Feu vert pour l'Ecole du travail

Novembre 1969

 

Il n'est pas dit d'abord que le fonctionnement d'une école par le travail nécessite, tout considéré, une dépense beaucoup plus élevée que l'école actuelle. Ce sera plutôt le mode de la dépense qui sera à reconsidérer.

 

Avez-vous essayé d'ajouter tous les frais que l'école par le livre impose aux familles, de faire le total, pour une scolarité, de tous les manuels à changer toutes les années, tous les deux ans, ou du moins de temps en temps, car les livres s'usent, se salissent, se démodent; et les méthodes actuelles supposent un minimum d'uniformité ... Avez-vous réfléchi à l'illogique et inefficace surcroît de dépense que signifie la pratique du manuel individuel: trente livres semblables de grammaire, de lecture, de sciences, de géographie, d’histoire, etc. Comme si chaque ouvrier emportait à l'usine la série d'outils qui peuvent lui être utiles! …

 

Avec ce même argent, croyez-moi, il y a de quoi en acquérir du matériel pour la classe, des livres, des fiches, des outils. Et ce matériel de base, parfaitement étudié pourra servir des années et des années, s'adaptant au maximum à la diversité des techniques : un matériel d'imprimerie parfaitement au point peut servir pendant dix ou vingt ans; le même fichier s'enrichit et se modernise chaque année, comme se fertilise et se valorise tous les ans le champ intelligemment cultivé; un musée, un champ d'expériences sont comme des constructions définitives qui peuvent durer autant que l'école.

 

Il y aura une première mise de fonds, comme pour le ménage qui s'installe au village. On pourra prévoir le strict minimum, quitte aux intéressés à perfectionner, année par année, leur matériel de travail, à développer leur cheptel, à fabriquer eux-mêmes aux moments de loisir, certains de leurs outils de travail.

 

Tout compte fait alors, les frais d'installation et de fonctionnement de l'Ecole par le travail -peuvent ne pas être plus élevés que ceux de l'école par le livre.

 

Ce qui ne veut pas dire que nous devions nous contenter de la misère actuelle et que nous n'ayons pas de plus grandes ambitions pour notre école du peuple. Si, comme j'en suis persuadé, et même avec des moyens très réduits au départ, cette école par le travail montre sa supériorité évidente, si elle satisfait davantage autorités et parent, par une meilleure adaptation à la société actuelle, par une plus directe et plus intelligente préparation de l'enfant à ses devoirs de travailleur, si on sent que ça rend, on saura alors faire d'autres sacrifices.

 

Le jour où notre école par le travail aura prouvé sa nécessité dans le processus complexe de la vie, elle occupera, soyez-en persuadés, la place éminente qui doit être la sienne. Mai< cette dignité se conquiert aussi, et vous devez la conquérir par l'adaptation à la fois hardie et mesurée de vos techniques aux nécessités de l'heure.
 

C. FREINET
 

L'Education du Travail

http://www.icem-freinet.fr/archives/educ/69-70/2/1-2.pdf