Français en second cycle : extraits d'un cahier de roulement

Janvier 1983

Voici quelques extraits d'un cahier de roulement sur l'enseignement du français dans le second cycle, cahier qui a circulé en 1982-1983. Il ne s'agit pas ici de décrire l'ensemble d'une organisation de classe, ni de revenir sur des difficultés bien connues, et déjà évoquées, par exemple dans la synthèse d'un précédent cahier (cf. La Brèche n° 66) : lourdeur des effectifs, conflit entre la préparation du bac et la volonté de travailler autrement”. Ce sont seulement quelques tentatives de réponses, sur des points particuliers, à quelques-unes de nos interrogations.

 
I - LES CORRECTIONS DE COMPOSITIONS FRANÇAISES sont le boulet que traîne le professeur : “127 devoirs de français par mois, pour un certifié de lettres modernes en lycée ”.
 
Paul Badin : “ Je suis très exigeant sur la qualité et la précision du plan (une page préalable et je leur montre l'exemple.
A la correction j'ai un système un peu complexe :
1. Chaque élève a une fiche sur laquelle il fait, pour lui-même, la synthèse des corrections de ses devoirs.
2. Chaque élève est invité à refaire très consciencieusement tout ou partie d'un devoir qui ne le satisfait pas pleinement.
Cela prend une ou deux heures. Je leur dis qu'à l'auto-école, quand on manque un démarrage en côte, on leur en fait refaire jusqu'à ce qu'ils réussissent, mais on ne remplace pas l'exercice manqué par une marche arrière. Donc pas un autre travail ; d'abord refaire celui qui est manqué, c'est rébarbatif et c'est payant.
3. Chaque élève est invité à confronter méthodiquement son devoir aux meilleurs de la classe (ceux-là, maintenant, je les indique). Je n'ai pas assez d'argent pour les leur photocopier ; mais eux peuvent le faire. “ Pour quelles raisons précises, j'ai eu 7 et X a eu 15 sur le même sujet ”. Quand on a bien compris cela, on a déjà progressé.
4. Chaque élève note et signe consciencieusement les copies de trois ou quatre de ses camarades. Les remarques se recoupent ? Dans ce cas, l'élève à qui on a asséné quatre ou cinq fois son erreur de plan se méfie à la fois suivante. Elles ne se recoupent pas ? Alors, les discussions sont passionnantes et, à quelques reprises, j'ai été amené à revoir appréciation et note. Ce n'est pas à craindre.
Tout cela prend facilement trois ou quatre heures, dont au moins deux en cours, et je le crois payant. Ainsi, en 4. on apprend à juger le travail des autres, à prendre des distances par rapport au sien, donc à objectiver ses qualités et défauts propres, donc en retour, à mieux juger son propre travail.
5. Si cela ne suffit pas, certains peuvent me faire un devoir supplémentaire (pris dans les annales de l'année) . . . car je n'admets pas que des élèves de seconde, première, terminale, trainent trois ou quatre ans chez nous les mêmes notes médiocres : c'est affaire de travail, de méthodes et de motivations, c'est réapprendre le sens du travail en soi et pour soi, et retrouver les exigences de tout engagement de soi.
 
Pour en finir, momentanément, avec ce chapître de l'expression écrite, je demande cette année deux autres types d'exercices écrits à mes élèves, ce de façon régulière.
a) Fiches synthèse. A partir de livres lus en classe, de spectacles magnétoscope, de films, de pièces de théâtre, je demande une recherche d'équipe par thèmes. Chaque équipe (2° et 1°) doit fournir, après sa recherche plus ou moins longue, plus ou moins riche, une ou plusieurs (souvent une seule : synthèse ! ) fiches format 15 x 21 cm de préférence dactylographiées. Cela les oblige à faire le tri, à bien présenter, et nous permet de garder en classe le dossier complet de leur travail.
 
II - LES BILANS
Michel Pilorget : “ Bilan trimestriel préparatoire au conseil de classe officiel. La première étape dure une heure. Je distribue à chacun la fiche bristol à son nom sur laquelle sont reportés tous les travaux (oraux, écrits) qu'il a faits ou auxquels il a participé. Avec au crayon, les points forts ou faibles, et ce que je me propose de dire ou d'écrire sur l'élève, au conseil et sur le bulletin. Chaque élève prend connaissance. Ils peuvent me demander des renseignements, s'ils comprennent mal. J'explique que je n'aurai pas le temps, matériellement d'en discuter avec chacun. Donc, notre dialogue sera écrit. Ils m'écriront ce qu'ils pensent de ce que je pense d'eux. En cas de désaccord, ils doivent préciser leurs raisons.
Je m'engage à lire ce qu'ils vont m'écrire et à y réfléchir. Mais pas à en tenir compte aveuglément.
 
Je leur dis aussi que j'ai besoin de leur collaboration ; pour juger les autres : je leur demanderai donc de me faire la liste des élèves qui, à leur avis, je dois valoriser pour leur activité en classe. J'ai aussi besoin de leur collaboration pour juger le passé, ce qu'on a fait ensemble, et le préparer le futur, ce qu'ils demandent qu'on fasse ensuite. Cela se traduit, pour chaque élève, par une demi-feuille portant ces rubriques. Je ramasse l'ensemble, fiche-bristol individuelle et demi-feuille d'opinions personnelles. L'heure s'est écoulée.
 
La deuxième étape se fait hors-cours. Je dépouille les opinions personnelles ; éventuellement, je commente certaines opinions par écrit sur les feuilles, ou je modifie certains commentaires à moi, écrits au crayon sur les fiches-bristol. Je remplis les bulletins officiels.
 
La troisième étape dure une heure, le lendemain, si possible. Je rends à chacun sa demi-feuille d'opinions personnelles, je rends compte du dépouillement de l'ensemble. On peut alors discuter ensemble des problèmes soulevés soit par le comportement de certains individus, tels que jugés par moi, par eux-mêmes, par les autres, soit par les activités souvent rejetées, que parfois j'essaye de justifier soit par les activités proposées. On prend des décisions, poursuivre, modifier ou innover.
 
Bilan : Je crois que c'est la seule fois, par trimestre, où dans mes classes, il se passe quelque chose qui ressemble à une classe-coopérative. Et c'est le plus souvent très gratifiant. Car même s'il y a des remises en cause dures, il y a la plupart du temps échange et meilleure compréhension.
Conclusion : Ces fiches individuelles, et les réunions-bilans trimestrielles, sont me semble-t-il les deux seuls aspects de ma pratique pédagogique qui me satisfassent pour l'instant. Pour mon organisation de devoirs, je suis plus interrogatif. Pour le reste, je patauge au jour le jour .
 
Jacques Brunet : “ Normalement, nous faisons ce genre de bilan une fois par mois, voir toutes les trois semaines. C'est important pour éviter qu'on ne s'enferme, pour rectifier le tir. Et dans tous les cas, en fin de trimestre. D'autre part, le bilan sur la classe (positif, négatif, plus propositions à ne pas oublier) est dépouillé, puis classé par un groupe, (deux ou trois élèves) qui transcrit cette synthèse au tableau, ce qui donne l'ordre du jour du bilan. Un secrétaire de séance note les décisions importantes. Là encore, le but est la prise en charge coopérative
 
III - L'EXPRESSION LIBRE
Paul Badin :
1. Les élèves ont à leur disposition les radios locales : un à deux élèves par classe sont “animateurs” de radio et je fais de timides essais avec eux sur leur radio. Peut-être croient-ils plus au son, à leur disposition maintenant, et bientôt l'image, qu'au “journal”, déjà vu.
2. J'ai des textes-choc pourtant, des beaux et qui font mal. Mais ils concernent d'impossibles problèmes d'éducation ou des conflits familiaux : que de divorces mal vécus, surtout ! Que de suicides inavoués aussi. Je les laisse se lire devant la classe. Ces adolescents meurtris cruellement pleurent, se défoulent, appellent les autres au secours et leur demandent de les aider à porter leur fardeau. C'est tout ce que je peux faire, permettre cette écoute, permettre aux élèves de redevenir normaux en disant leur anormalité. Est-ce pour cela que les textes qui ne disent pas de vrais gros problèmes s'écrivent moins ?
Alors une dernière question : Suis-je plus qu'avant tourné vers ce genre de questions ? Honnêtement je ne le crois pas, j'y ai déjà songé. Mais eux sont de plus en plus victimes de ce type de chocs et l'assistante sociale du lycée me le confirme à chaque fois que je la vois. C'est bien qu'on leur permette de dire tout cela, mais ce n'est pas forcément mieux pour la poésie, pour leur poésie. Il y a à creuser de ce côté-Ià et je pense accentuer leur part de rencontres personnelles “ favorisées ” avec la poésie: lectures - montages - spectacles - rencontres diverses. Sinon, ils vont étouffer dans les miasmes affectifs et sentimentaux de beaucoup d'adultes.
 
Michel Pilorget :
Là où je pense ne pas être au point, c'est dans l'exploitation des Textes Libres : c'est trop souvent un dialogue écrit prof-élève. Rarement il y a échange élèves-élèves, au cours de séances de lectures réciproques.
 
Jacques Brunet répond :
1. L'échange élève-élève peut avoir lieu par lecture en petits groupes, avant lecture au groupe-classe.
2. On peut aussi, à l'issue de la lecture à la classe, programmer une séance de discussion sur deux ou trois textes prêtant à débat. Nous le faisons assez souvent.
3. L'échange de textes libres marche très bien en seconde, et marche tout seul... Un responsable de la correspondance agrafe à chaque texte libre envoyé par les correspondants une feuille pour les réactions de la classe ; il fait “tourner” les textes ; ça se fait parfois en cours en ateliers ou pas, ou chez soi. Il récupère les textes. (En tout cas ca marche tout seul, ce qui me soulage bien ! C'est une ouverture indispensable). Cette procédure peut aussi fonctionner pour les textes libres écrits par les camarades de la classe”.
 
Simone Bourgeat :
Un problème pourtant : à côté de quelques échanges assez précis, la pauvreté de la plupart des appréciations, dans le style: “ épatant, super. . . ” alors qu'on essaye par ailleurs de les habituer à justifier leurs impressions, leurs jugements.
Comment les amener, sans casser la spontanéité de cet échange, à l'approfondir ? Par la discussion collective des textes les plus riches, évoquée par J. Brunet. Le responsable de la correspondance en rédige un petit compte rendu.
 
IV - LE TRAVAIL EN ATELIERS
Fiche anonyme...
Principes généraux
1. Le travail accompli durant la part de l'horaire résèrvée aux ateliers fait partie intégrante du “ cours de français ”.
2. Le thème du travail est choisi librement par chaque élève ou chaque groupe, après consultation du professeur qui donne son avis et aide à organiser le travail.
3. Tout travail entrepris en atelier doit aboutir à une production écrite: dossier , texte personnel, affichage, article, dessin
ou orale : communication à la classe, débat, enquête, montage, enregistrement, scène de théâtre, émission vidéo...
4. Chaque élève ou chaque groupe doit prévoir avec précision la nature, le but et la forme du travail qu'il accomplira durant les heures d'atelier, de manière à apporter ou à demander au Centre de Documentation ou au professeur les livres, documents ou appareils nécessaires à ce travail.
 
Liste, non exhaustive, des travaux possibles en ateliers
1. Écrire - ou recopier sur grand format pour affichage ou envoi aux correspondants - des textes personnels (textes libres) ou des textes d'auteurs qui vous ont plu. Faire un dessin pour affichage ou pour le journal du lycée.
2. Écrire aux correspondants.
3. Écrire un article pour le journal du lycée.
4. Rassembler une documentation (livres, dictionnaires, dossier de presse: rassembler, classer, découper, coller, commenter).
5. Préparer un débat ou une enquête (prévoir les questions, le plan).
6. Préparer une dissertation: recherche des idées, du plan.
7. Revoir une règle de grammaire et faire des exercices dessus.
8. Préparer une présentation orale d'un auteur ou d'une œuvre.
9. Mettre en scène un texte écrit par vous-même ou un texte d'auteur, pour le présenter à la classe.
10. Enregistrer un montage sonore (texte, musique) ou audiovisuel (diapos, texte, musique).
11. Faire une émission vidéo (on peut effacer et recommencer mais non monter) .
12. Préparer le tournage d'un film (possibilité de montage) .
 
Voici enfin, la prise de position de Danielle Carpentier sur les journées “ La France en poésie ”. A l'occasion des “ journées-poésie ”, j'ai cru bon de répondre un peu vivement aux “ instructions rectorales ” nous incitant à faire de la poésie, d'autant qu'il fallait en rendre compte par voie hiérarchique :
- Je n'ai à signaler aucune “ opération de sensibilisation à la poésie ” dans mes classes pour les journées du 22-23 avril.
En effet parce que je crois précisément à la valeur et à l'efficacité de l'action poétique, je dois dire pour ma part :
1. Que j'essaie depuis longtemps de sensibiliser mes élèves à la poésie, particulièrement par une pratique régulière d'approche de l'écriture poétique (incitation à l'expression personnelle; autre rapport à l'écriture et aux textes) en liaison avec mon travail de recherche au sein du mouvement I.C.E.M. pédagogie Freinet, (entre autres choses: correspondance, échange de travaux avec des élèves d'autres établissements) recherche et pratique qui ne sont guère facilitées dans des classes de 35 élèves et le cadre des programmes.
2. Que je préfère la démarche d'une continuité, et d'essai de motivations, en dégageant des heures à cet effet dans mon emploi du temps, tout au long de l'année, à celle, épisodique, sans préparation ni lendemain, de “ journées ”, démarche qui me semblerait rejoindre les interrogations des commissions de décembre 82-janvier 83.
Je pourrais par contre envisager, éventuellement, de présenter des travaux d'élèves, avec leur accord, en liaison par exemple avec les documentalistes, ou d'autres travaux divers de professeurs intéressés, à un moment choisi par l'ensemble des éventuels participants.
 
Choisir, subjectivement... c'est sacrifier : les richesses de ce cahier n'apparaissent pas toutes. On y trouve des allusions à d'autres travaux :
- Un voyage et du ski de fond dans le Puy de Dôme, de la classe de seconde sportive de Geneviève Le Besnerais.
- La poursuite de l'expérience de radio lycéenne de J. Brunet.
- Un travail interdisciplinaire en terminale A (français - philosophie - anglais) par Michèle Roux, au lycée Saint-Exupéry de Marseille etc.
Les participants de ce cahier : Paul Badin, Angers. Geneviève Le Besnerais, Montmorency. Jacques Brunet, 33370 Tresses. Simone Bourgeat, Avignon. Danielle Carpentier, Toulouse. Michel Pilorget, Saint-Germain du Bel Air. Michèle Roux, Marseille.