L'Educateur n°14 - année 1954-1955

Janvier 1955

Les Dits de Mathieu : Au coeur de l'homme

Janvier 1955

Le travail, c’est comme le cœur social de l'Homme.

Le jour où il lasse en produisant une douleur physique ou morale qui va s’approfondissant, c’est qu’une erreur ou un accident ont brouillé la fonction normale du mécanisme.

Il arrive, certes, que pour compenser les dépenses de l’effort physique ou pour réagir contre un brusque danger, le cœur batte plus fort, comme un moteur qu’on accélère au pied d’une montée. Mais il retrouve aussitôt son rythme dans une sorte de bien-être au calme revenu.

Le travail nécessite lui aussi bien souvent une tension puissante pour triompher de l’obstacle à vaincre et parvenir au but. Mais le repos et le sommeil interviennent qui sont comme la phase bienfaisante de l’action.

Si le cœur, après l’effort, ne retrouve plus son régime, si le sang comme une eau boueuse s’attarde dans les conduits, le médecin dira : surmenage... Il faut réduire le travail que nous lui demandons, mettre le corps au repos ou même tenter une saignée. Solutions provisoires qui ne sauraient corriger le trouble évident du mécanisme.

Si l’on vous affirme aujourd’hui : l’enfant est surmené... il nous faut réduire les programmes ! C’est non pas que vous avez demandé une trop grosse masse de travail mais que vous avez troublé une fonction naturelle, que vous avez présenté comme travail des exigences qui s’incorporent mal à nos nécessités vitales, que vous avez fait tourner le moteur à vide au risque de l’emballer ou que vous l’avez nourri d’une essence impure qui calamine le moteur.

Alors, il n’y a plus de repos parce qu’il y a non plus fatigue mais blessure, parce que des brèches s’annoncent que vous ne pourrez plus colmater et qui risquent de rendre pénibles et obsédants toute action et tout effort.

Il faut vraiment une accumulation de fausses manœuvres pour fatiguer un cœur qui tourne si doux que nous ne le sentons point battre. Il faut une aussi dangereuse accumulation d’erreurs pour donner à l’enfant la crainte, puis le dégoût d’une fonction aussi naturelle et aussi noble que le travail.

Replacez ce travail dans le circuit de ta vie. Donnez-lui un but et un sens. Qu’il nourrisse et impulse votre naturel comportement. Qu’il soit au cœur de votre destinée individuelle et sociale.

Il restera peut-être à aménager les programmes dans l’entreprise nouvelle équipée d’espace, d’outillage, d’art et de lumière, sans compter l’âme et l’idéal qui en sont le soleil.

Mais il nous faut mieux que des discours pour redonner au travail sa permanence et sa dignité.

Vers une attitude aidante

Janvier 1955

AU CŒUR DE L’HOMME

Guide Général de l’Educateur Moderne

 

 

VERS UNE ATTITUDE AIDANTE

Le plus difficile dans l’application de nos techniques, c’est de passer de l'attitude autoritaire à l'attitude aidante.

Tout nous a préparés à l'attitude autoritaire : l’autorité que nous avons subie pendant toute notre scolarité et dont, inconsciemment, nous avons tendance à nous venger en l’exerçant à notre tour. Il y a dans tout soldat un caporal qui sommeille. Et le jeune instituteur a fort à faire pour ne pas devenir caporal.

Ajoutons que toute la pédagogie, et même la psychologie, jusqu’à ce jour, se sont appliquées à justifier- cette attitude en prouvant que l’enfant ne saurait rien être par lui-même, si toutefois il ne porte pas en lui la racine et l’ombre du mal comme 1’enseignait l’Eglise. L’adulte devait donc former l’enfant, le diriger et le commander, sans tenir compte de ses désirs et de ses tendances, en s’opposant même à ces tendances qui étaient toujours suspectes et susceptibles de cultiver cette paresse congénitale, ennemie n° 1 de l’éducateur.

Le problème d’ailleurs était ainsi apparemment simple, comme pour un ingénieur qui pourrait se payer le luxe de tirer sa route tout droit sans tenir compte ni de la nature du terrain, ni des accidents fortuits qui compliquent le projet sérieusement. L’ingénieur se heurterait à des rochers qui l’arrêteraient et l’obligeraient à obliquer, il rencontrerait des torrents qu’il ne suffirait pas de dédaigner mais qu’il faudrait bon gré mal gré enjamber.

Selon l’ancienne pédagogie, l’instituteur préparait son travail, prévoyait ses devoirs et ses leçons sans tenir compte de la nature des enfants ni des obstacles parfois infranchissables qu’ils opposeraient à l’action de l’Ecole. Et l’éducateur, au lieu de faire son mea culpa, sévissait et faisait retomber son insuccès sur les enfants comme si l’ingénieur pouvait se contenter de maudire le rocher ou d’apostropher la rivière.

Et nous n’exagérons rien puisque les manuels scolaires qui étaient l’élément essentiel de l’activité des classes étaient réalisés de Paris ou d’ailleurs, pour toute la France. L’Instituteur n’avait qu’à s’y conformer. Et quand ça ne marchait pas, il « sévissait » en punissant « les coupables ».

A ce point de notre démonstration, il serait souhaitable que nos jeunes camarades aient lu mon Essai de psychologie sensible pour comprendre les processus véritables de la formation et de l’éducation par expérience tâtonnée. Ils verraient que devoirs et leçons sont 80 fois sur cent inhibiteurs de l’action créatrice et de l’expérimentation, sans lesquelles il ne saurait y avoir aucune construction profonde. Il faut à l’origine que l’enfant cherche, travaille, expérimente, crée. Notre rôle à nous est de lui permettre au maximum cette fonction de recherche et d’expérience qui est naturelle à tous les individus mais que l’Ecole a parfois détruite chez les enfants de 10 à 13 ans. .

Nous devons permettre le travail et l’expérience enfantines en donnant à nos élèves le matériel et les outils de la recherche et de l’expérimentation. C’est pourquoi nous avons tant sacrifié pour créer ce matériel. Et c’est pourquoi aussi nous affirmons toujours que nos techniques sont à la base de matériel de travail. C’est une lapalissade à laquelle les éducateurs ne sont plus, hélas ! naturellement sensibles.    '

Et puis, il faut nécessairement modifier notre attitude. Au lieu d’éprouver une sorte de malin plaisir à voir l’enfant se tromper et à lui appliquer les sanctions qu’il mérite, aidons-le sans cesse à surmonter les difficultés et à réussir.

La part du maître a cessé chez nous d’être la part du caporal et de l’adjudant, elle est la part de l’homme aidant qui, selon nos méthodes naturelles, opère toujours comme la maman, cette grande aidante.    .

Et ne craignez pas que vos enfants s’habituent à cette aide et cessent par eux-mêmes tous efforts. S’il s’agit d’un « devoir », l’enfant vous le laissera faire bien volontiers. Mais s’il faut imprimer son texte, dessiner, filicouper ou monter un téléphone, vous verrez l’impatience de l’enfant à ’se saisir des outils et à partir à fond de train comme le bébé que vous retenez parce qu’il s’aventure témérairement, alors qu’il vacille encore sur ses jambes.

N’ayez pas peur d’aider les enfants. De deux choses l’une : ou bien le travail ne les intéresse pas, et alors ils trouveront autant d’avantages à vous regarder faire qu’à opérer eux-mêmes. Ou bien vous avez su déclencher les activités vraies et l’enfant saura défendre son droit au travail.

Vous devez aider vos élèves pour la mise au point des textes libres. Ils sauront protester si votre apport ne s’inscrit pas totalement dans le cadre de leur effort.

Vous les aiderez pour la réalisation des conférences et des albums, pour le travail scientifique et historique.

Et vous laisserez dire les incompréhensifs qui vous accuseront d’avoir réalisé vous-même ce que vous présentez comme œuvres d’enfants. Vous leur offrirez de laisser travailler les enfants en leur présence, ou même spectaculairement au cours d’une exposition. Ils jugeront des résultats.

Le problème est relativement simple avec les enfants qui ne sont pas déformés parce qu’ils trouvent tout de suite, ou retrouvent cet appétit de travail et de connaissances, cette soif d’action qu’il nous suffira de nourrir et d’aider. Et c’est pourquoi les expériences d’Ecole Moderne sont plus faciles à l’Ecole maternelle et enfantine et jusqu’au CE.

Mais à partir d’un certain moment les mécanismes sont faussés. La machine ne repart plus normalement. Il ne nous suffit plus de nous rééduquer nous-mêmes, il faut rééduquer nos enfants. A tel point que vous douterez parfois du bien fondé de nos recommandations et que vous serez tentés de reprendre les vieux chemins où vous n’aviez pas à  

vous poser tant de questions, hormis la question des questions qui est l’insuccès de l’Ecole et son inaptitude à former des hommes.

Au moment où vous vous engagez plus ou moins hardiment dans les Techniques Freinet d’Ecole Moderne, réfléchissez à cette recommandation essentielle. Nous sommes comme le compagnon de travail qui vous introduit dans l’atelier nouveau, qui vous présente et vous décrit les machines, mais qui, chemin faisant s’arrête pour vous donner le résultat de sa longue expérience et vous offrir les conseils majeurs qui vous aideront à votre tour à réussir.

Et le meilleur hommage que rendent à nos efforts nos camarades, ce n’est pas, comme on pourrait le croire, lorsqu’ils nous disent : Grâce à vos techniques, ma classe marche mieux et j’ai, dans tous les domaines, des succès encourageants. Ce qui nous touche c’est lorsque nos adhérents, parfois stoppés ou du moins gênés par la surcharge des classes, nous écrivent : Grâce à vos techniques, je suis redevenu un homme et je me suis repris à aimer mon métier, le plus beau des métiers.

C. FREINET.

Nous parlerons un autre jour de l'aide que, dans la nouvelle atmosphère de nos classes nous apportons à nos élèves pour résoudre quelques-uns des problèmes intimes et profonds qui marquent, si souvent les personnalités

 

 

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Janvier 1955

 

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