Fichier de calcul

Octobre 1932

Nous donnons ci-dessous un rapport circulaire que nous avons polycopié en juillet dernier et adressé à un certain nombre de camarades.

Les discussions qui en ont déjà résulté nous montrent qu'il y a possibilité de bâtir, sur ces bases, un travail coopératif du plus haut intérêt.

A vous tous d'étudier ce projet, de le discuter, de l'améliorer pour que nous puissions ensuite entreprendre véritablement le travail effectif.

 

Chers camarades,

 

L'absence de place sur le Bulletin ne nous a pas permis de pousser l'étude du Fichier de calcul comme nous l'aurions voulu. La question a cependant passionné un grand nombre de camarades. J'y ai moi-même longuement réfléchi au cours de l’année, aidé en cela par les lettres ou articles de divers camarades.

Je vais vous exposer ce qui me paraît être aujourd'hui la technique possible pour un enseignement du calcul répondant à nos besoins ; nous verrons ensuite les moyens, de réalisation et le travail immédiat que nous pouvons entreprendre.

Je rappelle que la technique ainsi définie est déjà œuvre collective, puisque ce projet a été établi après communications diverses de camarades, publiées ou non. Comme toujours, n'y voyez absolument aucun amour-propre d'auteur. C'est plutôt un rapport provisoire que je vous demande instamment d'étudier et de critiquer, afin que tous ensemble, nous puissions au plus tôt jeter les bases solides de la nouvelle technique.

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Le travail que nous considérons comme essentiel est la recherche par les enfants eux-mêmes, des problèmes divers qui peuvent se poser.

Le Cours Moyen (enfants de 12-13 ans) sera chargé d'étudier les éléments d'un problème en rapport avec notre centre d'intérêts journalier. Il ne s'agit pas de demander à l'instituteur de faire lui-même cette besogne : laissez agir l'expérience et parfois l'imagination des enfants.

Nous parlons aujourd'hui de guerre : se posera sans doute à nous quelque recherche se rapportant aux dépenses de guerre, en matériel et en hommes, ou à l'achat d'un fusil de chasse.

La recherche elle-même des éléments du problème peut d'ailleurs être longue et laborieuse et constituer à elle seule une sorte de complexe qu'il sera difficile de brider par un horaire strict. Dans les cas ci-dessus prévus, il nous faudra rechercher dans notre fichier ou dans notre Bibliothèque de Travail les éléments de ce calcul : nombre de soldats morts en France et dans le monde pendant la grande guerre, poids d'un obus, prix de revient, considérations sociales, prix des articles de chasse, etc...

Cette préparation du problème peut même nécessiter des recherches, des enquêtes hors de l'école, enquêtes que les enfants iront entreprendre librement avant d'élaborer les données définitives du problème.

L'élaboration terminée, il nous faut passer à la préparation technique du problème puis à sa résolution.

La préparation technique, quoique devant rester au maximum adaptée aux intérêts du moment, doit cependant répondre à certaines nécessités pédagogiques ; les difficultés n'y seront pas dangereusement accumulées, ou elles seront du moins sériées pour que l'élève ne soit pas rebuté devant la complexité de la besogne. Il ne faudrait pas, inversement, que le problème soit trop simple et n'apporte rien de nouveau au point de vue technique.

C'est cette préparation qui est la plus délicate à réaliser, qui a rebuté jusqu'à ce jour, avec raison, les instituteurs, et que nous devons rendre facile et pratique par un matériel approprié.

Je propose - après, je le répète, lecture des divers documents reçus (voir notamment article Lallemand) - l'établissement et l'édition de fiches spéciales portant ce que nous appelons des problèmes­types, c'est-à-dire un exemple précis des diverses combinaisons de problèmes qui répondent au niveau de chaque classe. Ces problèmes seraient accompagnés de toutes indications méthodiques susceptibles de faciliter la rédaction de l'énoncé et de comprendre parfaitement la marche normale de la solution.

Le maître et, éventuellement les élèves, pourront s'y référer pour bâtir un problème original, gradué par rapport aux travaux antérieurs et adapté au centre d'intérêt. Un simple répertoire suffira pour voir quelles sont, à un moment donné, les combinaisons connues et comprises, quelles sont au contraire celles sur lesquelles il faudra faire porter l'effort présent, comment un problème complexe peut être décomposé en plusieurs autres problèmes analogues à nos problèmes-types.

Ces « fiches-mères » seront en même temps des fiches de référence. Que dans le travail ultérieur, une notion nous apparaisse insuffisamment connue, soit par un élève, soit par un groupe d'élèves, il nous suffira de donner les numéros de références sur lesquels se trouveront les renseignements précis concernant ces solutions, ainsi que les numéros de problèmes s'y rapportant et qu'on aura intérêt à reprendre.

Ce fichier est ainsi tout à la fois un fichier d'étude et de documentation, servant à la construction, par les élèves, de problèmes vivants, en relation directe avec le centre d'intérêt, et à la revision des notions mal connues sorte de pont jeté entre l'intérêt initial et les nécessités scolaires.

Le travail normal que nous venons de définir a surtout pour but de donner aux enfants le sens mathématique, de faire comprendre les fondements sociaux du calcul scolaire, de leur apprendre à voir, sous les données plus ou moins abstraites et conventionnelles des problèmes courants, la réalité vivante. Nous parvenons ainsi à normaliser l'enseignement du calcul comme nous avons normalisé l'enseignement de la langue. La lecture et l'écriture apparaissaient comme des techniques spécifiquement scolaires ; elles ont pris grâce à notre technique, toute leur valeur d'humaine simplicité ; le calcul deviendra de même la conclusion naturelle de recherches que l'intérêt scolaire et social a suscitées et motivées.

Dans une école nouvelle, travaillant dans un milieu socialement assaini, cette étude devrait largement suffire pour préparer les élèves aux tâches qui les attendent. Et ce doit être le cas des écoles soviétiques.

Il n'en est point de même chez nous : les programmes et les examens nous mettent dans l'obligation d'enseigner à nos élèves des notions qui ne peuvent pas être normalement incorporées à leur vie et auxquelles il nous faut cependant penser en tâchant de neutraliser au maximum les conséquences regrettables de cet autre bourrage officiel.

C'est pourquoi nous adjoindrons à nos Fiches-­mères d'étude et de documentation, un Fichier d'exercices ; ce seront des problèmes conformes aux programmes et aux examens, classés par types correspondant à nos fiches­-mères et dont les 200 fiches parues seraient un spécimen assez imparfait.

Nos fiches-mères seront sur format fiches : demandes et réponses seront sur la même fiche. Les fiches d'exercice seront sur format 10,5 X 13,5 et comporteront une fiche-demande et une fiche réponse.

Tandis qu'avec le seul fichier d'exercice actuel l'élève qui n'a pas su faire un problème ne peut, à lui seul, récupérer son retard, nos fiches-­mères seront là pour cet usage.

Lorsqu'un élève n'aura pas su résoudre un problème, il ira consulter la fiche-mère (dont le numéro sera porté sur la fiche-exercice). La fiche-mère permettra à l'enfant de comprendre la cause profonde de son erreur. Des références lui permettront de plus de revoir, ou de faire d'autres fiches d'exercices dont les numéros seront indiqués.

Autre avantage de cette intercommunication des fichiers : notre fichier d'exercices a pour ainsi dire deux entrées : on peut résoudre les problèmes en suivant l'ordre numérique - ou bien on peut, au contraire, résoudre les problèmes mentionnés sur la fiche-mère en concordance avec l'intérêt du jour.

Cette combinaison tout à la fois méthodique et matérielle devrait, ce me semble, nous donner satisfaction.

***

Au cours élémentaire, nous sommes moins talonnés par les programmes et les examens.

Bien souvent les élèves de ce degré participent très activement aux recherches qui, en liaison avec le centre d'intérêts, nous permettent l'élaboration de calculs arithmétiques. Ou bien, ces enfants peuvent, de leur côté, entreprendre des recherches similaires. Nous demanderons parfois aux grands d'établir un problème pour ce degré, problème que nous pourrons modifier en collaboration.

La technique est ensuite la même : si nous agissions anarchiquement, nous risquerions la plupart du temps de ne pas varier suffisamment la forme et la portée de nos problèmes. C'est pourquoi la préparation d'un matériel identique au matériel pour cours moyen est ici indispensable aussi : Fiches-mères donnant avec toutes explications nécessaires, la construction et la résolution des problèmes-types correspondant à ce degré - et fiches d'exercices avec réponses séparées, permettant aux enfants de s'entraîner librement et sans intervention directe de l'éducateur.

Une double entrée, comme pour le C.M. permettra à l'élève de se référer aux fiches-mères comme ci-dessus.

Même conception pour le cours préparatoire, avec cette variante que les fiches-mères seraient moins des problèmes-types quelcon-ques que des documents expérimentaux, plus concrets, aidant l'enfant à vivre le calcul et le dirigeant dans ses diverses besognes spontanées.

Je pense que nous pouvons d'ores et déjà prévoir trois séries de fiches, donc trois groupes de camarades pour la recherche et la mise au point :

1° Au cours préparatoire ;

2° Au cours élémentaire ;

3° Au cours moyen.

A chacun de vous d'étudier le projet pour le chapitre qui l'intéresse et qui correspond à son travail.

Ce sera là pour ainsi dire la première étape de notre travail. Mais quand nous nous serons mis d'accord sur le schéma général il faudra penser aussitôt aux modalités de cette préparation et je serais heureux, si vous pouviez, déjà, donner votre opinion à ce sujet.

Je pense qu'il nous faudra prévoir deux sortes de travaux assez distincts :

1° La préparation des fiches-mères, besogne la plus délicate au point de vue pédagogique, car, si nous parlons de problèmes-types cela ne signifie nullement que nous prévoyions l'édition pure et simple de la demande et des réponses de ces problèmes. La forme est certes toute à trouver, et pour faciliter notre tâche, nous pourrions encore la subdiviser en :

a) Recherche des problèmes-types à envisager, en se référant tout à la fois aux manuels parus, aux journaux, aux programmes et aux nécessités nouvelles de notre pédagogie ;

b) Mise au point méthodologique de la préparation de l'énoncé et de la réponse,

2° Préparation des fiches d'exercice :

a) Recherche méthodique des problèmes à publier pour chaque type, pour chaque fiche-mère ;

b) Préparation de la réponse.

Il ne faut certes pas nous dissimuler l'importance ni les difficultés de cette besogne. Mais notre groupe doit parvenir à un résultat pratique. Je serais heureux si vous pouviez déjà vous choisir un travail dans ce plan d'ensemble : dire par exemple : je pourrais m'occuper de rechercher des problèmes-types pour C.P. ; ou bien présenter des problèmes gradués pour ce même cours, etc...

Nous nommerons ensuite un camarade chargé de la mise au point de chaque section et nous publierons dès que possible.

 

C. F.