; salle de l’éducateur où celui-ci peut placer les objets : livres, revues, documents qui ne peuvent rester à la disposition permanente des enfants.

Cette disposition du local permet, on le voit, le travail commun à certaines heures, et ensuite le travail véritable, individualisé ou par groupes, selon nos techniques.

L’espace prévu peut convenir pour une trentaine d’enfants. Si les moyens financiers permettent de couvrir le parquet d’un tapis silencieux en caoutchouc : si les portes sont munies d’amortisseurs caoutchoutés, nous aurons là la véritable salle de travail scolaire selon nos techniques, et dans laquelle l’enfant pourra se déplacer, écrire, lire, travailler selon des techniques diverses, où il sera vraiment actif dans le cadre de la communauté.

Notre conception se prête très bien à l’utilisation du phono et du disque, de la radio, du cinéma, de la pratique des conférences — ce qui n’empêchera pas nos cellules-écoles d’avoir des salles spéciales pour certaines activités, une salle de fête, une salle de cinéma et tous ateliers ou musées recommandables.

Mais l’essentiel est que, à la base, dans la nouvelle salle de classe, l’écolier puisse œuvrer selon ses tendances et ses possibilités. Nous croyons que nos suggestions y aideront. 

Nous demandons aux éducateurs, aux administrateurs et aux architectes de tenir compte de ces suggestions lors de la réparation ou de la construction de locaux scolaires. Et qu'on ne dise pas : c’est exagéré ; les salles prévues sont trop grandes ! N’admet-on pas aujourd’hui, dans les constructions, que les salles pour maternelles doivent être plus spacieuses. Pourquoi ce qui se réalise pour les tout-petits ne serait-il pas possibles pour les degrés suivants ?

La question est de toute importance. Un changement dans la conception et la construction des locaux contribuera certainement à révolutionner tout notre enseignement et à le faire évoluer, malgré les éducateurs parfois, vers les conceptions nouvelles qui assureront joie, travail, éducation communautaire et efficience. 

Célestin Freinet  

 L’Éducateur Prolétarien, n° 20, 15 juillet 1938 dans son intégralité

Les instructions ministérielles, une étape - 3 novembre 1938

 Petite synthèse des « Extraits et commentaires » de Célestin Freinet sur le texte de la réforme de Jean Zay . 

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freinet_et_les_io_1938.pdf535.21 Ko

Rapport d'activité de la C.E.L., 15 mars 1939

Un « rapport d’activité » de la C.E.L. qui avec les nouvelles instructions ministérielles montre un rapide développement, notamment grâce aux « Activités dirigées » qui articulent enseignement scolaire et découverte du milieu.
La joie ressentie est recouverte par les événements politiques menaçants, notamment en Espagne. Mais Freinet reste encore persuadé que la réaction ne pourra pas raser toutes les avancées en éducation. 

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Activités dirigées, 15 juin 1939

Freinet apprécie les objectifs de formation du ministre Jean Zay : une  introduction progressive des méthodes de l’Ecole nouvelle. Il  salue sa ténacité ministérielle face à la réaction, mais met en garde à propos de  l’utilisation de ces nouveaux temps qui ne doivent pas se réduire à du bricolage, de l’occupationnel et être un vrai travail en lien avec le temps d’enseignement.
Freinet se méfie des éditeurs qui profiteront de cette nouveauté pour recycler leurs vieux manuels, les journaux qui ne servaient plus… Les seuls auteurs qui travaillent pour toutes les écoles, pour tous les éducateurs ce sont les instituteurs membres de la Coopérative de l’enseignement laïc (CEL)


La question est à l'étude pour les Conférences d’automne dans la majeure partie des départements. En effet, le Ministre lui-même a fait connaître qu’il lui serait agréable de voir étudier, lors des prochaines conférences pédagogiques, les Activités Dirigées considérées comme une introduction progressive des méthodes de l’École nouvelle dans toutes les disciplines.
Considérons d'abord la formule : elle nous agrée totalement puisque nous avons, à maintes reprises et publiquement, félicité le Ministre d’avoir fait des Activités Dirigées comme un coin enfoncé en plein cœur «le l’École traditionnelle et auquel il nous appartient de donner le maximum d’efficacité. Et c’est cette obstination hardie de marcher vers le progrès pédagogique que ne manquent pas de critiquer et d’attaquer tous les servants de la réaction. Ils reconnaissent d’ailleurs que l’école est dangereusement en retard sur son siècle, mais s’élèvent, par principe, contre tous essais de rénovation.
Un fait n’en doit pas moins être acquis pour nous ; et c’est celui dont nous avons montré bien souvent la nécessité : ou bien les Activités Dirigées seront conçues dans le sens nouveau que nous préconisons ; ou bien on constatera bien vite leur inutilité — ou même leur malfaisance et il suffira d’une campagne bien orchestrée pour en exiger la suppression - laquelle serait un recul grave de l’esprit progressiste qui se manifeste heureusement depuis quelques années.
Or pour aboutir, il faut en effet que les Activités Dirigées ne soient pas qu’un pur verbiage de l’École nouvelle, une recommandation généreuse dont nul ne peut, pratiquement, tirer profit. On ne détruit pas le passé par des règlements, mais par des constructions nouvelles plus harmonieuses, plus efficientes, mieux adaptées aux nécessités de l’heure.
« J’ai lu, j’ai écouté, j’ai voulu comprendre, écrit un professeur dans le journal d’instituteurs le plus violemment réactionnaire de France ; mais pourquoi faut-il qu’à chaque fois, j’ai été plus frappé de l’abondance des affirmations ou des négations péremptoires que de la simple existence de conseils nets et de directions fermes ? Est-ce effet de cette déformation professionnelle qui veut, en une telle matière, précision et efficacité, beaucoup plus que rêve ou ironie ?
Rien de bien fameux si on en juge par expérience directe. C’est ainsi que des confiances s’ébranlent, se désagrègent lentement, alors qu'on ne met rien à la place. On ruine sans aucun profit, sans la contre-partie nécessaire et apaisante. Or, cela, en tout pays comme en toute langue, c'est le propre même de toute œuvre de désorganisation, de démoralisation, voire même de toute pagaille... »

Voici maintenant, à l’intention des nombreux camarades qui ont à traiter ou à discuter de la question, le problème bien posé :

1° Les Activités Dirigées ne doivent pas être de paisibles et anodines heures de bricolage et de travail actif jetées en travers de l’horaire traditionnel comme les dix minutes de récréation, au milieu des trop longues heures de classe. Elles doivent être le premier essai d’adaptation — et à grande échelle, — des techniques d’intérêt et d’activité à l’École publique traditionnelle.
Nous n’avons cessé de dénoncer cette tendance scolastique qui consiste à appliquer passivement les Instructions ministérielles et à remplir les heures prévues par des activités quelconques, sans lien d’aucune sorte avec la vie ou les intérêts des enfants. Et les journaux pédagogiques n’ont, bien souvent, hélas ! fait que faciliter cette orientation facile, anodine et non compromettante. On baptisera ainsi Activité dirigée non seulement le simple travail du bois, le modelage de l’argile plastique, le pliage et le découpage de papiers, mais aussi les simples passe-temps que sont les mots croisés ou même... les jeux de cartes. Ceci pour le vulgaire, car les bricoleurs experts seuls pourront accéder à ces réalisations savantes qui ne sont pas d’ailleurs une nouveauté à l’école — et qui sont la menuiserie, la reliure, le modèle réduit ou le tissage semi-professionnel.
Nous voulons des activités scolaires vivantes, liées à l’intérêt et au devenir profond des enfants, beaucoup mieux qu’un jeu ou un passe-temps, mais du travail véritable, dont on sent le besoin, dont on voit l’utilité, auquel on se donne totalement et qui, par tous ces considérants, est puissamment générateur de dynamisme et de profit pédagogique. Nous ne sommes point contre les réalisations à éclat des as du bricolage auxquels nous rendons volontiers hommage, mais nous cherchons avant tout les activités courantes de la vie scolaire quotidienne qui peuvent animer toutes les écoles de France, quelles que soient les possibilités professionnelles et techniques des éducateurs.
Si les Activités dirigées sont ainsi liées à toute la vie scolaire, si elles en suivent les destinées, si elles s’incorporent vraiment dans notre pédagogie, il est impossible alors qu’on n’en reconnaisse pas les multiples avantages. L’expérience sera concluante. Les Activités dirigées, loin de disparaître, iront se développant et s’épanouissant pour animer de leur esprit nouveau, pratique et technologique, toute notre éducation publique.
Il faut que nos camarades insistent tout particulièrement sur ces points essentiels et que partout ils montrent le danger des Activités dirigées scolastiques, et la seule voie efficiente des Activités dirigées adaptées à nos écoles et liées à la vie.

Mais le professeur dont nous avons cité ci-dessus la critique, a bien raison de s’élever contre le verbiage d’éducation nouvelle qui se donne libre cours à l’occasion de cette Institution nouvelle. Et nous sommes persuadés que c’est là, effectivement, le deuxième grand danger qui menace les Activités dirigées.

On nous recommande les Activités dirigées ? Qu’à cela ne tienne... On prend les mêmes et on recommence...

On avait en stock un matériel qui s’écoulait difficilement avec l’ancienne formule scolaire ; on va le relancer par les Activités dirigées. Un livre qui ne se vendait pas : nous allons en recommander la lecture pour les Activités dirigées. Vous voulez une rubrique d'Activités         dirigées dans telle revue : on va vous en donner... et pour tous les goûts     : musique et théâtre, bois et lino, contes et poésies, promenades scolaires et visites d’usines, etc. Une abondance extraordinaire de possibilités s’ouvre devant nous. Mais quand on veut les atteindre, bernique î Nous nous trouvons dans la situation humiliante du petit affamé qui défile le soir de Noël devant les vitrines illuminées... Pour des raisons multiples nous ne pouvons et savons rien réaliser... Et nous maudissons alors ceux qui ont substitué à l’aide effective que nous attendions ce verbiage prometteur qui est trop souvent un regrettable mensonge.
Une seule organisation en France a vu l’action indispensable sous son vrai jour. Et cela n’est pas étonnant puisque sa raison d’être est de travailler justement, pour toutes les écoles, pour tous les éducateurs, à la mise au       point du matériel et des techniques les mieux adaptées aux Activités dirigées.
Et les auteurs de cette mise au point ce sont les instituteurs eux-mêmes, directement intéressés à cette adaptation et qui, à plus d’un millier, collaborent au sein de la Coopérative de l’Enseignement Laïc.
Ici pas de verbiage prometteur : des réalisations. Et des réalisations nées de l’effort des éducateurs dans leurs classes, toutes possibles dans les écoles populaires.
Nous ne vous présentons pas une liste de plusieurs centaines d’Activités possibles. Mais nous vous disons : voilà des Activités expérimentées dans nos classes, qui partout ont enthousiasmé maîtres et enfants ; voici, sans tape à l’œil, un matériel pédagogique, vraiment pratique et que vous pouvez acquérir sans hésitation ; voilà des directives techniques précises, grâce auxquelles vous pouvez, dans tous les cas, pleinement réussir : imprimerie à l’École, journal scolaire, échanges interscolaires – contreplaqué, linoléum, clichés, dessin libre, découpage, décoration – Fichiers et Bibliothèque de travail – Sciences pratiques – Conférences – musique, chants et fêtes..., la liste en est déjà longue, on le voit. Elle est tout entière détaillée dans notre brochure Activités dirigées, 2e édition de notre brochure Loisirs Dirigés si vite .épuisée.

Il faudra justement qu’en octobre, dans tous les centres, une petite exposition de nos réalisations persuade les éducateurs que nous ne nous sommes pas contentés de parler dans le vide, mais que nous avons construit patiemment, méthodiquement, pendant quinze ans, et que les Activités dirigées sont comme un légitime triomphe de nos efforts.
Nous demanderons à nos Délégués départementaux d’organiser méthodiquement l’information et la propagande à ce sujet dès maintenant et au moment des conférences pédagogiques. Aucun rapport ne devrait se faire sans que soient signalées les possibilités incontestables qu’offrent nos techniques ; des visites d’écoles pourraient avoir lieu, des démonstrations et des expositions roulantes pourraient être prévues dans chaque département.
Ce faisant, nous servons notre C.E.L. ; nous servons notre idéal de libération, mais nous nous servons nous-mêmes et nous contribuerons à rendre indestructible cette institution des Activités dirigées, première étape vers l’amélioration technique et l’adaptation permanente aux nécessités de l’heure de notre école publique.            

Célestin Freinet

L’Éducateur Prolétarien n° 18, 15 juin 1939 dans son intégralité

 

Du travail, encore !, 1er juillet 1939

Bilan et perspectives pour scruter l’avenir, telle est l’invitation de Freinet aux militants pour les vacances avec :
Le Certificat d’Études

Une nouvelle psychologie pour une nouvelle pédagogie

Les tests                              
Le subconscient et la psychanalyse
Les idées d’Alain
La rénovation de l’enseignement dans les villes 

LE C.E.P.E

Le nouveau Certificat d’Études vient d’avoir lieu.

Nous qui avons été les inspirateurs de quelques-unes des réformes dont on a fait cette année l’expérience, nous nous devons d’étudier longuement et profondément, au cours de l’année qui vient, l’organisation nouvelle.
Cette question est et sera liée à une reconsidération des problèmes d’acquisition et d’efficience à la lumière des idées que nous avons émises sur 1’Éducation et les techniques.

Nous avons en effet à remonter un courant qui nous est hostile et qui a son origine dans les erreurs — au point de vue social et populaire — du mouvement d’éducation nouvelle dont nous nous réclamons parfois.

En effet, par réaction contre une école qui sacrifiait trop la formation de l’individu à l’acquisition formelle, on a eu tendance à pratiquer l'inverse. Je sais certes que cette formation facilite et renforce l'acquisition, mais nous avons parfois oublié que cette acquisition et la maîtrise des techniques sont aussi des tendances naturelles très marquées chez les enfants qui aiment lire et apprendre à lire, qui aiment compter et apprendre à compter, qui veulent connaître autour d'eux.

Il y a une réhabilitation de l’acquisition et des techniques que nous devons tenter, avec mesure, eu nous basant sans cesse sur les besoins véritables révélés par l'expérience, réhabilitation qui changera aussi notre position pédagogique vis-à-vis des examens bien compris.

La performance, la compétition, sont recherchées par les enfants, on le sait. Lorsqu'on a travaillé pendant une année de façon profonde et large, qu'on a donné d'excellentes assises à la formation que nécessite l'école, je ne crois pas qu'il soit si mauvais, pédagogiquement parlant, de faire pendant quelques mois un peu d'entrainement technique, de faire les enfants se mesurer à des normes, de les faire affronter des épreuves,

Nous venons de pratiquer encore cet entraînement et nous avons l'impression qu'il n'a pas fait de mal aux enfants, au contraire. Mais cela, parce qu'il faisait suite au travail normal et pédagogique de toute une année.

Qu'on ne croit pas que nous voulions ici, pour je ne sais quelle propagande, réhabiliter le bourrage,

Pour le brevet sportif, nos enfants ont compris la nécessité de s'entraîner pendant quelques jours selon les normes prévues, Ils s'y sont donnés de bon cœur, et avec succès. Pourquoi ce succès ? parce que, tout au cours de l’année par notre vie si active, par le travail, par la santé, ils ont acquis la force, l’agilité et la puissance qui, disciplinées par l'exercice, conduisent sans surmenage au résultat désiré.

Il un est de même pour le certificat d'études : une bonne préparation profonde au cours de l'année, puis entraînement méthodique selon des normes prévues. Il n'y aura alors ni surmenage, ni bourrage, ni effort antipédagogique.

Il faut justement que nous arrivions à faire comprendre la nécessité, la solidité et l'efficience de ce processus. Nous tâcherons de faire pénétrer ensuite dans l'examen lui-même un peu de cet esprit sportif qui fait qu'on affronte en hommes les compétitions, qu'on serre la main au vainqueur et qu'on sait admettre les supériorités et les insuccès. Nous touchons là un problème délicat, nous le savons, parce qu'il est lié à l’amour-propre exagéré des parents et que froisser cet amour-propre peut être un risque grave pour l'instituteur. Question que nous aimerions voir débattre par les intéressés puisque, personnellement, je ne suis pas placé dans les mêmes conditions et que j’admets très bien que des enfants qui aux épreuves se sont révélés incapables d'affronter l'examen puissent cependant, s'ils le désirent, se mesurer avec leurs camarades afin de sentir leurs faiblesses et de comprendre la nécessité de l'effort nouveau.

Quand nous aurons justifié cette sorte d’entrainement, il nous faudra prouver que l'efficience de nos techniques est effective, qu’elle est égale  – et certainement supérieure à celles des autres techniques, et que, même sur le plan de l'acquisition et des examens, nous pouvons, avec sûreté, nous mesurer avec les autres écoles.

L’enquête parlera ici mieux que le raisonnement. Nous demandons à nos camarades qui ont présenté des enfants au C.E.P.E. de vouloir bien répondre sans faute à la petite enquête ci-dessous.

Afin de vous éviter des frais inutiles, nous avons prévu la possibilité de répondre on soulignant sans écrire. Soulignez ou encadrez les nombres qui répondent aux questions ; mettez votre nom et expédiez comme imprimé à 0 fr. 30.  


ENQUÊTE SUR LES RÉSULTATS AU C.E.P.E.


Ecole de    ………………………………………………     département ………………………………………………        

Nombre d’élèves présentés : 1  2 — 3 — 4 — 5 — 6 — 7 — 8 — 9—10 — 11 – 12 — 13 — 14 – 15 —

Nombre d’élèves reçus : 1 — 2 — 3 — 4 – 5  – 6 — 7 — 8 — 9 — 10 — 11 — 12 — 13 — 14  – 15 —

(encadrez le nombre qui répond)


Il y aura aussi à examiner dans quelle mesure les modifications apportées à l’examen nous paraissent être des améliorations.

Le calcul ainsi compris – et dont nous avons donné l’idée — semble un grand progrès ; la dictée n’a pas encore été suffisamment dépouillée de mots inconnus de l’enfant ; le blocage des questions de sciences, de géographie et d’histoire minimise comme nous le désirions l’importance de l’épreuve d’histoire qu’on a rarement voulu modifier.

Nos camarades auront la parole. Et nous arriverons à faire comprendre enfin dans quelle mesure nous sommes pratiques et efficients et l’importance que nous accordons aux préoccupations légitimes des éducateurs.

Ainsi tomberont les dernières barrières qui freinent les bonnes volontés toutes prêtes, par ailleurs, à se joindre à nous.

 

LA NOUVELLE PSYCHOLOGIE, RÉVÉLATION ET BASE DE LA NOUVELLE PÉDAGOGIE

Nous l’avons déjà signalé à diverses reprises : à mesure que nous modifions les conditions d’éducation et d’acquisition, que nous éliminons progressivement les dangers et les déviations de la scolastique, l’enfant nous apparaît sous un jour nouveau, que les poètes parfois nous avaient laissé deviner mais que la psychologie ignorait systématiquement.

Les besoins, les tendances, les possibilités, les élans qui se manifestent dans nos classes vivantes et liées à la vie, ne sont point les besoins, ni les tendances, ni les possibilités, ni les élans des élèves assommés par la scolastique. L’oiseau en cage ne saute point et ne prend point l’élan comme l’oiseau libre dans le ciel bleu.

De plus, le milieu ambiant s’est modifié autour de nous, et ce changement influence de façon parfois décisive le comportement des enfants et leurs réactions à notre enseignement.

Le début de notre siècle était encore la période tranquille et calme où la formation avait mieux tendance à se faire en profondeur. D’où floraison de morceaux choisis, de poésies et de considérations morales.

L’image et le mouvement qui, dans tous les domaines, se substituent à l’expression écrite d’une pensée, ont bouleversé ce processus psychologique et pédagogique. On a tendance à ne plus penser par la pensée pour ainsi dire ; il faudra trouver la possibilité de faire penser par le mouvement et l’action si nous ne voulons pas que l’image tue un jour prochain la pensée.

L’expérience des journaux d’enfants nous est, à ce sujet, un enseignement décisif.

Je me souviens de la joie avec laquelle nos enfants accueillaient, il y a vingt ans, cette belle réalisation qui s’appelait Petits Bonshommes et à laquelle s'apparente quelque peu notre Gerbe. Aujourd’hui, les Petits Bonshommes n'auraient pas plus de succès que notre Gerbe. Que l’enfant voie un illustré et  il laisse nos écrits pour sauter sur l’image parce que l’image a tendance à supprimer la pensée et l’effort.

Le cinéma contribue considérablement à renforcer cette tendance.

Il ne s’agit point, en l'occurrence, de maudire et de passer outre. Il y a là un grave problème qu’il nous faut examiner froidement, même si de cet examen devaient sortir de nouvelles nécessités pédagogiques. Le temps marche : le siècle du cinéma et de l’illustré n’est plus celui de l’imprimé rare et serré et austère où l’on puise la seule pensée fertile. Le siècle de la réflexion et du raisonnement a fait place au siècle du mouvement, de la performance et de la vitesse. Il ne nous appartient pas de faire faire machine en arrière à cette évolution à laquelle nous devons au contraire adapter notre école pour en tirer le maximum d’efficacité.

Nous ne sommes pas de ceux qui se lamentent et qui pleurent sur un passé regretté. Nous devons virilement agir selon notre temps et face aux difficiles problèmes de l’heure.

Ce sera une tâche essentielle pour l’année à venir.

 

LES TESTS

Dans cette pédagogie en mouvement, et que nous voyons la nécessité d’adapter davantage encore aux nécessités trop dédaignées de l'heure, il nous sera difficile de fixer des normes et d'utiliser les tests dont nous approuvons cependant le principe.

Mais ces tests mesurent les personnalités ou l'acquis des piétons qui, il y a trente ans, s’en allaient paisiblement sur les routes envahies par l’herbe fleurie. La même mesure ne saurait être utilisée par ceux qui ne rêvent que d’autos, d’avions, d’aventures, pour une éducation qui a gagné en élargissement ce qu’elle a perdu en profondeur. A temps nouveau, des normes nouvelles, et établies avec des enfants soumis aux possibilités nouvelles et délivrés de la prison scolastique.

Là encore, ce n’est pas notre faute si les temps ont marché. Nous serons impardonnables de ne pas le suivre et de croire que nous avons pu bâtir définitivement dans un domaine aussi nouveau et aussi dynamique.

Il y a là de la besogne sur la planche, et intéressante. Nous serions heureux de voir une de nos commissions s’y intéresser.

 

LE SUBCONSCIENT ET LA PSYCHANALYSE

J’avais rapidement, au cours de notre cours de vacances de l’année passée, traité cette grave et importante question sur laquelle nous reviendrons plus profondément cette année. Nous avions été frappés tout à la fois par la complète ignorance, dans ce domaine, de la presque totalité de nos camarades et par l'intérêt passionné que toute l’assistance y portait.

Il y a là, à n’en pas douter, une porte ouverte sur un domaine inexploré de notre psychologie et dont l’étude risque de bouleverser et de rénover bien des conceptions.   

Combien il est regrettable qu’on ait galvaudé le mot de psychanalyse et qu’on ait identifié presque cette technique à l'érotisme ou au sexualisme. A tel point que nous avons quelque appréhension à traiter honnêtement le sujet dans notre revue, à mener les enquêtes indispensables et que nous pourrions aujourd’hui entreprendre. Nous savons, hélas ! ce qu’il peut nous en coûter.

U faudra bien cependant que nous affrontions la difficulté et que nous abordions ce problème, intimement lié au précédent d’ailleurs. Quelques camarades s’occupent déjà de la question. Nous les aiderons volontiers dans leurs recherches.

 

LES IDÉES D’ALAIN

Nous avons, depuis dix ans, remonté triomphalement un courant difficile en éducation. Nos idées sont de plus en plus admises et il est rare qu'on nous réserve les considérations, courantes naguère, sur la discipline, sur l'instruction, sur l’obligation, sur la nécessité de l'effort imposé, sur l’autorité.

Il y a cependant quelques bons esprits qui ne se résignent point à l’éclipse des idées dont on a nourri leur scolastique. Et ces bons esprits citent toujours comme référence les paradoxes d’Alain.

Nous dirons d’abord – même si des intellectuels jugent notre opinion bien hardie et bien péjorative – que nous n’aimons pas ces jongleurs de la phrase qui ont appris dans les écoles l’art de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, qui présentent agréablement les mensonges comme des erreurs, et inversement, et dans les écrits desquels on peut trouver les justifications de tout, et, pour ce qui nous concerne, la justification des réformes les plus hardies à côté des jugements les plus retardataires.

Nous considérons cela comme un jeu de la pensée et de la phrase et nous récusons d’avance toutes références à de tels écrits qui n’ont aucune assise dans le réel et l’expérience.

C’est au nom d’Alain que sont formulées très souvent des considérations à notre avis désuètes sur la liberté et l’obligation d’une part, sur la lecture d’autre part. Nous reposerons donc, en cours d’année, le problème de la liberté, non pas de cette liberté verbale, idéale et idéologique, mais de la liberté maximum, fille de l’organisation harmonieuse et du travail.

Nous tâcherons de répondre aussi à Delfolie qui cite de grands auteurs pour prouver que « ce qui amuse n'instruit pas ; et on ne saurait devenir instruit si on ne lit que ce qui plait ». Nous montrerons comment il y a, à la base de tels raisonnements, une méconnaissance monstrueuse des besoins et des possibilités de l’enfant. On ne sait, avec lui, que parler autorité, où, à l’opposé, amusement et jeu. On néglige tout l’intermédiaire dynamique et humain sur lequel nous avons bâti toute notre pédagogie : l’effort sérieux dans le sens du devenir permanent, pour et par la satisfaction de nos besoins ancestraux de connaissance, de réalisation et d’effort.

 

LA RÉNOVATION DE L'ENSEIGNEMENT DANS LES VILLES

Jusqu’à présent, notre mouvement de rénovation et d'adaptation a trouvé son terrain favorable dans les campagnes : petites villes, bourgs et villages. Et nous avons bien souvent donné les raisons de cet état de fait.
Est-ce à dire qu’il n’y ait rien à faire dans les écoles de villes ? Nous ne le croyons pas, surtout depuis les nouvelles instructions ministérielles qui s’y appliquent comme à toutes les écoles.
Mais le problème est là, beaucoup plus matériel et technique que pédagogique.

Dans les écoles de campagne à une, deux ou trois classes, où l’instituteur a eu, de tout temps, une grande liberté d'action, d’importantes initiatives personnelles étaient possibles.

L’instituteur de ville subit, lui, la loi du groupe, et c’est sur l’organisation de ce groupe que nous devons agir si nous voulons modifier un jour l'atmosphère pédagogique de ces classes.

Malheureusement, cette action n’est plus de notre domaine et tout ce que nous pouvons faire, c’est de suggérer des idées sans savoir si nous trouverons un jour des administrateurs suffisamment hardis, compréhensifs et audacieux pour en tenter la réalisation.

 

Nous rappelons à ce sujet l'article que nous avions écrit l’an dernier sur l'Architecture et la Pédagogie, dans lequel nous demandions qu’on abandonne dans les villes la construction de grands groupes scolaires pour s'orienter vers l’aménagement de groupes homogènes do 3 à 5 classes, qui pourront avoir une vie propre et où disparaîtra cette atmosphère hallucinante d’usine ou de caserne qui règne dans les grandes écoles.

La chose serait pratiquement très possible. Cette organisation, qui permettrait de disséminer les centres de rassemblement des enfants, réduirait les longs parcours que ceux-ci doivent faire aujourd’hui, sur des routes ou des avenues dangereuses. Les locaux seraient faciles il trouver.

Nous avons récemment, examiné cette possibilité avec un directeur d’une école à 14 classes de Montreuil qui a reconnu spontanément les avantages certains d’une telle organisation.

Il faut populariser cette idée. Il faut dire les tares incurables de l’école- caserne, les possibilités de travail profond de l’école, groupe communautaire à effectif réduit, avec l’espoir qu’un jour enfin on comprendra nos raisons pour tenter l’organisation nouvelle projetée.

Mais en attendant, n’y a-t-il rien à faire dans les écoles de ville pour améliorer la vie et le travail dans le sens de nos techniques et des instructions ministérielles ?

Il serait bon pour cela que nous ayons la collaboration active et permanente de quelques camarades intéressés. Car nous n'avons pas l’habitude de parier de ce que nous ne connaissons pas ni d’apporter des solutions à des problèmes qui n’ont pas même été posés. Et, personnellement, Je n’ai jamais voulu aller à la ville où je sentais d'insurmontables difficultés pédagogiques.

Il faudrait donc qu’une enquête préalable nous dise avec précision quels sont les obstacles essentiels qui s'opposent à la réalisation de nos techniques dans les écoles de villes. Nous pourrions alors établir une sorte de plan de réalisation et voir les possibilités pratiques d'action immédiate.

Nous demanderons à nos délégués départementaux de mener en octobre cette enquête à laquelle nous tâcherons d'intéresser directeurs d'écoles et inspecteurs.

Disons tout de suite qu'une des conditions à notre avis indispensables pour redonner une activité pédagogique aux grands groupes scolaires, c'est d’atténuer la forme et l’atmosphère caserne, de rapprocher l’instituteur des enfants afin de supprimer l’actuelle éducation en série.

La solution préconisée et tentée par M. Lévesque, inspecteur de Caen, nous parait totalement souhaitable : créer, au sein de ces grands groupes, des groupes homogènes d’écoles è deux ou trois classes avec des instituteurs qui suivraient leurs enfants pendant toute la scolarité, qui les connaîtraient et qui pourraient alors envisager l’organisation scolaire susceptible d’améliorer et de rendre plus efficiente la vie du groupe.
Chacun de ces groupes homogènes pourrait avoir sa salle ou son coin des Activités dirigées, d'exposition ; il pourrait prévoir des sorties indépendantes et faire tous aménagements compatibles avec l'organisation générale de l'école.
Nous serions heureux de voir cette idée reprise et développée.
 

Et même là où rien ne peut être fait dans ce sens, nos techniques ne peuvent- elles apporter aucune amélioration ?
Nous sommes persuadés du contraire.
Il sera difficile d'adopter, brusquement, l’Imprimerie à l’École, ou bien alors on pense à une imprimerie pour tout le groupe ; nous pouvons certes fournil l'imprimerie, qui peut fonctionner et rendre des services, mais ce ne sera point là le travail selon nos techniques dans les classes mêmes.
Par contre, la modernisation, l'adaptation de ces classes aux possibilités de 1939 pourrait être beaucoup plus poussée : tirages de textes au limographe et commencement de la pratique des échanges : gravure du lino, fichier scolaire coopératif, fichiers autocorrectifs, pratique des conférences.

À l’usage de ces techniques possibles partout, les instituteurs habitués à une besogne standardisée, uniforme et sans intérêt, reprendront goût à leur travail ; et c’est cette amorce qui a pour nous, la plus grande importance parce que nous nous sentons en mesure d’en tirer toutes les conséquences.
Au travail, camarades des Villes.
 

Nous n'avons certes pas tout dit.

Au cours de l’année qui finit, nous avons mis au point nombre de questions sur lesquelles de graves malentendus risquaient de se produire, et nous savons que ces malentendus sont souvent, ensuite, à l'origine des campagnes d'opposition et de dénigrement, qu’on tente contre nous,

Si, par nos tentatives d’éclaircissement, nous avons tué dans l’œuf ces oppositions, si nous avons mieux armé nos camarades pour répondre aux critiques qui se font jour, nous n’avons point perdu notre temps,

Et nous sommes heureux de voir naître, parmi nos adhérents, une compréhension qui autorise l'action cohérente entreprise aujourd'hui dans les départements. Des propagandistes naissent, et montent ; des camarades qui n’avaient jamais fait de conférences parlent pendant deux heures à un auditoire d’instituteurs et ils sont étonnés eux-mêmes de l’intérêt qu’ils suscitent.

Dans ce sens est la garantie que noire mouvement prend des assises solides et qu’il pourra, sans mon intervention directe et permanente, s’approfondir et s’amplifier partout.

Nous qui cherchons une pédagogie qui donne aux enfants compréhension, confiance en eux, activité et élan, sommes heureux d'avoir suscité parmi les éducateurs ces mêmes conquêtes, gage du développement d’une pédagogie vraiment populaire, adaptée à notre époque et dont, l’efficience ira croissant avec l’organisation technique à laquelle nous continuerons à apporter tous nos soins.

Célestin Freinet


 

L’Éducateur prolétarien n° 19, 1er juiller 1939 dans son intégralité

 

 


Clartés dans la nuit, 1er octobre 1939

 Dernier numéro de l’Éducateur prolétarien qui deviendra l’Éducateur, Daladier vient de dissoudre le Parti communiste et le maintien du terme « prolétarien » dans ce climat anti-communiste serait provocateur… et la revue doit continuer et le mouvement aussi.
Un appel émouvant de Célestin Freinet à poursuivre.


Notre année scolaire s’était terminée le 6 août dans cette apothéose d’un cours de vacances sans précédent – non seulement par le nombre – une centaine de camarades de toutes les régions de France, des colonies et de l’étranger, de tous âges, dont quelques-uns d’ailleurs revenaient pour la deuxième fois et se promettaient de revenir encore - mais aussi par le sérieux et la haute idée de leurs devoirs d’éducateurs.
On aurait dit que planait déjà sur ce cours la menace des graves évènements que nous avons connus depuis. Chacun cherchait sa voie en nous interrogeant avec anxiété et les participants auront certainement pensé longuement, ces temps-ci, à cette soirée d’ardente discussion sur le problème de la paix.
Émouvante et comme solennelle aussi, cette dernière soirée sur le terrain de jeux, où les petits Espagnols qui allaient retourner dans leur pays se découpaient en fières silhouettes clignotantes et lançaient vers le ciel leurs inoubliables chants d’espoir...
Nous avions bien dit à nos amis : nous n’aurons pas cette guerre que vous craignez et qu’on vous annonce. Et, forts de notre bon sens et d’un attentif examen des conjonctures présentes, nous justifiions notre prophétie.
Nous serions-nous trompés ?
Nous ne voulons pas encore le croire. La grande tuerie n’est qu’à moitié déchaînée.  Les canons et les bombes n’ont pas encore donné leur grosse voix. Le monde hésite à se suicider.
 
Mais quelle nuit !

Brusquement, les camarades se sont dispersés pour répondre à l’appel du devoir... Plus de lettres, journaux rares et bien trop stéréotypés... L’homme de la rue accuse la malchance ou la mauvaise étoile, ou tels ou tels chefs de peuple qu’on leur désigne comme responsables. Mais quand on est habitué, à réfléchir et à juger et que, brusquement, vous manquent les éléments pour ce jugement ; quand la nuit vous enveloppe et qu’on ne peut pas même essayer de comprendre ce que signifie le grand cliquetis qui la rend si tragique, on souffre intensément comme si on assistait à sa propre déchéance.
Et puis, voici les premières lettres qui arrivent, des lettres de femmes, naturellement, si courageuses et si dignes que nous ne pouvons nous abstenir d’en citer quelques-unes :
« C’est moi qui dois terminer la lettre que mon cher M... avait commencé pour vous. Le voilà, mobilisé depuis huit jours et parti vers l’Est samedi dernier Je supporte avec le courage et le calme nécessaires la dure épreuve qui commence. « Me voici donc à la tête de deux classes et je peux vous assurer de tout mon concours dans l’immense et belle oeuvre que nous avons ébauchée ici. Je me dévouerai à notre cause commune avec l’enthousiasme que vous connaissez à mon mari. Je veux être digne de lui et de notre groupe.»
« Donc, je suis à vos ordres pour toute collaboration utile. Je suis pour vous une collaboratrice dévouée et une amie sûre. »
« Puisque l’horrible cauchemar est devenu une réalité, écrit une autre camarade, puisque la plupart des camarades imprimeurs sont partis, je me mets en rapports avec les camarades femmes de la filiale pour voir ce qu’il sera possible de faire. Quant à moi, je prévois 50 élèves (mixte, tous les cours). Je suis seule, toute seule avec mon petit. B... est parti vendredi pour les Vosges. » 

Puis, malgré les vacances, malgré les multiples soucis de l’heure, voici des commandes, des demandes de renseignements. Peu à peu, les amis se retrouvent, avec le désir permanent de continuer à tout prix la profonde collaboration coopérative.
Nous sentons alors que, même dans les heures tragiques que nous traversons, notre action n’apparaît point comme inutile, que même au bord de l’abîme de la guerre, il se trouve des éducateurs suffisamment enthousiasmés par notre travail pour poursuivre hardiment l’humaine besogne pédagogique dont le rayonnement a fait le renom de la C.E.L. 

Cet émouvant attachement à notre coopérative nous impose, des devoirs. Nous n’y manquerons pas.
D’abord, rétablir la liaison, et c’est une des essentielles raisons qui nous font continuer la parution de l’Éducateur.
Aider tout à la fois, par cette parution, et ceux qui sont partis et qui seront heureux de ces contacts rétablis, et ceux qui sont restés pour remplacer avec tant de dévouement les absents.
Nous prétendons même amener à nous de nouveaux lecteurs grâce à cet esprit d’adaptation réaliste dont nous avons fait preuve ces dernières années.
Pendant cette période difficile, notre Éducateur ne sera certainement pas ce qu’il était naguère, et ce qu’il compte redevenir sitôt la paix retrouvée. Nous devons tenir compte de plusieurs états de faits impérieux : crédits plus rares, classes chargées, ou même surchargées, personnel nouveau et parfois recruté hâtivement.
On pourrait vous dire : ces conditions, dont vous reconnaissez l’importance, vous imposent de revenir bien vite à l’ancienne pédagogie, à la discipline strictement autoritaire, aux leçons passives et traditionnelles. C’est un point de vue nous en défendons et en défendrons un autre : que dans ces moments difficiles, la tâche de l’éducateur devient parfois infernale s’il prétend n’être que le gendarme d’une troupe énervée et frondeuse. Que vous suscitiez au contraire quelques intérêts, que vous parveniez à « organiser » votre classe, à donner une besogne active à vos gamins, ne serait-ce que par roulement, vous verrez quel changement et quel soulagement. Le scoutisme n’est-il pas là pour nous montrer le bien-fondé, d’une telle conception ? On menait naguère, le jeudi, des enfants en promenade ou bien on les parquait, les jours gris, dans des préaux nus. On en connaît les résultats. Aujourd’hui, le scoutisme mène ces mêmes masses d’enfants dans les champs et les bois, sac au dos, avec des buts d’action et des possibilités d’intérêt. Il y a là, qu’on le veuille ou non, un immense progrès éducatif.
Nous dirons ici, avec le plus de précision possible – et nous donnerons des exemples, – ce qu’on peut continuer dans les classes qui sont restées normales, mais aussi le travail possible dans les écoles que des départs ont rendues extraordinairement surchargées. Nous montrerons ce qu’on peut réaliser dans les écoles envahies de petits réfugiés.
Nous ne nous contenterons pas de conseiller : nous aiderons au mieux ces écoles, comme nous avons aidé naguère les camps de réfugiés espagnols. A nos adhérents de nous exprimer les besoins qui se révèlent et les possibilités d’appui dans ce domaine.
Cette partie essentiellement pratique de notre effort ne peut être et ne doit pas être, notre œuvre exclusive. A vous, camarades qui êtes restés au travail, à vous femmes héroïques de nos amis mobilisés, à vous mères, à vous délégués départementaux de tisser à nouveau autour de la C.E.L. ce réseau complexe et familier qui est la matérialisation de notre idéal.
Votre coopérative est à votre disposition. L’École Freinet, délestée en partie des enfants Espagnols dont la vie devenait ici trop difficile dans les heures présentes, peut entreprendre et continuer pour les petits Français touchés par le cataclysme cette oeuvre de sauvetage pratiquée depuis trois ans. Si vous connaissez des enfants de camarades en difficultés et que nous pourrions recevoir, faites-nous-les connaître et nous nous organiserons pour les recevoir.
Moins que par le passé, nous ne saurions nous contenter de verbiage. Toujours dans l’action ! 

Ceci pour la question pour ainsi dire technique et pratique. Reste la question idéologique.
Nous n’avons absolument rien à y changer ; nous n’avons rien à en cacher. Nous avons toujours pensé que l’esprit Imprimerie à l’École devait nécessairement baigner toute l’atmosphère dans laquelle évoluent et se diffusent nos techniques. Il ne s’agit point là d’un esprit partisan quelconque puisque nous avons toujours rallié l’unanimité des adhérents de notre Coopérative qui, comme dans toute Coopérative, ont le loisir d’appartenir aux organisations philosophiques, sociales et politiques qui leur plaisent ou de rester au contraire à l’écart de toutes. Cette unanimité est justement la meilleure réponse à ceux qui voudraient bien mettre une étiquette à notre Coopérative. Celle-ci, comme toute Coopérative, est ouverte à tous les éducateurs et, conformément aux statuts, « toutes discussions religieuses ou politiques y sont interdites. »
Comment avons-nous pu réaliser cette unité dans le respect jaloux de nos statuts ? En restant avant tout des hommes et des éducateurs, des éducateurs honnêtes et conséquents avec eux-mêmes, qui comprennent et pratiquent dans ce qu’ils ont de plus noble et de plus humain les devoirs qui incombent aux éducateurs.
Nous prétendons former des hommes... On dira peut-être en cette période former des Français ! Mais n’a-t-on pas suffisamment exalté ce destin généreux de la France et sa mission civilisatrice. Pour nous, qui dit former des Français, dit : former des hommes, et inversement.
Nous continuerons notre devoir.
Nous apprendrons aux enfants à raisonner sainement, à réfléchir, à passer les événements et leurs résonances au crible de leur claire conscience ; mais nous leur enseignerons aussi, outre ces devoirs pour ainsi dire individuels, leurs inéluctables devoirs sociaux ; nous les préparerons à se sentir membres de la communauté locale et nationale, à savoir y prendre leur place et y tenir leur rôle jusqu’à l’héroïsme et au sacrifice.
Ce faisant, nous amènerons les éducateurs à mieux réfléchir aussi, à juger avec plus de sens critique et de bon sens. Une démocratie ne peut pas être un troupeau ; elle ne peut vraiment exister que si ceux qui la composent savent la faire vivre, la servir et s’y dévouer.
Nous admettons certes que, dans les moments de crise, on sacrifie parfois l’avenir et la formation de la jeunesse à la vie même de la communauté nationale. Le soin avec lequel le gouvernement a mis l’enfance à l’abri des bombardements possibles témoigne de son désir de sauvegarder ce potentiel d’avenir. Nous travaillerons dans ce sens. Nous continuerons à montrer aux enfants et aux éducateurs ce que doit être une pédagogie efficiente, conséquente et digne du sacrifice de ceux qui veulent aujourd’hui garantir l’avenir et l’épanouissement de notre jeunesse.
Il ne faut, en aucune façon, que les difficultés actuelles autorisent le retour virulent de techniques condamnées par l’expérience et prétendant annihiler les heureuses innovations de ces dernières années.
Il se peut, bien sûr que, par une nécessité inéluctable on remplace dans nos campagnes l’automobile par la vieille charrette qui rouillait sous le hangar ; que l’âne trace à nouveau de maigres sillons avec la charrue primitive, la où le tracteur éventrait naguère la terre. Mais mènera-t-on campagne pour prouver que la charrette est plus agréable que l’auto et fera-t-on croire à quelqu’un que la charrue tirée par un âne fait du meilleur travail que le puissant tracteur ? Non, on admet ce pis-aller, on le comprend, comme on admet et on comprend le départ des mobilisés. Avec l’espoir que, demain, la lutte finie, disparaîtront pour jamais les vestiges de la souffrance humaine.
Il faut qu’on se persuade de même dans nos écoles que l’abandon provisoire de nos plus chères conquêtes pédagogiques n’est qu’un pis-aller du temps de lutte, mais que, demain, inéluctablement, il nous faudra revenir aux techniques qui ont montré leur adaptation aux nécessites modernes, leur efficience pédagogique, sociale et humaine, pour la formation virile des jeunes générations.

Encore une fois, nous serons là pour montrer la voie...
On tentera de nous décourager en nous signifiant que, lorsque les hommes se battent, toutes discussions pédagogiques deviennent futiles et superflues.
Comme si on voulait nous persuader que l’éducation des jeunes générations en temps de guerre est indifférente ! Nous espérons bien qu’on n’a point l’intention de poursuivre une guerre d’extermination. Quand les combattants reviendront prématurément fatigués et vieillis, ce seront ces enfants dont nous avons la garde aujourd’hui qui devront reprendre le flambeau. Nous voulons qu’ils en soient dignes.
Là est le but sacré de toute notre pédagogie. Nous serons nombreux à nous y dévouer, dans l’esprit Imprimerie à l’École qui a su faire naître, maintenir et développer an sein de notre Coopérative ce dévouement et cet enthousiasme que l’épreuve ne fera que renforcer et viriliser.

Célestin Freinet


 L’Éducateur prolétarien n°1, 1er octobre 1939 dans son intégralité