LA PEDAGOGIE DE GROUPE : le déconditionnement des adolescents au C.E. T.

Mai 1975

 


LA PEDAGOGIE DE GROUPE :

  le déconditionnement des adolescents au C.E. T.

 

Notre projet éducatif est caractérisé par une première époque de mise en question des élèves, de leurs valeurs, de leur passé scolaire et éducatif comme d'une mise à l'épreuve psycho-affective de l'enseignant. C'est le déconditionnement, c'est-à-dire le changement relatif des mentalités et des comportements.

 


 

1 - L'ACCUEIL DES ELEVES ET LA DECOUVERTE DU MILIEU

  

Mettre en place des rapports de subordination suppose une dose de sadisme, inconsciente par ailleurs chez l'enseignant. Pourquoi est-il enseignant ? Sans doute pour revivre et projeter des fantasmes d'éducastré sur ses élèves, sans doute pour reproduire une éducation autoritaire où les rapports père-enfant resurgissent dans l'image de leur agressivité perçue à travers la méthode uniformément directive. 

Nous prenons l'initiative d'une pédagogie éducative qui souhaite le vécu des moyens instituants ; c'est notre objectif ; nous avons le souci de les accueillir avec le calme souriant d'un enseignant heureux d'accomplir la tâche qu'il s'est fixée.  Ces élèves se sont, selon leur désir, assis autour des tables groupées en cercles. Je les écoute pendant quelques minutes puis je prends la parole. Comment va-t-on travailler ? Mes réponses leur apportent des informations de façon à éviter tout mystère de la méthode pratiquée. Je leur explique pourquoi ils travailleront ainsi et, surtout, je les amène à chercher ce que nous devrons construire ensemble. Ils ont compris : "L'auto-discipline ! ". Oui, si l'on veut entendre avec ce terme des règles de vie commune, un contrat de vie collective, des institutions créées par le groupe-classe considéré.

 

II - LA CONNAISSANCE DES ELEVES

 

21 - L'analyse psychosociologique de la classe est effectuée à partir d'un questionnaire élève. Les questions portent sur la situation familiale, les voeux professionnels, l'emploi du temps et leurs intérêts extra-scolaires, les qualités attendues de l'enseignant, l'accord éventuel avec le travail de groupes. 

211 - Il est important et banal aussi de souligner la permanence des origines socio-culturelles de nos élèves : enfants d'OP, d'OS, de cadres moyens, classe sociale exploitée dans le système capitaliste.

  212 - Nos élèves vivent leur échec scolaire en C.E.T.

  213 - On peut mesurer alors le rôle sélectif d'une école qui crée des inadaptés dans la reproduction des inégalités sociales. On peut aussi envisager une école, un C.E.T. ces adolescents recouvrent une certaine dignité dans l'apprentissage d'un métier. Mais, si la fonction intégratrice du C. E.T. leur donne les moyens-de vivre, elle demeure un support à une vision nouvelle de leur rôle socioconomique. D'où, pour résoudre cette contradiction, une pédagogie adaptée à des finalités socio-politiques de changement.

  

214 - La durée des déplacements ne prédispose pas au travail personnel à la maison.

 

215 - Les relations intra-familiales ne changent pas. Elles semblent au contraire se dégrader beaucoup plus rapidement. Désir d'innover des jeunes et résistance au changement des adultes s'affrontent. Je n'attends guère longtemps pour voir nos élèves en souffrir et le répercuter pendant nos plages. Ils éprouvent le besoin de dire, de raconter, de juger et demandent que je les écoute.

 

216 - Les qualités attendues de l'enseignant : l'enseignant doit être sympathique, compréhensif, juste, compétent. Donc, en premier lieu, la demande des élèves concerne l'aspect relationnel : les écouter, les comprendre, être accepté d'eux. Il est donc nécessaire d'instituer des structures de communication telles que l'expression individuelle et collective des adolescents puisse s'élaborer.

  22 - Le questionnaire caractérologique : il nous aide à cerner le comportement conscient de chacun. Les élèves sont heureux de savoir ce qu'ils sont, comment ils peuvent se percevoir eux-mêmes.

 221 - Identité des élèves de C.E.T. : le facteur Activité est prédominant. Nos élèves aiment l'action ; ils sont actifs à condition de les motiver. Et nous voyons combien il est essentiel d'orienter la finalité de cette activité en lui donnant les moyens constructifs de réaliser la personne.

  222 - La plupart des élèves sont primaires, c'est-à -dire spontanés, vivants. Et nous pouvons entretenir cette spontanéité sans verser dans l'instabilité, en la canalisant dans une activité structurée. Portés vers le concret, ils demandent l'éducation intellectuelle autant qu'affective. Il leur faut intérioriser la vie et combler un "vide intérieur" que l'époque actuelle cultive avec indifférence. Notre mission est de donner à nos élèves une raison d'être et d'agir, donc un rôle qui lie chacun à un groupe, l'attache à un objectif, le rende solidaire d'un avenir.

 

 223 - Nos élèves participent pratiquement tous de deux ou de plusieurs caractères : passionné ou actif exubérant, para flegmatique, para réaliste, para nerveux, par-amorphe; ils sont donc éducables. De plus, le test révèle les élèves nerveux, instables, sentimentaux, amorphes, qui souffrent de problèmes familiaux : orphelins, enfants naturels, parents séparés, mésentente familiale, autoritarisme du père ; ils les extériorisent par une activité superficielle, désordonnée ou ils les intériorisent avec un mutisme parfois difficile à pénétrer.

  23 - Le test sociométrique : il corrobore le comportement des élèves peu acceptés par les phénomènes de rejet. Et notre tâche consiste à intégrer ces élèves dans les groupes, à leur apporter une aide stabilisatrice.

  Les quatre indices de popularité, de rejet, d'expansivité et de refus nous permettent de localiser le noyau des animateurs de groupes, de mieux connaître chaque adolescent, dans son style de relations. Oui choisit qui ? sur le plan caractérologique, nous voyons que les facteurs émotivité, primarité, secondarité sont en jeu et qu'en fait, s'il y a compensation entre émotivité et non émotivité, les choix réciproques dépendent presque exclusivement de la primarité et de la secondarité.

  Un élève primaire choisit un autre élève primaire et refuse un élève secondaire. Le test sociométrique est unique pour ne pas cristalliser les phénomènes de rejet.

 

IlI- LA PERCEPTION DE L'IMAGE DE L'ENSEIGNANT

 

 Que représentons-nous aux yeux de l'adolescent ? Oui sommes-nous pour sa psychologie ? Figure de l'autorité institutionnalisée avec un statut social précis, l'enseignant contraint les adolescents à travailler dans le cadre scolaire institué. Il fait partie de la galerie de portraits que les élèves rencontrent sans illusion depuis lcole primaire. Un enseignant de plus, une année de plus ! L'habitude s'incruste, parée de bons points, de sanctions, de carnets de notes les joies se mêlent aux chagrins. C'est le passé de chacun. Mais dans celui de nos adolescents, le chagrin s'est cristallisé en carapace de fatalisme. Ils retrouvent, avec déplaisir sinon avec amertume et révolte, un univers d'échec. Peuvent-ils encore réagir ? et comment les motiver ? Est-ce en jouant le moralisateur paternaliste mystifié et mystifiant ? Est-ce en privilégiant le contenu ? Est-ce en exerçant un pouvoir coercitif ? Devons-nous les maintenir dans un état de sous-développement culturel grâce à notre fonction intégratrice ? Ou devons-nous chercher à les auto-développer, à les auto-éduquer grâce à notre possible fonction de formateur ?

  Notre rôle d'animateur-éducateur est sous-tendu par des attitudes d'écoute, de compréhension, d'acceptation de soi et des autres. C'est l'image que je veux donner afin d'établir des relations de confiance avec les adolescents, une image non-frustrante. Et pratiquement jusqu'à la fin novembre, cette image n'est pas totalement perçue par l'ensemble du groupe-classe. Pendant deux mois et demi je vis avec intensité un décalage entre l'image de l'enseignant vécue antérieurement par les adolescents et l'image présente. Et toute la problématique du déconditionnement réside dans ce passage de la perception d'une image frustrante, anti -éducative, à la perception d'une image non-frustrante, éducative. Le passage représente aussi la modification de l'image de l'autorité.

  Elle a été intériorisée sur le mode technocratique, hiérarchisé et répressif ; un autre vécu fait place à une autorité de type relationnel liée à un fonctionnement démocratique .

  Concrètement, les adolescents cheminent d'un comportement agressif par un comportement plus ou moins incontrôlé, désordonné, anarchique jusqu'à un comportement contrôlé. Il n'est pas facile parce que l'apparence démagogique ressort vite, de transformer des relations d'autorité de subordination en relations de pouvoir et d'aide au niveau de la percept ion des adolescents. Il faut leur prouver que cette transformation est possible et qu'elle se réalise. D'où l'importance de l'organisation du travail et de la mise en oeuvre de procédure et d'apprentissages démocratiques. D'où la légitimité d'une attitude non-directive, c'est-à-dire directive sur la forme et non directive sur le fond . Cette manière d'être, par exemple, nous permet d'être à l'écoute des besoins objectifs et subjectifs des élèves. L'expression des besoins, ainsi facilitée, amorce l'effort de conscientisation que nous entreprenons. Le petit groupe constitue alors le milieu privilégié de cette conscientisation puisqu'il institue la libération de parole donc l'expression, le dire, la production donc le travail, le faire, le choix du ou des thèmes donc la décision, le décider et la réalisation, les activités intellectuelles, manuelles, donc l'action, l'agir.

  Dans ce contexte de réponse à la demande, nous savons que nous provoquons l'adhésion affective des adolescents. Le passage à l'adsion raisonnée au niveau des objectifs est affaire de temps et de patience. Elle intervient habituellement en 2e année.

  Début décembre, les élèves établissent eux-mêmes le silence dans la classe, c'est-dire chacun se tait de sa propre initiative, elle-même conçue non comme inhibante mais comme libératrice. Ce qui induit et suppose tout à la fois une acceptation de soi et des autres et une considération positive de soi et des autres. En fait, nous constatons une prise de conscience progressive de cette attitude et son intériorisation correspond avec les apprentissages de la prise de parole et de la vie en groupe.

 


 

Louis- Pierre JOUVENET

  C.E.T. "La Sauvagère"

 LYON